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Allocution et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors d'une conférence de presse conjointe à l'issue d'un entretien avec le Vice-président du Conseil des ministres et Ministre syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem, Moscou, le 29 juin 2015

1298-29-06-2015

Mesdames et Messieurs,

Nous sommes ravis d'accueillir à Moscou la délégation syrienne présidée par le Vice-président du Conseil des ministres et Ministre syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem.

Ce matin, nous avons eu un entretien approfondi. Nous rentrons tout juste du Kremlin où monsieur le Ministre a été reçu par le Président russe Vladimir Poutine. Bien évidemment, au centre de l'attention figuraient les tâches visant à intensifier les efforts pour surmonter la crise syrienne. Comme l'a souligné Vladimir Poutine, l'analyse objective de la situation actuelle et les nombreux contacts avec les pays de la région, dont les voisins de la Syrie – la Turquie, l'Arabie saoudite, la Jordanie – permettent de conclure que tous les pays de cette région et en dehors sont préoccupés par l'activité terroriste de l'organisation État islamique (EI) et d'autres groupes radicaux professant l'extrémisme violent.

Nous sommes convaincus – et le Président russe Vladimir Poutine l'a prôné – de la nécessité pour tous les pays de la région de mettre de côté les divergences, qui ont toujours existé et demeureront probablement sur certaines questions, pour concentrer tous leurs efforts sur la lutte contre la menace commune – le terrorisme.

En cas de réussite, nous ferions le pas suivant crucial en ce qui concerne le consensus né après la déclaration adoptée par le G8 il y a deux ans, en juin 2013, quand on avait appelé au sommet en Irlande du Nord le gouvernement syrien et l'opposition à unir leurs efforts contre les terroristes et à les chasser du pays. Cette tâche reste d'actualité, mais compte tenu de l'ampleur des activités de l'EI et de ses complices, les Syriens à eux seuls manquent de moyens. C'est pourquoi nous appelons tous les pays de la région à coordonner leurs actions dans la lutte contre cette terrible menace. Bien sûr, cela ne signifie aucunement que nous mettons de côté d'autres tâches fixées dans le communiqué de Genève du 30 juin 2012, notamment l'établissement d'un dialogue politique mené par les Syriens eux-mêmes dans le but de déboucher sur des accords reflétant l'entente générale entre tous les groupes syriens.

Ces deux dernières années la Russie s’est prononcée constamment pour que le communiqué de Genève ne reste pas lettre morte. C'est sur notre initiative que ce document primordial a été approuvé au Conseil de sécurité des Nations unies, mais pas immédiatement, parce qu'au départ nos partenaires occidentaux ne voulaient pas le faire. Ensuite, nous avons essayé d'apporter notre contribution afin de préparer le terrain pour la reprise des négociations. Nous avons organisé à Moscou deux réunions qui ont permis au gouvernement syrien et à divers groupes constructifs de l'opposition syrienne de tomber d'accord sur les principes généraux visant à préserver la Syrie comme un État souverain, territorialement intègre et indépendant où seraient garantis les droits de tous les groupes ethniques, confessionnels et autres.

Nos efforts étaient coordonnés avec d'autres pays, notamment l’Égypte, qui souhaite également contribuer à créer les conditions nécessaires pour rétablir les négociations officielles sur le processus de paix syrien.

Les résultats des deux rencontres à Moscou sont fixés dans une liste de principes. Nous voudrions continuer d'aider avant tout les Syriens, pour qu'ils concrétisent les idées et les approches contenues dans ces principes. Pour contribuer à ce processus et préparer le terrain à la reprise des négociations, nous sommes prêts à étudier la possibilité d'organiser une troisième réunion consultative à Moscou. Nous en avons également parlé aujourd'hui avec le Ministre syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem.

Tout cela doit aider le représentant spécial du Secrétaire général de l'Onu pour la Syrie Staffan de Mistura, qui organise des consultations intensives, à jeter les bases d’un processus de paix qui ne peut être que global avec la participation de tous les groupes syriens sans exception.

Comme je l'ai déjà mentionné, le communiqué de Genève du 30 juin 2012 représente une base solide de ces efforts, même s'il est évident qu'au vu de la montée sans précédent de la menace terroriste il faut accorder une attention particulière à ce problème. Nous espérons que Staffan de Mistura s’y attellera.

Je voudrais souligner encore une fois que la tâche de la communauté internationale, y compris les voisins de la Syrie, les Européens, la Russie, les USA et l'Onu, consiste à ne pas imposer quoi que ce soit aux Syriens, mais à créer les conditions pour un dialogue inclusif, qui leur permettrait d'arriver à une entente générale entre eux.

Nous avons également évoqué aujourd'hui les relations bilatérales, y compris la mise en œuvre des accords d'octobre dernier signés lors de la réunion de la Commission intergouvernementale pour la coopération commerciale et économique.

La Russie – et le Président russe Vladimir Poutine l'a réaffirmé aujourd'hui – continuera de soutenir le peuple et le gouvernement syrien dans ses efforts pour régler les problèmes socioéconomiques dans la crise actuelle et pour renforcer sa capacité de défense face à la menace terroriste.

Nous sommes satisfaits par le caractère traditionnellement amical de notre entretien d'aujourd'hui. Nous continuerons de soutenir le peuple syrien dans ces épreuves difficiles.

Question (aux deux ministres): Dans le contexte de la menace croissante de l'État islamique dans la région, notamment, en Syrie, des contacts ont lieu à différents niveaux. Peut-on dire que nous entrons dans une nouvelle phase du règlement de la situation en Syrie? Quelles sont les perspectives des contacts possibles entre les dirigeants syriens et les leaders des puissances régionales – l'Arabie saoudite et la Turquie?

Sergueï Lavrov: Vous savez, laissons les concepts de "nouvelle phase" et de "nouvelle étape" aux historiens, qui décriront ce qui se passe maintenant. Nous sommes focalisés sur la politique pratique, qui exige de mettre de côté, le plus tôt possible, tout ce qui n'est pas lié à la lutte contre le terrorisme, et de concentrer nos efforts communs sur la lutte contre l'EI, le Front al-Nosra et d'autres groupes similaires. Comme je l'ai déjà dit, aujourd'hui, de nouvelles conditions objectives sont réunies pour cette lutte, car tous les pays de la région - et pas seulement eux – sont conscients de l'ampleur de cette menace. L'EI fait déjà son apparition en Afghanistan, affiche ses ambitions pour l'Asie centrale, et selon de nombreux faits qui en témoignent, même les phénomènes terroristes en Europe sont directement liés à ce groupe. Donc, la prise de conscience générale de la menace globale doit l'emporter sur les intentions géopolitiques individuelles et les objectifs unilatéraux. Les différends peuvent être réglés dans le cadre d'un dialogue, mais il est très difficile de mener un dialogue entre les États sur des questions controversées, lorsque l'existence même de ces États est menacée par l’invasion terroriste et par la transformation en "califat". Comme vous le savez, cet objectif est proclamé et largement partagé par plusieurs groupes extrémistes du Pakistan jusqu'au Nigeria.

Nous parlerons, donc, plus tard de la nouvelle étape, et aujourd'hui, nous voulons poursuivre nos efforts laborieux pour atteindre un consensus. Peut-être, ce ne sera pas une coalition dans le sens classique du terme, mais la coordination des actions de tous ceux qui luttent contre la menace terroriste est absolument nécessaire.

Question: Dans le cadre des efforts politiques de la Russie visant à régler la crise syrienne, il devient clair que sans une troisième rencontre de Moscou, l'efficacité de "Genève-3" sera compromise. Quelles mesures pratiques peuvent être prises à cet égard, compte tenu du fait que ces derniers temps, on observe une forte augmentation de l'activité terroriste dans le Nord et dans le Sud de la Syrie, conditionnée notamment par le soutien financier et par la fourniture d'armes de la part des pays voisins?

Sergueï Lavrov: Je ne dirais pas si catégoriquement que l'efficacité de "Genève-3" serait menacée sans "Moscou-3". Où tenir les consultations préliminaires, cela n'a aucune importance. L'essentiel – c'est de tirer les leçons des raisons de l'échec de "Genève-2". Cet échec était prédéterminé par le fait que nos partenaires occidentaux et certains pays de la région ont misé sur le seul groupe d'opposition – la soi-disant "Coalition nationale" – et l'ont proclamé (notamment, au sein de la Ligue des États arabes) seul représentant légitime de tout le peuple syrien, en ignorant un très grand nombre d'opposants qui adoptaient des positions patriotiques, plutôt qu'agressives, et plaidaient pour le règlement politique. Il est important de corriger cette erreur, et, à mon avis, on va progressivement y arriver – deux fois à Moscou et au Caire, dans le cadre des efforts d'un large nombre d'États, les opposants ont commencé à s'unir.

La principale réussite de la rencontre "Moscou-2", qui a eu lieu en avril de l'année en cours, c'est le document, convenu entre les représentants du gouvernement syrien et de la majorité des groupes d'oppositions, sur les principes de préservation et de développement de l'État syrien dans l'intérêt de tous les peuples et communautés religieuses qui vivent en Syrie depuis des siècles, voire des millénaires. Comme l'a dit mon collègue et ami, le ministre syrien des Affaires étrangères Walid Mouallem, ce texte n'est pas suffisamment concret et nécessite la spécification d'un certain nombre de dispositions formulées dans les principes du document. Nous souhaitons apporter notre contribution, mais seuls les Syriens eux-mêmes peuvent le faire. La Russie plaide également pour l'implication dans le travail sur ces principes des groupes d'opposition qui ne sont pas venus à Moscou, mais qui assistaient à la rencontre en Égypte. La Russie et l'Égypte coordonnent assez activement leurs actions dans l'espoir que, finalement, tout le spectre de l'opposition sera représenté aux négociations avec le gouvernement syrien sur la base du communiqué de Genève qui implique, je souligne une fois de plus, un accord mutuel entre les Syriens eux-mêmes sur la façon de vivre dans leur État commun.

Quant aux acteurs externes, ils doivent éviter toutes actions qui ne contribuent pas à la création de telles conditions et au règlement politique. Tous les discours sur le changement de régime sont très risqués. Ils sont contraires au communiqué de Genève et, malheureusement, profitent aux extrémistes, ce que nous voulons tous éviter.

Encore une fois, aujourd'hui, nous avons des raisons de croire que les évaluations sont en train de changer, même si une certaine inertie va, probablement, subsister. La Russie, notamment à travers les négociations d'aujourd'hui, veut contribuer à ce que tous les acteurs externes prennent conscience de la principale menace qui dépasse largement les projets politiques unilatéraux – la menace terroriste.

Je tiens à souligner une fois de plus – il ne s'agit pas d'une improvisation momentanée. Depuis des années, dès le début dudit "printemps arabe", nous faisons valoir dans tous nos contacts avec tous nos partenaires qu'il est nécessaire de cesser d'ignorer la menace colossale posée par l'extrémisme violent. Nous notons le danger de flirter avec les radicaux et les extrémistes pour atteindre des objectifs conjoncturels à court terme. L'histoire fournit de nombreux exemples où une telle politique a fini par un retour de boomerang très puissant, mortel et sanglant.

Je rappelle que la semaine dernière, ce sujet a été évoqué par le Président de la Russie Vladimir Poutine dans son entretien téléphonique avec le Président américain Barack Obama. Vladimir Poutine a souligné, avant tout, l'intérêt commun de la Russie et des États-Unis, ainsi que d'autres États, à empêcher la réalisation des projets des extrémistes dudit "État islamique". Les présidents de la Russie et des États-Unis ont chargé le Secrétaire général américain John Kerry et moi-même de tenir une réunion sans délai pour échanger nos points de vue sur la façon dont on pourrait joindre plus efficacement les efforts de nos deux pays et d'autres États de la région. Tenant compte des résultats de nos négociations d'aujourd'hui, nos délégations se rendront à Vienne pour assister à la rencontre avec le Secrétaire général américain John Kerry, prévue demain. Nous allons donner des informations détaillées sur le déroulement des négociations.

Sergueï Lavrov (ajoute après le commentaire de Walid Mouallem): Walid, je te dirai comme un ami: nous n’évoquerons pas des questions rhétoriques. Nous allons discuter des choses concrètes pour atteindre des actions pratiques conjointes. Nous pourrons nous occuper de rhétorique quand nous aurons vaincu le terrorisme.

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