la República Árabe Siria
Discours et réponses du ministre des Affaires étrangères de la Russie Sergueï Lavrov aux questions des médias lors d'une conférence de presse sur la question d’armes chimiques en Syrie et la situation autour de la Syrie, Moscou, le 26 août, 2013
Bonjour, Mesdames et Messieurs,
Nous avons décidé de vous inviter aujourd'hui en dehors de nos réunions ordinaires parce que vous avez, bien evidemment, beaucoup de questions par rapport à ce qui se passe en Syrie et autour d'elle. A cette occasion je voudrais faire une petite introduction.
Nous sommes extrêmement préoccupés par la situation actuelle. L'hystérie est grandissante, la confrontation monte suite aux allégations que le gouvernement de la République arabe syrienne a utilisé des armes chimiques le 21 août dernier à Ghouta orientale. Sous ce prétexte, nous assistons à une accumulation massive de moyens militaires dans la région, il y a des appels et même des menaces d'utiliser la force militaire contre le régime de Bachar al-Assad.
Washington, Londres, Paris ont annoncé au niveau officiel qu'ils disposaient d'information et des preuves incontestables de la culpabilité des autorités syriennes. Ils ne peuvent pas les présenter, mais ils disent de plus en plus fort que la «ligne rouge» est franchie et il n'est plus possible de tarder à réagir. Ces actions sont en contradiction directe avec les accords fixés par les leaders du G8 lors du sommet de Lough Erne en juin dernier. Dans la Déclaration du Sommet il est écrit noir sur blanc que toute allégation de l'usage d'armes chimiques en Syrie doit être soigneusement et professionnellement étudiée. Les résultats de cette enquête doivent être soumis au Conseil de sécurité de l'ONU. Les participants au sommet du G8, qui refusent cet arrangement, essaient, en effet, de prendre le rôle des enquêteurs et du Conseil de sécurité de l'ONU lui-même.
Nous insistons toujours sur une enquête de toutes les allégations de l'utilisation ou non-utilisation d'armes chimiques ou d'agents chimiques. En étudiant la situation actuelle, il est nécessaire d'analyser pleinement l'information, qui circule sur Internet, remettant en question la version de l'usage d'armes chimiques par les forces gouvernementales. Sur le web il y a beaucoup d'évaluations de professionnels et d'experts, y compris ceux du Royaume-Uni, les États-Unis et d'autres pays occidentaux, qui indiquent que des vidéos disponibles sur Internet ne prouvent rien. Il est rapporté que beaucoup de ces vidéos ont été publiés sur les sites plusieurs heures avant les annonces d'une attaque chimique contre l'opposition le 21 août faites par les chaînes de télévision arabes.
Ceux qui cherchent coûte que coûte à réaliser le scénario de force ne sont même pas satisfaits par l'accord donné d'hier par le gouvernement syrien aux experts de l'ONU de visiter les zones de l'usage présumé des agents toxiques le 21 août dernier. Ils rejettent littéralement ces ententes et disent que c'était trop tard, car en cinq jours il était possible de détruire toutes les preuves. Nous avons une question naturelle qui se pose: pourquoi nos partenaires occidentaux, qui sont maintenant si préoccupés par le risque de disparition des preuves, n'étaient pas aussi inquiets quant à la préservation de preuves, lorsqu'ils avaient bloqué l'envoi des experts de l'ONU pour enquêter l'utilisation d'armes chimiques à Khan al-Asal le 19 mars dernier. Alors personne n'avait aucun soucis sur le fait que ce délai permettrait la disparition de preuves.
Comme vous le savez, après avoir connu une obstruction pareille, les experts russes ont mené leur propre enquête sur l'incident du 19 mars, en pleine conformité avec les critères de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), et ont fourni leur rapport complet et détaillé aux membres du Conseil de sécurité de l'ONU. Il s'agit d'un document très concret, contrairement aux déclarations sur des «preuves incontestables» de la culpabilité du président Bachar al-Assad pour les événements du 21 août.
Il y a des questions par rapport au fait que l'attaque chimique du 21 août a été annoncée lorsque le groupe d'experts dirigé par le Suédois Oke Sellström était déjà arrivé à Damas et avait convenu le plan et les modalités de leur travail avec les Syriens. Beaucoup d'analystes sérieux et d'internautes se demandent si les autorités syriennes avaient une moindre raison de faire l'usage d'armes chimiques à ce moment-là? Permettez-moi d'attirer votre attention sur le fait que l'information sur l'attaque chimique à Ghouta orientale a été lancée au moment même où les experts russes et américains se préparaient pour une nouvelle rencontre sur la convocation de la Conférence de Genève. Le fait est que, sans aucun doute, l'hystérie va objectivement saper la convocation de ce forum. Peut-être que c'était un des objectifs, poursuivis par les auteurs de cette "nouvelle".
Il est clair que l'opposition ne veut pas de négociations, et déclare qu'elle n'accepterait d'y participer que sous capitulation sans conditions du régime. Ses approches ne vont que renforcér, vu une forte campagne d'information, qui est maintenant déployée en faveur d'une solution militaire à la crise syrienne.
En général, le cours des événements confirme que dès qu'il y a une moindre chance de lancer le processus politique, il y a des tentatives de changement de régime de force afin de ruiner ces chances. C'est donc le cas avec les observateurs de la Ligue arabe, l'initiative de paix de Kofi Annan et la Mission d'observation de l'ONU en Syrie. Je pense maintenant que c'est la même tentative de saper l'initiative américano-russe du 7 mai dernier de convoquer une conférence internationale pour la mise en œuvre intégrale du Communiqué de Genève du 30 juin 2012.
Contrairement aux dirigeants syriens, qui avaient accepté d'envoyer une délégation à la conférence, sans conditions préalables, l'opposition, après cinq mois de réflexion, ne l'a toujours pas fait. Nous aimerions comprendre quels signaux reçoit l'opposition de ses sponsors par rapport à la préparation de la conférence. Je tiens à citer une déclaration du représentant de la «Coalition nationale des forces de l'opposition et de la révolution syrienne» H.Saleh, publiée sur le site américain The Daily Beast, sur ce qui disent les Américains à l'opposition: «Vous vous asseyez à la table des négociations et dites que vous demandez la démission de Bashar Assad. Ils ne seront pas d'accord, alors l'idée serait un échec, et nous allons sortir sur la scène». Je le répète, c'est une citation du site The Daily Beast.
J'espère bien qu'en le disant les membres de l'opposition font passer leur désirs pour des réalités. Lors d'un entretien téléphonique d'hier, le secrétaire d'Etat américain John Kerry m'a fermement réaffirmé l'attachement de Washington à la tenue d'une conférence internationale et a assuré qu'il travaillait toujours avec l'opposition (syrienne, ndlr) afin de garantir sa participation à ce forum. De ma part, j'ai appelé mon collègue d'envoyer des signaux coordonnés et communs à toutes les parties syriennes - le gouvernement et tous les groupes de l'opposition – sur l'absence de l'alternative à une solution politique à travers le dialogue direct, à travers la convocation de la «Genève-2». C'est ainsi que nous faisons dans nos contacts avec Damas et toutes les forces d'opposition syriennes. Nous sommes également attachés à la plus importante disposition de la Déclaration du Sommet du G8, dans lequel les dirigeants ont exprimé la nécessité de réunir les efforts du gouvernement et de l'opposition dans la lutte contre les terroristes afin de les expulser du pays.
Je suis convaincu que c'est là où doivent se diriger les efforts des membres du G8 et toute la communauté internationale, ne non pas à l'aggravation de la confrontation et au renforcement des groupes de combat dans la région. Nous l'avons déjà vu sur les exemples de l'Irak et de la Libye. Aucune invasion militaire étrangère dans un tel ou tel pays n'avait abouti au rétablissement de la sécurité, elle devenait au contraire la cause de la déstabilisation dans la région.
Par conséquent, nous appelons à à agir de manière très responsable, ne pas répéter les erreurs du passé, à travailler de façon honnête, comme nous nous sommes entendus pendant le sommet du G8 à Lough Erne en juin dernier.
Je suis prêt à répondre à vos questions.
Question: On parle beaucoup de la convocation de la conférence «Genève-2». Vous avez dit qu'il est très important qu'elle soit tenue dans le plus bref délai. Est-ce qu'il y a déjà des date concrètes ou approximatives?
Lavrov: Comme vous le savez, pour une conférence il est important, avant tout, de déterminer la composition des participants. Peu après l'annonce de l'initiative russo-américaine, que nous avons fait avec le secrétaire d'Etat américain John Kerry à Moscou le 7 mai dernier, le gouvernement syrien a annoncé qu'il était prêt à envoyer une délégation (à cette conférence), sans conditions préalables, dans le seul but, fixé par la Russie et les Etats-Unis, de parvenir à un accord sur l'application intégrale du Communiqué de Genève du 30 juin 2012.
Jusqu'au présent l'opposition ne l'a pas fait, affirmant d'abord qu'elle avait besoin d'obtenir certaines garanties supplémentaires. Puis, au début de cette année, le chef de la «Coalition nationale» de l'époque Moaz al-Khatib avait dit qu'il était prêt aux pourparlers sans conditions préalables. Après cela, il a été rapidement licencié, et les dirigeants actuels prétendent que, pour participer à la conférence, ils ont besoin de rétablir l'équilibre militaire "sur le terrain" et de recevoir des garanties que la délégation du président Bachar al-Assad venait avec la déclaration de capitulation et passerait la totalité du pouvoir à l'opposition. Ceci entre en contradiction fondamentale avec le concept du communiqué de Genève de l'année dernière qui est au cœur de l'initiative russo-américaine, puisque, selon ce communiqué, on doit avoir un accord général du gouvernement de la Syrie et de tous les groupes d'opposition sur les paramètres de la période de transition, la mise en place d'un organe de transition qui préparait un nouveau texte de la Constitution, les élections, etc.
Par conséquent, la question principale est maintenant de ne pas déterminer la date et essayer de s'adapter à tout ceux qui hésitent ou un objet. La position des opposants au régime est trop profondément négative pour traiter des questions d'organisation avant qu'elle change et devient constructive. En conformité avec les accords que nous avons conclus avec les Américains, nos partenaires américains la traitent. Lors d'un entretien téléphonique d'hier, le secrétaire d'Etat américain John Kerry m'a assuré qu'il travaillait toujours avec l'opposition syrienne afin qu'elle participe à la conférence de Genève avec une approche constructive et sans conditions préalables irréalistes.
Dès que nous recevons un tel accord, nous pouvons commencer à discuter des questions moins complexes, y compris la participation d'autres groupes d'opposition, ne faisant pas partie de la coalition. Les Kurdes, par exemple, sont très intéressés à ce que leurs intérêts ne soient pas oubliés. Ils souhaitent rester dans une Syrie unie, discuter les limites de leur autonomie dans le cadre de l'intégrité territoriale de la République arabe syrienne.
Bien sûr, nous devrons finalement coordonner le nombre de participants externes, outre les parties syriennes. La candidature de l'Iran pose le plus de problèmes. Nous croyons que ce pays joue le rôle le plus important dans les événements qui se déroulent en Syrie. Dans ces conditions, tous ceux qui ont une influence sur les processus, doivent être présents à la table des négociations - nous ne pouvons pas les isoler. Toutefois, certains pays, qui espèrent également participer à "Genève-2", occupent des positions subjectivistes disant que l'Iran n'a pas mérité ce droit. Eh bien, nous ne parlons pas des "prix" à remettre lors de cette conférence. Il ne s'agit pas d'un cadeau, mais d'un groupe de pays, qui doit être représentatif à son maximum, de sorte que tout le monde, qui a une influence sur tel ou tel parti syrien, sont représenté à la conférence.
Quant aux dates, je ne pense pas qu'il soit réaliste de tenir la conférence en septembre, comme nous l'avons dit il y a quelque temps. Nous allons essayer de résoudre tous les problèmes de la préparation du contenu de la conférence dès que possible. Ensuite, je pense, il ne prendra pas beaucoup de temps pour fixer une date pour cela.
Question: Si les inspecteurs de l'ONU trouvent des preuves de l'utilisation d'armes chimiques par le régime de Bachar al-Assad, la Russie va-t-elle accepter de reconsidérer sa position, c'est à dire de voter au Conseil de sécurité pour une intervention militaire? Ou bien la Russie va s'abstenir lors de ce vote, comme c'était le cas avec la Libye?
Est-ce que la Russie a un «plan B» pour ce cas, si l'Occident lance une intervention unilatérale en Syrie? Est-ce que la Russie est prête à recourir aux autres moyens que les déclarations diplomatiques, y compris des moyens militaires, pour défendre sa position?
Lavrov: D'habitude lors des conférences de presse on ne répond pas aux questions du type "what if". Je vais préciser une chose: les experts de l'ONU, qui sont actuellement en Syrie, ont reçu le mandat de vérifier si les armes chimiques, qui sont interdits par les conventions internationales, ont été utilisées et de quelles substances il s'agissait. Leurs pouvoirs de permettent pas de prononcer des verdicts sur celui qui a utilisé ces armes chimiques - le gouvernement de la République arabe syrienne et l'un des nombreux groupes d'opposition, que ce soit l'Armée syrienne libre ou les terroristes de Djebhat an-Nusra et l'Etat islamique en Irak et au Levant, ou quelqu'un d'autre.
Par conséquent, la logique de ce processus a été fixée lors du sommet à Lough Erne dans la Déclaration des dirigeants du G8 de telle sorte que d'abord une enquête professionnelle objective doit avoir lieu et ses résultats doivent être présentés au Conseil de sécurité des Nations Unies. Bien sûr, le Conseil de sécurité prendra en compte toute la totalité des informations, y compris des documents analytiques et factuels de l'Internet et des différents médias, au moment de déterminer la source de l'usage présumé d'armes chimiques.
Question: Dans une situation où l'Occident ne considère pas le sens commun et l'argumentation russe, mais est prêt à faire un pas fou, quelle sera la position de la Russie? Est-ce que des mesures diplomatiques sont suffisantes pour empêcher les manœuvres de l'Occident et des pays "autour de son orbite"?
Lavrov: Il est difficile pour nous de comprendre la vraie motivation de nos collègues occidentaux, lorsque, après avoir effectué des interventions destructrices en Irak puis en Libye, et sans avoir réglé d'autres problèmes au cours du printemps arabe pour aider les pays respectifs de devenir stables, établir la paix interreligieuse et interethnique, ils commencent à faire des déclarations au plus haut niveau qui frappent par l'incertitude du chemin qu'ils proposent de suivre.
Lors de la conversation d'hier, j'ai demandé à John Kerry sur leur stratégie, ce qu'ils comptent faire pour que l'action contre la Syrie déjà annoncée par les Etats-Unis (et pas encore sanctionnée) aide à résoudre les problèmes de la région plutôt que de les multiplier et de ramener le région à une véritable catastrophe. Je lui ai demandé ce que leur plan était. La réponse était beaucoup plus étroite que ma question. Il a appelé la Russie et la Chine de joindre les efforts pour éradiquer les armes chimiques et l'empêcher tomber dans de mauvaises mains.
Lorsque nous parlons de la stratégie de nos partenaires occidentaux, je vous demande de prêter attention à ce qu'il y a quelques années l'un des appels les plus populaires, adressée envers nous et la Chine, était de "prendre le bon côté de l'histoire". Je ne me rappelle pas que le sujet «du bon côté de l'histoire» existait cette dernière année ou une année et demi. En fait, seuls peu de gens comprennent comment le processus nommé «printemps arabe» va se terminer. Si quelqu'un a conçu ce processus comme un chaos contrôlé, maintenant que le premier mot qui reste de cette phrase.
Je ne suis pas un partisan de la théorie du complot, je ne pense pas que quelqu'un a modelé tout cela. C'est juste une aspiration naturelle des peuples pour une vie meilleure, ce qui nous avons toujours soutenu, qui a pris ces formes, lorsque la communauté internationale a dû établir un dialogue à l'intérieur de ces pays, les aider avec le règlement national. Au lieu de cela, de nombreux acteurs ont commencé à prendre une part, agissant probablement selon le principe - "le vainqueur a toujours raison". Ils ont oublié des anciennes alliances, en misant sur ceux qu'ils considéraient comme la partie gagnante. Après, le parti gagnant devenait un perdant.
C'est la politique ad hoc. Alors que nous avons besoin d'une politique globale et logique. Nous ne pouvons pas combattre un régime uniquement parce que nous n'aimons pas personnellement le dictateur, et ne pas combattre l'autre régime, parce que nous aimons le gouverneur autocratique. Comme je l'ai dit à mon ami Laurent Fabius (ministre des Affaires étrangères de la France), au Mali les Français ont aidé à combattre les terroristes, que les Français avaient eux-mêmes armé et soutenu en Libye.
Ici, nous avons besoin de nous éloigner de préférences personnelles et subjectives et définir les principales menaces pour la région. À mon avis, elles sont claires - c'est le terrorisme, l'extrémisme, le traffic illégal d'armes et de tout ce qui touche à cette question. Nous créons des menaces énormes, lorsque nous injectons des formations armées illégales avec des armes. C'est ce que nous devons convenir plutôt que d'agir d'une manière: "oublions tout maintenant – la Syrie fait face à des problèmes, donc prenons soin d'elle". Nous avons pris soin de la Libye de la même façon tout récemment, et avant cela - de l'Irak, sans tenir absolument compte des conséquences que cela entraînait dans le monde islamique.
Nous ne devons pas ignorer que la participation énergique des acteurs externes dans tel ou tel conflit au Moyen-Orient et en Afrique du Nord conduit à une aggravation radicale des affrontements à l'intérieur du monde islamique. Dans nos activités - dans le développement des relations avec l'Organisation de la coopération islamique (OCI), la promotion de l'initiative de soutenir le «Dialogue des civilisations», la création de l '«Alliance des civilisations» - que nous appelons toujours à nos amis musulmans à suivre les principes de la Déclaration d'Amman, qui a été adopté lors de la conférence organisée par le roi Abdallah II de la Jordanie en 2005, où il avait été annoncé que tous les musulmans étaient des frères, et il ne pouvaient y avoir de guerre entre les pays islamiques.
Tous ces événements apportent des pensées sombres. Quant à votre question concrète, la question sur le "Plan B", l'usage de la force sans les sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU est une violation flagrante du droit international. Je vais souligner à nouveau - même si nous laissons de côté les aspects juridiques, morales et éthiques (de l'affaire) – les conséquences d'une intervention externe, non autorisées par la communauté internationale, ne peut qu'aggraver considérablement la situation dans le pays, qu'on voulait sauver de la dictature et où on voulait installer la démocratie.
C'est avec une grande inquiétude que j'écoutais les déclarations faites à Paris et à Londres que l'OTAN pourrait intervenir pour détruire les armes chimiques en Syrie sans sanction du Conseil de sécurité des Nations unies. Il s'agit d'une voie très dangereuse et épineuse. Nos partenaires occidentaux ont déjà marché dessus à plusieurs reprises. J'espère que le bon sens prévaudra à la fin.
Nous devons tous réfléchir plutôt non pas sur la question comment résoudre des problèmes pour tel ou tel pays de la région, et non pas de la façon de soutenir un seul groupe de pays face à un autre goupe, mais créer conjointement des conditions pour établir la paix partout dans le monde et que chaque pays devient un endroit confortable, où l'on voit la tolérance à des minorités ethniques et religieuses et les droits de tous ces groupes. Les efforts de la communauté internationale devraient viser à aider les pays de la région à trouver la paix et le consentement national plutôt que de «coincer», dans l'espoir de résoudre ses propres tâches égoïstes et géopolitiques.
Question: D'après les messages des médias occidentaux d'aujourd'hui, les Etats-Unis et le Royaume-Uni se préparent pour une opération militaire en Syrie en partant de l'information que les armes chimiques étaient en effet utilisés dans la République arabe syrienne le 21 août. Suite à vos derniers contacts avec la secrétaire d'Etat américain John Kerry, à votre avis, quelle est la probabilité que l'Ouest entame une opération militaire en Syrie?
Lavrov: A la fin de notre longue conversation téléphonique dans la soirée du 25 août John Kerry m'a promis d'étudier attentivement notre argumentation encore une fois. Il a dit qu'il me rappellerait dans les prochains jours pour poursuivre les discussions sur le sujet.
En ce qui concerne les prévisions. Les prévisions sont un travail humble et, je le répète, l'action menaçante a déjà commencé. Les événements se sont déroulés de la même façon qu'en Irak il y a 10 ans et tout récemment en Libye. J'ai déjà mentionné que dès que nous voyons une petite lumière au bout du «tunnel» désespéré, nous sommes confrontés immédiatement à ceux qui veulent perturber les chances de transférer la situation dans une voie politique. Lorsque les observateurs Ligue des Etats arabes ont commencé leur travail en Syrie en automne 2011 et ont rapporté une image plus ou moins objective, ils avaient été immédiatement retirés. En se basant sur le plan de Kofi Annan, les observateurs de l'ONU ont été déployés et ils ont travaillé pendant trois mois. Leurs premiers pas ont permis de réduire légèrement le niveau de violence dans le pays. Quelqu'un ne l'a pas apprécié et nous avons vu des provocations régulières contre ces observateurs de l'ONU. Une situation intolérable a été créée autour d'eux, et nos collègues occidentaux au Conseil de sécurité de l'ONU ont refusé de prolonger leur mandat pour les trois mois prochains. Une autre chance a été manquée.
Une réunion s'est tenue à Genève le 30 juin 2012 où un communiqué a été adopté par consensus de presque tous les «acteurs» principaux - les membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, les membres de la Ligue des Etats arabes, la Turquie, l'Union européenne, les dirigeants de l'ONU. La Russie a proposé d'approuver ce document au Conseil de sécurité, mais on nous a refusé en se référant au fait qu'il fallait ajouter à ce document, qui, je le rappelle, avait été approuvé par consensus, la menace sous forme de sanctions contre le régime du président syrien Bachar al-Assad. De nouveau on a été perturbées ce qui avait été convenu.
Plus tard, comme je l'ai déjà mentionné, le chef de la Coalition nationale pour la révolution syrienne et les forces d'opposition Moaz al-Khatib avait parlé en faveur d'un dialogue avec Damas - il a été enlevé et les nouveaux dirigeants ont été nommés qui ne se permettaient pas un tel manque de détermination. Et puis, notre initiative avec la secrétaire d'Etat américain John Kerry a émergé de convoquer une conférence pour finalement mettre en œuvre le communiqué de Genève, qui avait été rejeté par nos partenaires au Conseil de sécurité de l'ONU il y a un an.
La situation actuelle autour des armes chimiques travaille volontairement ou involontairement (je ne sais pas, si c'est un plan ou cela se passe d'une manière objective) pour perturber cette initiative. Comme nous l'avons déjà entendu, un groupe militaire et marin fort est assemblé sous le prétexte de punir le régime de Bachar al-Assad pour les événements du 21 août (bien que personne n'a encore rien prouvé, mais ils affirment déjà que le régime est coupable - sans procès, sans demander l'avis du Conseil de sécurité des Nations unies). Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et d'autres pays préparent leurs navires et avions pour cette opération.
Bien sûr, dans ces conditions - si nous étions à la place de l'opposition, qui ne veut pas de compromis avec Bachar al-Assad, mais d'autres tentent de vous convaincre d'aller à la conférence, nous ne serions pas d'accord d'aller à ce forum, lorsque toute l'infrastructure militaire du régime risque d'être bombardée à ce même moment, puis l'opposition pourrait entrer à Damas et y gouverner sans les conférences. Ce n'est pas une simple illusion - c'est une erreur terrible, qui ne mènera pas à la paix et la tranquillité, mais marquera simplement une nouvelle étape, encore plus sanglante, de la guerre civile en République arabe syrienne.
Il existe un autre fait, que je viens d'apprendre, qui prouve qu'il y a quelqu'un qui veut bien perturber les efforts pour normaliser la situation. Les experts chimiques de l'ONU ont commencé leur première mission par une visite d'une région particulière (dans la banlieue est de Damas), où ils avaient été acceuillis par des tirs de sniper sur le territoire sous le contrôle de l'opposition. Je n'ai aucun doute qu'il sera annoncé que des tireurs embusqués ont tiré de l'autre côté. En général, la ligne va dans un seul sens et n'a rien d'optimiste.
Question: Est que les services de renseignement russes ont de l'information, prouvant que l'attaque du 21 août pourrait être une provocation de la part de l'opposition?
Lavrov: Ce n'est pas une question aux services de renseignement russes. Il suffit de consulter les sites Web avec les images du missile, qui a explosé, ils contiennent une description approximative de la substance. Selon certaines caractéristiques, cet objet ressemble beaucoup à un missile, qui a explosé près d'Alep le 19 mars. Les experts, y compris ceux qui ont travaillé à l'OIAC, font attention à ce que ces images vidéo suscitent de nombreuses questions. Des scènes affreuses et déchirantes des dizaines d'enfants couchés. Une question se pose: comment et pourquoi ils étaient tous en un seul endroit et à un moment donné. Personne ne l'explique. Pourquoi les symptômes que nous voyons sur ces vidéos ne ressemblent pas tout à fait aux symptômes des empoisonnés avec du gaz sarin ou d'autres substances. Pourquoi les personnes qui fournissent de l'aide à ceux qui ont été exposés à cette substance n'ont pas de protection chimique. Dans l'Internet il y a également des e-mail interceptées, d'où on peut tirer la conclusion que ces substances ont été portées pour les rebelles de l'étranger. Un dépôt d'armes contenant des bidons avec une substance chimique a été trouvé récemment (vous avez suivi certainement les nouvelles).
Je ne peux rien affirmer, mais, vu l'aspect militaire et politique, le gouvernement syrien n'avait absolument pas besoin d'utiliser d'armes chimiques, alors que les experts de l'ONU travaillent au pays, quand la situation militaire était favorable au gouvernement, lors d'une rencontre russo-américaine à préparer la conférence de Genève était attendue dans quelques jours. Est-ce que le régime syrien serait intéressé d'utiliser des armes chimiques dans une telle situation, en plein travail des inspecteurs?
Alors que, selon toutes les considérations que j'ai déjà mentionnées, il serait intéressant pour l'autre partie à organiser une telle provocation, s'ils souhaiteraient provoquer des frappes des pays étrangers sur le régime. Je ne peux rien affirmer, contrairement à ceux qui ont déjà déclaré que cela avait été fait par le gouvernement, et donc la «diplomatie de la canonnière» était déjà activée. Nous devons attendre l'examen objectif par le groupe d'experts de l'ONU si rien ne les empêche, comme c'était le cas aujourd'hui avec les tirs de snipers.
Question: Vous avez averti à plusieurs reprises contre une intervention militaire dans le conflit syrien et parlé de dures conséquences pour la République arabe syrienne et toute la région. Pourriez-vous être plus précis sur ces conséquences dures?
Lavrov: Je pense que nous voyons déjà des conséquences dures des actions précédentes de l'intervention dans les conflits dans cette région. Regardez ce qui se passe en Libye: les autorités centrales, avec qui nous maintenons notre dialogue, ne contrôlent pas de vastes territoires de leur pays, et les militants, qui avaient participé au renversement de Mouammar Kadhafi, ont passé au Mali, où ils ont fait face à un riposte. Les gens ont peur d'eux dans d'autres pays, en particulier, au Niger et au Tchad.
Regardez l'Irak, où des dizaines de personnes meurent chaque jour et des centaines sont blessés suite aux actes terroristes sanglants.
Nous voyons une véritable guerre civile en Syrie. Le gouvernement se bat contre la soi-disant Armée syrienne libre, ainsi que le nombre croissant de terroristes de Djebhat an-Nusra et de l'Etat islamique en Irak et au Levant, les autres groupes terroristes. L'Armée syrienne libre confronte régulièrement des formations terroristes. Si quelqu'un pense que par les bombardements de l'infrastructure militaire syrienne les opposants au régime pourront gagner et tout va se terminer – ce n'est qu'une illusion. Même s'ils gagnent de telle manière, la guerre civile se poursuivra. La région nous offre des exemples pariels.
Question: En ce qui concerne le mécanisme du travail des experts de l'ONU. Comme vous l'avez dit, la mission n'a pas de mandat de déterminer qui avait attaqué. S'il est établi, par exemple, que telle ou telle substance a été utilisée, et cette information entre dans le Conseil de sécurité de l'ONU. S'il y a des opinions différentes et les membres du Conseil de sécurité ne seront pas capables de venir à un point de vue commun, ne sera pas le Conseil de sécurité des Nations unies blâmé pour l'inaction?
Combien de temps cette mission a dans son disposition, puisque, selon les rapports des médias occidentaux, la décision sur une éventuelle intervention peut être faite un de ces jours?
Lavrov: J'ai déjà dit que les dirigeants occidentaux font des déclarations qui impliquent qu'ils ne vont pas attendre les résultats de cette mission - ils avaient déjà tout décidé. Par ailleurs, ils n'ont pas commenté le rapport détaillé, fait sur les résultats de notre enquête sur l'incident du 19 mars dernier. Il s'agit d'un document professionnel, détaillée et concret avec les résultats de toutes les analyses qui ont été effectuées dans des laboratoires certifiées par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. D'ailleurs, cela fait également partie du mandat de la mission d'experts de l'ONU. La visite des régions près de Ghouta, où l'incident avait eu lieu le 21 août, a été convenu lorsque la mission était déjà à Damas.
À l'OIAC – dont les experts participent à cette mission de l'ONU – a ses règles selon lesquelles elles ne peuvent pas accuser, mais simplement fournir des faits: dans un certain endroit à un certain moment telle ou telle substance a été trouvée, un obus de fabrication d'usine ou artisanale, le sarin ou une autre substance répondant aux normes de l'usine ou ne les répondant pas, ou c'est fait par un amateur. C'est au Conseil de sécurité de l'ONU de décider le reste.
Au Conseil de sécurité, il existe de différentes situations où on ne peut pas venir à la même conclusion. Je peux supposer que ce caractère catégorique et, je dirais, l'irréparable foi en bon droit, manifesté maintenant par nos partenaires occidentaux, en déclarant haut et fort que toute recherche qu'ils mènent n'est pas nécessaire car qu'ils savent tout, et leurs services de renseignement ont reçu des preuves concluantes, permettent de suggérer quelle sera leur position au Conseil de sécurité. Je voudrais souligner une fois de plus que contrairement à nous, qui ont passé les résultats de nos recherches à l'ONU et les ont rendu disponibles au public, aucun de ces «preuves concluantes» de la culpabilité du régime pour les événements du 21 août, n'a été présenté à personne.
Au Conseil de sécurité de l'ONU, nous allons utiliser la totalité de l'information, y compris celle qui est disponible sur Internet et sème des doutes sérieux sur ce qu'on essaie de nous communiquer à la télévision.
Question: Comme vous l'avez déjà dit, les ministres des Affaires étrangères du Royaume-Uni et de la France ont déclaré qu'ils étaient prêts pour une action de force sans une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Le ministre des Affaires étrangères de la Turquie a dit la même chose. Comment la Russie va réagir, si des frappes des sites militaires en Syrie commencent sans une sanction du Conseil de sécurité de l'ONU?
Lavrov: Je ne pense pas qu'il faut faire des hypothèses pour deviner la réaction . Tout d'abord, nous ne répondons jamais aux questions «what if». Vous pouvez tirer des conclusions présumant de notre position des dernières années, lorsque le droit international a été violé de manière flagrante en Yougoslavie, en Irak et en Libye. Cela n'est pas bon. Mais nous n'allons pas faire la guerre à personne.
Nous nous attendons toujours à ce que nos partenaires occidentaux vont déterminer leur politique d'une manière stratégique plutôt que réactive. Nous comprenons les limites de la pensée stratégique liées au cycle électoral très fréquent, lorsqu'il faut satisfaire les émotions des électeurs, aggravées par les dirigeants au pouvoir, et puis cela devient un cercle vicieux.
Oui, c'est la vie. Cependant, il est regrettable que les principes du droit international deviennent moins importants pour nos partenaires occidentaux, du moins pour les pays occidentaux de premier plan, qui sont, en même temps, nos principaux partenaires. Celui qui pense qu'il sera en mesure d'établir des lois de l'époque d'anarchie, probablement agissent à courte vue. Cela va certainement les rattraper plus tard.
Qu'est-ce qui arrive à la liberté de l'Internet? On nous a dit à maintes reprises, qu'il ne peut y avoir aucune limite par définition. Comme il semble, cette position, qui a été traduite dans les forums internationaux, n'était pas du tout un guide pour les actions de ceux qui le défendaient en public. Dans la pratique, la liberté de l'Internet a été maltraitée et, probablement, quelqu'un continue à l'abuser, comme on dit, très profondément. Pour le moment, cela est à l'origine des ennuis, mais au plan moral et éthique.
Vous pouvez choisir n'importe quelle sphère, et il est toujours préférable de suivre les règles, à respecter les peuples et les aider à convenir entre eux-mêmes, plutôt que de penser en catégories de «diplomatie de la canonnière», arrêtez d'être malade pour le passé colonial, l'époque où il suffisait juste de chuchoter pour que tout le monde montre l'obéissance servile. Le monde est en train de changer aujourd'hui. Il est impoli et à courte vue de percevoir d'autres civilisations comme des groupes de la population de seconde classe. Cela va vous rattraper dans le futur. Nous devons éviter la guerre des civilisations de toutes les manières possibles. Nous sommes pour le dialogue, pour l'alliance des civilisations. Mais dans ce cas, nous devons respecter les traditions des autres, l'histoire de ces communautés, qui deviennent de plus en plus importante sur notre planète, de respecter les valeurs, établies depuis des siècles dans ces sociétés et ont été transférés d'une génération à l'autre. Il est si simple - les mêmes principes s'appliquent si vous souhaitez obtenir les bonnes relations avec vos voisins dans votre village. Un mépris de ces principes sur la scène internationale coûte beaucoup plus cher aux contribuables ainsi, et le pire - pour la vie des gens, qui deviennent alors les «dommages collatéraux». Cette terrible terme (dommages collatéraux) a été inventé pour justifier les violations flagrantes du droit international humanitaire et a profondément enraciné dans ceux qui font la promotion des concepts tels que la «responsabilité de protéger», «intervention humanitaire» - quand le slogan des droit de l'homme est utilisé pour perturber le droit le plus important - le droit de vie. Mais nous n'allons certainement pas faire la guerre à personne.
Je vous remercie de votre aimable attention.