la République d'Ouzbékistan
Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, dans le cadre de "l'heure du gouvernement" à la Douma d'État de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, Moscou, 26 janvier 2022
Monsieur Volodine,
Messieurs les députés de la Douma d'État,
Je vous remercie pour cette nouvelle occasion de prononcer un discours devant les députés de la Douma d'État dans le cadre de "l'heure du gouvernement".
Les contacts étroits entre le service diplomatique et l'Assemblée fédérale sont toujours réguliers en dépit de la situation épidémiologique difficile. En décembre 2021, j'ai rencontré vos collègues du Conseil de la Fédération. Aujourd'hui, je m'attends à un dialogue substantiel sur les questions diplomatiques et internationales d'actualité.
Pour nous, au Ministère des Affaires étrangères, il est particulièrement important de sentir les priorités du corps législatif. Nous apprécions vos conseils sur les questions pratiques. Les députés expriment les intérêts de toutes les couches de la société russe, ils comprennent profondément les dispositions des citoyens que vous représentez. L'objectif principal du Ministère russe des Affaires étrangères était et reste la création de conditions extérieures favorables et sûres pour garantir le développement intérieur du pays. Cette directive est fixée au niveau doctrinal, dans la nouvelle Stratégie de sécurité nationale approuvée par le Président en juillet 2021. Elle sera également reflétée dans la nouvelle mouture de la Conception de la politique étrangère - le travail sur cette dernière se termine actuellement.
Chers collègues,
Le Président russe Vladimir Poutine s'est exprimé plusieurs fois au sujet de la situation sur la scène internationale, de nos objectifs et initiatives en politique étrangère. Il a souligné tous les accents primordiaux récemment lors des réunions élargies des Collèges de notre Ministère et du Ministère de la Défense, ainsi que dans d'autres de ses discours et conférences de presse.
De profonds changements s'opèrent sur la scène internationale. Et ils sont loin d'être positifs. Tout le système est secoué. Les pays de "l'Occident historique" ne sont toujours pas prêts à accepter les réalités du monde multipolaire en formation, qui doit être plus juste et démocratique que le monde sous la domination d'un seul État. Les Occidentaux, menés par les États-Unis, cherchent à s'opposer au cours objectif de l'histoire, à s'assurer des avantages unilatéraux sans tenir compte des intérêts légitimes d'autres pays.
Washington et ses alliés imposent instamment à la communauté internationale leur propre vision de l'ordre de la vie internationale, qualifiant tout cela de nécessité d'établir et de respecter un "ordre basé sur des règles". Dans le cadre de ce concept, l'Occident s'attribue le droit d'élaborer des "règles" dans différentes régions, ignorant le principe du véritable multilatéralisme universel incarné par l'Organisation des Nations unies et sapant ainsi le droit international et l'architecture des relations internationales. On cherche à punir les "dissidents" qui mènent leur politique autonome, avant tout notre pays et la Chine, par des instruments indésirables comme les sanctions en tout genre, la diabolisation dans l'espace médiatique, les provocations des services de renseignement et bien d'autres.
Ces derniers temps, les États-Unis et leurs alliés européens, qui ont clairement oublié la culture de la diplomatie, redoublent d'efforts pour endiguer notre pays. Outre les sanctions unilatérales illégitimes, ils renforcent la pression militaire et politique sur la Russie. Il suffit de voir l'organisation de manœuvres militaires de plus en plus provocatrices près de nos frontières, l'aspiration du régime de Kiev dans l'orbite de l'Otan, les livraisons à l'Ukraine d'armes létales et son incitation à commettre des provocations directes contre la Fédération de Russie. Les exigences envers nous de cesser les exercices sur notre propre territoire, ce à quoi nous avons un droit incontestable, paraissent particulièrement cyniques dans cette optique. Les doubles standards sont effarants, mais, malheureusement, nous y sommes habitués.
Bien évidemment, nous ne resterons pas les bras croisés dans cette situation. Elle entre en contradiction avec le principe de la sécurité égale et indivisible fixé dans plusieurs documents internationaux. En décembre 2021, nous avons transmis aux Américains et aux pays de l'Otan les projets d'accord entre la Fédération de Russie et les États-Unis sur les garanties de sécurité et d'accord sur les mesures de garantie de la sécurité de la Russie et des pays de l'Otan, rendus publics et préparés plus tôt sur directive du Président Vladimir Poutine. Ces documents constituent un ensemble et visent à assurer à notre pays des garanties de sécurité juridiquement contraignantes.
Le 10 janvier 2022, nous avons évoqué notre initiative avec les Américains à Genève, le 12 janvier à Bruxelles avec les membres de l'Otan, et le 13 janvier, lors d'une session ordinaire de l'OSCE, notre représentant participant à la discussion a également attiré l'attention sur ces documents. Ils ont été remis aux États-Unis et aux pays membres de l'Otan. Le 21 janvier, à la demande des collègues américains, je me suis entretenu à ce sujet avec le Secrétaire d'Etat américain Antony Blinken. Il a assuré (nous espérons que ces affirmations seront respectées) qu'on nous transmettrait cette semaine des réponses écrites avec des explications de la position américaine sur nos exigences concrètes. En fonction du contenu de cette réponse (attendue cette semaine) nous préparerons avec nos collègues d'autres institutions des propositions au Président sur les démarches à venir.
Nous empêcherons les tentatives de noyer nos projets dans des discussions interminables, notamment dans les tentatives de transférer tout ce sujet à l'OSCE ou les appels insistants de l'UE à lui trouver une place dans ces discussions. En l'absence de réponse constructive et si l'Occident maintenait sa ligne agressive, comme l'a déclaré à plusieurs reprises le Président Vladimir Poutine, Moscou prendrait les contre-mesures qui s'imposent. Quoi qu'il en soit, tout le monde doit partir du principe que la sécurité de la Russie et de ses citoyens est une priorité absolue, et elle sera garantie de manière fiable en toute circonstance.
En menant une politique étrangère multivectorielle (ce terme est utilisé depuis le début des années 2000), nous ne faisons jamais une fixation uniquement sur l'Occident, d'où émanent ces dernières années les principaux risques et défis. D'autant que le monde n'est plus depuis longtemps axé sur l'Amérique ou l'Occident et ne sera jamais unipolaire. Aujourd'hui, la grande majorité des pays partage nos approches fondamentales rejetant le diktat idéologique de l'Occident et les jeux géopolitiques à somme nulle. L'humanité a mûri. Il y a de moins en moins de volontaires pour sacrifier leurs intérêts nationaux, "retirer des marrons du feu" pour les camarades de Washington et de Bruxelles.
Nous avons répété plusieurs fois que le centre de la politique et de l'économie mondiales s'était déplacé de la région euro-atlantique vers l'Eurasie. La Russie est une grande puissance eurasiatique et euro-pacifique et souhaite plus que personne un aménagement de qualité des vastes espaces eurasiatiques. L'intégration dans le cadre de l'Union économique eurasiatique se renforce aujourd'hui grâce à nos efforts, ses liens extérieurs s'élargissent. Ce travail est coordonné avec les plans de la Communauté des États indépendants dans les secteurs concernés, notamment la libéralisation du commerce. D'importants progrès ont été obtenus dans l'intégration au niveau de l'État de l'union entre la Russie et la Biélorussie. Ce travail est littéralement mené quotidiennement.
Nous renforçons l'interaction avec les alliés de l'OTSC afin de réagir efficacement aux menaces et aux défis communs, notamment dans le contexte des perspectives très incertaines d'évolution de la situation en Afghanistan. Les actions efficaces des forces de maintien de la paix de l'OTSC pour aider le Kazakhstan à stabiliser la situation intérieure après les attaques massives soutenues de l'extérieur contre l'État kazakh ont été un signe de la maturité et de la haute fiabilité de cette Organisation.
Le partenariat stratégique russo-chinois sert d'exemple de la manière dont doivent évoluer les relations interétatiques au XXIe siècle. Selon certains paramètres, il a atteint un niveau plus avancé que les alliances militaires et politiques traditionnelles. Les relations de partenariat stratégique particulièrement privilégié avec l'Inde se développent. Les liens s'élargissent avec la majorité des partenaires dans la région Asie-Pacifique, notamment avec les pays émergents de l'ANASE. Tout cela contribue à former des prémices à la mise en œuvre de l'initiative du Président russe Vladimir Poutine de créer le Grand partenariat eurasiatique. Nous le voyons comme un contour continental général de coopération économique et sociale, et, dans un sens plus large, comme une base matérielle pour construire l'architecture de sécurité eurasiatique. À noter que la porte du partenariat que nous proposons de former est ouverte à tous les pays et associations de notre grand continent eurasiatique commun.
La coopération avec les pays d'Afrique passe au niveau supérieur. Avec nos amis africains, nous travaillons à la préparation du deuxième sommet Russie-Afrique prévu cette année. Le partenariat s'approfondit avec les pays d'Amérique latine que nous considérons comme un centre autonome sérieux du monde multipolaire en formation, qui nous est proche d'esprit et avec de grandes perspectives économiques.
Chers collègues,
La Russie, qui est l'un des principaux garants de l'architecture de l'ordre mondial axé sur l'Onu, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, apporte une grande contribution au maintien de la sécurité mondiale et de la stabilité stratégique. La proposition du Président russe Vladimir Poutine d'organiser le sommet des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies est orientée sur la stimulation d'un dialogue honnête sur les principaux problèmes de notre époque. La déclaration conjointe des cinq puissances nucléaires sur la prévention d'une guerre et d'une course aux armements publiée le 3 janvier 2022 vise à réduire la tension internationale. Ce document a été préparé à notre initiative, ce qui a souligné une nouvelle fois la disposition de la Russie non pas à la confrontation mais au dialogue - un dialogue équitable, dans le respect mutuel, appelé à contribuer à la recherche d'un équilibre des intérêts, d'un équilibre des intérêts juste.
La garantie de la sécurité internationale de l'information figure toujours parmi les priorités de l'Onu, notamment en ce qui concerne l'élaboration d'une convention universelle sur la lutte contre le crime dans ce secteur. Il y a du progrès dans le travail avec les partenaires au niveau bilatéral, notamment avec les Américains, sur cet axe.
Question: Aujourd'hui, la menace d'une infiltration massive en Russie d'extrémistes de différents "bords" est plus élevée que jamais. Déjà avant cela, la majorité des migrants, en particulier originaires du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan, sont arrivés par millions sans visa et ont créé de gros problèmes pour les citoyens et la société en prenant part à des systèmes "de l'ombre" et illégaux de production de divers produits de contrefaçon, en travaillant dans des "mini-marchés illégaux", ou même en s'impliquant dans la criminalité, des bandes organisées et des communautés extrémistes. Dans les pays du Golfe, on compte 8 à 9 migrants pour un citoyen. Il n'y a pas de régime "de l'ombre". Pensez-vous que le moment soit venu d'étendre à la législation sur les migrations des normes telles que les visas de travail, les invitations officielles des personnes morales et physiques endossant une responsabilité personnelle pour les travailleurs migrants?
Sergueï Lavrov: Je voudrais faire remarquer qu'une réponse détaillée à cette question, avec des faits concrets, figure dans les documents écrits que nous avons fait circuler avant mon discours. L'essence de notre approche est que vous ne pouvez pas comparer les travailleurs migrants travaillant aux Emirats arabes unis ou au Qatar avec ceux de la Fédération de Russie. Dans le cas des pays du Golfe, ils n'ont jamais été citoyens d'un État uni. Dans notre cas, c'est un événement historique très récent, qui peut être évalué de différentes manières mais qui a eu un impact négatif sur la vie des gens ordinaires, y compris parmi ceux qui s'étaient habitués à se déplacer dans leur grande patrie unie à la recherche de travail, etc. Il est clair que ces processus suscitent des réactions mitigées dans la société actuelle. Nous voyons comment sont perçus, avec quelle sensibilité, les différents incidents impliquant des travailleurs migrants originaires des républiques voisines.
Il va sans dire qu'une attention sérieuse est accordée à ce sujet depuis longtemps. Cela se fait par l'intermédiaire du Ministère russe de l'Intérieur, qui remplit depuis de nombreuses années les fonctions de Service fédéral des migrations via le département concerné. Il est représenté au sein de la Commission gouvernementale pour les affaires des compatriotes à l'étranger, que je dirige. En ce qui concerne le régime pour les migrants, cette question relève du Ministère russe de l'Intérieur. Je sais que nos collègues font de leur mieux pour régulariser la situation dans ce domaine, notamment par le biais d'accords. Nous insistons pour les conclure avec les pays d'où proviennent la majeure partie des travailleurs migrants. Cela inclut le Kirghizistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan. Nous négocions avec eux pour créer des centres de formation pour les travailleurs migrants dans ces pays. Ils sont destinés, entre autres, à s'assurer qu'ils ont une connaissance normale de la langue russe et, ce qui est tout aussi important, une connaissance et une compréhension des lois et des traditions de la Fédération de Russie. Il est clair qu'un résultat parfait, comme dans toute autre sphère de l'activité humaine, est difficilement atteignable. Mais ce travail a un impact réel sur les questions dont nous parlons. Il vient de commencer. Je pense qu'il y aura davantage de résultats positifs.
Question: Comme nous le voyons tous, le fameux "soft power" de la Russie n'a pas été aussi efficace ces dernières années que nous l'aurions espéré. Des diplomates russes sont expulsés, des médias (par exemple RT) sont harcelés, nos hommes d'affaires sont sanctionnés, des publications au contenu jugé "indésirable" sont supprimées des réseaux sociaux occidentaux. Dans le même temps, nous constatons que nos partenaires étrangers renforcent leur présence militaire dans le monde, ce qui bouleverse l'équilibre mondial des forces. Comment le Ministère russe des Affaires étrangères et vous-même considérez-vous votre travail pour rétablir cet équilibre des forces? Quels sont les outils de politique étrangère qui peuvent être utilisés efficacement dans cette direction?
Sergueï Lavrov: Je ne parlerais pas du "fameux soft power de la Russie". Le pouvoir soviétique était dur et doux à la fois. Le dur - on sait dans quel domaine. Le doux pour le ballet, avant tout notre sport, notre art et notre culture. À bien des égards, il s'agit de faire en sorte que nos caractéristiques attrayantes en tant qu'État, en tant que peuple, en tant que nation, en tant que civilisation, puissent avoir une chance d'atteindre ceux qui s'y intéressent. Aujourd'hui, dans le cadre de la conception et de la stratégie visant à "endiguer" la Russie "en tout et pour tout" (comme la Chine), l'Occident ne se contente pas d'essayer de nous "bloquer" avec ses alliés agressifs, de les alimenter en armes, de rapprocher ses infrastructures militaires et ses troupes de nos frontières. Il tente également de saper la position et l'autorité de la culture russe - ce même "soft power" que nous essayons justement de maîtriser dans le nouvel ordre mondial de l'après-guerre froide. Nous savons comment le faire efficacement.
Ils essaient de discréditer nos médias, qui véhiculent la vérité, du moins notre partie de la vérité (par le biais du compromis mentionné). Ils les interdisent, même. Ils essaient par tous les moyens de dissuader les pays de tous les continents d'avoir quoi que ce soit à faire avec nous. Comme sous l'administration Trump: le secrétaire d'État américain se déplace en Afrique et appelle bruyamment, publiquement, dans des déclarations officielles, le pays où il se rend à ne pas faire de commerce et à n'avoir absolument rien à faire ni avec la Russie ni avec la Chine. Selon eux, nous poursuivrions nos intérêts "égoïstes" en développant des relations avec ce pays, alors que les États-Unis "apportent la démocratie". Ils disent ça sans aucun remords, sans rougir. De sérieux obstacles sont opposés à la promotion de notre pays dans le monde, y compris la promotion de notre culture, de nos traditions et de notre philosophie. Un exemple absolument "criant" est celui du sport. Les dirigeants russes ont reconnu à plusieurs reprises qu'il n'était pas acceptable d'utiliser des athlètes pour les soumettre à des expériences de dopage. Mais la bacchanale qui se déchaîne contre nous dans tous les forums sportifs est évidente et inacceptable. Nous travaillons sur tous ces axes. Nous devons le faire en même temps que nous réglons les autres tâches que vous avez également mentionnées: les tensions militaires et politiques américaines, et tout ce qui se passe autour de la sécurité en Europe. Mais la force, comme l'a dit récemment un homme politique américain (il s'avère donc qu'il sait cela), est dans la vérité, alors nous continuerons d'essayer.
Question: Des citoyens s'adressent aux députés de la Douma d'État car ils ont été séparés de leurs enfants en raison d'un certain nombre de circonstances découlant du fait que les deux parents étaient des citoyens de pays différents. Malheureusement, il n'existe souvent aucune procédure juridique entre la Russie et d'autres pays qui permettrait de mettre en place une coopération dans l'intérêt de l'enfant. Plus précisément, chacun des pays concernés a sa propre vision juridique de ce qui se passe. Des centaines d'enfants sont séparés de leurs mères. Dans quelle mesure est-il possible de changer la situation afin que le résultat soit dans l'intérêt des enfants pris en otage des conflits parentaux?
Sergueï Lavrov: Cela rejoint la question que Leonid Kalachnikov a abordée aujourd'hui: la citoyenneté des enfants issus de mariages mixtes. Si un enfant issu d'un mariage mixte naît sur le territoire de la Fédération de Russie, il (ou elle) devient automatiquement un citoyen (ou une citoyenne). Si, dans un mariage mixte, l'enfant est né à l'étranger, cette question ne peut être résolue qu'avec le consentement du second parent non russe. Votre question est encore plus large que cela. L'institution qui chapeaute ces questions est le Ministère de l'Education. Je pense qu'il serait utile, pour une réponse plus professionnelle, de leur exprimer ces préoccupations. Mais le Ministère des Affaires étrangères est impliqué dans ce travail, principalement dans l'accompagnement des citoyens qui se trouvent dans telle ou telle situation en dehors de la Fédération de Russie, par l'intermédiaire de nos organes diplomatiques.
Nous avons examiné cette question à la fois au sein de la Commission gouvernementale pour les compatriotes à l'étranger et au niveau de la Commission de Russie unie pour la coopération internationale et le soutien des compatriotes à l'étranger, créée fin 2021 à l'initiative du Président Vladimir Poutine. Évidemment, toute une série de questions n'ont pas été finalisées et nous devons continuer de chercher un terrain d'entente. Il existe différents points de vue. Je suis convaincu que si nous plaçons les intérêts de nos citoyens et de leurs enfants au premier plan, nous pourrons toujours être d'accord sur tout dans nos propres cercles et entre les services, ainsi que dans nos relations avec le Parlement.
Question: Vous avez souligné que l'Occident collectif élaborait des "règles" et les imposait ensuite aux autres pays. Dans le même temps, le Ministère russe des Affaires étrangères ne les considère pas, à juste titre, comme la vérité ultime, mais poursuit sa propre politique indépendante. Dans le domaine économique, malheureusement, nous vivons toujours selon des règles budgétaires imposées de l'extérieur depuis les années 1990, en investissant les revenus de l'exportation d'hydrocarbures dans des pays étrangers, ce qui les expose à des risques géopolitiques. Il en va de même pour les règles de l'OMC, que nous continuons de respecter unilatéralement. N'est-il pas temps, dans le domaine économique, de réviser toutes ces règles et de se laisser guider par les intérêts de l'économie nationale plutôt que par des dogmes imposés de l'extérieur?
Sergueï Lavrov: Pour des raisons évidentes, cette question ne relève pas du Ministère des Affaires étrangères mais du gouvernement dans son ensemble. Nous avons des obligations internationales, et il y a une analyse régulière de la manière dont ces obligations internationales sont remplies par nous et par nos partenaires au sein de différentes structures, que ce soit le Fonds monétaire international, la Banque mondiale ou l'Organisation mondiale du commerce. Les institutions concernées et la Banque centrale évaluent dans quelle mesure cet équilibre des engagements est maintenu, et à quel point sont respectés les accords, qui dans ce cas sont des accords sur le long terme.
Nous nous efforçons (je parle au nom du Ministère des Affaires étrangères, mais il s'agit de décisions prises par le gouvernement) de réduire notre dépendance vis-à-vis du dollar. Les Américains nous "aident" activement dans ce domaine - ils font tout ce qui est possible pour saper la confiance dans cette monnaie et la rendre risquée pour les règlements internationaux, non seulement pour la Fédération de Russie mais pour n'importe quel autre pays du monde. Ils exigent que nos partenaires tels que l'Inde, l'Égypte (ce ne sont pas de petits pays) et la Turquie cessent de coopérer avec nous dans le domaine militaro-technique. Nous stimulons par tous les moyens le passage aux monnaies nationales dans nos transactions. Cette situation commence à susciter des discussions alarmées parmi les politologues et les économistes occidentaux. Nous réduisons fortement nos réserves de change en dollars. Ce processus ne passe pas inaperçu. Nos opérateurs économiques se sentent soulagés face à ces transferts de fonds. La Banque centrale a inventé un système de transfert des messages financiers, qui fonctionne. Ceux qui l'utilisent disent qu'il est très efficace. Il faut encore le peaufiner, il n'est pas aussi bien rodé que SWIFT, mais il fonctionne. Je pense que nous devrions suivre cette voie. A quel point doit-il être plus rapide? Je ne sais pas, je ne suis pas un expert en la matière. Il est important de ne pas déséquilibrer l'économie, qui, bien que critiquée de toutes parts, existe tant bien que mal et nous permet d'avancer avec suffisamment de confiance.
Question: Vous avez déjà évoqué la problématique du soutien de la langue russe dans les pays de la CEI. Le nombre d'écoles en langue russe diminue, et de nombreux établissements d'enseignement ne disposent tout simplement pas de manuels scolaires en russe. Au plus haut niveau, il a été décidé de construire des écoles dans un certain nombre de pays. Ce problème ne peut être résolu uniquement par la construction. Il faut des enseignants lettrés, capables d'enseigner professionnellement en langue russe. Nous avons commencé à travailler sur le projet de loi "Professeur des écoles" avec le soutien financier de la Fédération de Russie. Des enseignants (citoyens russes) vont être envoyés dans les pays de la CEI avec une rémunération appropriée. Quand Yevguény Primakov a pris la tête de Rossotroudnitchestvo, la situation s'est améliorée, mais le soutien de la Fédération de Russie est nécessaire. Comment envisagez-vous l'élaboration d'un projet de loi sur l'envoi d'enseignants dans les pays de la CEI et la fourniture de manuels scolaires aux écoliers? Pouvons-nous compter sur le soutien du Ministère russe des Affaires étrangères sur cette question?
Sergueï Lavrov: En répondant à la question précédente sur la langue russe, j'ai évoqué les mesures systémiques qui étaient engagées. La situation au Kirghizstan et dans un certain nombre d'autres pays a été mentionnée, où l'activité législative concerne d'une manière ou d'une autre le statut de la langue russe. Ces questions sont une priorité dans nos relations avec tous nos alliés. Au Kirghizstan et au Kazakhstan, la langue russe a un statut officiel. Nous partons du principe que nos alliés respecteront et développeront le statut officiel de la langue russe, fixé dans la loi.
L'année prochaine a été proclamée "Année de la langue russe en tant que langue de communication internationale au sein de la Communauté des États indépendants". Les préparatifs ont déjà commencé. Ce sera une bonne occasion de voir où et quelle est l'attitude à l'égard de notre grande et puissante langue, et en même temps de mettre en œuvre un certain nombre de projets positifs, dont l'un d'entre eux, que vous avez mentionné, est l'"Ecole russe" qui est en train d'être mise en place "clé en main" en particulier au Tadjikistan. Il existe un projet "clé en main" similaire en Arménie: un bâtiment est construit et une éducation russe est dispensée.
Nous formons des enseignants. L'enseignement est dispensé de deux manières: soit des enseignants se rendent sur place en rotation (jusqu'à un an) et donnent des cours magistraux, soit des enseignants d'un pays partenaire sont amenés à effectuer des stages chez nous. En principe, cela fonctionne. Je suis convaincu qu'il n'y a jamais de pénurie d'enseignants. Je pense que votre initiative est utile.
Question: Le processus d'intégration dans le cadre de l'État de l'Union de la Russie et de la Biélorussie s'est intensifié ces derniers temps. On ne peut que le saluer. En perspective: l'élection du Parlement de l'État de l'Union. Quand, à votre avis, nos pays seront-ils prêts pour les élections au Parlement de l'État de l'Union? Que pensez-vous de la proposition d'installer le centre parlementaire de l'Union dans la ville de Smolensk? Peut-être faire de Smolensk la capitale de l'État de l'Union? Cette ville bénéficie d'une situation géographique unique - exactement à équidistance entre Moscou et Minsk. Cette décision (en cas d'adoption) donnerait un énorme élan au développement de la ville et de toute la région de Smolensk.
Sergueï Lavrov: Le traité de l'Union a fixé de nombreuses tâches. Il ne s'agit pas seulement de la création du Parlement de l'Union, mais aussi d'un centre d'émission et d'une monnaie unique. Tout cela est encore une perspective. La principale priorité aujourd'hui, comme l'ont souligné les présidents des deux pays et les chefs de gouvernement, est de mettre en œuvre les 28 programmes de l'Union qui, ensemble, constituent une avancée majeure et radicale dans la promotion de l'intégration. Je sais que mes collègues du gouvernement et leurs homologues du gouvernement de la République du Belarus s'emploient activement à les mettre en pratique. Lorsque le résultat de ces travaux sera clair (il a été annoncé que cela prendrait deux ou trois ans), nous serons en mesure d'évaluer quelles devront être les prochaines étapes sur la nouvelle base matérielle, comme disent les classiques. Il est clair que la décision sera prise par les présidents, mais le Traité de l'Union est toujours là, de même que les tâches qui y sont définies. Le mouvement (compte tenu de toutes les circonstances) devra être rapide, mais aussi équilibré, afin de prendre en compte tous les facteurs qui interviennent dans une tâche d'intégration aussi cruciale.
En ce qui concerne Smolensk, ce devra être une décision commune.
Question: Un certain nombre de partenaires étrangers utilisent systématiquement, de manière agressive, le "soft power", par exemple dans les pays de la CEI, par le biais d'ONG, d'un travail avec la population, de "réseaux" de blogueurs, de journalistes, avec pour objectif de détacher ces pays de la Russie. Le Ministère des Affaires étrangères fait un grand travail. Merci. Il y a aussi nos ONG et les organes du pouvoir exécutif qui y travaillent. Il y a une fragmentation de leur travail, chacun a son propre vecteur. Par cela, nous affaiblissons notre position à l'étranger. Dans ces conditions, des mesures décisives s'imposent: unir l'État, impliquer les ONG, assurer un suivi, établir une feuille de route. Peut-être faut-il renforcer les pouvoirs de Rossotroudnitchestvo, allouer des fonds supplémentaires à la politique humanitaire, créer une organisation à but non lucratif coordonnée, comme l'Institut Goethe, qui ferait la promotion conjointe de la langue russe, du code culturel de la Russie, renforcer le travail en matière de soutien au développement international, augmenter les quotas d'étudiants dans nos universités, vérifier les manuels de langue russe? Quelles sont les possibilités de coopération avec le Ministère dans ce domaine?
Sergueï Lavrov: J'ai déjà dit que le "soft power" (à défaut d'un terme plus reconnaissable) était aujourd'hui l'une des sphères les plus importantes et l'un des outils les plus importants de l'activité internationale. Vous avez raison, il y a des années, une politique a été adoptée (elle a désormais atteint une ampleur très importante) sur l'introduction d'organisations non gouvernementales et de fondations dans la politique mondiale et sur l'imposition aux autres pays de modèles de développement intéressant l'Occident. En règle générale, dans l'écrasante majorité des cas, il est intéressé à développer nos pays voisins d'une manière qui les "arracherait" à la Fédération de Russie et, dans des zones plus éloignées, d'une manière qui ne disposerait pas le pays à avoir une attitude amicale envers nous et envers la République populaire de Chine. Nous comprenons tout cela. La grande majorité de ces organisations à but non lucratif a été créé grâce à l'argent de l'État. L'Agence américaine pour le développement international, le Foreign and Commonwealth Office au Royaume-Uni et d'autres structures qui existent grâce aux fonds budgétaires redistribuent ces mêmes fonds à des ONG dirigées, en règle générale, par d'anciens fonctionnaires de nos homologues occidentaux. Nous avons moins d'expérience. Il y a eu une expérience en URSS: la Fondation soviétique pour la paix, d'autres ONG et des organisations de jeunesse. Comparé à ce qui se passe actuellement, c'est une goutte d'eau dans l'océan. Nous avons spécialement créé la Fondation Gortchakov de soutien à la diplomatie publique. Selon sa charte, elle est appelée à financer les ONG russes qui souhaitent s'internationaliser. Il n'y a pas beaucoup d'argent. Tout le monde le sait. Les budgets de structures similaires à notre Rossotroudnitchestvo ou à l'Institut d'État Pouchkine de la langue russe dans les principaux pays étrangers nous placent bien loin derrière dans ce domaine. Le problème est bien connu. Nous nous en occupons. Il y a un soutien de principe de la part du Président. Ces dernières années, les fonds alloués ont augmenté progressivement. Nous continuerons d'insister sur une augmentation plus substantielle.
Question: Le Ministère des Affaires étrangères envisage-t-il de développer la "diplomatie communautaire" dans ses relations avec les autres pays? Il existe de nombreuses contradictions qui sont difficiles à résoudre au niveau interétatique. Est-il possible de les résoudre d'une manière ou d'une autre par des canaux de communication supplémentaires sur les questions environnementales, l'éducation, les droits de l'homme ou encore la médecine? Cela permettrait d'apaiser les tensions que la diplomatie officielle ne parvient pas à gérer actuellement, et donc d'améliorer l'image de notre pays. Envisagez-vous la possibilité de créer une agence spécialisée?
Sergueï Lavrov: Je n'ai pas très bien compris ce que vous entendiez par "diplomatie communautaire". C'est pourquoi, avant de répondre à la question de savoir si je suis prêt à soutenir la création d'une agence sur ce thème, je voudrais comprendre de quoi il s'agit. Si c'est ce que nous appelons aujourd'hui la diplomatie sportive, la diplomatie scientifique (mais pas la diplomatie des "canonniers"), alors il s'agit des communautés de scientifiques, de sportifs et du mouvement de jeunesse. Elles se forment actuellement de manière active, et ce sans aucune incitation d'"en haut". Si c'est ce dont vous parlez, nous devons le soutenir. D'autant plus qu'il n'y a pas besoin d'un soutien particulier. Les passionnés se réunissent et développent activement leurs connexions internationales.
C'est la première fois que j'entends le terme "diplomatie communautaire". Si vous nous envoyez une note explicative, nous y répondrons certainement. Nous pourrons en parler plus concrètement.
Question: Un nombre non négligeable de nos compatriotes sont détenus et privés de liberté à l'étranger. Je voudrais attirer l'attention sur les situations où nos citoyens sont détenus dans des centres de détention provisoire pendant de longues périodes. Cette situation n'est pas rare, a une géographie étendue et affecte la vie de centaines de Russes. En particulier, on compte des poursuites pénales à l'encontre de nos citoyens en Inde, en Grèce, en Chine, aux États-Unis et dans un certain nombre d'autres pays. Quelles mesures le Ministère russe des Affaires étrangères prend-il pour protéger les droits et les intérêts de nos compatriotes détenus à l'étranger, souvent pour des motifs fallacieux?
Sergueï Lavrov: Il s'agit d'une question sérieuse qui occupe beaucoup de temps dans notre travail et dans nos relations avec les organes d'application de la loi de la Fédération de Russie, surtout avec le Bureau du procureur général et le Comité d'enquête.
Nous insistons pour qu'il y ait un accès immédiat à ces personnes. Il s'agit souvent de prétextes fallacieux et de provocations pures et simples, comme le font les États-Unis à l'égard de nos concitoyens Viktor Bout, Konstantin Iarochenko, Roman Selezniev et bien d'autres. Il s'agit d'un problème à multiples facettes, notamment en ce qui concerne la nécessité de faire respecter les accords sur l'assistance juridique dans les affaires pénales, que les États-Unis évitent catégoriquement. En violation flagrante de ses obligations, Washington ne nous informe pas des soupçons qui pèsent sur nos citoyens. Il s'agit avant tout de la cybercriminalité. Au lieu de cela, les Etats-Unis demandent au pays où vivent ces personnes de les arrêter puis de les extrader. Les pays d'accueil (principalement européens) sont généralement incapables de s'opposer à cet "aîné" de l'autre côté de l'océan.
Il y a aussi des cas où nos citoyens violent les lois du pays où ils se trouvent. Il existe des situations sortant vraiment de l'ordinaire. Par exemple, au Sri Lanka, nos scientifiques attrapaient des coléoptères. Il s'est avéré qu'ils avaient attrapé des insectes reliques, qui faisaient l'objet d'un culte religieux là-bas. Il a fallu presque un an et demi pour qu'ils soient libérés. Au final, tout s'est bien passé. Ils ont été condamnés à une peine de prison avec sursis et à une amende. Notre communauté d'affaires a pris l'initiative de payer l'amende.
Il faut prendre connaissance des lois du pays d'accueil avant de vous y rendre. Il existe une section dédiée à chaque pays sur le site du Ministère russe des Affaires étrangères. Nous demandons à nos citoyens de prendre davantage de précautions. Recommandation générale: réfléchissez-y à deux fois si vous avez eu des "relations" qui pourraient intéresser les États-Unis - nous ne pouvons pas prévoir tous les cas. Chacun décide pour lui-même, en connaissant les habitudes inacceptables et agressives que Washington utilise aujourd'hui. Il y a là tout un travail sur les cas (comme nous le faisons avec Viktor Bout, Konstantin Iarochenko et d'autres "prisonniers" aux USA), l'exigence de respecter les obligations légales internationales et d'observer la plus grande prudence dans la situation difficile actuelle quand quelqu'un, surtout avec quelques connaissances, d'anciens "contacts" dans les pays occidentaux, est sur le point de partir à l'étranger.
Question: Que montre l'analyse des "révolutions de couleur", en particulier des événements récents en Biélorussie, en Moldavie et au Kazakhstan? D'une part, que les ONG gérées par les ambassades de nos "partenaires inamicaux" sont un outil pour organiser des manifestations de masse. D'autre part, qu'un grand nombre d'étudiants étudient aux frais du budget. Par exemple, ces 20 dernières années, 100.000 Biélorusses ont été formés en Pologne et 20.000 Moldaves en Roumanie. Depuis 20 ans, tous les cadres des services spéciaux et du secteur de la défense des républiques d'Asie centrale ont été formés en Turquie ou aux États-Unis, ce qui constitue un outil pour continuer à nous mettre sur la touche. Ne pensez-vous pas qu'il serait juste d'augmenter les quotas, tant dans les universités militaires que civiles?
Sergueï Lavrov: Je pense que c'est très important. Ces travaux sont menés au niveau des universités civiles et militaires (Ministère de la Défense, Ministère de l'Intérieur).
Je conviens que les chiffres absolus ne sont pas encore comparables aux exemples donnés. Ce n'est pas la première année que le Ministère russe des Affaires étrangères préconise une politique plus généreuse. Nous économisons sur les dépenses supposées courantes. En réalité, nous économisons "à long terme" sur notre propre sécurité et la stabilité de notre environnement. Nous soutenons cette démarche.
Question: Difficile de ne pas s'inquiéter pour l'avenir de l'Union eurasiatique. Il y a trois semaines, une soudaine attaque terroriste a visé des bâtiments administratifs à Almaty. Heureusement que nous n'avons pas seulement un "soft power" mais un vrai "hard power" sous la forme des unités militaires de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Selon le traité sur l'Union économique eurasiatique, c'est à Almaty que doit être installé, en 2024, le régulateur supranational uni dans le domaine de la politique financière. Tout va bien en matière d'intégration uniquement au niveau des décisions du Conseil économique suprême de l'Eurasie. Au niveau des agences nationales des pays de l'UEE, l'intégration est insuffisante. Les décisions déjà prises sont sans cesse retardées, reportées et reprogrammées.
La crise des tarifs gaziers au Kazakhstan a montré ce à quoi menait une perception étroite de l'intégration - à une simple zone de libre-échange améliorée. Même les réglementations douanières continuent d'être un instrument de préservation des revenus de la corruption nationale.
Sergueï Lavrov: L'Union économique eurasiatique est encore une jeune association, même si elle s'est déjà imposée comme une association d'intégration. Elle attire de plus en plus de candidats à coopérer avec elle, notamment par des accords sur des zones de libre-échange. Si l'on regarde à quel stade de développement se trouvait l'Union européenne après une période comparable suite à sa création, c'est très révélateur.
Je suis d'accord pour dire qu'il est nécessaire d'agir de manière plus active et créative. En tant que plus grand pays de l'Union économique eurasiatique, la Russie doit être et se sent responsable de son développement effectif. Il y a inévitablement des aspects liés aux subventions. Le Fonds eurasiatique spécial et la Banque eurasiatique ont été créés. Leurs activités sont constamment améliorées. Je pense que c'est l'un de nos instruments clés, que nous devons promouvoir.
Au sein de l'Union économique eurasiatique, les questions examinées doivent être reliées à l'activité de l'OTSC. En particulier dans le domaine de la sécurité biologique. Ce domaine fait référence à la recherche en matière de santé mais dans les faits, la plupart de nos voisins disposent de laboratoires biologiques américains (du Pentagone). Il est difficile de comprendre ce qui s'y passe. Nous finalisons actuellement le processus de négociations avec tous nos voisins concernés qui possèdent de tels laboratoires, afin qu'ils travaillent de manière transparente et qu'il n'y ait pas de militaires étrangers sur place, car il ne s'agit plus d'une question médicale et sanitaire mais d'agents pathogènes pouvant être utilisés comme des substances militaires.
C'est un exemple qui devrait pousser à la nécessité d'harmoniser l'ordre du jour de l'UEE, de l'OTSC, de la CEI et globalement de toutes nos associations dans l'espace post-soviétique.
Question: Nous soutenons totalement le travail du Ministère russe des Affaires étrangères en matière de soutien aux compatriotes. Il est énorme. Il est encore loin d'être idéal, mais cela ne signifie pas qu'il ne faut pas le mener. Les droits des compatriotes qui sont déjà citoyens de la Fédération de Russie mais qui vivent en dehors de notre pays suscitent des questions spécifiques. Il suffit de dire que le parti "Russie juste - pour la vérité" est soutenu par près de 2 millions d'électeurs résidant de manière permanente en dehors de la Fédération de Russie. Les pays de l'étranger proche sont particulièrement concernés. Quelles garanties supplémentaires de l'État ou quelles modifications législatives sont nécessaires pour protéger pleinement les droits et les intérêts des citoyens de la Fédération de Russie qui vivent sur son territoire? Peut-être une réglementation législative supplémentaire est-elle nécessaire? Nous sommes prêts à vous écouter et à vous soutenir.
Sergueï Lavrov: Si un compatriote réside en permanence dans un autre pays tout en restant citoyen russe, et qu'il lui arrive quelque chose là-bas (de bien ou de moins bien), alors, comme dans notre pratique d'application de la loi, puisqu'il est une personne de double nationalité, il est soumis à la loi de l'État sur le territoire duquel il se trouve. Nous agissons de la même manière.
Il y a des cas particuliers. Par exemple, l'État de l'Union de la Russie et de la Biélorussie. Il existe un accord spécial pour l'"équilibrage" des entités économiques, des opérateurs économiques et des citoyens dans tous les domaines. Beaucoup a été fait, mais pas jusqu'au bout. C'est l'une des possibilités pour avancer dans la protection des droits. Dans d'autres cas, lorsqu'il n'existe pas de documents à grande échelle stipulant que tous les droits doivent être égaux pour les citoyens des deux pays, des accords séparés doivent être conclus.
Si vous avez des exemples de situations qui compliquent la vie de nos citoyens dans les pays voisins de la Russie, je vous serais reconnaissant de nous en faire part. Nous réagirons.
Question: Avant le Nouvel An, j'étais à Tiraspol et j'ai parlé à nos compatriotes (ils sont environs 200.000 à vivre dans cette ville). Le sujet le plus "brûlant" est celui du remplacement des passeports et de la délivrance de nouveaux. En 2020-2021, année de pandémie, le travail du bureau consulaire a été suspendu. Une énorme file d'attente s'est formée. Il n'y a pas assez de ressources. Est-il possible de renforcer l'assistance consulaire à cet endroit précis afin de supprimer la file d'attente? Des mesures de soutien supplémentaires à nos compatriotes sur place sont-elles envisageables? Il n'est un secret pour personne qu'un certain nombre d'États entourant cette région mènent également des actions facilitatrices pour inciter nos citoyens à recevoir un autre passeport.
Sergueï Lavrov: Vous avez évoqué les raisons de cette situation. Pendant un an et demi (jusqu'à l'été dernier) la région était en état d'urgence. Les services consulaires ont été gelés pour des raisons épidémiologiques. Depuis l'été 2021, le service a été rétabli. Une file d'attente s'est accumulée (de plusieurs dizaines de milliers de personnes), principalement pour des demandes de passeport.
Dès que la situation relative à la pandémie l'a permis, une inspection a été rapidement envoyée sur place. Elle a visité Tiraspol, tout étudié en détail et fait des suggestions sur l'équipement et le personnel nécessaires qui devraient être envoyés sur place pour aider le poste consulaire temporaire. Je pense que la file d'attente se réduira dans un avenir très proche.
Question: Le parti Russie Unie a un projet fédéral, "Mémoire historique". Il accorde une attention particulière à la préservation des tombes de guerre. Nous suivons la situation à l'étranger. Le ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie met en œuvre toutes ses compétences pour commémorer nos soldats enterrés sur le territoire de pays étrangers. Le cadre juridique pour la mise en œuvre de ces compétences est-il suffisamment efficace? Quels efforts le ministère déploie-t-il ? Y a-t-il des difficultés, des obstacles? Comment la Douma d'État de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie peut-elle aider dans ce domaine? Peut-être ce sujet pourrait-il être abordé par la Commission de Russie unie pour la coopération internationale?
Sergueï Lavrov: On peut le faire. Toutefois, je ne dirais pas que la situation dans ce domaine nécessite des mesures urgentes. Le Ministère russe de la Défense dispose d'un département spécial chargé de la commémoration militaire. Ils ont des représentants dans les pays où il existe de nombreux sites et monuments funéraires, principalement dans les pays d'Europe de l'Est. Je ne vois pas la nécessité de prendre des mesures extraordinaires ici. Le gouvernement alloue régulièrement les fonds nécessaires. Les éventuels "contretemps" sont généralement liés à des cas isolés (il n'y en a pas beaucoup) concernant la réglementation juridique de tel ou tel site funéraire.
Nous attendons aujourd'hui une solution positive définitive de la part de nos voisins japonais sur la question de la sépulture de Richard Sorge. Il y a une initiative visant à le réenterrer sur notre territoire - dans la région de Sakhaline, au Sud de la crête des Kouriles. Il y a beaucoup de détails. Ce sujet fait partie des questions écrites qui nous ont été transmises. Des réponses détaillées ont été données.
Merci de l'attention que vous portez à ce sujet. Nous le suivons en permanence. À mon avis (peut-être avec vous un sentiment différent), aucune mesure extraordinaire n'est nécessaire ici. Les travaux se déroulent selon les plans.
Merci pour les bonnes paroles qui nous ont été adressées.
Comme cela a été exprimé à l'instant dans les discours, nous aurions pu nous concentrer un peu plus sur les questions géopolitiques importantes. J'espère que les réponses aux questions purement utilitaires posées par écrit hier seront utiles dans le travail quotidien des députés.
Guennadi Ziouganov a parlé du monde russe dans l'espace post-soviétique. Je suis totalement convaincu que c'est notre patrimoine. C'est le patrimoine légal de notre histoire et de notre développement. Nous devons tout faire pour que ces personnes n'y ressentent aucun inconfort. Ce thème continuera d'être une priorité dans nos contacts avec les gouvernements des pays concernés. Les citoyens de deux pays doivent se sentir absolument en sécurité et à l'aise sur le territoire de leur voisin. Il y a beaucoup de questions ici. Elles sont régulièrement rapportées dans les médias de notre pays et de nos voisins. Cela exige une attention constante. Je le confirme.
Vladimir Jirinovski a déclaré que le Ministère des Affaires étrangères s'occupait de ce qui se passait à l'extérieur de la Russie, et qu'il n'était donc pas nécessaire de poser des questions sur ce qui se passait à l'intérieur du pays. Nous ne pouvons pas dissocier la politique étrangère de notre développement intérieur, ne serait-ce que parce que l'objectif principal fixé par le Président Vladimir Poutine est de créer les conditions les plus favorables possibles sur la scène extérieure pour renforcer la sécurité du pays et de ses citoyens et pour assurer un développement économique et social progressif.
Nous coopérons étroitement avec les membres du Gouvernement, avec les structures qui sont impliquées dans la résolution des tâches fixées par le Président pour notre économie, la sphère sociale, l'éducation aux soins de santé, et la science. Plus le pays se développera, plus nous serons en mesure de défendre efficacement nos intérêts sur l'arène mondiale.
La situation de notre complexe militaro-industriel en est la preuve la plus évidente. Il a fait une énorme percée lorsque les forces armées russes sont devenues ce qu'elles sont aujourd'hui. La tonalité de la conversation avec nous a changé.
Cela ne signifie pas qu'il faille recourir à la force brute pour tout. Comme le dit un proverbe américain: "Quand tu as un colt dans ta poche, on commence à te parler poliment".
Vladimir Jirinovski a déclaré que beaucoup de ceux qui avaient étudié en Union soviétique étaient réprimés. Il y a eu de tels cas. Beaucoup ont été victimes de discrimination dans l'ancien camp socialiste simplement parce qu'ils étaient diplômés du MGIMO ou d'autres universités soviétiques. Mais un certain nombre de ces diplômés sont aujourd'hui au pouvoir dans leur pays. Ne l'oublions pas non plus.
Depuis plusieurs années, nous suivons impérativement l'évolution de ceux qui sont sortis de nos universités. C'est aussi une chose importante, qui nous permet de mieux comprendre comment structurer notre travail futur.
Sur l'Ukraine. Oui, l'Occident "attise" l'hystérie: ils parlent d'évacuation tout en livrant des armes et en attisant en permanence l'élite ukrainienne. Bien que l'élite ukrainienne, à mon avis, ait déjà un peu peur d'être trop intimidée par l'Occident lui-même. Vladimir Zelenski, le Ministre des Affaires étrangères, le Secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense et le Ministre de la Défense disent qu'ils ne voient rien de spécial. Ils disent que la Russie est sur leur territoire. Pour eux, ce n'est pas une nouvelle. Ils proposent de ne pas faire monter la tension et de se calmer. L'Occident ne veut pas qu'ils se calment et il ne se calme pas lui-même. Voilà de quoi il s'agit. L'Occident veut une vraie provocation.
Le but de ce comportement un peu surréaliste de l'Occident? L'évacuation. En même temps, ils disent: prenez les armes, les munitions. Ils nous menacent de "sanctions infernales" - la "mère de toutes les sanctions" nous tombera bientôt dessus. Il est clair pour moi que tout cela a pour but d'amener le régime de Kiev à déclencher une opération de force dans le Donbass ou à enterrer définitivement les Accords de Minsk, malgré les appels de Paris, Berlin et Washington qui affirment qu'il s'agit de la manière la plus sûre de résoudre le conflit.
Dans nos arguments - dont nous avons parlé aujourd'hui et qui sont regroupés dans nos propositions sur les garanties de sécurité - il n'y a pas un seul mot, pas une seule ligne ne reflétant pas les engagements que l'Occident a déjà pris sous la forme de documents politiques. C'est bien le cas. Nos initiatives sont un condensé de l'expérience des trente dernières années de communication avec l'Occident, de ce qui a été "promis", "oublié", "ah, ça n'est jamais arrivé", ou "ça l'était, mais c'était à l'oral". Très bien - maintenant, mettons cela par écrit. Mais par écrit, ils ne s'y conforment pas. Pourquoi pas? Parce que c'est un "engagement politique". Oui, mais il s'agit d'un engagement politique au niveau des Présidents et des Premiers ministres. Mais pour eux, ce n'est pas juridiquement contraignant.
2009. Ils suggèrent que tout ce qui a été déclaré politiquement devienne juridiquement contraignant. Ils se grattnt la tête, puis déclarent que des garanties de sécurité juridiquement contraignantes ne peuvent être données qu'aux membres de l'Otan. Nous demandons pourquoi l'OSCE a alors "brassé l'air". Dans la Charte de sécurité européenne adoptée à Istanbul en 1999, la déclaration du sommet de l'OSCE à Astana en décembre 2010 (nous l'avons dit à plusieurs reprises à nos collègues, y compris quand j'ai parlé à Antony Blinken à Genève, documents en mains): la formule de l'indivisibilité de la sécurité y figure noir sur blanc. Elle est très simple.
Premièrement, chaque pays a le droit de choisir et de modifier ses alliances pour assurer sa propre sécurité. Deuxièmement: aucun pays n'a le droit de renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres. Nous montrons à nos partenaires cette formule, qui a été confirmée deux fois au plus haut niveau à l'OSCE. Ils disent: oui, l'indivisibilité de la sécurité est importante, et aucun pays ne peut être privé du droit de choisir ses alliances militaires. Nous répondons: oui, c'est écrit dans la première phrase. Dans la seconde, juste là, dans le même paragraphe, il est dit: aucun pays n'a le droit de renforcer sa sécurité au détriment des autres.
C'est-à-dire qu'ils interprètent le premier point - le droit de choisir des alliances - en pratique comme le droit d'adhérer à l'Otan. Le deuxième point, qui dit que personne n'a le droit de renforcer sa sécurité au détriment des autres, comment l'expliquent-ils en pratique? Comment se traduit-il aujourd'hui quand il est question de l'élargissement de l'Otan? Silence de mort.
Nous avons abandonné l'espoir d'obtenir une quelconque réponse cohérente. Je voudrais faire de cette question concrète - comment considèrent-ils les formulations absolument sans équivoque - l'objet d'un appel à tous les ministres des Affaires étrangères des pays qui ont signé sous cette formulation.
La réponse à nos questions, comme mentionné aujourd'hui, est attendue cette semaine. Il y a lieu de croire que, cette fois, ils ne nous laisseront pas tomber et qu'ils tiendront parole.
On a parlé du fait que les Américains disaient déjà de ne montrer cette réponse à personne. Je pense que s'ils ont cette attitude vis-à-vis de tout ce qui se passe, nous ne pourrons probablement pas publier leur document. Mais l'essence de la réaction à nos documents mérite que le public de Russie et d'autres pays en soit informé. Je suis sûr que nous pourrons le faire.
Merci encore pour vos bonnes paroles. Je confirme notre objectif de travailler aussi étroitement que possible avec les députés.
Un merci spécial à l'arrière. Nous serons prêts à travailler ensemble et en première ligne.