la République de Cuba
Réponses du Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie aux questions des médias reçues pour la conférence de presse sur le bilan l'activité de la diplomatie russe en 2021
Question: Quelles tâches la Russie s'est-elle fixée en 2022 concernant le règlement de la situation entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie? ACette année, la Russie et l'Azerbaïdjan célèbrent le 30e anniversaire de l'établissement de leurs relations diplomatiques. Avec quel "bagage" de coopération les deux pays abordent-ils cette date? Comment évaluez-vous le niveau de partenariat stratégique? Quels événements sont prévus en rapport avec cette date? La signature de nouveaux documents de coopération, de "feuilles de route", est-elle possible?
Réponse: Nous nous basons sur la nécessité d'une mise en application complète des accords trilatéraux fixés dans les Déclarations des dirigeants de l'Azerbaïdjan, de l'Arménie et de la Russie du 9 novembre 2020, du 11 janvier 2021 et du 26 novembre 2021. Les tâches prioritaires aujourd'hui sont de lancer le processus de délimitation et de démarcation de la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan et de débloquer les liaisons de transport et économiques dans la région. Progresser sur ces fronts permettra d'avancer de manière significative vers la normalisation des relations entre Bakou et Erevan.
Cette année marque le 30e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Russie et la plupart des pays de la CEI, dont l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Nous préparons une série d'événements anniversaires avec chacun de ces pays. Étant donné qu'un certain nombre d'événements seront de nature culturelle et éducative, nous supposons qu'ils présenteront également un intérêt pour le public.
Question: Le trafic aérien entre la Russie et la Géorgie est suspendu depuis les événements survenus à Tbilissi au cours de l'été 2019. Toutefois, en 2021, les représentants de Moscou ont fait remarquer à plusieurs reprises que l'interdiction était temporaire et pouvait être levée. Quand cela pourrait-il se produire, si l'on ne tient pas compte des restrictions imposées en raison du coronavirus? Ne sommes-nous pas en train de perdre le contact avec le peuple géorgien, étant donné que la "diplomatie populaire" ne fonctionne pratiquement pas sous cette interdiction?
Réponse: Nous avons abordé ce sujet plus d'une fois dans nos commentaires publics. L'interdiction faite aux compagnies aériennes russes de transporter des citoyens de Russie en Géorgie est en effet de nature temporaire. Les conditions de sa levée ont été exposées à plusieurs reprises. Elles sont bien connues par la partie géorgienne. Il s'agit de la stabilisation de la situation en Géorgie, de l'arrêt de la campagne russophobe et de la disparition des menaces à la sécurité de nos citoyens. Nous ne pouvons pas non plus ignorer la situation sanitaire et épidémiologique.
La Russie a été contrainte d'adopter les restrictions susmentionnées en réponse à la provocation bien connue des radicaux géorgiens. Dans le même temps, nous restons attachés aux objectifs de normalisation des relations russo-géorgiennes, au dépassement des différends existants, au rétablissement et au développement des liens bilatéraux - car tout cela est dans l'intérêt des peuples de nos deux pays. Toutefois, un tel processus doit être à double sens. Nous espérons vivement que les autorités géorgiennes sauront tirer les leçons du passé et mener une politique plus équilibrée vis-à-vis de la Russie.
Question: Comment avancent les négociations avec l'UE sur la reconnaissance mutuelle des certificats de vaccination? Qu'est-ce qui empêche ces pourparlers d'avancer?
Réponse: Les contacts avec l'Union européenne sur la question de la reconnaissance mutuelle des certificats numériques de vaccination contre la Covid-19 se font par l'intermédiaire du Ministère de la Santé et du Ministère des Affaires étrangères de la Russie. Le Ministère russe des Affaires étrangères fournit des experts et un soutien consultatif à ce processus. Nous pensons que la condition préalable à tout progrès dans ce domaine est une coopération d'experts dépolitisée entre les structures russes et européennes concernées pour faciliter les voyages à l'étranger des citoyens russes et européens en toute sécurité.
Question: En 2021, la Russie et la Chine ont lancé une initiative conjointe visant à alléger les sanctions imposées par le Conseil de sécurité de l'Onu contre la Corée du Nord. Peut-on connaître le résultat de cette démarche? Y aura-t-il des initiatives conjointes avec la Chine au sujet de la péninsule coréenne cette année?
Réponse: En effet, fin octobre 2021, la Russie et la Chine ont fait circuler au Conseil de sécurité de l'Onu un projet de résolution politico-humanitaire sur la Corée du Nord qui introduirait des ajustements allégeant le régime de sanctions internationales dans la sphère humanitaire et d'autres domaines civils non liés au programme de missiles nucléaires.
Nous partons du principe que, dans le contexte de la pandémie, fournir une assistance à la population de la Corée du Nord serait une mesure très opportune et responsable de la part de la communauté internationale. En outre, l'adoption de cette résolution pourrait contribuer à renforcer la confiance entre les États concernés et constituer un stimulus tangible pour la réanimation du dialogue politique.
Nous expliquons notre logique aux Etats membres du Conseil de sécurité de l'Onu. Malheureusement, les États-Unis et leurs alliés européens ne sont pas encore prêts à l'accepter, pariant sciemment sur une politique perdante de sanctions et de pression sur Pyongyang et ne proposant pas d'idées constructives sur ce dossier. Néanmoins, au cours de l'année à venir, nous prévoyons de continuer à promouvoir à la fois le projet de résolution politique et humanitaire et les approches russo-chinoises du règlement coréen dans son ensemble. Ces dernières sont reflétées dans la "feuille de route" conjointe de 2017 et le "plan d'actions" de 2019 qui en a découlé - deux documents qui n'ont rien perdu de leur actualité. Nous partons du principe que la seule façon de résoudre les problèmes de la péninsule, y compris le problème nucléaire, est le dialogue politique, dans le cadre duquel peuvent être trouvés des moyens de répondre aux préoccupations légitimes de toutes les parties prenantes, y compris la fourniture de garanties de sécurité.
Question: En conférence de presse à Bruxelles, le Secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg a garanti à la Finlande et à la Suède une adhésion rapide à l'Alliance. Ses déclarations impacteront-elles l'ordre du jour des négociations sur les garanties de sécurité?
Réponse: Nous considérons les déclarations du Secrétaire général de l'Otan concernant la disposition à accueillir les pays mentionnés au sein de l'Alliance comme une tentative sans précédent de faire pression sur la politique de la Finlande et de la Suède, avec lesquelles nous entretenons des relations amicales de longue date et dont nous apprécions la contribution à la formation de la sécurité européenne en tant que pays non-alignés.
Nous sommes convaincus qu'à l'époque turbulente actuelle, le statut de non-alignement est le moyen le plus efficace pour les États de garantir leur sécurité.
En ce qui concerne l'ordre du jour des négociations, nous l'avons formulé très clairement et il se construit autour de trois éléments clés: que l'Otan renonce à son élargissement, au déploiement d'armements d'attaque à proximité des frontières russes, et retourne à la configuration telle que nous la connaissions au moment de la signature de l'Acte fondateur Otan-Russie de 1997.
Nous attendons de l'Otan la réaction écrite substantielle promise à notre projet d'accord avec l'Alliance.
Question: La Russie a rapidement entamé l'évacuation de ses citoyens du Kazakhstan dès le début des émeutes. Comment a-t-on réussi à mettre en place rapidement le travail de votre Ministère et des collègues du Ministère de la Défense pour cette évacuation?
J'ai également une question sur vos collègues d'Autriche et de Hongrie, dont les familles sont également parties d'urgence en Russie: comment cette décision a-t-elle été prise? Y avait-il d'autres options pour quitter le territoire dangereux à ce moment-là?
Réponse: Dès que des communiqués alarmants ont été rapportés sur les événements au Kazakhstan, le Ministère russe des Affaires étrangères a organisé un suivi 24h/24 de la situation, des risques éventuels et des menaces pour la sécurité de nos citoyens. Plusieurs Russes sont venus dans ce pays en cette période de vacances et de congés de fin d'année, ou pour voir des proches.
Sur ordre du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, le Centre des situations de crise du Ministère russe des Affaires étrangères a mis en place une ligne téléphonique spéciale 24h/24 (qui a traité plus de 3.000 requêtes, notamment pour aider à revenir au plus vite en Russie). Le travail était mené alors que le réseau téléphonique fixe et mobile était limité au Kazakhstan, tout comme l'accès à internet.
Les lignes téléphoniques spéciales et les centres de crise fonctionnaient à l'Ambassade de Russie à Noursoultan et au Consulat général à Almaty. Un groupe opérationnel a été formé pour rester en contact étroit avec le Ministère de la Défense, le Service frontalier du FSB russe et d'autres autorités compétentes.
Un "pont aérien" a été rapidement mis en place pour le rapatriement des citoyens russes avec l'aviation du Ministère de la Défense en Russie grâce aux efforts opérationnels de nos militaires. L'opération aérienne sans précédent a permis d'évacuer sans incident près de 2.500 personnes entre le 9 et le 12 janvier.
Nous suivons de près la situation des enfants en bas âge et des écoliers. Une aide a été notamment apportée pour rapatrier rapidement l'équipe de sport junior d'Iekaterinbourg, ainsi que l'équipe junior de patinage de vitesse de la région de Tcheliabinsk.
Nous avons assuré un soutien à l'évacuation, par l'aviation de transport militaire du Ministère de la Défense, des citoyens des pays membres de l'OTSC, ainsi que d'Autriche, de Hongrie, de Belgique et de Grèce (nous avons été contactés par les missions diplomatiques de ces États). Des groupes opérationnels du Ministère russe des Affaires étrangères ont été envoyés à l'aérodrome de Tchkalovski pour aider à régler les questions organisationnelles, diplomatiques et de visa urgentes, notamment compte tenu de l'arrivée de vols spéciaux le soir et la nuit. Les spécialistes de Rospotrebnadzor et du Ministère russe de la Santé ont organisé à Tchkalovski un contrôle épidémiologique des passagers.
Nous remercions les collègues du Ministère russe de la Défense et toutes les autres institutions pour leur aide efficace et le travail de cohésion dans des conditions très difficiles. Nous continuons de recevoir des lettres de la part de nos citoyens et des notes d'ambassades étrangers nous remerciant pour l'aide apportée.
Question: Comment le Ministère russe des Affaires étrangères compte-t-il célébrer les 190 ans de la naissance du diplomate russe éminent Nikolaï Ignatiev?
Réponse: Selon la pratique établie, les 190 ans ne sont pas une date de jubilé, le Ministère russe des Affaires étrangères ne prévoit pas d'activités spéciales à l'occasion de l'anniversaire du diplomate russe et de la personnalité publique Nikolaï Ignatiev (1832-1908).
Plus tôt, le Ministère russe des Affaires étrangères avait soutenu le projet proposé par la revue en ligne Centre idéologique du Marxisme pour installer à Vladivostok un monument à Nikolaï Ignatiev. En septembre 2020, le premier monument au diplomate russe comte Nikolaï Ignatiev a été inauguré dans le village d'Ignatiev du district de Blagovechtchensk.
Question: Comment voyez-vous l'avenir du Caucase du Sud, où les acteurs extérieurs sont trop actifs? Si nous avançons vers la paix, pourquoi la question relative aux prisonniers n'avance-t-elle pas, pourquoi l'hostilité ne cesse-t-elle pas?
Réponse: Nous plaidons pour que tous ceux qui souhaitent adhérer au processus de normalisation des relations entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, à la garantie de la stabilité et de la sécurité dans le Caucase du Sud, n'agissent pas selon le principe du jeu à somme nulle, mais partent des intérêts des parties et tiennent compte des accords trilatéraux entre les dirigeants de l'Azerbaïdjan, de l'Arménie et de la Russie.
Question: Compte tenu des récents incidents au Kazakhstan, créant une menace pour la structure étatique de ce pays, l'OTSC a envoyé en l'espace de quelques heures des forces de maintien de la paix pour aider à rétablir et à maintenir l'ordre étatique, mais depuis plusieurs mois la situation dans les régions de l'Arménie limitrophes avec l'Azerbaïdjan reste très tendue, on fait souvent état de blessés, les Azerbaïdjanais mènent des travaux de construction sur le territoire de l'Arménie, ouvrent des routes. En même temps, plusieurs dizaines de prisonniers arméniens restent détenus dans des prisons azerbaïdjanaises. Par ailleurs, le Président azerbaïdjanais affirme à tout le monde que la situation s'est stabilisée - l'Azerbaïdjan est prêt à signer un accord de paix avec l'Arménie. Pouvez-vous dire combien de temps cela durera?
Réponse: Nous déployons continuellement des efforts pour régler la situation à la frontière entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie où, malheureusement, des incidents se produisent périodiquement avec l'usage d'armes, entraînant des victimes. Il faut mettre en place au plus vite et lancer le travail de la Commission bilatérale pour délimiter la frontière azéro-arménienne, suivie de sa démarcation. Nous sommes prêts à apporter à Bakou et à Erevan une aide consultative dans ce processus.
En ce qui concerne le problème des prisonniers, la Russie participe activement à son règlement. Rappelons que depuis le 2 décembre 2020, 146 détenus ont été rendus avec la médiation des casques bleus russes: 127 à l'Arménie et 19 à l'Azerbaïdjan.
Question: Que signifie pour la Bulgarie et la Roumanie l'exigence de la Russie que l'Otan revienne à la configuration de 1997: se retirer de l'Otan, retirer les bases américaines ou quelque chose d'autre?
Réponse: L'un des éléments de base mentionné de nos initiatives est formulé très clairement et n'admet pas de doubles interprétations. Il est question du retrait des forces, du matériel et des armements étrangers et d'autres démarches pour revenir à la configuration de 1997 sur le territoire des pays qui n'étaient pas membres de l'Otan à cette date. Cela concerne la Bulgarie et la Roumanie.
Question: Pouvez-vous parler des axes diplomatiques qui seront suivis en 2022 pour renforcer les relations entre la Russie et l'Asie du Sud-Est, notamment le Vietnam?
Réponse: Nous voyons de bonnes perspectives d'approfondissement des relations mutuellement avantageuses avec tous les pays d'Asie du Sud-Est réunis dans l'influente Associations des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE).
Dans ce contexte, nous voudrions noter le grand potentiel de coopération en matière de politique et de sécurité, dans les domaines commercial, économique, scientifique et technologique. Nous espérons élargir la composante culturelle et sociale des relations bilatérales, rétablir les échanges touristiques qui ont été touchés depuis deux ans par la pandémie de coronavirus. Nous prévoyons des réunions de commissions intergouvernementales avec plusieurs pays d'Asie du Sud-Est, des consultations au niveau des ministères des Affaires étrangères et d'autres contacts de haut niveau. En juillet 2022, nous comptons célébrer les 125 ans de l'établissement des relations diplomatiques avec la Thaïlande.
Nous sommes disposés à une coopération efficace avec Bangkok, Jakarta et Phnom Penh en tant que présidents actuels de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique, du G20 et de l' ANASE respectivement.
Nous soutenons le rôle éminent de l' ANASE dans la recherche de formes constructives de contribution internationale au règlement de la situation au Myanmar. Nous sommes prêts, avec les partenaires de l'ANASE, à apporter une aide humanitaire à ce pays, notamment une contribution pratique à la lutte contre la pandémie de Covid-19.
Nous sommes disposés à approfondir les relations avec le Vietnam, notre ami fiable et de longue date. Cette année, nous comptons poursuivre un dialogue politique intense et la coopération sur plusieurs thèmes centraux dans l'esprit de la Déclaration conjointe sur la vision du développement du partenariat stratégique global d'ici 2030, adoptée à l'issue de la visite en Russie du Président vietnamien Nguyen Xuân Phuc fin 2021.
Nous espérons avant tout renforcer les liens commerciaux et économiques, notamment dans la cadre de l'Accord de libre-échange entre les pays de l'Union économique eurasiatique (UEE) et le Vietnam. Nous sommes convaincus de la nécessité d'intensifier l'interaction d'investissement, la coopération dans le domaine de l'exploration et de l'exploitation pétrolière et gazière sur le territoire du Vietnam et de la Russie.
Nous accordons beaucoup d'attention aux contacts sociaux. Après la levée des restrictions, nous prévoyons d'organiser les activités reportées dans le cadre du programme des Années croisées, notamment la cérémonie de clôture. Nous sommes prêts à contribuer pleinement à la promotion des échanges éducatifs.
Nous comptons sur une coopération étroite avec le Vietnam dans la lutte contre le coronavirus. Le Vietnam a été l'un des premiers pays à enregistrer le vaccin russe Spoutnik V (mars 2021). Des contrats ont été signés avec des compagnies vietnamiennes pour livrer 60 millions de doses de ce vaccin. Nous étudions la possibilité de transférer des technologies pour sa fabrication à part entière au Vietnam. Fin décembre 2021, 100.000 doses du vaccin Spoutnik Light ont été envoyées à Hanoï à titre d'aide humanitaire, dont l'enregistrement est attendu prochainement.
Question: Les États-Unis pourraient-ils être impliqués dans les négociations visant à stabiliser la situation en Ukraine, notamment dans le cadre d'un Format Normandie renouvelé?
Réponse: Nous rappelons que le coup d'État à Kiev en février 2014 s'est déroulé avec un soutien direct de Washington, et que les conséquences de ce coup d'État ont été le bain de sang dans le Donbass, qui se poursuit aujourd'hui encore.
Jusqu'à 2018, nous avons maintenu des contacts assez constructifs avec les États-Unis, comprenant qu'ils avaient une influence importante sur Kiev et pouvaient l'encourager à mettre en œuvre les accords de Minsk. Nous n'avons aucune objection à ce que Washington s'implique dans le processus de paix, même maintenant. Bien sûr, en comprenant que sa participation devrait apporter une valeur ajoutée positive, avant tout en encourageant Kiev à mettre pleinement en œuvre ses engagements au titre des accords de Minsk, notamment en ce qui concerne l'octroi d'un statut spécial au Donbass.
Quant à une éventuelle participation des États-Unis au Format Normandie, il convient de garder à l'esprit que cette plateforme a déjà été mise en place et qu'elle en est à sa huitième année de travail. A ce que nous sachions, les co-médiateurs - l'Allemagne et la France - préféreraient le conserver tel quel.
Question: Le 21 novembre 2021, des élections régionales ont eu lieu au Venezuela qui, pour la première fois depuis de nombreuses années, ont offert certaines garanties et auxquelles l'opposition a participé. Cependant, les négociations au Mexique ont été interrompues après l'extradition d'Alex Saab. La Russie est garante de ces pourparlers. Pensez-vous qu'il faille les reprendre maintenant?
Réponse: Les élections au Venezuela ont, sans aucun doute, permis de stabiliser le processus politique. Le vote s'est déroulé dans le strict respect de la constitution vénézuélienne et de la législation nationale, en présence d'observateurs internationaux de 55 pays, dont la Russie, ainsi que de l'Onu et de l'UE. La participation au processus électoral d'un large éventail de forces d'opposition a été rendue possible en grande partie par les négociations qui se sont déroulées au Mexique entre le gouvernement vénézuélien et la Plateforme unitaire. Parmi les autres résultats importants de ce format figurent la reconnaissance par l'opposition de la légitimité du gouvernement de Nicolas Maduro et un consensus entre les partis vénézuéliens sur les effets néfastes des restrictions unilatérales américaines sur l'économie vénézuélienne et le niveau de vie de ses citoyens.
Apparemment, le succès des négociations ne faisait pas partie des plans de Washington, qui a interféré directement dans le processus en octobre 2021. Rappelons que les autorités américaines ont arrêté le diplomate vénézuélien Alex Saab, qui est également membre de la délégation du gouvernement à Mexico, en violation des normes juridiques internationales reconnues par tous, et l'ont transporté aux États-Unis. Publiquement, à plusieurs reprises, avait été lancé l'avertissement que cette mesure détruirait l'atmosphère constructive des négociations. Malheureusement, c'est ce qui s'est passé.
Notre position de principe est que la solution des différends internes au Venezuela ne peut être obtenue que par un dialogue pacifique et inclusif entre toutes les forces politiques dans le cadre constitutionnel, tout en respectant la souveraineté du Venezuela. Suivant cette logique, la Russie a toujours soutenu toutes les tentatives de pourparlers inter-vénézuéliens - à Oslo, à la Barbade et à Mexico. Cependant, il est nécessaire de garder à l'esprit que les médiateurs norvégiens et les pays qui accompagnent le processus, parmi lesquels figure désormais la Russie, sont uniquement censés promouvoir le dialogue. Le droit de reprendre le processus de négociation appartient uniquement aux parties vénézuéliennes. Pour l'instant, nous continuons à promouvoir des contacts constructifs entre toutes les forces politiques responsables au Venezuela, où qu'ils se déroulent.
Question: Le Président russe Vladimir Poutine a invité le Premier ministre italien Mario Draghi en Russie cette année. Quel rôle l'Italie pourrait-elle jouer dans l'amélioration des relations entre la Russie et l'Occident?
Réponse: Dans le contexte des événements de politique étrangère qui se déroulent en Europe et dans le monde, les relations entre la Russie et l'Italie se distinguent quelque peu. Elles se caractérisent par une disposition au compromis, le respect mutuel, le désir de prendre en compte les intérêts de l'autre, l'intérêt à maintenir une coopération mutuellement bénéfique et un dialogue ouvert et substantiel sur tous les problèmes qui concernent nos pays.
Des contacts ont été établis à tous les niveaux des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Les consultations se déroulent au niveau du Ministère russe des Affaires étrangères, le format "2+2" fonctionne, et d'autres ministères et départements interagissent étroitement si nécessaire. Dans l'ensemble, les citoyens russes et italiens expriment leur soutien aux efforts entrepris par nos gouvernements conformément au Traité d'amitié et de coopération entre la Fédération de Russie et la République italienne de 1994.
Le renforcement continu des liens commerciaux mutuellement bénéfiques revêt également une grande importance: l'Italie est le troisième partenaire commercial de la Russie en Europe. Le 6 décembre 2021 s'est tenue à Rome la 18e réunion du Conseil de coopération économique, industrielle, monétaire et financière Russie-Italie, au cours de laquelle l'objectif a été fixé de développer la coopération pratique dans les domaines de l'énergie, de l'industrie, des transports, des hautes technologies et des investissements.
Le Président russe Vladimir Poutine est en contact étroit avec Mario Draghi, Président du Conseil des ministres de la République italienne. Il ont eu quatre échanges téléphoniques l'année dernière (19 août, 22 septembre, 19 octobre, 22 novembre 2021). Les sommets jouent un rôle important pour dynamiser les relations bilatérales, ce qui vaut également pour la visite éventuelle du Premier ministre italien, conformément à l'invitation qu'il a reçue.
Il convient de noter que non seulement l'Italie, mais aussi d'autres pays européens, expriment désormais le désir de travailler avec la Russie sur la base d'un ordre du jour positif. Naturellement, cela pourrait contribuer à créer une atmosphère plus favorable sur le continent européen et à atténuer les tensions qui ont été artificiellement attisées par les dirigeants de l'Otan et de l'UE à l'instigation des États-Unis et d'une minorité russophobe agressive.
Heureusement, le bon sens et le simple instinct de préservation n'ont pas encore été complètement "balayés" par les vents de l'Atlantique Nord en provenance de la partie occidentale de notre maison européenne commune. Nous sommes convaincus que les forces raisonnables d'Europe occidentale sauront s'affirmer et aborder les propositions de renforcement de la sécurité européenne avancées par la Russie de manière constructive et responsable. Historiquement, l'Italie s'est efforcée à plusieurs reprises de normaliser les relations entre l'Est et l'Ouest, tant pendant la Guerre froide qu'au cours des dernières décennies. Si, dans la situation actuelle, l'Italie continue d'adopter de telles approches, nous soutiendrons nos collègues italiens de toutes les manières possibles.
Question: Suite aux élections parlementaires, un nouveau gouvernement est en cours de formation en Irak. Comment voyez-vous le développement futur des relations russo-irakiennes, et notamment avec le Kurdistan irakien?
Réponse: Nous nous félicitons de l'approbation des résultats (le 27 décembre 2021) des élections anticipées au Conseil des représentants de l'Irak (parlement) qui se sont tenues le 10 octobre 2021. Nous considérons ces élections comme une étape importante dans le redressement de la situation politique et socio-économique intérieure du pays. Nous espérons que les parlementaires irakiens parviendront à former un nouveau gouvernement efficace dans les délais fixés par la loi, avec le soutien de toutes les grandes forces politiques et de tous les groupes ethniques et religieux du pays.
L'Irak est l'un des principaux partenaires de la Russie au Moyen-Orient, avec lequel nous sommes traditionnellement liés par des liens d'amitié et de coopération mutuellement bénéfiques. Nous entretenons des contacts réguliers tant avec les représentants des autorités fédérales qu'avec les dirigeants de l'autonomie kurde. Ce faisant, nous partons toujours de l'impératif de respecter l'unité, la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Irak.
Nous sommes déterminés à continuer de déployer des efforts considérables pour développer davantage la coopération multiforme entre la Russie et l'Irak, dans l'intérêt des peuples de nos pays et dans le but de renforcer la paix et la sécurité au Moyen-Orient.
Question: La Russie a toujours condamné le blocus américain contre Cuba et s'oppose aux politiques de sanctions dans le monde. Selon vous, comment la Russie et la communauté internationale pourraient-elles convaincre les États-Unis d'abandonner cette politique qui a été condamnée à l'Assemblée générale des Nations unies au cours des 29 dernières années?
Réponse: La délégation russe à l'Onu mène une ligne cohérente de pression internationale sur les États-Unis pour qu'ils mettent fin immédiatement et sans conditions à l'embargo économique, commercial et financier qu'ils font subir à Cuba. L'Assemblée générale des Nations unies a régulièrement condamné les mesures unilatérales des États-Unis contre Cuba et a appelé à l'abandon de ces politiques destructrices.
Une résolution du même nom est adoptée chaque année par l'Assemblée générale des Nations unies et est toujours soumise au vote de la délégation américaine. Les résultats sont assez parlants: 184 pays ont voté en faveur de la dernière résolution 75/289 approuvée en 2021, 3 se sont abstenus (Brésil, Colombie, Ukraine) et seulement 2 ont voté contre (les Etats-Unis et Israël).
Conformément aux dispositions de la résolution, le Secrétaire général des Nations Unies publie un rapport annuel qui donne un aperçu actualisé des mesures unilatérales prises par les États-Unis contre Cuba et de leur impact sur l'économie du pays, ainsi que des recommandations en vue de la levée du blocus dans les meilleurs délais. La Fédération de Russie soumet à chaque fois sa contribution au rapport et soutient également les dispositions de la résolution dans le cadre du débat politique général de l'Assemblée générale des Nations unies.
Néanmoins, malgré tous les efforts de la communauté mondiale, les États-Unis continuent d'ignorer les exigences des résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies et les recommandations de son Secrétaire général. La politique de Washington à l'égard de Cuba est un exemple classique de "doubles standards" et de mépris des normes du droit international. De notre côté, nous continuons de souligner la nature défectueuse de cette politique américaine. Avec les pays partisans des mêmes idées, nous allons renforcer la pression sur les initiateurs de l'embargo jusqu'à la levée complète et inconditionnelle des mesures restrictives illégales contre Cuba.
Nous déplorons la position des pays qui ont adopté une ligne de conduite consistant à soutenir sans équivoque la politique américaine manifestement destructrice à l'égard de Cuba. Cette politique est contraire aux engagements de l'Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable, qui condamne sans équivoque les mesures économiques unilatérales.
De telles actions ne sont pas non plus compatibles avec les principes d'humanité et de garantie des droits de l'homme auxquels les pays qui soutiennent les États-Unis prétendent être attachés. Les conséquences tragiques de l'embargo sur le peuple cubain sont un fait bien établi et ont été décrites en détail dans les rapports du Secrétaire général des Nations Unies. Nous espérons que nos partenaires étudieront attentivement ces données à la veille du prochain vote sur la résolution et qu'ils s'en inspireront pour déterminer leur position.
Question: Lors de sa conférence de presse fin décembre 2021, le président russe Vladimir Poutine a condamné les blagues inappropriées sur le prophète Mahomet, soulignant qu'il ne s'agissait pas pour lui de liberté d'expression. Le monde islamique a accueilli sa position avec une grande satisfaction. Le Premier ministre pakistanais Imran Khan a également salué la déclaration du président Poutine et a suggéré d'introduire une interdiction légale du blasphème afin de fixer au niveau international le respect de toutes les religions. La Russie est-elle prête à soutenir son initiative?
Réponse: Nous respectons les sentiments religieux des croyants et considérons qu'il est nécessaire de déployer des efforts pour garantir la liberté de religion. Nous sommes préoccupés par les manifestations d'intolérance religieuse et les attitudes désobligeantes à l'égard de l'islam, du christianisme et des autres religions, sous couvert du droit à la liberté d'expression et de création. La proximité des positions de Moscou et d'Islamabad sur cette question constitue une bonne base pour notre interaction fructueuse avec la République islamique du Pakistan, l'un des pays les plus influents du monde islamique. Nous nous réjouissons de poursuivre notre coopération active au niveau des forums spécialisés, notamment le groupe de vision stratégique Russie-monde islamique.
En ce qui concerne l'interdiction légale du blasphème, il n'est pas permis en Russie d'insulter les sentiments religieux des croyants. Conformément au Code pénal de la Fédération de Russie, ces actes sont passibles d'une peine d'emprisonnement. Conformément au principe de la séparation des pouvoirs, l'adoption de toute législation supplémentaire, y compris dans ce domaine, relève de la responsabilité du parlement - la Douma d'État et le Conseil de la Fédération de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie.
Question: La paix en Afghanistan est indispensable à la sécurité de la région. Les événements qui se sont déroulés au Kazakhstan l'ont montré. La Russie joue un rôle très important dans la région. Le Pakistan aussi. Quelles possibilités de coopération entre les deux pays identifiez-vous et quels progrès pourraient être réalisés ensemble en 2022? La Russie envisage-t-elle de faire prochainement une déclaration claire sur la reconnaissance du Mouvement taliban?
Réponse: La Russie interagit activement avec le Pakistan sur la problématique afghane, tant au niveau bilatéral que dans le cadre de mécanismes multilatéraux, en particulier celui de la "troïka" élargie et le format de consultations de Moscou sur l'Afghanistan. La prochaine réunion de la "troïka" élargie (Russie, Chine, États-Unis et Pakistan) est prévue pour janvier-février - le lieu de la rencontre n'a pas encore été déterminé.
Tous ces efforts visent principalement à mener à bien le processus de paix interafghan et à former un gouvernement véritablement inclusif reflétant les intérêts de toutes les grandes forces ethniques et politiques. En outre, il est important que les Talibans aient pour priorité la poursuite de la lutte contre le terrorisme, y compris l'Etat islamique de plus en plus influent, et contre le problème persistant de la criminalité liée à la drogue.
Nous considérons le Pakistan comme un acteur régional clé ayant une influence significative sur les processus à l'œuvre en Afghanistan.
Nous verrons dans quelle mesure les nouvelles autorités afghanes pourront progresser sur les axes susmentionnés, et c'est de cela que dépendra notre décision de reconnaître ou non le Mouvement taliban au niveau international.
Question: Vous avez déjà parlé à plusieurs reprises des "doubles standards" de l'Occident collectif concernant les Serbes et le Kosovo et Métochie. Les dirigeants des Albanais du Kosovo à Pristina comprennent que sans le consentement de Moscou, ils ne peuvent obtenir la reconnaissance du Conseil de sécurité des Nations unies car la Russie dispose d'un droit de veto. Aujourd'hui, ils parlent de plus en plus ouvertement d'une unification de l'État non reconnu du Kosovo et de l'Albanie. L'Occident garde le silence. Je vous demande de commenter la situation.
Réponse: Une solution durable au problème du Kosovo ne pourra être trouvée que sur la base du droit international, et principalement de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui fixe, entre autres, l'intégrité territoriale de la Serbie dont fait partie la province autonome du Kosovo-Métochie. C'est dans le cadre de ce document que Belgrade et Pristina peuvent et doivent mener des négociations. Leur résultat est appelé à être une solution durable qui satisfera la partie serbe et recevra l'approbation du Conseil de sécurité des Nations unies.
Il est grand temps que les "dirigeants" de Pristina comprennent que les tentatives provocatrices de convaincre le reste du monde de la viabilité du fameux "statut d'État du Kosovo" sont vouées à l'échec. L'incitation au nationalisme et au chauvinisme albanais, l'oppression systématique de la population serbe et des autres populations non albanaises, et la persécution de l'Église orthodoxe serbe, témoignent de l'inconsistance de ce projet.
Le silence de l'Occident, dont vous avez parlé, n'est pas surprenant: il est un symptôme de l'indulgence aveugle des mécènes extérieurs envers les radicaux albanais du Kosovo. L'UE, mandatée par l'Assemblée générale des Nations unies pour servir de médiateur dans le dialogue Belgrade-Pristina, échoue manifestement dans ce rôle, s'étant vue incapable - près de neuf ans après la conclusion de l'accord - de surmonter le sabotage par les Kosovars de leur engagement à former dans cette province la Communauté des municipalités serbes.
Pour finir, nous partageons pleinement les préoccupations concernant les spéculations occasionnelles - non seulement de Pristina, mais aussi de Tirana - sur la création d'une soi-disant "Grande Albanie" par la fusion des "deux États albanais" des Balkans. Nous continuerons de veiller à ce que les débordements de Pristina reçoivent l'évaluation adéquate - y compris au sein des structures internationales, et surtout au Conseil de sécurité des Nations unies - afin de préserver la paix et la sécurité dans les Balkans. De telles actions ne peuvent être qualifiées autrement que de subversives: toute renégociation des frontières dans la région est par définition destructrice pour la stabilité déjà fragile de cette partie de l'Europe, qui a encore beaucoup à faire pour surmonter les conséquences des conflits et des guerres des années 1990.
Question: Dans l'éventualité où notre dialogue avec les États-Unis et l'Otan sur les garanties de sécurité échouerait et où nos relations avec l'Occident suivraient un scénario négatif et conflictuel, la Russie serait-elle en état de faire face seule à l'Occident?
Et, dans ce contexte, quelle importance accorderiez-vous à l'approfondissement de votre partenariat stratégique avec la Chine pour surmonter les menaces militaires et les conséquences des sanctions "infernales" dont nous menacent les États-Unis et leurs alliés européens?
Réponse: Les propositions avancées par la Russie en matière de garanties de sécurité constituent une vision réaliste de la manière de normaliser la situation dans le domaine de la sécurité européenne à long terme et de créer les conditions d'une coexistence pacifique entre la Russie et l'Occident. Dans le climat actuel, c'est peut-être le seul moyen de renforcer la sécurité globale du continent sans compromettre la sécurité des pays de la région individuellement.
Ne nous emballons pas. Le processus de négociation n'a même pas encore véritablement commencé. Nous espérons que les promesses faites par nos collègues occidentaux lors des réunions de Genève et de Bruxelles, respectivement les 10 et 12 janvier, seront tenues. Nous attendons des États-Unis et de l'Otan qu'ils mettent leur réponse à l'initiative russe "noir sur blanc". Il y a des raisons de croire que nos partenaires ont compris la nécessité de ne pas "passer sous silence" cette question. En tout état de cause, nous nous réservons le droit d'élaborer un nouvel algorithme d'action pour garantir les intérêts de la Russie en matière de sécurité, en fonction de la réponse que donneront les États-Unis et l'Otan à nos propositions.
En ce qui concerne les relations russo-chinoises, comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, elles se développent de manière progressive. Nos relations ont une valeur intrinsèque et ne dépendent pas de la situation politique mondiale. Nous les construisons sur la base du respect de la souveraineté, des particularités de la culture politique et de la non-ingérence dans les affaires intérieures de l'autre. Il est fondamentalement important que Moscou et Pékin aient des approches proches ou concordantes de la résolution des principaux problèmes internationaux. Grâce à cela, nos pays jouent un rôle stabilisateur dans la politique mondiale.
Le partenariat stratégique russo-chinois se développe dans le contexte d'une logique historique objective, compte tenu de l'énorme potentiel combiné des deux États. Il ne faut pas non plus oublier qu'il existe un fort consensus public en Russie et en Chine sur les perspectives, la portée et la profondeur de la coopération bilatérale.
Il est temps pour nos collègues américains de comprendre que la politique de "double endiguement" de Moscou et de Pékin adoptée par Washington est absolument anachronique et n'offre aucune perspective positive pour les États-Unis. Les Américains seraient beaucoup plus utiles à eux-mêmes et au monde entier s'ils abandonnaient leur arrogante tentative de domination mondiale et entamaient un dialogue égal et honnête avec la Russie, la Chine et d'autres acteurs majeurs afin de trouver des solutions équilibrées aux problèmes urgents de sécurité et de développement internationaux. Nous sommes prêts à un tel travail.
Question: Nous aurions aimé vous poser une question sur l'importance de la sphère d'influence de la Russie en lien avec la crise autour de l'Ukraine. La Russie veut-elle vraiment faire revivre l'URSS, l'ancien "empire soviétique", comme beaucoup le croient en Occident? L'impasse actuelle entre la Russie et les États-Unis est-elle la preuve que les deux pays ne pourront jamais devenir de véritables amis ou des partenaires fiables?
Réponse: On ne peut certainement pas parler sérieusement de faire revivre ou de restaurer l'URSS. Le cours de l'histoire ne peut être inversé. Le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, l'a dit à plusieurs reprises. Dans notre politique pratique, nous sommes guidés par les réalités existantes.
La Russie, comme les États-Unis et d'autres pays, a des intérêts légitimes, y compris dans le domaine de la sécurité. Comme tout État, nous ne pouvons pas ne pas répondre à l'apparition de défis et de menaces extérieures, notamment de nature militaire et militaro-technique. Nous le faisons dans le cadre strict du droit international. Il n'y a, en fait, aucune raison d'interpréter nos actions comme la formation de quelque sphère d'influence russe exclusive.
Ceci étant, nos collègues occidentaux, qui déclarent que les "sphères d'influence" sont inacceptables dans le contexte actuel, fournissent de nombreux exemples de "doubles standards" flagrants. Il y a quelques années, Federica Mogherini, qui dirigeait alors la diplomatie européenne, a déclaré que les Balkans occidentaux étaient une région où tous les problèmes seraient traités par l'UE et où les autres feraient mieux de ne pas s'impliquer. Bien sûr, elle faisait surtout référence à la Russie et à la Chine. Comment peut-on interpréter ses propos, sinon comme une tentative d'établir arbitrairement une "sphère d'influence"?
Rappelons la déclaration du Haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, selon laquelle l'UE "ne doit pas permettre à la Russie et à la Chine de prendre le contrôle de la situation en Afghanistan" après le retrait de la coalition de l'Otan. Il a déclaré que la Russie ferait mieux de ne pas travailler du tout en Afrique, car l'Afrique serait, je cite, "notre place". On peut également se rappeler comment les Français, à tous les niveaux, soulèvent comme un mantra la question de la présence russe au Mali, affirmant de manière néocoloniale que, pour la France, il s'agit d'une "ligne rouge".
De la même manière, on peut rappeler l'appel lancé très récemment par le secrétaire d'État américain Antony Blinken aux autorités kazakhes pour qu'elles expliquent "sur quelles bases" le gouvernement légitime de ce pays avait demandé l'aide de l'OTSC pour rétablir l'ordre et repousser la menace terroriste. Les sphères politiques et d'experts occidentales ont été prises d'hystérie après que le vice-Ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, a tout simplement refusé de répondre sans ambiguïté à la question des éventuels "plans militaro-politiques" de notre pays à l'égard de Cuba et du Venezuela. N'est-ce pas là la preuve d'une pensée arrogante dans l'esprit du "nous avons tous les droits, mais pas la Russie"?
Tout cela illustre le fait que c'est l'Occident collectif, et non la Russie, qui divise le monde en "sphères d'influence" et "arrière-cours". Rappelons qu'après le retrait de l'Union soviétique de la scène historique, les dirigeants américains ont commencé à construire un "nouvel ordre mondial", ce qui, en substance, signifiait étendre la sphère d'influence des États-Unis au monde entier. Le résultat de cette politique a été la guerre et le chaos, des centaines de milliers de morts, la destruction d'États, des millions de réfugiés et des tensions géopolitiques qui persistent encore aujourd'hui.
En ce qui concerne les relations entre la Russie et les États-Unis, qui ont atteint un dangereux seuil critique par la faute de Washington, il est urgent d'instaurer un dialogue de fond sérieux et que les Américains et leurs alliés entreprennent des démarches concrètes pour fournir à la Russie des garanties fiables de sécurité. La poursuite de l'activité agressive de l'Otan sur son "flanc oriental" et les actions hostiles contre notre pays, notamment les exercices non programmés, les approches et les manœuvres dangereuses de navires de guerre et d'avions, ainsi que le développement militaire du territoire ukrainien, sont absolument inacceptables.
Quant à la possibilité de devenir de vrais amis ou des partenaires fiables, c'est plutôt une question pour la partie américaine. La Russie a fait des efforts dans le passé, mais nos pas en avant ont été pris pour acquis et tout ce que nous avons reçu en retour a été un mépris arrogant des priorités russes.
Il est désormais important de reconstruire un climat de confiance, de revenir au moins à un semblant de normalité. C'est dans notre intérêt commun. Dans l'ensemble, il n'y a pas de différends insurmontables entre la Russie et les États-Unis. Nous avons juste besoin que nos collègues fassent preuve de volonté politique. Nous sommes toujours prêts à mener une conversation honnête. Mais nous n'allons pas nous laisser entraîner dans un dialogue portant uniquement sur les sujets souhaités par les États-Unis alors même que nos préoccupations légitimes sont ignorées de manière flagrante. Les Américains doivent mener un sérieux "travail sur leurs erreurs", tirer les conclusions qui s'imposent de leurs tentatives infructueuses d'ingérence dans nos affaires intérieures et adapter fondamentalement leur comportement. Il est temps de renoncer aux prétentions d'hégémonie mondiale, inacceptables dans les réalités géopolitiques actuelles. Sans cela, il ne sera pas possible d'établir une interaction durable, même si le dialogue peut et doit être soutenu quand il existe des points sur lesquels les intérêts convergent.
Soit nous nous mettons d'accord sur un ordre du jour plus ou moins positif qui tient également compte des priorités russes, soit le degré de confrontation, déjà excessif sans cela, augmentera encore. Mais si la politique américaine reste inchangée, nous riposterons fermement pour contrer les actions hostiles de Washington.
Question: Comme vous le savez, les journalistes de Baltnews et Sputnik sont persécutés par les autorités lettones depuis plus d'un an. À l'heure actuelle, l'enquête sur cette affaire est achevée et les matériaux ont été remis au Bureau du procureur. La pression sur les journalistes s'intensifie non seulement en Lettonie, mais aussi dans les autres pays baltes et en Europe. Par exemple, Sergueï Seredenko, qui écrit pour Baltnews, a été arrêté en Estonie. Pourquoi pensez-vous qu'une véritable guerre est menée contre les journalistes qui collaborent avec les médias russes? Quelles mesures pouvons-nous prendre pour protéger les journalistes et leur droit à exercer leur profession?
Réponse: Malheureusement, d'année en année la situation relative à la liberté de la presse dérape vers une dégradation complète dans l'ensemble des pays baltes. Les autorités de ces pays membres de l'Union européenne, qui se présentent comme d'ardents défenseurs des valeurs démocratiques, continuent d'attaquer les médias russes et russophones de manière coordonnée et de combattre toute dissidence. Ils restreignent ouvertement la liberté d'expression, exercent des pressions sur les journalistes qu'ils jugent indésirables sous le prétexte fallacieux de "protéger la sécurité de l'État", et font obstacle à leur activité professionnelle afin d'établir un contrôle total sur l'espace médiatique.
Nous allons citer quelques exemples qui parlent d'eux-mêmes.
Le 14 octobre 2021, les documents des affaires pénales contre 14 journalistes coopérant avec Baltnews et Sputnik a été remis au Bureau du procureur letton. Le 21 octobre 2021, l'autorité de régulation des médias du pays a retiré sans raison la licence de diffusion de la "Première chaîne baltique" (Perviy Baltiyskiy Kanal), qui rediffusait la "Première chaîne russe" (Perviy Kanal) sur le territoire du pays. Le 29 octobre 2021, un tribunal de Riga a déclaré coupable Iouri Alekseïev, éminent journaliste et personnalité publique russophone, et l'a condamné à 14 mois de prison.
Les autorités de Tallinn continuent d'exercer une forte pression sur le média local en langue russe Sputnik Media, après avoir réussi à démanteler son prédécesseur russe, Sputnik Estonia.
Dans un contexte plus large, il s'agit d'un évincement systématique et sans principe de la langue russe et de tout ce qui s'y rapporte de l'espace informationnel national, d'une discrimination systématique à l'encontre de la population russophone, la privant du droit de recevoir des informations dans sa langue maternelle - qui figure dans les normes juridiques internationales et les engagements politiques des pays baltes.
Une preuve récente de cette approche systématique est le plan d'action élaboré par le Ministère estonien de l'Education et de la Recherche visant à supprimer la langue russe de l'enseignement financé par l'Etat d'ici 2035. Le projet prévoit que 75% de l'enseignement dans toutes les écoles publiques et municipales russes devra se faire en estonien, et le quart restant sera réservé aux langues étrangères, dont le russe.
La Lettonie a, elle aussi, été critiquée à plusieurs reprises par le Conseil des droits de l'homme de l'Onu et d'autres organismes internationaux de défense des droits de l'homme pour ses politiques linguistiques discriminatoires.
Le Ministère des Affaires étrangères et les représentants compétents de la Russie ne cessent d'attirer l'attention des plateformes multilatérales spécialisées, notamment des Nations unies, de l'OSCE et du Conseil de l'Europe, sur ce qui se passe dans les États baltes. Lors de nos contacts directs avec les représentants compétents de l'Union européenne, nous avons déclaré à plusieurs reprises que les politiques discriminatoires des autorités locales étaient inacceptables. La porte-parole du Ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, soulève régulièrement en public des questions inconfortables pour les pays baltes et encourage les institutions compétentes, y compris le Représentant de l'OSCE pour la liberté des médias, à prendre les mesures appropriées pour rectifier cette situation actuellement déplorable sur le territoire de l'Organisation.
Il est parfaitement clair que le temps de la "diplomatie silencieuse" professée par certains responsables européens à l'égard des pays baltes est révolu depuis longtemps, et que l'approche fondée sur le passage sous silence et les retouches des violations flagrantes des droits des journalistes et des médias s'est complètement discréditée. Nous attendons une action décisive pour rétablir dans ces pays les principes démocratiques fondamentaux que sont le pluralisme d'opinion et la protection de la liberté d'expression.
Question: Pouvez-vous nous parler de votre interaction avec le parti "Russie Unie"?
Réponse: Le Ministère des Affaires étrangères et nos établissements à l'étranger aident les partis russes dans leurs activités internationales, y compris dans l'organisation de visites à l'étranger et la mise en place de partenariats avec les partis dans d'autres pays. Ce travail a pour objectif d'assurer un large consensus public autour de la mise en œuvre de la politique étrangère approuvée par le Président de la Fédération de Russie et d'harmoniser davantage les efforts des différentes forces politiques pour consolider la position de notre pays sur la scène internationale.
La pandémie a eu un certain impact sur tous les aspects de la vie, mais, dans le même temps, elle a facilité l'émergence et le développement de nouveaux formats d'interaction, notamment avec l'organisation de visioconférences. Rien que l'année dernière, avec l'aide du Ministère et de nos établissements à l'étranger, "Russie Unie" a organisé des forums en ligne avec d'autres partis de l'OCS, des Brics, des partis au pouvoir d'Afrique, de l'ANASE et d'Amérique latine, ainsi qu'une conférence internationale interpartis intitulée "Les défis mondiaux du XXIe siècle: la dimension interpartis". Ces événements ont clairement démontré la proximité des approches des partis-partenaires de la résolution des problèmes actuels du développement mondial, qui prônent ensemble la construction d'un ordre mondial multipolaire juste, exempt du diktat de la force et de toute forme de discrimination, fondé sur le respect de la souveraineté, de l'identité, et sur la stricte conformité aux objectifs et aux principes de la Charte des Nations unies.
La coopération interpartis est une ressource essentielle de promotion de la coopération multidimensionnelle, tant au niveau multilatéral que bilatéral. Ayant récemment célébré son 20e anniversaire, Russie Unie a non seulement apporté une contribution significative au développement de notre pays en tant qu'État véritablement fondé sur le droit, à orientation sociale, et démocratique, mais a également développé des liens étroits avec des partis politiques de nombreux continents au nom du dialogue et de la coopération, du renforcement de l'amitié et de la confiance entre les peuples.
Comme on le sait, le Président Vladimir Poutine a demandé aux dirigeants de la liste fédérale du parti Russie Unie pour les élections à la Douma d'État de 2021 de continuer à travailler avec le parti dans le cadre des commissions spécialisées en train d'être mises en place. Sergueï Lavrov a dirigé la Commission sur la coopération internationale et le soutien aux compatriotes à l'étranger auprès du Conseil général du parti Russie Unie, dont la première réunion s'est tenue le 28 décembre 2021.
Dans le cadre de cette réunion, ils ont débattu de l'orientation future des travaux de la Commission. La priorité a été donnée à l'amélioration de la politique migratoire et de la législation russe sur la citoyenneté afin d'attirer dans le pays des locuteurs de la langue russe et des représentants de cultures proches de la nôtre, mais aussi pour garantir la protection des droits et intérêts légaux des compatriotes à l'étranger.
A été souligné le rôle important des liens interpartis et interparlementaires dans la promotion des initiatives de politique étrangère et d'une image positive de la Russie dans le monde, la lutte contre les sanctions, la lutte contre la falsification de l'histoire et les tentatives de révision des résultats de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que dans le développement de la coopération commerciale, économique, sociale et culturelle.
Question: Quelles sont, selon vous, les perspectives en matière de sécurité dans la région de l'Océan Pacifique et dans le monde en général? Quel rôle pourrait jouer l'OCS dans le maintien de la stabilité et de la paix dans cette zone?
Réponse: Nous constatons dans la région Asie-Pacifique l'accumulation d'éléments d'instabilité menaçant d'ébranler l'architecture de sécurité et de coopération régionale, équilibrée et formée pendant des décennies.
Notre objectif de principe est de prévenir l'apparition de nouvelles lignes de partage. La possibilité de ces évolutions augmente dans le contexte de la promotion, par certains acteurs, du concept de "Région Indo-Pacifique" et de la mise en œuvre de stratégies nationales en ce sens. Nous sommes préoccupés par la politique des pays occidentaux visant le développement du "minilatéralisme", autrement dit la création de structures fermées et restreintes.
L'intensification des activités militaires navales de certains États extérieurs en Asie-Pacifique ne favorise non plus la stabilité de la région. L'intensification des manœuvres communes des forces navales des États-Unis et de leurs alliés européens avec des partenaires régionaux est sans précédent. Les nouveaux projets de l'Otan suscitent eux aussi beaucoup d'interrogations: après avoir terminé la campagne militaire en Afghanistan, les dirigeants de l'Alliance veulent préparer une "mission" en Asie de l'Est, pourtant située à des milliers de kilomètres de la région euro-atlantique.
Nous constatons évidemment une promotion agressive d'initiatives purement économiques visant à réécrire les règles et à transformer - dans l'intérêt des entreprises occidentales - les standards de coopération dans les domaines-clés, dont dépend l'avenir de l'économie mondiale. Les auteurs de ces initiatives ne sont pas vraiment préoccupés par les dégâts éventuels pour les partenaires asiatiques, notamment le démantèlement des chaînes de production et logistiques déjà établies.
Une telle approche sélective va directement à l'encontre des déclarations - sans preuves - sur "l'ouverture et l'inclusivité", contredit les principes-clés d'universalisme et de multilatéralisme qui constituent le fondement des relations internationales modernes. Il n'est question d'aucune complémentarité entre les schémas "novateurs" imposés à la région et les institutions déjà formées dans cette zone. Ce sont des vecteurs de développement antagonistes.
Nous ne constatons aucune alternative raisonnable à l'architecture de sécurité et de coopération existant déjà en Asie-Pacifique, qui s'appuie sur les mécanismes favorisant l'élargissement du dialogue national et de l'interconnectivité, malgré des divergences d'approches et de modèles de développement national.
Ce contexte de turbulence de plus en plus importante renforce le rôle créateur de l'OCS dans la construction de relations interétatique harmoniques.
L'intérêt pour l'expérience accumulée de l'organisation est reflété par un élargissement progressif de sa famille, un approfondissement méthodique des processus d'intégration et de la coopération diversifiée, une attractivité croissante de la coopération entre différentes plateformes, tout d'abord dans le cadre de la conception du Grand partenariat eurasiatique impliquant l'UEE et l'ANASE.
Les États membres de l'OCS promeuvent de manière cohérente la formation d'un ordre du monde multipolaire assurant une sécurité égale, commune, indivisible et complexe, ainsi que la coopération dans l'intérêt du développement durable de tous, s'appuyant sur le droit international et pas certaines "règles" pour des "élites".
Il est difficile de surestimer le rôle de l'OCS dans la lutte contre les nouveaux défis et menaces, avant tout contre le terrorisme international et le trafic de drogues, y compris en coopération avec les Nations unies et leurs structures spécialisées. Le style de travail de l'OCS a déjà fait ses preuves dans le contexte de la contribution aux processus favorisant la stabilisation de la situation en Afghanistan.
Question: Dans quels domaines concrets la Russie voudrait-elle développer sa coopération économique avec le Japon?
La création d'un régime économique spécial aux Kouriles a été annoncée lors du Forum économique oriental 2021. Ce régime pourrait-il inclure des éléments supplémentaires reflétant la position du Japon sur sa souveraineté dans les "Tterritoires du Nord"?
Réponse: Lors de son entretien téléphonique avec le Président russe Vladimir Poutine, le Premier ministre japonais Fumio Kishida a exprimé sa disposition à développer la coopération pratique avec la Russie dans un large éventail de domaines. Nous partageons complètement cette approche. La Russie est intéressée par un développement généralisé de ses liens commerciaux et économiques avec le Japon. Qui plus est, nous ne limitons en aucune façon les domaines de coopération. L'essentiel est que les partenaires aient un intérêt à construire la coopération dans tel ou tel domaine et qu'ils puissent tirer un bénéfice mutuel de la mise en œuvre de projets conjoints. Les domaines prometteurs concernent aujourd'hui l'énergie, la pétrochimie, la santé, l'agriculture, l'exploitation forestière et l'urbanisme. Nous examinons activement ces derniers temps les perspectives de la coopération entre les entreprises russes et japonaises en matière d'énergie verte. Il existe, selon nous, un potentiel de partenariat dans des domaines comme la production à forte valeur ajoutée ou l'informatique. Nous sommes au courant que des produits russes qui arrivent sur le marché nippon sont devenus populaires chez les Japonais.
Nous constatons l'apparition en 2021 de prémisses au rétablissement de la coopération bilatérale. Les échanges, qui s'étaient dégradés depuis quelques années, ont progressé de 20,5% en glissement annuel au cours des 11 premiers mois de 2021 pour atteindre 18 milliards de dollars. Nous estimons que la reprise du développement durable de la coopération en matière de commerce et d'investissement et une amélioration radicale de la situation nécessitent la promotion de projets bilatéraux de grande envergure.
En ce qui concerne la seconde partie de la question, comme on le sait, le Président russe Vladimir Poutine a proposé, au cours du Forum économique oriental en septembre 2021, de créer dans les Kouriles un régime de facilités fiscales et douanières. Selon nos informations, le projet de loi en ce sens rédigé par le Gouvernement russe est actuellement en cours d'examen à la Douma.
Nous estimons que ces mesures devraient accélérer le développement socioéconomique de la région. Nos portes sont toujours ouvertes pour nos amis et partenaires. Nous saluons la participation éventuelle à la coopération dans cette zone des investisseurs étrangers et notamment japonais, si ces derniers s'y intéressaient. Nous voudrions cependant souligner que le Japon ne peut bénéficier d'aucun droit exclusif dans la région et que toute activité économique aux Kouriles doit s'effectuer sur une base commune et dans le cadre de la législation russe.
Question: Ces dernières années, dans leur politique étrangère, les autorités kazakhes se sont orientées vers plusieurs centres de pouvoir extérieurs - les États-Unis, l'Union européenne, la Chine et la Turquie - en plus de la Russie et de l'UEE. Pensez-vous que les événements de janvier 2022 contribueront à pousser à une révision des priorités, car il est désormais évident que le soutien de l'OTSC et de la Russie a joué un rôle crucial dans la préservation de l'ordre constitutionnel au Kazakhstan?
Réponse: La question de savoir si le Kazakhstan doit apporter des correctives à sa ligne en politique étrangère devrait plutôt être posée à nos amis kazakhs.
En ce qui concerne la Fédération de Russie, nous continuerons, comme avant, d'œuvrer pour mettre en avant l'attrait et les avantages comparatifs de la coopération avec la Russie. Nous avons de notre côté la ressource des relations d'alliés étroites, le potentiel des associations d'intégration communes - l'OTSC, l'UEE, la CEI et l'OCS - et les liens étroits entre nos peuples, qui sont ancrés dans l'histoire.
Question: Le 10 janvier, vous avez évoqué par téléphone la situation au Kazakhstan avec le Ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. À l'issue de cette conversation, le Ministère russe des Affaires étrangères a déclaré que les parties avaient exprimé leur unité dans l'évaluation des événements et leur soutien aux efforts des dirigeants du Kazakhstan pour rétablir l'ordre constitutionnel dans le pays. Des accords ont-ils été conclus sur des mesures communes visant à empêcher la propagation de la menace terroriste à partir des territoires problématiques d'Asie centrale?
Réponse: Nous maintenons des contacts étroits et une coordination avec nos partenaires chinois sur tous les aspects de l'ordre du jour international, y compris la situation au Kazakhstan.
Lors de la conversation téléphonique du 10 janvier entre les ministres des Affaires étrangères de la Russie et de la Chine, la situation actuelle en République du Kazakhstan a été abordée en détail.
Nos évaluations des événements dans ce pays concordent totalement. La Russie et la Chine s'inquiètent de l'ingérence de forces extérieures, notamment de l'implication de mercenaires étrangers dans des attaques contre des civils et des agents des forces de l'ordre, et de la prise de contrôle d'institutions publiques et d'autres établissements. Nous pensons que les actions décisives du Président Kassym-Jomart Tokaïev étaient opportunes et proportionnelles à l'ampleur de la menace à laquelle la République était confrontée. La partie chinoise a évalué de manière positive les mesures prises par l'OTSC en réponse à l'appel lancé par les dirigeants du Kazakhstan.
Nous continuons de coordonner étroitement nos approches dans le cadre du vaste mécanisme de coopération stratégique entre la Russie et la Chine. L'Organisation de coopération de Shanghai et sa structure régionale de lutte contre le terrorisme jouent un rôle important pour assurer la sécurité en Eurasie, y compris dans la région d'Asie centrale.
Question: Comment évaluez-vous l'état général des relations russo-chinoises, et comment, selon vous, devrions répondre aux tentatives occidentales de "creuser un fossé" entre la Chine et la Russie?
Réponse: Nous avons souligné à plusieurs reprises que l'interaction entre nos pays avait atteint un niveau sans précédent. La Russie et la Chine ont formé un modèle de relations interétatiques d'un nouveau genre qui répond pleinement aux intérêts nationaux fondamentaux des deux États, et ont construit une architecture unique de coopération à multiples facettes.
Nous assistons en effet à des tentatives délibérées de la part de certains mauvais esprits occidentaux de diviser Moscou et Pékin, de semer la méfiance et de créer artificiellement des contradictions entre nous. Nous sommes convaincus que cette politique est vouée à l'échec. Les relations entre la Russie et la Chine ont une valeur intrinsèque, qui n'est pas liée à la conjoncture politique, elles ne datent pas d'hier, nous sommes de bons voisins dont les relations ont une longue histoire. Moscou et Pékin construisent leurs relations sur la base des principes de non-ingérence dans les affaires intérieures de l'autre et du respect mutuel. Nos approches des grands problèmes internationaux sont proches ou coïncident, ce qui permet de coordonner efficacement les efforts visant à stabiliser la situation dans le monde. Nous pensons que la meilleure réponse aux tactiques peu recommandables des pays occidentaux serait de développer davantage les liens mutuellement bénéfiques avec la Chine.
Question: Comment envisagez-vous le rôle diplomatique de la France et de l'Europe dans la résolution de la crise ukrainienne? Le Format Normandie est-il toujours aussi important?
Réponse: Au tout début du conflit dans le Donbass, la France a déployé des efforts considérables pour aider à le résoudre. C'est elle qui a initié le Format Normandie en juin 2014, lui donnant même le nom de l'une de ses régions. Paris a accueilli les sommets de 2015 et 2019, ainsi que des réunions au niveau des ministres, des conseillers politiques et des experts. Au sein du Groupe de contact, les diplomates français coordonnent traditionnellement son sous-groupe politique, où se déroule un dialogue direct entre les parties au conflit - Kiev, Donetsk et Lougansk. Ces efforts méritent une haute appréciation.
Les travaux du Groupe de contact et du Format Normandie sont au point mort, pour ne pas dire en stagnation, depuis un an et demi ou deux. Kiev se dérobe à la mise en œuvre du paquet de mesures et du document final du sommet du "Quartet" à Paris en 2019.
Malheureusement, la France et l'Allemagne se sont rangées du côté de l'Ukraine malgré leur rôle de médiation. Nous ne les avons jamais entendus évaluer publiquement les actions des autorités de Kiev allant à l'encontre des accords de Minsk. Il s'agit notamment de la poursuite des bombardements, du regroupement des forces sur la ligne de contact, du blocus économique, financier et de transport du Donbass, ainsi que du sabotage des engagements politiques relatifs à l'octroi d'un statut spécial pour la région et à l'amnistie de ses habitants.
On ne constate non plus aucune réaction aux violations flagrantes des droits de l'homme et des minorités en Ukraine, à l'ukrainisation forcée, à la discrimination à l'encontre de la population russophone, à la montée du néonazisme et à la persécution extrajudiciaire des médias et de l'opposition politique.
Au lieu de cela, la France, avec d'autres pays de l'Otan, tente de faire de la Russie une partie au conflit et participe activement à la militarisation de l'Ukraine en y injectant des armes. L'Union européenne apporte également sa "contribution". Elle cautionne également les politiques du régime de Kiev, ignore les violations des droits de l'homme et de la primauté du droit, et se prépare à déployer sa propre mission de formation militaire en Ukraine. Tout cela ne contribue pas à un règlement pacifique dans le Donbass mais, au contraire, incite Kiev à recourir à une solution violente.
Malgré tout, nous pensons que la situation peut encore être rectifiée. Pour cela, il faut que les pays et les alliances, dont la France et l'UE, qui ont de l'influence sur Kiev, l'obligent à se tenir strictement aux Accords de Minsk et à respecter également ses engagements internationaux en matière de droits de l'homme et de libertés. Nous sommes convaincus que la France, en tant que membre du Format Normandie et présidente du Conseil de l'Union européenne, a tous les moyens d'y parvenir. C'est juste une question de volonté politique.
De son côté, la Russie poursuivra ses efforts de médiation au sein du Groupe de contact et du Format Normandie en vue d'un règlement pacifique du conflit dans l'Est de l'Ukraine.
Question: Le conflit en Ukraine affecte-t-il les relations entre la Russie et la Norvège? En particulier sur la question de la frontière septentrionale.
Réponse: Nous prenons note des déclarations des dirigeants norvégiens selon lesquelles la Russie porterait l'entière responsabilité de la situation en Ukraine et de la mise en œuvre du paquet de mesures de Minsk. Une telle rhétorique n'est pas de nature à renforcer la compréhension mutuelle avec la Norvège. La situation réelle est différente. Kiev sabote la mise en œuvre des accords, et nos partenaires occidentaux ferment les yeux sur cette situation. Dans le même temps, la volonté des alliés de l'Otan à Oslo d'accroître leur présence sur le territoire norvégien, y compris à proximité immédiate des frontières avec la Russie, à la fois en augmentant le nombre d'unités militaires et en organisant des exercices à grande échelle, attire l'attention. Par exemple, "Cold Response", les plus grandes manœuvres militaires depuis la Guerre froide, sont prévues au printemps de cette année, avec la participation d'environ 40.000 soldats des pays de l'Otan et des partenaires de l'alliance.
Dans le même temps, la Russie et la Norvège sont voisines. La frontière russo-norvégienne, établie en 1326 - la première frontière conventionnelle en Europe et la plus ancienne frontière de la Russie contemporaine - n'a été perturbée par aucun conflit. En 2010, le Traité bilatéral sur la délimitation et la coopération maritimes en mer de Barents et dans l'océan Arctique a été signé, confirmant que nos pays pouvaient également s'entendre sur les questions difficiles.
Malgré les péripéties actuelles de la politique étrangère, nous pensons que les traditions de bon voisinage resteront dominantes dans notre interaction multiforme avec la Norvège. Bien sûr, si les partenaires norvégiens manifestent leur intérêt en ce sens.
Question: Les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni envisagent de créer un bloc trilatéral doté de sous-marins à propulsion nucléaire. La Chine a condamné ce projet. Il pourrait également constituer une menace pour les bases des forces stratégiques russes dans le Pacifique Nord. Ces plans de création d'AUKUS interfèrent-ils avec le régime de non-prolifération nucléaire?
Réponse : Les projets de construction de sous-marins à propulsion nucléaire pour la marine australienne dans le cadre d'AUKUS, avec l'aide des États-Unis et du Royaume-Uni, ont un effet déstabilisant sur le régime de non-prolifération nucléaire. L'Australie recevra des matériaux et des installations nucléaires qui, dans les États non dotés d'armes nucléaires parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), doivent être soumises aux garanties de l'AIEA. Dans le même temps, il y a des raisons de douter que les pays qui transfèrent les matériaux et les installations en question acceptent que les inspecteurs de l'Agence y aient pleinement accès. L'incertitude dans ce domaine sensible crée des risques pour le système de garanties. L'application de l'accord de garanties entre l'Australie et l'AIEA, ainsi que de son Protocole additionnel, doit être assurée en toutes circonstances.
Les pays fondateurs d'AUKUS ont déclaré qu'aucune arme nucléaire ne serait transférée dans le cadre de ce partenariat. Cependant, la pratique par l'Otan de "missions nucléaires conjointes", en violation du TNP, nous pousse à envisager le risque que de telles activités s'étendent à l'Australie.
Les projets d'installation d'infrastructures militaires britanniques et américaines sur le territoire australien soulèvent des questions quant à la bonne foi de Canberra en tant que partie au Traité sur la zone exempte d'armes nucléaires du Pacifique Sud (Traité de Rarotonga). Le déploiement d'effectifs militaires et d'armements provenant d'États dotés d'armes nucléaires sur le territoire australien remettrait en question la validité des garanties de sécurité fournies à ce pays en tant qu'État faisant partie de la Zone exempte d'armes nucléaires. Les actions de Canberra sapent effectivement la crédibilité de l'idée qui reposait à la base de la création de cette Zone.
D'une manière générale, nous sommes préoccupés par la tendance à la formation de nouvelles alliances militaires dont les activités pourraient introduire des éléments négatifs en matière de stabilité stratégique et avoir de profondes répercussions sur la sécurité régionale et mondiale. Les objectifs concrets que les pays participants à l'AUKUS cherchent à atteindre en proposant le déploiement de l'infrastructure militaire des États dotés d'armes nucléaires sur le territoire australien ne sont pas clairs.