La República del Yemen
Allocution et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors de la conférence de presse commune suite à ses pourparlers avec le vice-Premier ministre et Ministre yéménite des Affaires étrangères Abdel Malak al-Mekhlafi
Mesdames et messieurs,
Nos pourparlers ont été utiles. Nous avons débattu en détail de la situation militaire et politique au Yémen, des perspectives de règlement de la crise intérieure politique dans le pays et de certains aspects de l'agenda bilatéral.
La seule solution possible est, selon nous, l'arrêt le plus rapide possible des hostilités au Yémen et le renoncement des belligérants aux tentatives de résoudre les problèmes accumulés par la force. D'après nous, il est nécessaire non seulement de poursuivre mais aussi d'intensifier les efforts internationaux - avec un rôle central de l'Onu - visant à créer les conditions pour lancer un dialogue intra-yéménite durable impliquant toutes les forces politiques du pays.
Nous sommes convaincus que les formules de structuration politique du Yémen établies dans d'autres formats puis imposées au peuple yéménite de l'extérieur ne seront pas viables, voire contreproductives. Les Yéménites sont les seuls à pouvoir décider du sort de leur pays. La Russie maintient des contacts avec toutes les parties yéménites et est prête à apporter sa contribution par tous les moyens. Nous avons ressenti que notre approche était comprise et soutenue par les dirigeants de la République du Yémen.
Nous avons accordé beaucoup d'attention à la situation humanitaire, grave et compliquée, qui accable le pays. Selon les estimations de l'Onu, 22 millions de Yéménites - un chiffre énorme - ont besoin d'aide, et plus de 2 millions d'enfants frôlent la famine.
Dans ce contexte, la Russie salue la décision de la "coalition arabe" d'assouplir le blocus du port yéménite d'Al Hudaydah, seule artère reliant actuellement la principale ville du pays et ses provinces septentrionales avec le monde extérieur. A notre avis, l'Onu doit désormais être doté de la possibilité d'effectuer sans problème des livraisons humanitaires à Sanaa. Il faut également aller plus loin et obtenir la levée complète du blocus maritime et aérien, ainsi que l'annulation de toutes les limitations sur les livraisons d'aliments, de médicaments et d'autres produits de première nécessité dans toutes les régions du Yémen sans aucune exception.
La Russie apporte sa contribution à l'amélioration de la situation des Yéménites. Les avions du Ministère russe des Situations d'urgence ont livré en 2017 à Sanaa et à Aden plus de 40 tonnes d'aide humanitaire. Nous préparons actuellement l'envoi d'un nouveau lot d'aide au peuple de la République du Yémen.
Malheureusement, ce long conflit a gelé pratiquement tous les projets bilatéraux dans le domaine commercial, économique et social entre la Fédération de Russie et la République du Yémen. Nous sommes prêts - et nous ressentons l'intérêt de nos collègues - à relancer et à élargir nos liens dans tous les secteurs au fur et à mesure du rétablissement de la paix et de la stabilité sur le sol yéménite. C'est dans l'intérêt de nos peuples, d'autant plus que les rapports mutuellement avantageux entre nos deux pays ont une histoire très riche: nous fêterons en novembre les 90 ans de l'établissement de nos relations diplomatiques.
Nous nous sommes entendus avec le Ministre yéménite des Affaires étrangères Abdel Malak al-Mekhlafi pour poursuivre nos contacts étroits directement, tout comme via notre Ambassade au Yémen qui a été transférée de Sanaa à Riyad pour les raisons de sécurité. Nous poursuivrons en même temps notre dialogue avec les Houthis, d'autres mouvements politiques yéménites et tous les pays intéressés, notamment la "coalition arabe" dont dépendent les événements dans ce pays et dans son voisinage. Nous appelons ceux qui sont susceptibles de favoriser la normalisation de la situation et la transition des hostilités vers le dialogue politique à le faire le plus rapidement possible.
Question: Que pense la Russie de la situation au Yémen depuis l'assassinat de l'ex-président Ali Abdallah Saleh?
Sergueï Lavrov: Tout d'abord, quand il s'est produit, nous avons considéré cet acte comme un crime très grave. Il est évident qu'il avait été pensé pour réduire à néant les efforts visant à entamer le processus de paix. Vous le savez, Ali Abdallah Saleh prônait l'établissement de ponts avec le gouvernement du président Abd Rabbo Mansour Hadi pour stopper l'effusion de sang. On avait le sentiment qu'Ansar Allah était sur le point d'être entièrement isolé et que la situation se réglerait rapidement sans même de négociations politiques.
Mais la situation évolue de manière bien plus compliquée. Abdel Malak al-Mekhlafi vient de mentionner la situation au Congrès populaire général, où s'expriment les partisans des négociations aussi bien que ceux d'une ligne plus dure, favorables à poursuivre la confrontation contre le gouvernement légitime du Yémen. Tout cela ne fait que confirmer qu'il n'existe pas d'alternative à la transition vers des négociations inclusives interyéménites. Dans ce sens, notre position rejoint celle du gouvernement de la République yéménite. Nous la promouvrons lors de nos contacts à venir avec les parties yéménites et tous les acteurs extérieurs.
Question: L'opération militaire turque contre les Kurdes soutenus par les USA au nord de la Syrie dure depuis quelques jours. Que pense Moscou de cette opération? N'êtes-vous pas surpris par la réaction extrêmement retenue de Washington face à ces événements récents? Influenceront-ils la place et le rôle des Kurdes dans le processus de paix syrien?
Sergueï Lavrov: Premièrement, vous avez certainement pris connaissance des déclarations de Moscou concernant le début de l'opération turque à Afrin. Elles ont été formulées par le Ministère des Affaires étrangères et le Ministère de la Défense. Nous avons appelé à la retenue, au respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Syrie. A cet égard je rappelle que nous faisons remarquer depuis longtemps que les USA ont décidé de créer des organes de pouvoir alternatifs sur une grande partie du territoire syrien. Washington effectue ouvertement et discrètement des livraisons d'armes modernes en Syrie pour les transmettre aux troupes avec lesquelles il coopère, notamment les Forces démocratiques syriennes (FDS) qui s'appuient sur la milice kurde.
Il y a quelques jours, dans la continuité de cette ligne d'ingérence grossière dans les affaires intérieures de la Syrie, a été annoncée la création de "forces de sécurité frontalières" tout le long de la frontière de la Syrie avec la Turquie et l'Irak. Puis nous avons entendu des démentis assez maladroits, même si d'après les faits toute cette activité pour prendre le contrôle du territoire syrien à la frontière de l'Irak et de la Turquie continuait. Parallèlement, les USA dissuadent depuis longtemps les Kurdes de dialoguer avec Damas. Washington encourageait et continue d'encourager activement les sentiments séparatistes des Kurdes, ignorant complètement le caractère sensible et la dimension régionale du problème kurde. Si l'on cherche à comprendre les motivations de cette politique de Washington, il ne reste que des suppositions: soit c'est une véritable incompréhension de la situation, soit une provocation intentionnelle.
En ce qui concerne le rôle des Kurdes dans le processus de paix à venir, il doit être indéniablement garanti mais sur une plate-forme commune où toutes les forces politiques, confessionnelles et ethniques syriennes seront appelées à respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Syrie. Sur cette base, les représentants kurdes ont été inscrits sur la liste des Syriens invités au Congrès du dialogue national syrien qui se tiendra la semaine prochaine à Sotchi.
Concernant la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies à l'initiative de la France, je peux dire que nous sommes préoccupés par la nouvelle manifestation de partialité vis-à-vis de certains événements du processus de paix syrien. Le Ministre français des Affaires étrangères a déclaré notamment que la réunion ne serait pas seulement consacrée à la situation à Afrin, mais également à la situation dans la Ghouta orientale et à Idleb. Depuis quelque temps, nos partenaires occidentaux tentent de créer une atmosphère de scandale autour de la situation dans la Ghouta orientale et à Idleb, tout en taisant que dans la première région restent présents des combattants proches du Front al-Nosra, qui bombardent Damas - notamment l'Ambassade de Russie qui s'y trouve -, et le fait que très récemment, grâce aux efforts du gouvernement syrien et des militaires russes en Syrie, a commencé une évacuation médicale de la Ghouta orientale, y compris des enfants qui avaient besoin d'une aide médicale d'urgence.
De manière tout aussi émotive, tout en attirant l'attention de la communauté internationale sur les problèmes humanitaires d'Idleb, nos collègues occidentaux font l'impasse sur le fait évident qu'à l'est de cette zone "régnait" jusqu'à récemment le Front al-Nosra, organisation terroriste interdite par le Conseil de sécurité des Nations unies. Très récemment a commencé une offensive de l'armée syrienne avec notre soutien, qui s'est soldée par l'encerclement d'une grande partie du Front al-Nosra. C'est apparemment cela qui préoccupe tant certains pays occidentaux, confirmant une fois de plus ce que nous disons depuis plusieurs années - à savoir que les USA et leur coalition cherchent par tous les moyens à épargner le Front al-Nosra, à le faire échapper aux attaques en préservant manifestement ce groupe terroriste pour remplir les plans prévus pour changer de régime, une sorte de plan B. C'est absolument inadmissible pour nous et nous nous opposerons fermement à de telles tentatives. Il est assez révélateur que quand nos collègues occidentaux tirent la sonnette d'alarme concernant la Ghouta orientale et Idleb en cherchant clairement à protéger le Front al-Nosra, ils ne veulent absolument pas analyser les conséquences humanitaires de l'opération menée à Raqqa, qui a anéanti cette ville. Nous continuerons d'insister pour que l'Onu et le Conseil de sécurité des Nations unies portent leur attention sur ce problème. Des efforts humanitaires immenses et un déminage sont nécessaires. Sinon, la population ne reviendra pas.
Question: Moscou a parlé plusieurs fois de l'absence d'alternative au dialogue entre toutes les parties impliquées dans le conflit au Yémen. Vous avez répété plusieurs fois cette position aujourd'hui. Trouve-t-elle un écho dans vos contacts avec les partenaires régionaux, notamment avec Riyad?
Sergueï Lavrov: En ce qui concerne la réaction à notre position, qui affirme l'absence d'alternative au dialogue entre toutes les parties yéménites pour sortir de la crise, je vais répondre positivement. Cette position est comprise par tous les acteurs extérieurs, y compris l'Onu. Nous soutenons les efforts de l'envoyé spécial de l'Onu pour le Yémen (actuellement Ismaïl Ould Cheikh Ahmed) pour nouer le dialogue entre le gouvernement légitime, le parti Congrès populaire général et les Houthis. Ce sont les forces principales et elles font toutes l'objet d'une attention particulière de l'Onu. Nous le saluons et, si je comprends bien, tout le monde est d'accord avec ça parmi les acteurs extérieurs qui participent aux efforts pour surmonter la situation actuelle.