ONU
INTERVENTION DE M. S.LAVROV, REPRÉSENTANT PERMANENT DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE À L’ONU, LORS DE LA RÉUNION DU CS DE L’ONU, CONSACRÉE AU PERFECTIONNEMENT DU TRAVAIL DU TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE ET DU TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RUANDA
Traduction non-officielle du russe
Intervention de M. S.Lavrov, Représentant permanent de la Fédération de Russie à l'ONU, lors de la réunion du CS de l'ONU, consacrée au perfectionnement du travail du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Ruanda.
New-York, le 21 novembre 2000
Monsieur le Président,
Nous remercions les présidents des tribunaux pour les informations données au Conseil et nous saluons les efforts des juges visant à perfectionner le travail du TPIY et du TPIR. Nous comprenons leur insatisfaction au sujet des délais et des modes de fonctionnement de ces mécanismes pénaux internationaux.
Par ailleurs, de nombreux autres sujets, évoqués le 20 novembre lors de la session plénière de l'Assemblée générale, nous inquiètent. Tout le monde sait parfaitement que la Russie évoque, depuis longtemps et de manière conséquente, la question des violations sérieuses qui existent dans l'activité du TPIY. Aujourd'hui, lors de son intervention au Conseil de sécurité, Mme Carla del Ponté s'est permise de qualifier la position de la Russie de "mal fondée". Elle s'est également plainte du fait que le Gouvernement russe ne l'invite pas à Moscou. Nous considérons ces déclarations indignes. Il est vrai que les panneaux posés devant les délégations assises dans cette salle ne sont pas très grands, ce qui n'a permis d'inscrire que le mot "Procureur" sur celui de Mme del Ponté. Nous savons tous que Mme del Ponté est précisément le Procureur du TPIY et du TPIR, mais cela ne lui confère pas le droit d'accuser également des membres du CS. D'autant plus, que nous n'avons toujours pas reçu de réponse satisfaisante à aucune des questions, que nous posons depuis dйjà quelque années, alors que Mme del Ponté a déclaré aujourd'hui même qu'elle les détient.
C'est pourquoi nous sommes obligé d'exposer en détails notre position concernant le TPIY. En créant ce tribunal, la communauté internationale partait du principe qu'il apporterait une contribution importante au règlement de la crise sur le territoire de l'ex Yougoslavie et qu'il agirait indépendamment de motifs politiques. Or, contrairement à cela, depuis le tout début, l'activité du TPIY s'est révélée politiquement orientée. Le Tribunal a adopté un fort penchant anti-serbe et a souvent fermé les yeux devant des cas de non-respect du droit humanitaire international auxquels les autres participants du conflit sont mêlés. Chaque fois qu'il s'agissait d'informations sur de possibles violations commises par la RFY, l'accusateur les condamnait tout de suite, comme dans le cas du Kosovo. En revanche, le tribunal n'a pas trouver motif à ouvrir une enquête au sujet des victimes parmi la population civile yougoslave et des destructions de bâtiments civils en RFY résultant des frappes aériennes de l'OTAN. Les informations concernant l'enquête sur la tragédie de Racak sont, notamment, tenues secrètes pour les membres du CS.
Récemment, le tribunal, a plus d'une fois "corrigé" et interprété dans la direction qui l'arrangeait, les normes existantes du droit humanitaire international, au lieu de les appliquer strictement. Nous partageons l'avis du Président du tribunal international à ce sujet, qui considère qu'une telle activité menace l'intégrité du droit international.
Nous ne pouvons pas non plus accepter la pratique douteuse sur le plan du droit international, qui consiste pour un procureur à produire des "ordres fermés" et à les transmettre aux organismes internationaux, et non pas exclusivement aux Etats, comme le prévoit la Charte du tribunal.
Les accords passés entre le TPIY et l'OTAN ne sont également pas conformes à la loi. Ils ont cautionnés, en contradiction avec les décisions du Conseil de sécurité, les opérations spéciales du contingent SFOR de l'OTAN qui avaient pour but la chasse aux suspects. Il est bien connu, qu'au cours de ces opérations il a eu des cas de violation de frontières d'Etats souverains et même des cas de disparition de suspects. Le dernier de ces événements tragiques s'est déroulé tout récemment, en octobre dernier, au moment de l'arrestation de Yanko Yandgic par les forces SFOR.
Une question logique se pose: est-il conforme à la loi que la communauté internationale finance une part de l'activité de TPIY qui sort du cadre de mandat qui lui a été attribué et qui jette un doute sur son impartialité et sur son équité?
La Fédération de Russie considère nécessaire, surtout au vu des derniers événements aux Balkans, de procéder à un examen détaillé de l'activité du TPIY et à la redéfinition précise du volume de ses tâches et des délais de son fonctionnement. Le Tribunal a été fondé dans les conditions historiques différentes de celles d'aujourd'hui, comme "une mesure spécifique..., visant la restauration et le maintien de la paix dans la région". Ainsi, quand on dit que le TPIY aura encore besoin de 15 à 20 ans pour aboutir la poursuite pénale des coupables, on peut sérieusement s'interroger sur l'utilité d'une durée d'activité aussi longue d'un organisme conçu comme provisoire. Il faudra tenir compte, outre les pertes politiques évidentes, d'une charge financière colossale qui se situe entre 1,5 et 2 milliards de dollars, que l'ONU devra supporter si le tribunal poursuit son activité pendant un aussi long délai.
Ainsi nous examinons positivement les propositions qui visent à augmenter l'efficacité et accélérer l'activité pénale du tribunal, y compris par le renforcement de la chambre d'appel, par l'établissement d'un institut de juges ad litem, ou par l' utilisation plus active des pouvoirs des chefs-juristes au stade de l'instruction.
D'autre part, nous considérons important de tenir pleinement compte des autres points de vue et recommandations, que contient, par exemple, le rapport d'un groupe d'experts et qui propose d'examiner l'efficacité de l'activité des tribunaux yougoslave et ruandais (rapport 5/2000/597). De plus, le moment est venu de préciser le statut juridique provisoire du TPIY, comme indiqué dans la résolution 827du CS de l'ONU, adoptée le 25 mai 1993.
Il ne faut pas oublier que la responsabilité de la punition des coupables de violations des normes du droit humanitaire international incombe d'abord aux Etats, alors que le Tribunal est appelé à se concentrer sur les crimes concrets pour lesquelles les Etats ne sont pas, pour des raisons diverses, aptes à enquêter sans assistance extérieure, ou bien quand il existe des raisons de considérer que la justice nationale n'a été ni impartiale, ni indépendante. C'est pourquoi, à notre avis, l'accélération de l'exercice de la justice n'est pas seulement liée à une augmentation du nombre des juges, mais à une définition des priorités dans le travail de procureur, à une interaction plus étroite entre le Tribunal et les systèmes judiciaires nationaux des Etats de l'Ex-Yougoslavie, au respect de toutes les positions de la Charte du tribunal et des résolutions correspondantes du CS de l'ONU.
Concernant l'examen du travail du tribunal ruandais, nous voudrions noter que, à notre avis, son activité ne répond pour l'instant pas aux buts pour lesquels cet organisme international pénal a été crée. La poursuite des personnes responsables du génocide, de crimes militaires ou de crimes contre humanité demeure malheureusement trop lente et peu efficace.
Nous voudrions de nouveau attirer l'attention sur le rapport du groupe d'experts, cité ci-dessus, qui donne des recommandations concernant les voies de résolution des problèmes dans le travail de TPIR.
Nous comprenons que le tribunal ruandais a du commencer son travail pratiquement au point zéro et que pour sa mise en place il fallait résoudre des problèmes économiques et administratifs, ce qui a demandé beaucoup d'énergie à la direction du tribunal. Cependant, en 6 années d'activité, le tribunal n'a pu prononcer que 7 verdicts concernant 8 accusés. 42 personnes, dont 35 actuellement en attente des débats judiciaires, se trouvent en détention préventive. Alors que nous pouvons observer une augmentation constante du budget et des effectifs du TPIR.
La Fédération de Russie est prête à soutenir ultérieurement les efforts qui viseront à corriger les erreurs et à surmonter les difficultés d'organisation dans le travail des tribunaux yougoslave et ruandais, afin de rendre leur activité conforme aux mandats qui ont été approuvés par le Conseil de sécurité.
Je vous remercie de votre attention.
Le 23 novembre 2000