Allocution et réponses à la presse du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors de la conférence de presse sur les résultats de la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'OCS, Moscou, le 3 juin 2015
Mesdames et messieurs,
Aujourd'hui, nous avons participé à un événement qui ouvre la dernière étape - et la plus importante - de la présidence russe à l'OCS: la préparation du sommet d'Oufa les 9 et 10 juillet.
Nous avons commencé notre travail par une visite au Kremlin, où les ministres des Affaires étrangères et les chefs des organes permanents de l'OCS ont été reçus par le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine. Nous avons défini nos principaux objectifs afin de garantir l'efficacité des préparatifs du sommet à Oufa.
Lors de la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères qui a suivi la rencontre avec le Président russe Vladimir Poutine, nous avons examiné les principaux projets de documents finaux qui seront présentés au sommet à Oufa, avant tout la Stratégie de développement de l'OCS jusqu'en 2025. Ce document de nature globale couvre tous les domaines de notre interaction. Le projet d'un autre texte très important, consacré au 70e anniversaire de la Victoire dans la Seconde guerre mondiale, sera également soumis à l'examen des chefs d'État. Le programme de l'Organisation pour lutter contre le terrorisme, le séparatisme et l'extrémisme pour 2016-2018 – autre projet que nous avons examiné aujourd'hui – aura une grande importance pour accroître l'efficacité de notre interaction au sein de l'OCS face aux menaces qui émergent dans notre région et à ses frontières. Nous avons aussi accordé une attention particulière au projet de Déclaration sur la lutte contre la menace liée au trafic de drogues, qui sera soumis à l'approbation des chefs d'État. Enfin, nous travaillons sur une série d'autres documents en cours de préparation, y compris l'Accord des États-membres de l'OCS sur l'interaction et la coopération pour les questions frontalières.
En plus de l'examen des projets de documents finaux du sommet, nous avons échangé nos vues sur la situation dans la zone de responsabilité de l'OCS, avant tout sur la situation difficile en Afghanistan, qui persiste et même s'aggrave dans le pays, alimentant malheureusement la menace terroriste et le trafic de drogues. Ces derniers commencent à affecter directement la stabilité et la sécurité des États-membres de l'OCS.
Encore une fois, les propositions élaborées en vue d'être approuvées au sommet nous orientent vers une réaction plus efficace à ces menaces.
Nous avons, bien sûr, examiné le problème de la menace terroriste au Moyen-Orient et dans le Nord de l'Afrique, la situation en Syrie, au Yémen, en Irak et en Libye. Dans tous ces cas, il est nécessaire d'assurer un règlement de crise par les voies politique, diplomatique et pacifique. À cet égard, nos approches convergent complètement, comme pour n'importe quelle crise, y compris celle en Ukraine, où il est nécessaire d'établir un dialogue entre Kiev, Donetsk et Lougansk. Aujourd'hui, nous en avons aussi parlé.
Nous avons adopté des recommandations et nous espérons qu'elles seront approuvées par nos chefs d'État. Si les décisions nécessaires étaient prises à Oufa, ces recommandations lanceraient concrètement le processus d'extension de l'OCS, avant tout pour l'adhésion de l'Inde et du Pakistan.
Nous avons examiné la demande de l'Iran, qui participe activement et efficacement au travail de l'OCS en tant qu'État observateur depuis 2005. Nous nous sommes tous prononcés en faveur du relèvement du statut de ce pays au sein de notre Organisation dans le cadre du règlement global de la situation autour du programme nucléaire iranien.
Nous avons bien travaillé. Nous ne nous disons pas au revoir car demain aura lieu la Conférence spéciale sur la sécurité régionale avec la participation des ministres des Affaires étrangères et des représentants des États-membres de l'OCS, des États observateurs et des partenaires de dialogue.
Je tiens à remercier le Secrétaire général de l'OCS Dmitri Mezentsev et le chef de la Structure antiterroriste régionale de l'OCS Zhang Sinfen pour leur précieuse contribution à la préparation de la réunion d'aujourd'hui et d'autres rencontres de différentes structures des États-membres de l'OCS qui contribuent à garantir l'efficacité du futur sommet à Oufa.
Question: Les négociations sur le programme nucléaire iranien ont presque atteint la ligne d'arrivée. À votre avis, comment les résultats de ces négociations influenceront-ils le statut de l'Iran à l'OCS? Quels sont maintenant les obstacles à la conclusion de l'accord final sur le programme nucléaire iranien?
Sergueï Lavrov: Il n'y a aucun obstacle au succès des négociations sur le programme nucléaire iranien si tous les participants se tiennent au cadre politique convenu lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères à Lausanne, qui ouvre la voie au règlement exhaustif de tous les aspects de ce problème sans exception. Je ne voudrais pas "attirer le mauvais œil", mais pour l'instant tout le monde est axé sur le résultat qui peut être atteint dans le délai fixé – fin juin. Il arrive qu'à l'étape finale des négociations, une des parties soit tentée de "négocier" un peu plus au dernier moment, ce qui peut compliquer la situation.
Pour l'instant, nous avançons tous dans la bonne direction, nos adjoints – les directeurs politiques des "Six" et de l'Iran - travaillent aujourd'hui à Vienne. Demain, le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif participera à la conférence que j'ai mentionnée, et on échangera, bien sûr, nos visions de la situation.
Le progrès est évident. Il n'est pas encore définitif mais, encore une fois, nous avançons dans la bonne direction. Comme je l'ai dit, au cours de la discussion d'aujourd'hui nous voulions tous relever le statut de l'Iran à l'OCS, et cela pourra se faire dans le cadre du règlement global du programme nucléaire iranien.
Question: On rapporte la détérioration de la situation dans la zone du conflit en Ukraine. Les forces armées ukrainiennes rapportent que les insurgés ont lancé une offensive d'envergure aux alentours de Mariinka. Il y a déjà des informations sur des victimes. Suite à l'aggravation de la situation, n'envisage-t-on pas de convoquer le Groupe de contact ou bien de tenir une réunion au "format Normandie"? Peut-on parler de la non-exécution des accords de Minsk par les deux parties?
Sergueï Lavrov: Je ne veux même pas imaginer que quelqu'un ait décidé délibérément de faire échouer les accords de Minsk, même si, parfois, il semblerait que certains à Kiev le souhaitent - ce que l'on peut déduire de l'attitude de Kiev envers ses obligations concernant l'amnistie, la réforme constitutionnelle et la tenue des élections en coordination avec Donetsk et Lougansk. Mais l'aggravation de la situation militaire sur la ligne de démarcation est aujourd'hui la question la plus grave. Je ne dispose pas d'informations précises. Nous avons des représentants au Centre commun de coordination et de contrôle qui, je le rappelle, est composé d'officiers russes et ukrainiens et a été formé à la demande personnelle du Président ukrainien Petro Porochenko pour évaluer objectivement la situation et aider la mission spéciale d'observation de l'OSCE à identifier les violateurs des accords sur le cessez-le-feu et le retrait des armes lourdes. À en juger par les informations provenant maintenant des zones des hostilités, des territoires qui se trouvent le long de la ligne de démarcation des deux côtés, nous notons depuis longtemps que les rapports faisant état de la destruction massive de l'infrastructure civile – hôpitaux, écoles, jardins d'enfants et maisons – ne viennent que du côté des insurgés. Comme si des civils mouraient seulement de ce côté-là. Le gouvernement ukrainien ne rapporte que la mort de militaires.
Pour régler cette question, nous avons adressé à l'OSCE une demande de charger la mission spéciale d'observation de rapporter non seulement qui tirait, où et combien de fois, mais aussi quels étaient les objectifs de ces attaques et leurs victimes – les civils ou les unités militaires qui effectuent des tirs d'artillerie sur les lieux habités. Je suis convaincu que c'est une tâche très facile que la mission spéciale d'observation est obligée de remplir, pour que tout le monde ait une vision complète de ce qui se passe réellement: qui viole non seulement les accords de Minsk, mais aussi les normes du droit international humanitaire en bombardant méthodiquement les villes et les villages.
Encore une fois, le Centre commun de coordination et de contrôle et la mission spéciale d'observation de l'OSCE travaillent à faire cesser tout cela. Nous serons prêts à nous réunir dans tous les formats pour appeler les parties au respect des accords. Tous les instruments nécessaires sont sur place – il faut juste les utiliser au lieu de les ignorer, voire remettre en question leur efficacité. Mais l'essentiel est d'avoir une vision globale et de bien comprendre que ceux qui essaient d'aggraver la situation militaire sur la ligne de démarcation visent, volontairement ou non, à empêcher d'avancer sur tous les autres aspects de la mise en œuvre des accords de Minsk, avant tout politiques, économiques et humanitaires. Car tant que les gens sont occupés par le tir, il y a probablement une excuse pour ne pas s'engager dans les réformes politiques. J'aimerais bien me tromper, mais on a cette impression et il est difficile de s'en débarrasser.
Je voudrais terminer sur une note positive. La réunion des sous-groupes de travail qui a eu lieu hier à Minsk, n'a pas abouti à des résultats définitifs pour chacune des questions abordées, mais des progrès ont été enregistrés, notamment sur la question de la démilitarisation de Chirokino et de l'inclusion, dans la liste des armes à retirer, de l'artillerie et des mortiers d'un calibre inférieur à 100 mm. Il y a certaines avancées sur d'autres questions aussi, y compris le lancement tant attendu des consultations directes entre Kiev, Lougansk et Donetsk sur la préparation aux élections locales. Je ne vais pas anticiper, mais il y a déjà certaines ébauches et elles sont assez positives. Aujourd'hui, il est important que tout ce qui a été convenu soit mis en œuvre jusqu'au bout. Des réunions des sous-groupes sont déjà prévues pour que personne ne puisse, par des activités militaires récurrentes, perturber le progrès fragile qui commence à se profiler.