Allocution et réponses de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors du Forum du futur 2050, Moscou, 9 juin 2025
Chers amis,
Chers collègues,
Dimitri Simes a commencé presque par une épigraphe de l'ancienne vice-présidente des États-Unis Kamala Harris. Elle a dit que ce qui se passe aujourd'hui ne se répétera plus demain. C'est à peu près ce qu'elle veut dire dans ses expressions connues. C'est la vie.
Je vous remercie pour ces mots si bienveillants à mon égard. La question de savoir comment change une personne quand elle occupe un poste de responsabilité à la charnière des époques est très d'actualité. Elle est, d'une part, personnelle. Je n'y pensais plus depuis longtemps. Maintenant on s'est souvenu de cette époque historique. Dans la mémoire et même dans les sensations revivent les sentiments que nous éprouvions alors, allant de la déception la plus profonde à l'amertume. Puis il y a eu des lueurs d'espoir.
Le thème du monde multipolaire a justement fait naître ces lueurs d'espoir que nous avons vues au milieu des années 1990. À partir de 1994, je travaillais à New York. En janvier 1996, Evgueni Primakov a été nommé ministre des Affaires étrangères. Il reste notre grand maître. Une personnalité des plus brillantes, aux multiples facettes. Le don de prévision politique et géopolitique lui était propre, comme à peu de gens sur cette terre et peu de gens en politique. C'est justement lui qui a formulé à l'époque le concept révolutionnaire pour l'époque du monde multipolaire. Il est devenu une réponse aux "incantations" de politologues connus sur le fait que la "fin de l'histoire" était arrivée, et que désormais et à l'avenir l'ordre libéral occidental s'emparerait sans obstacle de tout le globe terrestre, des pensées humaines, des âmes, des cœurs et de toute l'activité quotidienne.
Evgueni Primakov n'a pas seulement avancé ce concept, il le promouvait activement. Le premier pas concret sur cette voie a été la Déclaration sur le monde multipolaire et la formation d'un nouvel ordre international, signée par les dirigeants de la Russie et de la Chine à Moscou en 1997.
Evgueni Primakov était alors encore ministre des Affaires étrangères au gouvernement de Boris Eltsine. C'est justement en 1997 qu'a été posé le fondement juridique pour que la multipolarité acquière déjà une "résidence" permanente dans le dialogue international.
En 2002, quand Vladimir Poutine est devenu président, a eu lieu le premier sommet trilatéral Russie-Inde-Chine. Et depuis lors cette "troïka", le RIC, s'est affirmée comme un format utile pour tous les participants. On n'en a peut-être pas tant écrit que sur l'OCS, les Brics et d'autres structures. Le RIC sans bruit particulier, mais sans se cacher non plus, sans se dissimuler, a promu assez sûrement la coopération dans ce format. Il y a eu environ 20 rencontres de ministres des Affaires étrangères et plusieurs dizaines de rencontres à d'autres niveaux ministériels, incluant les ministres de l'Économie, des Transports, de l'Énergie, du secteur social.
La multipolarité depuis lors prend de l'ampleur. Nous pouvons le dire en toute responsabilité. L'analyse d'Evgueni Primakov, qui a servi de base à ce concept, confirme pleinement sa pertinence.
De nouveaux centres de force (de croissance économique, de puissance financière, avec lesquels apparaît aussi l'influence politique) sont apparus en Eurasie, dans la région Asie-Pacifique, au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique latine, partout en somme. Cette tendance reflète l'aspiration des pays de chaque région à prendre en main la responsabilité de leur développement, du développement de leurs parties du monde. Je considère que c'est une tendance saine. D'autant plus qu'elle a pris un nouvel élan et s'est accélérée dans le contexte des changements apportés aux relations économiques mondiales et autres avec l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Le modèle de mondialisation, prôné par tous ses prédécesseurs, s'est avéré pour la philosophie trumpiste pas tout à fait approprié, trop idéologisé. Et ils ont commencé à purger leurs actions sur la scène internationale de toutes les influences de diverses idéologies. Les idéologies étaient diverses, mais leur essence était la même, des approches néolibérales, l'extension de l'influence de l'Occident collectif sur tout le reste du monde, en substance, une tentative de rejouer et de rejouer encore la fin de l'histoire, une tentative de continuer à vivre aux dépens des autres, seulement non plus par des méthodes brutales d'exploitation coloniale, mais par des méthodes de néocolonialisme moderne, quand les pays du Sud global et de l'Est global jouent le rôle de fournisseurs de matières premières, à quelques exceptions près. La majeure part de la valeur ajoutée est produite en Occident. Et les exemples en sont nombreux.
Ce deuxième "réveil" de l'Afrique, en particulier, où le colonialisme a été particulièrement cruel, est lié justement à la lutte pour le renoncement aux méthodes néocoloniales de conduite des affaires, encore très activement appliquées par l'Occident et se heurtant au rejet d'un nombre croissant de pays du monde.
En décembre 2024, à l'initiative du Groupe d'amis pour la défense de la Charte de l'ONU (structure créée en 2022 sur proposition du Venezuela et comptant maintenant environ 20 pays, et le nombre de candidats grandit), a été adoptée une résolution justement consacrée à la nécessité de lutter contre les pratiques modernes de néocolonialisme. Lors de la prochaine 80e session de l'Assemblée générale de l'ONU cet automne, ce thème sera l'un des plus importants et suscitant de sérieux débats.
Ce n'est pas simplement un mouvement, des conférences, des papiers qui sont discutés et adoptés. Les statistiques montrent le progrès démontré par le processus de multipolarité. Par exemple, la Chine est aujourd'hui la première économie mondiale en parité de pouvoir d'achat. D'ailleurs, la Russie est quatrième. J'espère que nous ne descendrons pas plus bas, compte tenu de toutes les discussions menées actuellement sur les questions macroéconomiques que nous résolvons et sur les méthodes utilisées pour cela.
La Russie, comme cela a été annoncé en 2024, a dépassé le Japon et l'Allemagne en parité de pouvoir d'achat, et les Brics dans leur ensemble selon le même indicateur ont depuis plusieurs années déjà dépassé le G7 de pays occidentaux. Et l'écart entre eux s'accroît. De plus, nous ne voyons pas simplement des chiffres mécaniques de croissance économique. Tout cela est atteint par d'importantes transformations structurelles. La majorité des États du Sud global d'une manière ou d'une autre, même en maintenant (nous comprenons tous cela) des relations d'affaires et normales avec l'Occident (nous aussi étions prêts à les maintenir, ce n'est pas notre choix qu'elles aient été rompues et piétinées), réduisent néanmoins la dépendance vis-à-vis des pays occidentaux et des devises occidentales, en particulier, forment des mécanismes de garantie des opérations de commerce extérieur non contrôlés par l'Occident, tracent de nouvelles chaînes de transport et de logistique, créent une nouvelle architecture d'interaction dans les domaines de la culture, de l'éducation et du sport. Cette dernière chose que j'ai dite est aussi une tendance très intéressante. Elle se produit parallèlement au fait que les États-Unis créent maintenant aussi de nouvelles formes d'organisation de compétitions sportives multilatérales mondiales. Nous verrons encore bien des choses, y compris dans le domaine de la culture. L'Eurovision avec tous ses "ornements" et "vignettes" exotiques qui lui sont propres suscite aussi le désir de revenir à des chansons normales sur des intérêts humains normaux. Le processus est en cours.
Le fait que la multipolarité soit une réalité géopolitique est également reconnu en Occident. Je rappelle que déjà des représentants de l'administration de Joe Biden en parlaient. Marco Rubio, mon homologue, actuel Secrétaire d'État des États-Unis, a qualifié en janvier 2025 l'ordre mondial unipolaire de "produit anormal de la fin de la guerre froide". Quand il semblait que la "fin de l'histoire" était arrivée et que tout serait désormais comme l'Occident l'avait décidé.
Le Secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, malgré toutes ses déclarations assez controversées et peu réfléchies sur d'autres sujets, constate clairement concernant la multipolarité que cette tendance est sérieuse et durable, qu'elle est irréversible.
Les représentants de nombreux pays européens ont reconnu à plusieurs reprises le changement de l'équilibre des forces sur la scène mondiale au détriment de l'Occident.
Tous les représentants occidentaux, quand ils en parlent, reconnaissent les faits. Ils ne voient pas dans la multipolarité un bien, une réalisation du principe d'égalité, de fraternité, de liberté, mais y voient une menace, un défi à leurs intérêts et à leur domination, par laquelle ils assuraient leur prospérité pendant de longs siècles.
Nous ne nous rendons plus à la Conférence de Munich sur la sécurité, qui se tient chaque année en février. Elle s'est entièrement transformée en structure apologiste de la philosophie occidentale, de l'école de pensée occidentale. La dernière session de cette conférence en février de cette année était justement consacrée à la multipolarité (multipolarization, comme ils l'ont appelée). Le rapport qui a été publié dit qu'ils craignent la multipolarité, veulent l'arrêter, voire la casser complètement, et ne pas laisser ces tendances reprendre. D'où cette agressivité, cette dureté jusqu'aux ultimatums aux États souverains de ne surtout pas violer les ordres unilatéraux que l'Occident établit ou tente d'établir, y compris des sanctions unilatérales illégitimes illégales, criminelles, sapant les postulats mêmes de l'Occident qu'il promouvait il y a encore 3 ou 4 décennies.
La thèse sur la façon dont le rapport de la Conférence de Munich décrivait la multipolarité, comme un défi, presque synonyme de chaos, de confrontation entre grandes puissances, condamnées à une rivalité permanente et, par conséquent, créant par cette rivalité des menaces à la sécurité internationale. La logique, la philosophie des gens qui ont écrit le rapport, est telle que la tranquillité et une perspective confiante de développement de l'humanité peuvent être assurées seulement dans "l'autorité unique". On devine sous quelle "autorité unique". Toute diversité, toute multipolarité est vue comme une menace, bien sûr, avant tout par ceux qui voulaient assurer la "fin de l'histoire", préserver le monde unipolaire. Cela ne marchera pas. Cette conclusion est douteuse.
Le travail mené maintenant sur la scène internationale prouve le contraire, que toujours quand les pays, y compris les grandes puissances, respectent mutuellement leurs intérêts, ils arrivent à s'entendre. Nous avons beaucoup de questions qui suscitent des litiges et nécessitent des examens supplémentaires, des concessions mutuelles supplémentaires, avec nos grands voisins de Chine, d'Inde, et aussi avec les pays de la CEI et de l'Union économique eurasiatique. Plus la coopération est dense, étroite, plus il y a de questions sur lesquelles chacun veut défendre un peu plus ses intérêts. Mais au final, si on travaille avec respect, sans employer de menaces, d'ultimatums, et encore moins les appliquer en pratique, on peut toujours trouver un équilibre honnête des intérêts. Cela se produit, comme je l'ai déjà dit, dans nos relations avec la Chine, l'Inde, avec les voisins, avec les pays des Brics, de l'OCS, avec les partenaires du monde arabe, du monde islamique en général, en Afrique, en Amérique latine.
Je répète, les contacts et notre travail commun se concentrent avant tout dans l'environnement le plus proche et dans des structures comme les Brics, l'OCS, la CEI et l'Union économique eurasiatique. Pour que le monde se développe ainsi, il faut respecter les principes généralement acceptés. J'ai entendu beaucoup de collègues, au cours de diverses discussions ils prédisaient qu'il faudrait casser le système de Yalta-Potsdam, créer quelque chose de nouveau. Je mettrais en garde contre de telles approches radicales. Certainement, la pratique d'application du droit sous la forme où l'Occident l'applique et l'utilise ne convient pas.
En ce qui concerne les bases du droit international, à qui déplaît la Charte de l'ONU? Elle dit, premièrement, que toute l'activité des Nations unies est basée sur le principe d'égalité souveraine des États. Elle dit qu'on ne peut pas s'immiscer dans les affaires les uns des autres, que les guerres et les menaces de guerre doivent être éliminées, et c'est l'objectif principal de l'ONU. En revanche, il faut appliquer ces principes de la Charte non pas de manière sélective, comme dans un menu. "Tu as trouvé ta côtelette, mais tu ne veux pas de poisson", comme fait l'Occident. Ils se sont accrochés au principe d'autodétermination des peuples sur la toute première page de la Charte de l'ONU. Et à travers lui, dans une situation où il n'y avait aucune guerre, aucun risque d'affrontement militaire, ils ont pris et arraché le Kosovo à la Serbie. Et ils ont dit que c'était une évidence, c'était l'autodétermination des peuples. Bien qu'il n'y ait eu aucun référendum, personne ne s'y est autodéterminé, à part le parlement, qui était docile et dirigé, comme le "gouvernement" de cette région serbe, par des criminels de l'Armée de libération du Kosovo. C'était en 2008.
Soudainement en 2014, se révoltant politiquement contre les putschistes ayant pris le pouvoir à Kiev par un coup d'État sanglant, ayant piétiné l'accord signé la veille sous les garanties de l'Union européenne avec le président de l'époque sur la nécessité d'organiser des élections anticipées, s'étant déclarés "gouvernement des vainqueurs", les Criméens et les gens du Donbass ont demandé qu'on les laisse tranquilles. Ce sont justement eux que les putschistes ont déclarés terroristes, contre eux qu'ils ont envoyé l'armée régulière, y compris des avions avec lesquels ils ont bombardé Lougansk. Et bien d'autres choses s'y sont passées, certaines continuent encore maintenant. À la honte de tout l'Occident, il y a des crimes non élucidés, y compris des crimes emblématiques comme l'incinération vivante d'une cinquantaine de personnes dans la Maison des syndicats à Odessa le 2 mai 2014. Alors le Conseil de l'Europe avait timidement tenté de proposer ses services et d'aider à l'enquête. On le lui a permis. Puis il a apparemment reçu une explication non publique pour savoir où était sa place. Honteux.
Je mentionnerai aussi Boutcha. Il y a un peu plus de trois ans, "par hasard", deux jours après que les troupes russes en signe de bonne volonté avant la signature d'un accord se soient retirées de cette banlieue de Kiev (pendant deux jours il n'y avait là que les autorités locales), soudain des correspondants de la BBC y sont arrivés et ont miraculeusement montré non pas dans des caves, mais dans la rue centrale de ce village des corps soigneusement disposés. Explosion d'indignation, "la Russie est barbare, boucher", nouvelles sanctions.
Depuis lors, plusieurs de nos requêtes officielles ont été adressées aux structures de l'ONU pour enquêter sur les violations des droits de l'homme. Ils ont spécialement créé au Conseil des droits de l'homme sans notre participation une commission indépendante sur les affaires ukrainiennes. Nous nous y sommes officiellement adressés trois fois. Silence total. J'ai posé des questions directes et publiques au Secrétaire général Antonio Guterres lors des sessions du Conseil de sécurité de l'ONU pour obtenir la liste de ces gens dont les cadavres ont été montrés par les correspondants de la BBC qui se trouvaient si opportunément sur place. Il s'en va, est gêné, détourne les yeux. J'ai été deux fois ces deux dernières années à New York pour la session de l'Assemblée générale de l'ONU. J'ai une conférence de presse à la fin. Tous les médias mondiaux y sont représentés. J'ai déjà fait appel à leur flair professionnel, leurs instincts, leur fierté. J'ai demandé s'ils se fichaient vraiment de ce qui s'était passé là? Ou leur avait-on interdit ne serait-ce que d'aborder ce sujet? Pas de réponse, naturellement.
Dans la Charte de l'ONU, outre l'intégrité territoriale, le droit des nations à l'autodétermination, il y a beaucoup d'autres principes. En 1970, l'Assemblée générale a adopté une énorme Déclaration détaillée sur les principes de relations entre États conformément à la Charte de l'ONU. Elle y a mis les points sur les "i". Concernant le principe d'autodétermination et comment il est lié à l'intégrité territoriale, il y est dit que tous sont obligés de respecter l'intégrité territoriale de ces États dont les gouvernements respectent le principe d'autodétermination des peuples et représentent de ce fait toute la population résidant sur le territoire donné. C'est-à-dire que le gouvernement dans un État, dont l'intégrité territoriale doit être protégée, est obligé de représenter toute la population résidant sur le territoire donné.
Qui après le putsch doutait que les racistes, nazis arrivés au pouvoir représentaient les Russes, les russophones, et aussi beaucoup d'autres groupes ethniques, ne voulant pas de ce pouvoir criminel?
Dans la Charte de l'ONU, encore plus tôt que le droit des nations à l'autodétermination il est écrit (vous ne le croirez pas) qu'il est nécessaire de respecter les droits de l'homme, indépendamment de la race, du sexe, de la langue et de la religion. Avez-vous entendu ne serait-ce qu'une fois les pays occidentaux, en défendant le gouvernement de Vladimir Zelenski, dire qu'il fallait respecter les droits de l'homme? Jamais.
Sur n'importe quel pays dont l'Occident parle dans l'espace public (Russie, Chine, Venezuela, Iran, même la Hongrie, la Slovaquie maintenant, n'importe quel pays), les droits de l'homme sont quelque part tout en haut parmi leurs griefs. Mais rien de tel en Ukraine. La chef de la Commission européenne Ursula von der Leyen, l'ancien chef du Conseil européen Charles Michel, Kallas et compagnie, la majorité des dirigeants européens déclarent qu'il faut continuer à aider l'Ukraine pour qu'elle "batte la Russie". Puis après "battre" c'était déjà "pour qu'elle ne perde pas face à la Russie", maintenant "il faut une trêve pour reconstituer les munitions". Mais ils disent tous que l'Ukraine "mérite leur soutien" parce qu'elle "défend les valeurs européennes". Les lois exterminant la langue russe dans tous les domaines, et la dernière loi, en fait dirigée contre l'extermination de l'Église orthodoxe ukrainienne canonique, violant directement l'article de la Charte de l'ONU que j'ai cité, s'avèrent être perçues par l'Europe "éclairée" comme la lutte des nazis ukrainiens pour les "valeurs" européennes. La commissaire de l'Union européenne à l'élargissement Marta Kos a dit que "l'Ukraine a rempli toutes les conditions préalables nécessaires pour commencer les négociations sur son admission dans l'Union européenne".
L'aspiration à "enterrer" la multipolarité et en général toute dissidence, comme ils l'ont fait avec la Roumanie, comme ils tentent de le faire avec la Hongrie, la Slovaquie, avec tous ceux qui pensent aux intérêts nationaux, ce n'est pas pour l'Union européenne. La multipolarité est autre chose. Elle se forme et se formera indépendamment de la façon dont se comportent les dirigeants européens.
Il y a quelque temps, nous avons pensé au fait que maintenant il y a partout, en Eurasie, en Afrique, en Amérique latine, beaucoup de divers groupements d'intégration. En Afrique il y a une union continentale, l'Union africaine, en Amérique latine et dans les Caraïbes il y a la Celac, mais pas en Eurasie. Bien que ce soit le continent le plus grand, le plus riche, probablement le plus prospère sur une perspective historique prévisible.
Quand nous parlons de sécurité en Eurasie, jusqu'à récemment venaient immédiatement à l'esprit des structures comme l'OSCE (l'Otan, ça va de soi), l'Union européenne. Oui, elles tentaient de jouer le rôle de "courtier honnête" en attirant vers leurs mécanismes les voisins de la partie asiatique du continent européen. Mais l'OSCE et l'Otan ont été créées sur la base de la conception euro-atlantique. Même quand en 1975 se préparait le sommet d'Helsinki, alors on supposait que ce serait l'Europe à l'ouest de l'Oural et jusqu'à Lisbonne. Cependant les Européens ont insisté pour inviter les États-Unis et le Canada.
Le modèle euro-atlantique s'est discrédité. Cela concerne non seulement l'OSCE, mais aussi l'Otan, autre produit des concepts euro-atlantiques. Nous pouvons désormais affirmer avec certitude que cela concerne également l'UE, qui s'est engagée dans le développement économique, social et infrastructurel des territoires de ses pays membres, assurant ainsi leur connexion. Il y a quelques années, au beau milieu d'une opération militaire spéciale, exprimant la haine envers la Russie, ravivant les idées nazies de conquête visant à "infliger une défaite stratégique à la Russie", armant toute l'Europe, comme Napoléon l'avait fait, comme ils avaient essayé de le faire lors de la guerre de Crimée, de la Première Guerre mondiale et surtout de la Seconde Guerre mondiale (maintenant que tous les gens normaux qui y croyaient ont découvert la vérité) l'UE a signé un accord avec l'Otan, aux termes duquel elle mettait à la disposition de l'Alliance atlantique son territoire pour le transfert d'armes vers l'est, jusqu'aux frontières de la Fédération de Russie. Et elle est tombée dans l'euro-atlantisme.
L'essentiel est que ces structures ne peuvent plus prétendre combler même partiellement le vide du forum pancontinental. L'OSCE a été quasiment détruite. Le consensus a été piétiné. La Finlande, qui est la présidente, prépare actuellement la session du 50ème anniversaire du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'OSCE. Tout le monde n'est pas invité (c'est une décision prise), afin de ne pas gâcher la fête. L'Otan traverse une crise profonde. Voyons comment les réformes (5 % pour la défense), qui suscitent actuellement beaucoup d'agitation, affecteront l'Otan. Voyons comment l'Otan sera affectée par la volonté manifeste de Washington, sous l'administration de Donald Trump, de se concentrer davantage sur les affaires d'Extrême-Orient, de la région indo-pacifique, comme ils appellent la région Asie-Pacifique, laissant l'Europe, comme disent les Français, gérer ses propres affaires. À cet égard, un format pancontinental est nécessaire. Nous entretenions des relations avec l'Union européenne, il y avait des dizaines de mécanismes. Il y avait le Conseil Otan-Russie. Il y avait également de nombreux programmes : la lutte contre le terrorisme, la coopération sur l’Afghanistan, etc. Il n'existe pas encore de mécanisme pancontinental.
Lors du premier sommet Russie-Asean, le président russe Vladimir Poutine a proposé de ne pas créer quelque chose, mais de s'appuyer sur la réalité. Il existe l'UEE (Union économique eurasiatique), qui entretient des relations avec l'OCS. Ces organisations entretiennent des relations avec l'Asean. Il existe des relations entre l'UEE et des projets dans le cadre du concept chinois une ceinture, une route.
Si nous réunissons ceux qui prévoient de travailler dans chacun de ces domaines et que nous examinons les domaines où ces plans peuvent être harmonisés de manière bénéfique, le président Vladimir Poutine a qualifié ce processus de formation du Grand Partenariat eurasien. Il ne s'agit pas seulement des structures que j'ai énumérées. Il y a aussi le Conseil de coopération du Golfe avec lequel nous entretenons des relations très étroites, le Conseil de développement de l'Asie du Sud, cinq pays d'Asie centrale et plusieurs autres structures.
Nous proposons de développer le Grand Partenariat Eurasien sur la base de l’ouverture à tous les pays du continent sans exception, ce qui donne aux États qui y sont situés d’énormes avantages concurrentiels, auxquels l’Occident veut désormais renoncer.
Le chancelier allemand Friedrich Merz, au cas où, probablement pour empêcher les Américains de relancer Nord Stream, a déclaré que les gazoducs étaient soumis à des sanctions et qu'il était interdit de les restaurer. Il pleure également que les Allemands ordinaires souffrent des guerres tarifaires. Bien joué. Si le Grand Partenariat eurasien se développe naturellement, il pourrait bien devenir la base de l'architecture de sécurité eurasienne. Nous y travaillons actuellement, principalement avec nos amis biélorusses. Cette année ils organiseront la 3ème conférence sur la sécurité eurasienne.
Aujourd'hui et demain, le ministre des Affaires étrangères biélorusse, mon homologue Maxim Ryjenkov, sera en visite à Moscou. Nous avons publié un projet de Charte eurasienne de la diversité et de la multipolarité, à titre d'initiative de discussion. Le processus est en cours et suscite un vif intérêt. Des représentants des pays de l'Otan et de l'UE (la Hongrie, la Slovaquie, la Serbie) ont également participé aux conférences de Minsk. Ce processus est ouvert à tous les pays situés sur le continent.
Notre parti au pouvoir Russie unie et des représentants d'autres partis de la Chambre basse du Parlement ont organisé des auditions publiques et politiques sur le même sujet à Perm la semaine dernière. Les dirigeants de partis de plusieurs pays asiatiques, dont le Japon, la Corée du Sud, la Thaïlande et la Chine, y ont participé. Il s'agit de parties membres de la Conférence internationale des partis politiques asiatiques.
Question: Une question sur l’administration américaine. Cela fait déjà cinq mois qu'ils sont au pouvoir. Durant cette période, de nombreuses déclarations et nominations ont eu lieu. Certaines de ces nominations ont déjà abouti à des révisions et des licenciements. Comment voyez-vous les relations de la Russie avec la nouvelle administration de Donald Trump? Où en sommes-nous? Où tout cela nous mène-t-il?
Sergueï Lavrov: Je pense que nous sommes dans une position plus correcte, plus normale que celle que nous avions dans nos relations avec l'administration de Joe Biden, qui après les entretiens encourageants entre le président russe Vladimir Poutine et le président américain Joe Biden à Genève le 16 juin 2021, a tourné (malheureusement, pas à 360 degrés, comme l'a conseillé Annalena Baerbok) à 180 degrés. Tous les canaux de communication étaient bloqués. La réunion à Genève s'est bien déroulée. Au début de la réunion (en comité réduit), Joe Biden, sans consulter ses aide-mémoire, a déclaré: "Les États-Unis et la Russie sont deux grandes puissances. Chacune a sa propre histoire. Nous devons respecter l'histoire de l'autre et celle de tout autre pays. Les États-Unis se sont formés comme un creuset où tous les migrants ont été mis et en sont sortis avec l'inscription sur le front "droits de l'homme" et "nous sommes tous Américains". L'Empire russe s'est développé différemment. Il attachait des territoires où vivaient des peuples sédentaires depuis des siècles. Ceux-ci n'ont pas été mis dans un creuset, leurs traditions ont été respectées, leur histoire, leur culture et leur religion honorées. L'Empire russe lui-même avait la pratique d'accorder des statuts différents à ses parties constituantes afin de respecter et de prendre en compte leur diversité.
Il s'agit donc d'une entité étatique complètement différente, civilisationnelle au sens le plus large du terme. Les États-Unis ne veulent pas que quiconque porte atteinte à ce monolithisme, à cette unité. Vladimir Poutine a dû faire beaucoup depuis qu'il est devenu président en 2000. Le pays est devenu plus fort. C'est très utile. Nous sommes en sécurité lorsque la Russie, avec ses armes nucléaires, contrôle le pays.
Le président brésilien Luiz Lula da Silva a récemment déclaré que Joe Biden, alors qu'il était encore président, lui avait dit qu'il fallait détruire la Russie. Il s'agit de deux personnes différentes. À l'époque, sa principale préoccupation était que la Russie ne perde pas la capacité de contrôler sa puissance militaire. Ensuite, sa principale préoccupation a été de détruire la Russie.
Puis il y a eu une rupture. Le directeur de la CIA, William Burns, s’est rendu en visite à Moscou. Il a tenté (selon les Américains) de nous dissuader de la décision irrévocable d'attaquer l'Ukraine. Nous leur avons expliqué que notre préoccupation n'était pas d'attaquer qui que ce soit, mais de protéger nos intérêts légitimes en matière de sécurité. Alors, un projet d'accord entre la Russie et l'Otan, ainsi qu'un projet de traité entre la Russie et les États-Unis, ont été présentés, qui soulignaient clairement les intérêts de la Russie en matière de sécurité, mais pas au détriment de la sécurité de nos voisins. En janvier 2022, nous avons rencontré à Genève le secrétaire d'État américain de l'époque, Antony Blinken, au sujet de ces deux documents. Nous avons été ignorés. Les objectifs avancés et que nous réalisons actuellement dans le cadre d'une opération militaire spéciale ont été qualifiés d'inacceptables. Aucune garantie que l'Ukraine n'adhère pas à l'Otan. N'y pensez même pas.
Le secrétaire d'État américain Antony Blinken m'a dit que le maximum que nous puissions faire est de créer des missiles terrestres à portée intermédiaire et à courte portée. Il s'agit d'une classe de missiles interdite par le traité FNI, dont les États-Unis se sont retirés. Ils n'ont pas répondu et ne répondront pas à notre appel à instaurer deux moratoires parallèles et indépendants en l'absence de traité. Antony Blinken a proposé de convenir que les États-Unis déploieraient un certain nombre de missiles à portée intermédiaire et à courte portée en Ukraine. Et la Russie, dit-on, assumera également une telle responsabilité près de la frontière ukrainienne. Un "plafond" sera assuré. Une semaine plus tard, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, Vladimir Zelenski a crié que personne n'interdirait à l'Ukraine d'adhérer à l'Otan. Il a été applaudi. Une semaine plus tard, en violation flagrante des accords de Minsk, les bombardements du Donbass ont été multipliés par 10 à 15 fois. Lorsque le plan B a été prêt à être mis en œuvre, non pas par le biais des accords de Minsk pour mettre fin à cette guerre, mais par l'acquisition par la force de petits territoires des républiques de Donetsk et de Lougansk, qui n'étaient pas sous le contrôle de Kiev, nous n'avions pas d'autre choix.
Nous ne devrions jamais nous faire des illusions. Lors de notre rencontre avec le secrétaire d'État américain Marco Rubio à Riyad fin février dernier, les Américains, à l'origine de la rencontre, ont engagé la conversation et affirmé que la politique étrangère du président américain Donald Trump et de son administration reposait fermement sur les intérêts nationaux. Ils reconnaissent que d'autres pays ont également des intérêts nationaux, en particulier lorsqu'il s'agit de grandes puissances, ce que sont les États-Unis et la Fédération de Russie. Par conséquent, afin d'éviter les surprises et les malentendus, ils partent du principe que, dans la plupart des cas, les intérêts des grands pays ne coïncideront pas. Mais lorsque les intérêts nationaux de pays comme la Russie et les États-Unis coïncident, ce serait une grave erreur de ne pas profiter de cette coïncidence pour mettre en œuvre des projets mutuellement bénéfiques dans le domaine matériel (l’économie, l’énergie, le transport, l’espace, l’Arctique, etc.). Et dans la majorité des cas où ces intérêts ne coïncident pas, ces grandes puissances doivent empêcher cette non-coïncidence de dégénérer en confrontation, surtout chaude. Je soutiens cette approche des deux mains. Le président russe Vladimir Poutine s’appuyait toujours sur cela, formulant sa politique étrangère. Nous sommes prêts à parler avec tout le monde honnêtement, sans sacrifier nos intérêts nationaux, fondamentaux et légitimes, et sans exiger cela de nos partenaires. Il est toujours possible de se mettre d’accord. Le président russe Vladimir Poutine a evoqué plusieurs fois dans ses discours "l’équilibre des intérêts", "les compromis" lorsqu'on lui a demandé avec qui se mettre d’accord.
Je ne me ferais pas d'illusions. Nous ignorons comment la situation évoluera au sein de l'administration de Donald Trump. Je crois que les relations établies entre les présidents de nos pays durant le premier mandat de Trump sont des relations de travail. Ils n'ont pas besoin de préludes, de préambules. Lors de leurs contacts téléphoniques réguliers, ils vont droit au but. C'est ainsi qu'il faut travailler. Il vaut mieux exprimer directement sa position. Il n'y aura alors pas d'illusions, pas d'espoirs déçus. Il me semble que le président américain Donald Trump, son secrétaire d'État et son vice-président sont des hommes politiques qui veulent travailler de cette manière.
Question (traduite de l’anglais): Quels problèmes et défis voyez-vous dans le passage de la Russie d’une opération militaire spéciale à une opération antiterroriste?
Sergueï Lavrov: Cela nous inquiète non seulement à cause des événements de début juin dernier, mais aussi parce que ces méthodes, sous une forme ou une autre (et non de manière aussi flagrante que dans les régions de Briansk et de Koursk), étaient présentes sous le régime de Kiev depuis le tout début. Vous pouvez nommer n'importe quel territoire où des hostilités ont eu lieu, le résultat sera le même. Je pense que l'exemple le plus frappant est celui de la région de Koursk. Nos forces armées expliquent quels sites elles ont frappés sur le territoire ukrainien. Il s'agit de sites liés aux forces armées, d'unités militaires, de lieux de stockage de matériel ou d'anciens sites civils utilisés par les forces armées ou les services de sécurité ukrainiens.
Quant à la région de Koursk, nous avons tous été témoins des agissements des nazis ukrainiens. l n'y a pas un seul objet qui pourrait être présenté comme un objet lié à la conduite des hostilités. Ce n'est donc pas une surprise pour nous. Lors de la dernière réunion avec les membres du gouvernement, le président russe Vladimir Poutine a clairement exposé nos conclusions. Nous allons en tenir compte.
Il s’agit d’une menace est très sérieuse. Évidemment, tout est fait par la partie ukrainienne, mais elle serait impuissante sans le soutien des Anglo-Saxons. Maintenant sans le soutien des Anglais. Bien que, peut-être, les services spéciaux américains soient encore impliqués par inertie, les Britanniques le sont à 100%. Il est nécessaire de prendre des mesures appropriées non seulement au niveau du Service fédéral de sécurité russe (il a une énorme quantité de travail), mais aussi au niveau du ministère de l'Intérieur russe, de la Garde nationale et d'autres services spéciaux. Il est important de renforcer la vigilance de la population. C'est ce qui est fait. Vous avez raison de dire que les risques d'augmentation de la menace terroriste existent. Nous ferons tout pour les supprimer pour qu’ils ne portent préjudice à nos citoyens.
Question: Dans le Concept de politique étrangère de la Fédération de Russie pour 2023, votre pays est désigné comme un État-civilisation. Son auto-identification aux traditions civilisationnelles eurasiennes, différentes du libéralisme occidental est soulignée. Quel sera l'impact de cette identification, relative à la souveraineté culturelle et civilisationnelle, sur les futures relations de la Russie avec l'Europe et les États-Unis? Les États-civilisations comme la Russie et la Chine sont les principaux architectes de la multipolarité. Leur légitimité civilisationnelle, notamment leur volonté de sortir de la logique occidentale ( diviser pour régner, jeu à somme nulle), contribue à une meilleure coopération entre les peuples. Que pensez-vous de la synergie entre les économies chinoise et de l'UEE? Quel en sera l'impact dans la région et au-delà? Une organisation paneurasienne peut-elle être créée? La Russie et la Chine peuvent-elles jeter les bases de sa création?
Sergueï Lavrov: Le continent eurasien est unique en ce qu'il abrite non seulement deux civilisations qui se sont développées et créées au fil des millénaires, mais bien d'autres encore. Il y a la civilisation indienne, la civilisation ottomane, les civilisations qui s'appelaient autrefois l'Empire romain. Certains échos de ces traditions subsistent également. Sur d'autres continents - en Afrique, en Amérique latine - il existe des racines civilisationnelles, tout d'abord des peuples indigènes, mais elles ne sont pas aussi bien délimitées en symboles civilisationnels: culture, traditions, coutumes. Même au Groenland, ces traditions n'existent pas.
Dans mon allocution d’ouverture, j'ai essayé de faire passer l'idée que tous les peuples sont différents, tout comme les civilisations et les religions sont différentes les unes des autres. En Eurasie, nous pouvons trouver un langage commun avec tous nos voisins, avec toutes les grandes puissances. Je suis tout à fait d'accord avec vous que grâce au dialogue des civilisations que ce processus peut acquérir une importance pancontinentale, et que la Russie et la Chine peuvent et doivent jouer un rôle proactif de premier plan dans ce processus continental.
Dans un premier temps, j'espère que nous pourrons rétablir le travail de la troïka RIC (Russie, Inde, Chine). Nous ne nous sommes pas rencontrés au niveau des ministres des Affaires étrangères au cours des deux dernières années. J'aborde cette question avec mes homologues chinois et indien. J'espère qu'une fois que la tension à la frontière entre l'Inde et la Chine aura considérablement baissé, que la situation se sera stabilisée et qu'il y aura un dialogue entre New Delhi et Pékin, nous pourrons reprendre les travaux de la troïka RIC. Il s'agira d'une étape importante dans la promotion des processus pancontinentaux.
Question (traduite de l’anglais): Comment peut-on changer la façon dont l’Occident perçoit la Russie?
Sergueï Lavrov: De nombreux Russes et les représentants d'autres peuples de l'URSS ont vécu un moment heureux, semblable à la rencontre sur d'Elbe, lorsqu'un terrible ennemi a été vaincu et que, contrairement à toutes les manœuvres diplomatiques auxquelles nous avons assisté de la part de l'Occident au cours des premiers jours, des premiers mois et des premières années de la guerre, il y a eu de l'aide, des prêts-bails (pas gratuitement). Mais l'essentiel était que les Britanniques attendaient le moment pour savoir de quel côté entrer en guerre. Tout cela s'accumulait. La méfiance demeurait. Grâce à plusieurs sommets russo-américains-britanniques, il est devenu possible d'élaborer des compromis géopolitiques au plus haut niveau. Il y a eu un calcul à froid et un équilibre des intérêts. Je n'ai jamais vu de plus grande manifestation de bonheur que les images des actualités de la rencontre sur l'Elbe. Puis tout cela a été détruit La Seconde Guerre mondiale n'était pas encore terminée et nos alliés préparaient déjà, à l'initiative des Britanniques, l'opération Unthinkable (Impensable). C'est bien qu'ils aient compris qu'attaquer l'URSS était impensable. Mais le fil de pensée était déjà choisie. Puis ont eu lieu le discours de Winston Churchill à Fulton, la Guerre froide et le rideau de fer.
L’unité heureuse de personnes de différents pays et cultures qui éprouvaient les mêmes sentiments après avoir vaincu le mal était la chose la plus importante. Maintenant, il s’agit aussi de la lutte entre le bien et le mal. Vous avez raison de dire que l'Occident (en premier lieu l'Europe et son noyau agressif, dirigé par les Starmer, les Merz, les Macron), en plus de luttant contre notre pays en fournissant à l'Ukraine des armes de haute précision (les Ukrainiens ne peuvent pas les contrôler, ce sont les citoyens des pays qui les fournissent qui le font), veut simplement démontrer l'isolement de notre pays en interdisant à tout le monde d'y venir. Un député européen est venu célébrer le 80e anniversaire de la Victoire. Il a été exclu d'une faction. Il n'a pas été autorisé à assister à la réunion. C’est de honte, du fascisme, de la dictature. J'ai déjà évoqué ce qu'ils ont fait à la Roumanie.
Tous ces pays ont des ambassadeurs à Moscou. Certains ont des consulats généraux à Moscou et à Saint-Pétersbourg. La mission de l'ambassadeur est de dire la vérité à son gouvernement. Ce dernier a déclaré vouloir infliger une "défaite stratégique" à la Russie. Les ambassadeurs sont tenus de rendre compte de la manière dont cet objectif est atteint sur le terrain, c'est-à-dire sur le territoire de la Fédération de Russie, contre laquelle une guerre de défaite a été déclarée. Je ne sais pas ce que les ambassadeurs rapportent, mais nous pouvons partager quelque chose.
J'ai un exemple à citer. Il y a un an, en mai 2024, nous avons réfléchi au sein de notre ministère et décidé de ne pas répondre de manière brutale aux procédures mises en place par les pays hôtes pour nos ambassadeurs en Europe. Ils ne les ont pas acceptées, à de rares exceptions près, lorsqu'il a fallu exprimer leur protestation.
Avant le début de l'opération militaire spéciale, nous avions pour habitude de rencontrer tous les ambassadeurs de l'Union européenne deux fois par an, parfois chez nous, parfois chez eux, et de discuter de tout ce qui nous intéressait lors d'un déjeuner de travail.
En mai 2024, nous avons décidé de les inviter et de leur demander, sans annonces (cela n'a pas d'importance maintenant), ce qu'ils ne comprenaient pas dans ce qui se passait. Les capitales de ces pays n'étaient manifestement pas au courant de ce qui se passait, du résultat de leur agression contre la Russie, de son impact sur les dirigeants russes et sur le peuple russe. Nous avons invité tout le monde, y compris le chef de la mission de l'UE, et nous avons fixé une date et une heure. Soudain, quelques jours avant l'événement prévu, ils nous ont répondu qu'ils avaient reçu des instructions de leurs capitales de refuser l'invitation. En d'autres termes, l'Europe ne se souciait pas du résultat (à l'époque) de sa politique belliqueuse et agressive. Elle a interdit aux ambassadeurs de "bouger".
J'en ai parlé publiquement. Ensuite, nous avons appris qu'ils avaient rencontré un représentant de la Commission européenne et décidé de répondre à mes critiques publiques en rédigeant un document qu'ils publieraient ensuite. Dans ce projet, qui a été publié, il était précisé que tout cela était faux: ils ne pouvaient accepter l'invitation du ministre des Affaires étrangères du pays qui avait attaqué l'Ukraine et qui, comme on le sait, avait empoisonné Alexeï Navalny. A cet égard, je voudrais vous rappeler que nous ne pouvons pas non plus obtenir de réponse sur les noms de ceux dont les corps ont été montrés dans le village de Boutcha, ni de la part du Secrétaire général Antonio Guterres, ni de la part du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, ni de la part de journalistes qui, semble-t-il, connaissent tout sur George Epstein, mais ne peuvent obtenir aucune information sur Boutcha.
En ce qui concerne Alexeï Navalny, je pense qu'il est également sacrilège de spéculer sur la vie d'une personne, quels que soient les sentiments que l'on éprouve à son égard. Alexeï Navalny a été immédiatement, sans les formalités administratives nécessaires dans de tels cas, envoyé d'Omsk en Allemagne dans les 24 heures à bord d'un avion transportant des personnes sans visa ni passeport, qui sont reparties dans cet avion. Lorsqu'il a été amené à l'hôpital civil Charité, ils n'ont rien trouvé. Il a été immédiatement transporté à la clinique de la Bundeswehr, où ils ont trouvé "quelque chose". Nous avons écrit une note indiquant qu'il s'agissait de notre citoyen. Nous avons demandé si nous pouvions voir ce qu'ils avaient trouvé parce que c'était important pour nous de le savoir. On nous a répondu que non, que si on nous donnait les résultats des tests de Navalny, nous saurions à quel stade en est leur programme biologique.
Ils ont dit que tous les tests seraient remis à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques. Nous les avons contactés. L'organisation, que l'Occident a également privatisée il y a longtemps, a déclaré que les Allemands leur avaient remis les analyses, mais qu'ils leur avaient demandé de ne pas nous les montrer. Je ne plaisante pas du tout. Nous ne savons pas comment il a été traité, quels médicaments on lui a donné dans cette clinique de la Bundeswehr. J'ignore comment ces médicaments ont pu se manifester après un an, un an et demi, deux, trois ans. Cette conversation est basée sur le refus de fournir des faits, comme dans le cas du Boeing malaisien. Personne n'a fourni de faits. Il s'agit de 13 témoins, un seul en personne, tous les autres sont anonymes. Un procès a eu lieu récemment aux Pays-Bas. Les États-Unis ont fourni des données satellitaires, qui ont été simplement mentionnées comme ayant été présentées au tribunal. Ou peut-être qu'ils ne les ont pas montrées, mais le tribunal croit les États-Unis que les données satellitaires sont correctes. Rien de plus n'est nécessaire. Il s'agit là encore d'une manifestation d'impunité et d'une conviction de leur propre justesse, qui est le principal moteur de ceux qui veulent saper le processus de multipolarité, y compris par des moyens militaires. Je voudrais dire que la vérité est de notre côté et que la multipolarité sera la nôtre.
Question (traduite de l'anglais): Je suis moitié écossais, moitié irlandais, et je voudrais donc profiter de cette occasion pour me dégager de toute responsabilité des crimes historiques des Anglo-Saxons.
Le président Donald Trump est en fonction, mais est-il au pouvoir? Au cours des derniers jours nerveux à Washington, nous avons pu constater la capacité du président Donald Trump à tourner aussi bien qu'Annalena Baerbock à 360 et 180 degrés. C'est peut-être un trait de son caractère.
Il existe un double pouvoir aux États-Unis. Je pense personnellement que le président Donald Trump ne savait rien des attaques terroristes contre des aérodromes militaires en Russie la semaine écoulée. Cela a été fait rapidement et clairement par ceux qui ont agi sur ordre de l'administration précédente. Pensez-vous qu'il y ait des raisons de croire qu'il y a des forces aux États-Unis qui veulent contrecarrer les bonnes intentions de Donald Trump?
Sergueï Lavrov: Je pense que dans toute société, surtout lorsqu'elle évolue depuis des décennies dans le cadre de son système politique, suivant les sentiers battus, l'arrivée d'une personnalité brillante et peu conventionnelle à la tête de l'État suscite toujours des processus de fond visant à continuer à vivre comme avant: dépenser à crédit et diffuser son idéologie. Je pense que cela n'est pas seulement caractéristique des États-Unis. Nous en avons parlé plus d'une fois ces dernières années. Dans notre société, certains espéraient aussi que tout reviendrait à la normale, que ceux qui avaient fui (je parle des entreprises occidentales) reviendraient, qu'ils seraient à nouveau accueillis à bras ouverts, qu'il y aurait de nouveau des voyages sur la Côte d'Azur, en Sardaigne. Et la vie s'améliora, quand la consommation était largement assurée par les importations.
Le président Vladimir Poutine a clairement parlé de notre peuple, qui n'est pas appelé l'État profond, d'une manière différente, mais le sens est à peu près le même. Notre expérience en matière d'union de ces gens est loin d'être aussi forte qu'aux États-Unis, mais le président Vladimir Poutine a clairement dit, en parlant du retour des entreprises, que nous ne sommes pas contre, mais que ce sera juste.
Mais l'essentiel est que peu après le début de l'opération militaire spéciale, parlant de l'avenir du monde, il a déclaré que les choses ne seraient plus jamais les mêmes pour nous, pour la Russie, pour le peuple russe qu'avant février 2022. Autrement dit, il a espéré jusqu'au bout que les projets de traités Otan-Russie et Russie-États-Unis que nous avions remis à nos collègues en 2021 seraient encore pris au sérieux et que le bon sens prévaudrait. Ça n'a pas marché, ils ne nous ont pas crus.
Récemment, il y a eu l'interview du président russe Vladimir Poutine. On lui a posé une question directe, à savoir s'il était naïf. Il a répondu que oui, il était naïf. Mais cela signifiait que nous étions brouillés avec tant de formats et de slogans amicaux: "de l'Atlantique au Pacifique", "espaces communs avec l'Union européenne", "quatre axes": sécurité, économie, infrastructures, questions sociales. Des espaces communs ont été établis de l'Atlantique au Pacifique. Des dizaines de domaines, des projets communs, deux sommets par an, des réunions de ministres, de représentants permanents, de la Russie et de l'Union européenne, du Conseil de la Russie et de l'Otan, et ainsi de suite. Des promesses au plus haut niveau, signées au sein de l'OSCE, affirmant que la sécurité est indivisible et que nul ne renforcera la sienne au détriment des autres. Autrement dit, tout cela s'est accumulé par inertie, et chaque fois que l'Occident a prouvé son incapacité totale à négocier, toutes ces belles paroles n'étaient nécessaires que pour un seul objectif: préparer à nouveau une guerre d'extermination contre la Russie, comme il le faisait au cours des siècles passés.
Mais nous ne voulions pas y croire et, jusqu'à la dernière minute, nous avons essayé de promouvoir l'idée, dans nos contacts avec l'Allemagne, la France et Londres, que nous étions parvenus à un accord. Ils ont démembré ces accords et, comme l'a admis plus tard l'ancienne secrétaire d'État adjointe américaine Victoria Nuland, ont investi 5 milliards de dollars en Ukraine, uniquement en faire une anti-Russie.
Désolé de m'écarter de l'agenda américain vers le nôtre, mais l'État profond n'est en aucun cas propre aux États-Unis. J'ai déjà évoqué aujourd'hui la Commission européenne, élue par personne et dont la composition fait l'objet de marchandages (donnant-donnant). Les personnes de cette Commission européenne jouent également leur jeu à la manière de l'État profond. Et ils veulent asservir cet État profond. Dès que, dans un pays, le premier tour des élections est remporté non pas par un membre de la nomenklatura, mais par quelqu'un qui est un nationaliste au bon sens du terme (il peut ne pas nous aimer, ni aimer personne d'autre, mais il pense à son peuple. C'est le devoir de tout politicien), des mécanismes comme l'État profond sont immédiatement activés, et tout revient à la normale.
J'espère sincèrement que les normes constitutionnelles prévaudront en Amérique, que le président Donald Trump ne sera pas limité dans l'exercice de ses pouvoirs constitutionnels, qu'il ne sera pas gêné et qu'il recevra l'intégralité des informations.
J'ignore ce qu'il en est de l'information du président des États-Unis sur les opérations menées par le régime ukrainien contre notre pays. C'est un fait qu'un grand nombre de conseillers américains se trouvent dans les locaux des services de sécurité ukrainiens. Personne ne les a déplacés. C'est un fait que des instructeurs étrangers y travaillent et fournissent des armes au régime ukrainien. Nous savons également qu'ils conseillent les forces armées ukrainiennes lors de la planification d'opérations stratégiques, du déploiement et du camouflage de sites. J'ai déjà mentionné qu'un certain nombre d'armes modernes ne peuvent être utilisées sans la participation directe de militaires des pays qui les ont fournies.
Si j'ai bien compris, on a demandé au président Donald Trump dans l'avion ce qu'il pensait des dernières attaques, pas des dernières, mais des attaques terroristes. Il a dit qu'en entendant cela, il avait immédiatement compris que les Ukrainiens feraient l'objet de représailles et seraient bombardés massivement. Je ne peux que percevoir et commenter ce que j'entends. Comment les services de renseignement informent-ils le président des États-Unis? Franchement, je ne sais pas. Nous ne nous immisçons pas dans les secrets des autres au niveau du ministère des Affaires étrangères.
Question (traduite de l'anglais): Quel est l'avenir de la diplomatie dans les conditions et les circonstances d'un monde multiculturel, multipolaire et interconnecté?
Sergueï Lavrov: Je crois que la diplomatie, quel que soit le système et la forme de l'ordre mondial, ne disparaîtra pas.
J'ai déjà dit que la diplomatie est la plus ancienne profession, car tout le reste doit être négocié. On ne peut pas se passer de diplomatie.
Concernant la perception naïve de cette période post-soviétique idéale, où tout le monde nous courtisait: des centaines de spécialistes travaillaient dans nos institutions étatiques, notamment financières. Il semblait que la fin de l'histoire était arrivée, que nous faisions désormais partie du monde civilisé. La déception était très rapide. Mais à l'époque, dans notre langage de politique étrangère, il y avait une formule (inscrite dans divers documents analytiques) selon laquelle la nouvelle époque post-soviétique, après la guerre froide, se caractériserait principalement par une réduction du facteur de force dans les affaires internationales. Aujourd'hui, on ne peut que rire de ce sujet. Dès qu'on a convaincu quelqu'un de réduire le facteur de force, celui qui le convainquait utilisait ce facteur au maximum.
Aujourd'hui, toutes ces promesses et formules magiques ne peuvent plus être perçues de manière aussi naïve, mais la diplomatie reste nécessaire. Entre autres pour empêcher la course aux armements (notamment nucléaires) de s'intensifier au point d'entraîner l'irréparable. Surtout aujourd'hui, face à un risque aussi grave que l'intelligence artificielle. Qui sait ce qu'elle décidera d'elle-même lorsqu'elle comprendra comment est organisée la gestion de tel ou tel pays. Nombreux sont ceux qui s'en occupent actuellement.
L'administration de Donald Trump souhaite relancer le dialogue stratégique. Nous partons du principe que dès que les éléments fondamentaux de nos relations, sur lesquels elles reposent seront mis en conformité avec les principes de conduite de négociations égales sur la stabilité stratégique, nous serons prêts à les relancer. Pour l'instant, il est nécessaire de déployer des efforts supplémentaires.
La situation ukrainienne est un autre exemple de la nécessité de la diplomatie. Aujourd'hui, nos meilleurs diplomates sont incontestablement les combattants en première ligne, sur la ligne de contact. Ils se battent pour la vérité, l'honneur et la dignité des peuples.
Récemment, le chancelier allemand Friedrich Merz a pété les plombs dans l'un de ses discours en déclarant que la Russie devait être arrêtée et qu'ils feraient à nouveau de l'Allemagne la première puissance militaire d'Europe. Je ne sais pas s'il a compris le sens des mots "à nouveau" dans ce contexte, mais il a ensuite ajouté que la Russie ne s'arrêterait pas en l'Ukraine et conquerrait toute l'Europe. Il juge par lui-même, il a la mentalité de l'Allemagne hitlérienne, qui avait besoin de territoires pour accéder aux ressources naturelles. Ils allaient tout simplement détruire et ils ont détruit la majorité des personnes appartenant à certaines normes et appartenances ethniques. Il essaie de nous considérer à travers ses analyses et ses plans génétiques instinctifs.
Nous menons une opération militaire spéciale non pas pour des territoires, mais pour des personnes dont les ancêtres ont vécu sur ces terres pendant des siècles, ont créé des villes, construit des ports, des usines, des routes, semé du blé et produit d'autres produits. Ce sont ces gens qui ont été déclarés non-humains par les premiers dirigeants arrivés au pouvoir après le coup d'État de 2014. En septembre 2021, lorsqu'on a demandé à Vladimir Zelenski ce qu'il pensait des habitants du Donbass, a déclaré qu'il y avait des gens et des "spécimens". Si vous vivez en Ukraine et pensez appartenir à la culture russe, son conseil: pour la sécurité et le bonheur de vos enfants et petits-enfants, partez en Russie. Ils lui ont obéi, ont organisé un référendum et, comme il le dit, sont partis en Russie. Voilà de quoi il s'agit.
Lorsque, dans la ville russe d'Odessa le régime nazi de Kiev, ignorant les protestations des citoyens, à démolit un monument dédié à la fondatrice de la ville, l'impératrice Catherine la Grande, et qu'une semaine plus tard, l'Unesco a déclaré le quartier historique d'Odessa, où se trouvait ce monument, patrimoine culturel mondial, que devons-nous penser de cette organisation, dirigée par la citoyenne française Audrey Azoulay? Comment peut-on s'humilier à ce point et faire en sorte que personne en Occident n'en parle? Alors que le fait est absolument évident.
Nous avons maintenant tenu des négociations à Istanbul. Notre opération se poursuivra. Le président Vladimir Poutine l'a clairement expliqué. Mais parallèlement, nous sommes prêts à contribuer, par la diplomatie classique, à la mise en œuvre des objectifs de l'opération militaire spéciale. Il s'agit avant tout de résoudre les questions sociales, notamment l'échange de prisonniers de guerre, le retour des jeunes hommes enlevés par les centres de recrutement territoriaux ukrainiens, les blessés, les malades et les corps des morts.
On a tant parlé du refus de Vladimir Zelenski de récupérer les corps de ses soldats que je ne veux même plus aborder ce sujet blasphématoire. Mais je le répète: les résultats obtenus sur le terrain seront encore formalisés dans des documents juridiques. Cela se fera avec les militaires, mais surtout avec les diplomates. Notre position est claire, nous savons pour quoi nous nous battons – là-bas, directement sur le front, sur le plan diplomatique et économique, et sur le plan de l'éducation de nos enfants.
Question (traduite de l'anglais): Je sais que vous êtes partisan de l'ONU, des organisations internationales où vous avez commencé votre carrière diplomatique. Ma question concerne le statut géographique de ces organisations, dont les bureaux sont désormais situés dans des pays neutres comme la Suisse et l'Autriche, même si, comme nous le savons, ils ont perdu leur neutralité ces trois dernières années. Je pense que dans un monde multipolaire, une relocalisation est nécessaire. Par exemple, l'Opep pourrait déménager à Istanbul, ou certaines des organisations de l'ONU basées à Genève pourraient être déplacées en Inde ou sur le continent africain.
Sergueï Lavrov: Il serait préférable de déplacer l'ONU à Sotchi.
Joseph Staline l'a sérieusement proposé. Mais il est ensuite allé à la rencontre de Franklin Delano Roosevelt – d'abord à Long Island, puis à New York et à Manhattan.
Aujourd'hui, toutes ces structures sont profondément ancrées. Non seulement physiquement, sous forme de bâtiments et de biens immobiliers, mais aussi au niveau du personnel. Surtout après l'introduction des contrats à durée indéterminée, le personnel a acheté des appartements et des maisons. Si vous déplacez tout cela maintenant, il s'agira d'un tel déplacement de populations qu'il est même effrayant de l'imaginer.
Je pense qu'il faut appliquer ici le même principe que pour la Charte des Nations unies. Il n'y a pas un seul principe qui ne soit pas pertinent ou injuste aujourd'hui. Le seul inconvénient est qu'ils n'ont pas été mis en œuvre. Comme on le disait dans l'Empire russe: la rigueur des lois russes est atténuée par le caractère non contraignant de leur application.
Il en va de même pour la Charte des Nations unies. Il en va de même pour les pays que vous avez cités où se trouve actuellement le siège (les États-Unis, l'Autriche et la Suisse). Si la Charte des Nations unies est respectée, tous les problèmes mondiaux seront probablement résolus beaucoup plus efficacement. Que vaut le principe de l'égalité souveraine des États? Il faut le respecter. C'est difficile, peu réaliste, mais tout de même.
Il en va de même pour la relocalisation. Chaque ville où se trouvent aujourd'hui les structures des Nations unies a des obligations inscrites dans un accord entre l'organisation et le pays d'accueil. Ces engagements exigent sans ambiguïté de ne pas retarder la délivrance des visas d'un an ou deux et de ne pas restreindre les déplacements des diplomates travaillant dans des missions auprès d'une organisation internationale.
C'est pourquoi le comité des Nations unies sur les relations avec le pays hôte a été créé à New York et, dans ce cadre, même sous l'administration de Joe Biden, nous avons rédigé une disposition obligeant les États-Unis, l'État hôte du siège, de remplir ses fonctions.
C'est important, non pas tant parce que cela coûtera moins cher que de déménager, mais par principe, parce que vous ne voulez pas supporter que des engagements fixés soient grossièrement violés.
La vérité est toujours du côté de celui qui exige de respecter des accords. La Russie respecte toujours ses engagements. Nous l'avons une fois de plus confirmé lors des négociations menées dans le contexte de l'opération militaire spéciale.