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Allocution du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov au cours de la conférence de presse-bilan de la présidence russe au Conseil de sécurité des Nations unies, New York, 1er octobre 2015

1877-01-10-2015

 

Mesdames et messieurs,

La présidence de la Russie au Conseil de sécurité des Nations unies s'est achevée hier. Elle a coïncidé avec le 70e anniversaire de l'Onu et les activités au sommet que cela implique. Les Nations unies ont prouvé leur efficacité comme un outil efficace de règlement des conflits, de réaction aux conflits globaux, qui permet de combiner et coordonner les positions de divers États et de leurs associations.

La Russie, co-fondatrice de l'Onu, est un membre permanent du Conseil de sécurité. Nous avons adopté une approche responsable lors de notre présidence, cherché à promouvoir un ordre du jour positif, à élaborer des mesures collectives s'appuyant sur les principes de la Charte de l'Onu. Notre présidence s'est déroulée dans un contexte de dégradation continue de la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de sursaut du terrorisme et de l'extrémisme, y compris de l'activité de l’État islamique. Il y a un an déjà, nous avions proposé de procéder à une analyse complexe de la situation dans la région avec un accent sur le lien entre le règlement des conflits sur son territoire et la lutte contre la menace terroriste. Sur la base de cette initiative nous avons organisé hier la réunion ministérielle du Conseil de sécurité. Durant le débat, nous avons entendu divers points de vue – vous avez certainement pu suivre le déroulement de la discussion – mais nous sommes unanimes sur une chose: la menace terroriste frappe déjà à notre porte et fait peser un risque non seulement sur la région, mais aussi sur les pays frontaliers et ceux qui se trouvent loin du Moyen-Orient et de l'Afrique Nord.

Dans ce contexte, il me semble, beaucoup ont accueilli positivement et avec intérêt l'initiative du Président russe Vladimir Poutine de former un large front antiterroriste s'appuyant sur les normes du droit international et de la Charte de l'Onu, avec l'accord et en coopération étroite avec les États de la région qui endossent le principal fardeau de la lutte contre les terroristes et les extrémistes. Nous avons soumis hier aux membres du Conseil de sécurité des Nations unies un projet de résolution qui, d'après nous, pourrait servir de base pour poursuivre les discussions afin de former une compréhension générale des approches de la lutte antiterroriste. Nous espérons que la présidence espagnole de ce mois-ci lancera le travail sur ce projet.

En septembre, une attention particulière a été accordée à la crise migratoire qui a frappé le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord et qui a touché directement l'Europe. A l'initiative des pays de l'Union européenne, on se penche sur un projet de résolution qui permettrait de prendre les premières mesures pour neutraliser ces menaces et risques, ce défi très grave. Nous sommes satisfaits que le projet de résolution sous sa forme actuelle, après de nombreux cycles de négociations, ait acquis une forme qui nous semble correcte. Il est construit dans la lignée du respect du droit international et ses formulations excluent une large interprétation du mandat contenu dans ce projet de résolution. J'espère que les membres du Conseil de sécurité des Nations unies qui ont encore des questions sur d'autres chapitres de ce document, pourront également les peaufiner avec les coauteurs, et que nous adopterons cette résolution dans un avenir prévisible.

Nous avons activement travaillé sur le dossier chimique syrien – la création d'un mécanisme commun de l'OIAC et de l'Onu pour enquêter sur l'usage de produits toxiques comme arme chimique en Syrie est passée dans la phase pratique. Nous cherchons également à étendre l'action de ce mécanisme sur le territoire irakien, où il existe déjà plusieurs faits confirmés d'usage de produits toxiques par l’État islamique et d'autres terroristes.

Nous avons organisé une réunion spéciale du Conseil de sécurité sur les conséquences humanitaires de la crise syrienne. Nous avons également examiné la situation dans d'autres pays de la région, notamment au Yémen. Il y a eu plusieurs discussions à ce sujet. Au Conseil de sécurité, nous sommes unanimes quant à la nécessité de stopper immédiatement les opérations, à l'absence d'alternative à un processus politique à travers un dialogue national inclusif avec la médiation de l'Onu.

Le 4 septembre, nous avons adopté une déclaration condamnant l'attentat du 2 septembre à Sanaa, ainsi que l'assassinat de deux membres du CICR. Malheureusement, nous n'avons pas réussi à mettre au point la déclaration initiée par la Russie le 21 septembre par rapport à l'escalade de la violence et la hausse des destructions par les raids aériens contre des quartiers résidentiels dans plusieurs villes. Nous avons adopté une résolution prolongeant d'un an le mandat de la Mission de l'Onu au Liberia, où la situation se stabilise. Nous comprenons tous que nous nous dirigeons vers la réduction progressive du personnel de cette mission et l'éventuelle fin de son activité. Nous avons adopté une résolution qui a prolongé le mandat de la Mission d'appui de l'Onu en Libye. Le document confirme que la situation actuelle dans le pays, qui se caractérise par l'éclatement entre deux camps belligérants et l'élargissement des territoires pris par l'EI, demande des efforts plus résolus de la communauté internationale pour trouver des solutions politiques et diplomatiques à cette crise. Nous soutenons activement le représentant spécial du Secrétaire général Bernardino Leon et nous espérons que ses démarches pour mettre en place le processus de paix seront couronnées de succès.

Nous avons évoqué les questions relatives aux relations entre le Soudan et le Soudan du Sud et la situation dans la région d'Abiye, au Soudan. Tout le monde a noté que les perspectives de normalisation de la situation au Soudan du Sud laissaient espérer un progrès positif dans le processus de paix inter-soudanais et dans le règlement du problème d'Abiye. Plusieurs membres du Conseil ont salué les efforts actifs de la Russie pour contribuer à ces processus. En septembre, pour la première fois, Moscou a accueilli des consultations trilatérales avec la participation des ministres des Affaires étrangères du Soudan et du Soudan du Sud pour normaliser les relations entre les deux pays. Nous avons entrepris cette mission de médiation en soutien aux efforts de l'Union africaine et de ses médiateurs spéciaux.

Une réunion élargie a été organisée sur l'Afghanistan, où a été relevé un sursaut sans précédent de l'activité terroriste. Nous avons aussi souligné les statistiques constamment élevées des victimes civiles à cause des opérations. Nous sommes persuadés, et c'est l'avis de tous les membres du Conseil de sécurité des Nations unies, que les perspectives du processus de paix en Afghanistan restent, malheureusement, floues. Nous sommes préoccupés par la situation tendue aux frontières afghano-tadjike et afghano-turkmène, où se manifestent divers groupes extrémistes comme l'EI, ainsi que par la hausse continue de la production de stupéfiants et du trafic de drogues depuis le territoire afghan. Je voudrais noter en parallèle que des préoccupations similaires ont été exprimées au cours de la réunion à huis clos consacrée à l'activité du Centre régional des Nations Unies pour la diplomatie préventive en Asie centrale (UNRCCA).

Le nombre de questions à l'ordre du jour du Conseil de sécurité des Nations unies ne diminue pas. Il me semble que le mois de septembre a suscité beaucoup d'activité et d'intérêt. Du moins, nous nous comprenons mieux, notamment en ce qui concerne la menace terroriste au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Nous espérons que nos collègues espagnols, qui président le Conseil de sécurité ce mois-ci, poursuivront les débats sur ces problèmes pour parvenir, à terme, à de nouveaux accords.

Merci. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Question: Au nom de l'association des correspondants de presse de l'Onu, permettez-moi de vous remercier de votre conférence de presse, qui est si utile, aujourd'hui. Vous avez évoqué le projet de résolution qui stipule que les États subissant les attaques terroristes doivent faire partie de la coalition antiterroriste. Pensez-vous qu'une telle résolution a des chances d'être soumise au vote à court terme?

Sergueï Lavrov: Le processus diplomatique a déjà connu l'exemple de nombreuses résolutions qui semblaient initialement irréalistes, mais je ne sais pas comment on peut contester une proposition très simple. Si un État fait l'objet d'une attaque terroriste, alors comment peut-on le laisser en dehors des efforts collectifs pour l'empêcher? Premièrement, cela contredit le droit international et les principes de la Charte de l'Onu et, deuxièmement, ce n'est pas pratique. Ceux qui se font attaquer et se défendent (si vous voulez combattre les mêmes extrémistes qui ont commis cette attaque) doivent coopérer avec tous ceux qui les combattent.

Question: Je voudrais poser une question sur la création de l’État palestinien. La Russie contribuera-t-elle à court terme à sa création?

Sergueï Lavrov: Vous le demandez comme si la Russie était la seule à ne pas chercher l'adoption d'une solution à deux États. C'est notre position et elle est fixe. Depuis l'époque de l'URSS déjà, à la fin des années 1980, notre pays reconnaît l’État palestinien. Notre position reste inchangée. A mon avis, personne ne pense que ce problème est dans l'impasse à cause de la Russie. Nous venons de nous entretenir avec les ministres des Affaires étrangères du Conseil de coopération du Golfe (CCG). J'ai également rencontré les dirigeants de la Ligue arabe, le Secrétaire général de cette organisation – tout le monde exprime à l'unanimité sa reconnaissance pour la position continuelle et inchangée de la Russie sur le problème palestinien.

Question: La coalition américaine affirme qu'elle combat l'EI. Vous dites que la Russie mène des frappes aériennes contre les terroristes. Quels groupes concrètement, hormis l'EI, considérez-vous comme terroristes en Syrie?

Sergueï Lavrov: Celui qui ressemble à un terroriste et se comporte comme un terroriste est un terroriste. Je rappelle que nous avons toujours dit que nous combattrions l’État islamique et d'autres groupes. Les USA adoptent la même position. Les représentants du commandement de la coalition ont toujours dit que leur cible était l'EI, le Front al-Nosra et d'autres organisations terroristes. C'est dans l'ensemble notre position également. Nous sommes d'accord à ce sujet.

Question: Pouvez-vous confirmer que la Russie coordonne entièrement ses opérations militaires en Syrie pour combattre le terrorisme avec la coalition occidentale? La Russie compte-t-elle jouer le premier rôle dans ce combat?

Sergueï Lavrov: Il ne faut pas interpréter mes propos de manière erronée – j'ai dit ce que j'ai dit. Je le répète: en ce qui concerne les tâches de la coalition et des objectifs annoncés de la Fédération de Russie, nous avons des approches similaires – c'est l'EI, le Front al-Nosra et d'autres organisations terroristes.

Question: Vous venez de mentionner la réunion ministérielle avec des représentants du CCG et d'autres pays arabes. Ont-ils commenté la position de la Russie par rapport à Bachar al-Assad? Doit-il partir ou rester? Pourquoi la Russie soutient-elle Damas, l'Iran, le Hezbollah? Cela donne l'impression que vous entrez dans la guerre civile de leur côté, tandis que tous les pays du Golfe tentent de construire de nouvelles relations avec la Russie, de trouver ensemble une issue à cette situation.

Sergueï Lavrov: C'est une vision très erronée. Nous avons clairement expliqué que l'objectif de notre opération, menée à la demande du Président syrien Bachar al-Assad avec l'autorisation du Conseil de la Fédération accordée au Prédisent russe conformément à la Constitution russe, était le terrorisme. Nous ne soutenons pas ceux qui combattent leur propre peuple, nous combattons le terrorisme. Si je comprends bien, la coalition menée par les USA a proclamé que l'ennemi était l'EI et d'autres groupes terroristes. La Russie fait la même chose.

D'une manière ou d'une autre certains cherchent à présenter les actions de la coalition comme contribuant au processus de paix, alors que les actions de la Russie, qui se bat contre les mêmes individus, sont interprétées comme un soutien au régime. C'est complètement malhonnête. Je suis certain que cette situation nécessite un journalisme honnête, qui ne fait pas l'impasse sur les nombreuses explications du Président russe Vladimir Poutine et du gouvernement russe données au public et aux médiaux mondiaux.

Question: Êtes-vous parvenus à des accords pendant la réunion avec les représentants des pays arabes?

Sergueï Lavrov: Nous avons trouvé un terrain d'entente sur plusieurs sujets, y compris la nécessité de combattre le terrorisme et de contribuer au processus de paix en Syrie en stricte conformité avec le Communiqué de Genève, sur la base d'une entente réciproque entre le gouvernement syrien et un large spectre de l'opposition syrienne.

Question: La Russie a bombardé des groupes d'opposition soutenus par la CIA. Vous les considérez comme des groupes terroristes?

Sergueï Lavrov: Vous en parlez comme si c'était un fait. Vous avez un élément que j'ignore? Au point culminant de la crise ukrainienne, largement couverte, certaines chaînes respectables diffusaient des images soi-disant tournées en Ukraine. Quelques temps plus tard elles ont présenté leurs excuses en annonçant que les images avaient été tournées plusieurs années avant en Irak.

Le Ministère russe de la Défense a présenté un rapport intégral indiquant que les cibles annoncées avaient été détruites. Or les cibles étaient des dépôts, des armements et d'autres sites de l'EI.

Question: Je parle au nom de ceux qui se souviennent de vous en tant que Représentant permanent de la Russie auprès de l'Onu – bienvenue à l'Organisation des Nations unies.

Est-ce que la Russie coordonne ses frappes aériennes avec les USA? Je sais que vous en avez parlé avec John Kerry, et vos partenaires français. Existe-t-il une stratégie politique et militaire commune? Que pourriez-vous répondre à ceux qui disent que les opérations militaires menées actuellement par la Russie sont une stratégie visant à détourner l'attention des événements en Ukraine?

Sergueï Lavrov: Je ne commenterai pas ce que certains individus à l'imagination malade disent dans les médias. On peut toujours trouver une interprétation complètement absurde aux événements. J'espère que vous ne partagez pas leur point de vue et que personne dans cette salle ne pense que nous combattons le terrorisme pour détourner l'attention de l'Ukraine. J'espère que ce n'est pas le cas.

Certains gouvernements et représentants politiques n'arrivent pas à gérer plus d'une chose à la fois, mais la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord demande une réaction urgente. Nous savons que l'EI s'étend. Cela fait plus d'un an que la coalition y travaille, mais le territoire contrôlé par Daesh s'est agrandi, et les ambitions de l'organisation ne s'arrêtent pas là. Quant à la coordination, j'ignore pourquoi vous soulignez la participation de la France – à ce que je sache elle fait partie de la coalition. Nous avons de nombreuses questions concernant leurs actions et leurs frappes sur le territoire syrien. Ils déclarent avoir le droit à la légitime défense préventive en vertu de l'article 51 de la Charte de l'Onu. Je n'ai perçu aucun concept de légitime défense dans leurs actes. Ce qu'ils ont fait (les Britanniques ont agi de la même manière je crois), est qu'ils ont dit avoir touché une cible et tué quelques individus se trouvant en Syrie qui planifiaient de "mauvaises actions" sur leur territoire. Sans aucune preuve.

Je pense qu'il est difficile de se défaire de l'impression selon laquelle les fondements juridiques des actions de la coalition en Syrie sont très versatiles. On ne peut pas agir sans mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, sans l'accord du pays concerné. Depuis l'annonce de la création de cette coalition, nous avons dit que ne pas saisir le Conseil de sécurité des Nations unies était une erreur, que c'était encore une erreur d'agir en contournant le gouvernement syrien. Je pense que si les membres de la coalition menée par les USA s'étaient adressés au Conseil de sécurité des Nations unies, ils auraient pu élaborer un concept qui serait acceptable pour toutes les parties.

En ce qui concerne la mise en doute de la légitimité du régime syrien, c'est de l'hypocrisie - après tout ce qui a été fait en matière de désarmement chimique. Le régime syrien était parfaitement légitime quand nous avons tous accepté d'éliminer les armes chimiques syriennes. Dans une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies nous avons salué la décision du gouvernement syrien d'adhérer à l'OIAC. Et cela convenait à tout le monde. Je ne comprends pas pourquoi pour éliminer l'arme chimique la coopération avec le régime syrien était nécessaire, et dans le cas de la lutte contre le terrorisme cette coopération ne l'est plus.

Question: Je voudrais parler des réfugiés. Est-ce que la Russie soutient l'instauration de quotas pour accueillir les réfugiés syriens? La Russie pourrait-elle prendre part à ce processus?

Sergueï Lavrov: Vous voulez parler de la proposition du milliardaire égyptien d'acheter une île ou d'autre chose?

Question: Pour stopper l'affluence disproportionnée de réfugiés dans les pays européens, le Ministre hongrois des Affaires étrangères a proposé il y a quelques jours de se pencher sur des quotas internationaux d'accueil. Qu'en pensez-vous?

Sergueï Lavrov: Honnêtement, je n'en ai pas entendu parler. J'ai entendu l'idée d'acheter une île pour les réfugiés. Je suis certain qu'au lieu de chercher à combattre les symptômes il faut éradiquer l'origine du problème – les troubles au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, qui découlent de l'ingérence militaire extérieure dans cette région à partir de 2003. Ces troubles perdurent.

Question: Le président de la coalition d'opposition syrienne a déclaré hier que l'armée de libération syrienne avait l'intention de combattre les forces armées russes, qu'il considère comme illégitimes. Considérez-vous cette armée de libération syrienne comme un groupe terroriste?

Sergueï Lavrov: Non. Nous pensons qu'elle doit être associée au processus de paix avec d'autres groupes armés dont font partie les représentants de l'opposition patriotique syrienne. C'est absolument nécessaire pour garantir un processus de paix stable. Nous considérons comme terroristes ceux qui ont été reconnus comme tels par le Conseil de sécurité des Nations unies et le système judiciaire de la Fédération de Russie. Le Front al-Nosra a été reconnu comme groupe terroriste, mais aussi étrange que cela puisse paraître – pas l'EI. Nous avons proposé il y a quelques mois d'inscrire l'EI sur la liste des organisations terroristes. Les Américains ont cherché à nous persuader que l'EI faisait partie d'Al-Qaïda, ce qui est faux d'après nos renseignements.

J'ai rappelé hier au Conseil de sécurité des Nations unies notre proposition d'inclure ce groupe à la liste terroriste dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies.

Question: Ma question concerne la Palestine. J'ai noté que le Président russe Vladimir Poutine n'avait pas parlé de ce sujet. La politique russe est très claire sur toutes les questions, à l'exception de celle-ci. Le Quartet pour le Moyen-Orient a-t-il permis à Israël d'investir plus de territoires pour ses colonies, de placer derrière une clôture des milliers de Palestiniens et de construire un mur de séparation? Pourquoi êtes-vous de cet avis? Pourquoi ne faites-vous rien et vous limitez-vous aux déclarations?

Sergueï Lavrov: Premièrement, le 21 septembre, le Président russe Vladimir Poutine a rencontré le Président palestinien Mahmoud Abbas à Moscou. Ils s'entretiennent régulièrement, plusieurs fois par an je crois, parfois par téléphone. Il n'y a aucun malentendu de la part de nos amis palestiniens vis-à-vis de la position russe.

Deuxièmement. Au Conseil de sécurité des Nations unies, j'ai souligné hier que le conflit israélo-palestinien était le principal  à engendrer l'extrémisme. Il me semble que le problème palestinien, non résolu depuis des décennies, est un facteur crucial permettant aux criminels de recruter de plus en plus d'extrémistes dans leurs rangs.

Troisièmement. Le Quartet ne reste pas sans rien dire. Il a adopté hier une déclaration qui stipule pratiquement tout ce que nous voudrions dire sur les colonies et d'autres démarches unilatérales, y compris la nécessité de respecter les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies concernant l’État palestinien, Jérusalem, etc. Malheureusement, à l'étape actuelle, le Quartet ne peut qu'en parler. Il ne reste pas silencieux mais il se limite à ce qu'il dit. Nos émissaires visitent la région, parlent avec les Israéliens, les Palestiniens, les Égyptiens, les Jordaniens et les Saoudiens. Tout le monde exprime son mécontentement par rapport à cette impasse. Mais à l'heure actuelle nous ne pouvons pas avancer. Le travail du Quartet a été suspendu pendant quelques mois – les USA avaient demandé de faire une pause pendant neuf mois. Mais aujourd'hui le Quartet a repris ses activités. Nous avons décidé (et c'est un grand pas en avant sur lequel la Russie a insisté pendant plusieurs années) que nous devions travailler plus étroitement avec la Ligue arabe, car cette dernière a lancé l'Initiative de paix arabe qui implique un règlement pacifique du conflit au Proche-Orient acceptable pour tous, y compris le Conseil de sécurité des Nations unies. Nous sommes convaincus que la bonne foi de cette initiative doit être respectée et reconnue. C'est très important. Nous devons tenir compte de l'avis des deux parties pour faire en sorte qu'elles tiennent leurs engagements conformément aux accords conclus antérieurement.

Question: Le Secrétaire d’État américain John Kerry a évoqué l'organisation d'une réunion pour coordonner les opérations militaires en Syrie. Comment cela va-t-il se traduire dans les faits? Le chef du Pentagone Ashton Carter a déclaré hier que les actions de la Russie en Syrie étaient non professionnelles, inacceptables et les a comparées à un jet d'huile sur le feu. Qu'attendez-vous de cette réunion?

Sergueï Lavrov: Je ne peux être d'accord avec le jugement d'Ashton Carter. Nous connaissons de nombreux points dans la région où le Pentagone a jeté de l'huile sur le feu. Notre position est en parfaite conformité avec le droit international. Ashton Carter déclare que nous n'avons pas été professionnels? Pourquoi? Qu'avons-nous fait incorrectement?

Question: Il parle des bombardements de la région de Homs par l'armée de l'air russe, où il n'y avait pas de cibles concrètes à bombarder.

Sergueï Lavrov: Si je me souviens bien, il n'a pas réussi à confirmer les déclarations selon lesquelles les cibles étaient erronées. Et je pense qu'il a employé le terme "non professionnel" concernant la communication entre nos parties. La coalition a bombardé le territoire syrien sans l'accord du gouvernement syrien, sans l'approbation du Conseil de sécurité des Nations unies, sans informer qui que ce soit. Certains membres de la coalition menée par les USA se sont plaint à titre individuel que parfois, le commandement leur interdisait d'utiliser leur armée de l'air, j'ignore pour quelle raison.

Nous souhaitons effectivement coopérer. Nous ne pouvons seulement pas faire partie d'une coalition qui travaille sans le mandat de l'Onu et sans s'adresser au pays où se déroulent les opérations. Nous comprenons qu'il est, au moins, très important d'éviter tout malentendu. Au plus, nous voudrions coopérer de manière à ce que la lutte antiterroriste soit plus efficace.

Pendant leur entretien du 28 septembre les présidents russe et américain Vladimir Poutine et Barack Obama se sont entendus sur l'établissement de contacts entre les ministères de la Défense de nos pays. Nous l'avons évoqué en détails hier avec le Secrétaire d’État américain John Kerry. Les contacts auront lieu prochainement. Nous vous en informerons.

Question: Qu'attendez-vous de la Chine au sujet de la crise en Syrie? Le Président chinois Xi Jinping s'est récemment rendu aux États-Unis. Pékin coopère étroitement avec Washington. Que pouvez-vous dire des résultats de cette visite?

Sergueï Lavrov: Avant tout, les collègues chinois sont des partenaires importants de la Russie sur les questions internationales, sans parler de notre partenariat stratégique bilatéral qui prospère et a atteint un niveau sans précédent.

Quant aux questions internationales, nous pensons - et nos amis chinois partagent ce point de vue - que notre coopération et notre coordination sur la scène internationale sont l'un des principaux facteurs de stabilisation du système mondial. Nous coordonnons régulièrement nos approches par rapport aux différents conflits que ce soit au Moyen-Orient, en Afrique du nord ou sur la péninsule coréenne. Nous organisons régulièrement des consultations franches et confidentielles. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la Chine aide également à régler la crise en Syrie.

Nous travaillons pour prévenir les approches radicales comme la demande d'utiliser la force contre la Syrie prononcée au Conseil de sécurité des Nations unies. Au final, nous avons réussi à obtenir un résultat qui nous a permis d'adopter le Communiqué de Genève pour un règlement politique de la crise syrienne, qui a été soutenu à l'unanimité. Tout le monde estime que ce document reste la base de notre travail futur.

Le Ministre chinois de la Défense Wang Yi, un ami, a participé avec moi et d'autres partenaires à la Conférence de Genève où a été adopté le Communiqué en question. Il existe bien d'autres exemples.

Si nous voulons assurer le succès du processus lancé par l'envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Syrie Staffan de Mistura, cela demandera le soutien des acteurs extérieurs. Je suis sûr que parmi ces forces extérieures doivent être présents la Russie, les USA, les pays de la région, ainsi que la Chine.

Nous essayons de trouver la possibilité de créer les conditions nécessaires pour lancer le processus de Staffan de Mistura. C'est difficile en raison de certaines exigences préalables qui ne devraient pas être avancées.

En ce qui concerne la visite du Président chinois Xi Jinping aux USA, je n'ai pas de commentaires à faire. Bien évidemment, nous suivons ce genre d'événements. Nous souhaitons que les grandes puissances trouvent des accords entre elles et évitent les divergences par le biais des négociations et des concertations. Nous travaillons de la même manière avec nos partenaires aussi bien en Occident qu'à l'Est. Bien sûr, nos amis chinois nous ont fait part de leurs impressions après cette visite.

Question: Ma question concerne la déclaration du Quartet dont vous avez parlé. Si je me souviens bien, pour la première fois le Quartet pour le Moyen-Orient n'a pas réussi à appeler aux négociations directes entre les deux parties. Pouvez-vous expliquer pourquoi?

Sergueï Lavrov: Le Quartet a confirmé tous les principes et résolutions de fond censés servir de base au processus de paix, il a reconnu que les envoyés du Quartet continueraient à travailler avec les deux parties. Je ne pense pas que nous devons répéter à chaque fois la même chose.

Question: Est-ce que vous lancez vos frappes aériennes contre des groupes concrets qui sont soutenus par la coalition dirigée par les USA? Comptez-vous étendre les frappes aériennes au territoire irakien si cela était autorisé par le Conseil de sécurité des Nations unies?

Sergueï Lavrov: Nous ne comptons pas étendre la géographie de nos frappes aériennes jusqu'à l'Irak. Nous n'y avons pas été invités et personne ne nous l'a demandé. Nous sommes corrects. Nous n'irons pas sans y être invités.

En ce qui concerne la première question. Je ne sais pas – si la coalition dirigée par les USA attaque uniquement les groupes terroristes, alors nous faisons la même chose.

Question: La coalition dirigée par les USA attaque depuis un certain temps les positions de l'État islamique. Selon leurs informations, une longue période - probablement des années - sera nécessaire pour éliminer ces terroristes. La Russie a maintenant rejoint les opérations en Syrie. Quels seront ses objectifs militaires dans le cadre de l'élimination des terroristes et combien de temps cela prendra?

Sergueï Lavrov: Je ne peux pas parler au nom de ceux qui planifient les opérations militaires. Nous espérons seulement que notre différence d'approche en restera à la question de la coordination des efforts avec l'armée syrienne. Tout le monde reconnaît que les frappes aériennes seules ne permettront pas de régler le problème.

Question: Nous savons tous que vous êtes un maître de la diplomatie. Vous aimez complimenter votre homologue américain, vous parlez de bonnes choses.

Sergueï Lavrov: Non, simplement nous parlons poliment des mauvaises choses.

Question: Quelles sont les divergences entre la Russie et les USA? Cherchez-vous avec John Kerry, des diplomates éminents, à empêcher l'aggravation de la crise syrienne?

Sergueï Lavrov: Je vous suggère de lire l'allocution du Président russe Vladimir Poutine à la 70e session de l'Assemblée générale de l'Onu, ainsi que certains autres de ses discours, y compris l'interview accordée au journaliste Charlie Rose. Cette question est partiellement philosophique et partiellement pratique. Nous croyons aux actions et aux efforts collectifs s'appuyant sur les normes du droit international, aux accords conclus et leur immuabilité, ainsi qu'en la nécessité du respect des intérêts mutuels par les pays sérieux. C'est sur ça que s'appuie l'approche russe, qui n'est pas toujours partagée par nos collègues américains et occidentaux. De nombreux exemples de promesses et accords bafoués pourraient être cités, y compris ce qui s'est produit à Minsk il y a deux ans pendant la crise ukrainienne. Mais je ne voudrais pas entrer dans les détails maintenant car vous posez une question sur la Syrie.

Vous avez parlé du nivellement des divergences. Je vous assure qu'au cours de l'entretien des présidents russe et américain régnait une atmosphère très constructive et amicale, ils ont parlé ouvertement et se comprenaient totalement. Mais pour certaines raisons la compréhension totale n'est pas synonyme de coopération à part entière et d'actions conjointes.

Quant à la situation en Syrie, tout dépend de la lecture du Communiqué de Genève. Il parle d'un gouvernement de transition, et les Américains estiment que cela signifie le départ de Bachar al-Assad. Notre approche se résume au fait que les accords doivent être lus en intégralité, parce qu'à la fin de la phrase il est écrit que cela doit se produire sur la base d'une entente mutuelle. C'est ce qui a été convenu à Genève en juin 2012. Si nous assumons les conditions de l'entente, alors il faut trouver une solution dans le cadre des paramètres des accords conclus.

Personnellement, je trouve que toute condition préalable – comme le fait que l'État islamique ne pourrait être éliminé que si Bachar al-Assad disparaissait – ne paraît pas sérieuse. Une partie de la communauté internationale s'est habituée à la diabolisation de certains dirigeants. Saddam Hussein a été pendu, mais est-ce que la vie en Irak est devenue meilleure et plus sûre? Mouammar Kadhafi a été tué sous les yeux de la foule, mais est-ce que la vie s'est améliorée en Libye? Et aujourd'hui on diabolise Bachar al-Assad. Peut-être devrait-on essayer de tirer des leçons du passé? Il doit y avoir des priorités. Des changements politiques doivent avoir lieu en Syrie, c'est indéniable. Nous avons décidé de remplir ce qui a été écrit dans le Communiqué de Genève et nous ne nous en détacherons jamais. Mais l'État islamique construit un califat. Ce n'est pas Al-Qaïda qui attaque et se retire. Ces terroristes occupent effectivement des territoires pour y créer un califat. Ils disposent de leur propre système financier, de leur propre monnaie, ils fournissent des prestations sociales. Compte tenu de leur idéologie, tout cela est dangereux. L'EI veut créer un califat du Portugal au Pakistan en prenant sous son contrôle tout ce qui se trouve entre ces deux pays. Nous ne devons pas oublier le processus de paix, mais on ne peut pas avancer la condition selon laquelle le système politique syrien devrait être obligatoirement changé pour combattre l'EI. Le combat contre Daesh doit être notre priorité, et en parallèle, et non après, on peut faire beaucoup de choses sur le front politique également. En se référant à ce qui est écrit dans le Communiqué de Genève, les représentants de tout le spectre de la société syrienne doivent s'asseoir à la table des négociations et s'entendre sur les questions clés concernant leur État: l'organisation d'élections démocratiques, leur périodicité, le respect des droits de tous les groupes ethniques et confessionnels. Quand les druzes, les sunnites, les alaouites, les Arméniens et les chrétiens saurons que le gouvernement syrien et l'opposition sont parvenus à un accord sur la nouvelle Syrie, si cet accord était approuvé par les acteurs clés, voire le Conseil de sécurité des Nations unies, alors toutes les minorités et les grands groupes de population sauraient que leurs intérêts sont pris en compte dans la Constitution ou un autre document juridique qui serait adopté et je pense que dans ce cas il serait plus facile de régler le problème lié aux personnalités concrètes. C'est ce que nous avons évoqué avec John Kerry, avec les dirigeants des pays du Golfe. En effet, nous avons des divergences à ce sujet. Mais je suis persuadé qu'il est incorrect d'avancer des conditions préalables. J'ai déjà cité les exemples de l'Irak et de la Libye, quand les gens croyaient et disaient "faites le partir et tout ira bien et tout sera démocratique".

Question: Est-ce vrai que les troupes de la Syrie, de l'Iran et du Hezbollah se préparent à une opération terrestre avec le soutien de l'armée de l'air russe?

Sergueï Lavrov: J'ai déjà dit ce que faisait l'armée de l'air russe: son objectif – les sites de l'EI et d'autres groupes terroristes en coordination avec l'armée syrienne.

Question: Est-ce que les forces russes planifient d'assurer la couverture de cette opération militaire?

Sergueï Lavrov: Je ne m'occupe pas de la planification militaire et parle uniquement du concept politique qui a été approuvé par le Président russe.

Question: La Russie participe actuellement à la guerre en Syrie. Vous parliez d'une coordination des actions avec le gouvernement irakien et les services de renseignement. Les actions de la Russie se limiteront-elles aux bombardements ou assurera-t-elle les livraisons d'armes aux acteurs non gouvernementaux comme les Kurdes, qui sont la force la plus efficace dans la lutte contre l'EI en Irak et en Syrie avec l'accord des pays concernés? La Russie compte-elle armer les Kurdes?

Sergueï Lavrov: La Russie fournit des armes aux Kurdes via le gouvernement irakien. Un centre a été créé à Bagdad qui regroupe des représentants des structures militaires de l'Irak, de la Syrie, de l'Iran et de la Russie, mais aussi de l'Autonomie kurde. Ce centre d'information joue un rôle très important, car tous les participants disposent soit d'un contingent militaire sur le terrain (comme l'Irak et la Syrie sur leur territoire), soit des renseignements utiles pour la planification des opérations antiterroristes. Le centre joue un rôle particulier dans les résultats de l'activité de la coalition. Des opérations sont organisées en Irak contre l'EI, mais un grand nombre de radicaux est repoussé en Syrie. La présence de ce centre d'information pourrait renforcer l'efficacité du combat contre le terrorisme. Bien sûr, nous répondons aux demandes des Kurdes de fournir des armes, mais nous en informons le gouvernement irakien.

Question: Un ministre turc a critiqué les bombardements russes sur les positions de l'EI en déclarant que la Turquie s'y opposerait s'ils avaient lieu en dehors des territoires occupés par l'EI. Que pouvez-vous dire au sujet des bombardements de la Turquie contre les Kurdes?

Le Yémen était à l'ordre du jour ce mois-ci au Conseil de sécurité des Nations unies. On avait l'impression que le Conseil n'avait pas avancé sur le règlement de cette question. D'après vous, que pourrait-on faire pour normaliser la situation dans ce pays?

Sergueï Lavrov: Nos frappes ne seront pas menées en dehors des territoires occupés par l'EI, le Front al-Nosra et d'autres organisations reconnues comme terroristes par le Conseil de sécurité des Nations unies ou la législation russe. Nous espérons que la crise en Turquie pourra être réglée par des moyens politiques. Nous partons du fait que les élections prévues la semaine prochaine permettront de régler les problèmes intérieurs dans ce pays. Nous espérons que l'usage de la force contre les terroristes ne s'étendra pas aux autres groupes d'opposition.

En ce qui concerne le Yémen, nous avons proposé une déclaration du Président du Conseil de sécurité pour mettre fin au plus vite aux bombardements et accorder un accès à l'aide humanitaire. Nous avons parlé avec le Sous-secrétaire général, le chef du Bureau de la coordination des affaires humanitaires Stephen O'Brien, qui a eu de sérieuses préoccupations à ce sujet. Nous communiquons avec les pays du Golfe et espérons qu'une approche responsable prédominera et que le Yémen redeviendra un pays où il est possible de vivre.

Je vous souhaite tout le meilleur. Écrivez la vérité, seulement la vérité, rien que la vérité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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