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Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, à l'issue de sa visite aux États-Unis dans le cadre de la présidence de la Fédération de Russie au Conseil de sécurité des Nations unies, New York, 17 juillet 2024
Bonjour,
Je suis heureux de vous revoir.
Ma présence à New York s'explique par le fait que dans le cadre de notre présidence, deux évènements centraux ont eu lieu hier et aujourd'hui: des débats ouverts. Non seulement les membres du Conseil de sécurité pouvaient y participer, mais toutes les délégations intéressées aussi. Vous avez vu un grand nombre de participants.
La première question que nous avons abordée hier lors des débats ouverts était consacrée à la discussion des bases conceptuelles des relations internationales, du multilatéralisme et de la multipolarité. Nous avons attiré l'attention sur le fait que le système créé après la Seconde Guerre mondiale, basé sur le rôle central de l'ONU, était progressivement en train de s'éroder.
J'espère que vous avez pu prendre connaissance de mon intervention, ainsi que de celles d'autres participants. Nous ne nous attendions guère à parvenir à un accord sur la plupart des questions, compte tenu de la tension actuelle sur la scène internationale et des relations entre l'Occident collectif et la majorité mondiale.
Bien que nous n'ayons pas nourri de grandes illusions, je pense que c'était une discussion utile. Du moins, la grande majorité des participants est convenue qu'il existait des problèmes. Beaucoup ont exprimé des avis qui coïncident avec notre vision d'un ordre mondial multipolaire en formation, comme exposé dans mon discours.
Deuxième conclusion. Cette discussion sera certainement poursuivie. L'intérêt est évident et croît. Nous allons activement le soutenir et organiser des discussions supplémentaires sur ce sujet, non seulement à l'ONU, mais aussi sur d'autres plateformes multilatérales, notamment le G20, les Brics, l'OCS, et nos contacts avec les organisations régionales d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine.
L'essentiel est de rétablir la confiance. C'est ce qu'a clairement dit hier le représentant du Guyana. Aucun dialogue n'a été observé jusqu'à présent. Mais sa deuxième remarque importante était que la confiance ne peut être rétablie sans que toutes les parties respectent les accords conclus. Cela n'est pas encore le cas. Des exemples ont été donnés hier dans mon discours et dans les interventions de nombreux autres participants.
Beaucoup de témoignages ont également été entendus lors de la séance d'aujourd'hui sur les affaires du Moyen-Orient, avec un accent sur la question palestinienne. La grande majorité des résolutions de l'ONU sur la Palestine n'est pas appliquée. La deuxième séance (que je viens de mentionner) est encore en cours. De nombreux participants ont appelé à des mesures décisives. Cette évaluation est en accord avec notre position: avant tout, arrêter les actions militaires, déclarer un cessez-le-feu permanent, résoudre les questions humanitaires urgentes et, bien sûr, mettre fin aux activités illégales d'Israël en matière de colonisation. Si cela est fait (quand cela sera fait), nous espérons que cela créera les conditions pour reprendre les négociations sur la mise en œuvre des résolutions de l'ONU concernant la création d'un État palestinien coexistant en paix et en sécurité avec Israël.
Notre présidence se poursuit. Un autre cycle de débats généraux est prévu pour le 19 juillet. Il sera dirigé par mon adjoint Sergueï Verchinine. Cette séance sera consacrée aux relations entre l'Organisation des Nations unies, l'Organisation du Traité de sécurité collective, la Communauté des États indépendants et l'Organisation de coopération de Shanghai.
J'ai eu toute une série de rencontres bilatérales avec les ministres des États arabes, avec le ministre des Relations économiques extérieures et des Affaires étrangères de la Hongrie, Péter Szijjarto, et avec le chef du Département fédéral des affaires étrangères de la Confédération suisse, Ignazio Cassis.
Question (traduite de l'anglais): Lundi, le Président Vladimir Zelenski a déclaré que la Russie devrait être représentée au deuxième sommet sur la paix en Ukraine en novembre de cette année. Envisagez-vous d'y participer? Qu'en attendez-vous?
Sergueï Lavrov: Nous avons exprimé à plusieurs reprises nos opinions à ce sujet.
Le deuxième sommet est la continuation naturelle du processus entamé il y a presque un an.
À l'époque, un petit groupe d'États s'est réuni à Copenhague (plusieurs autres réunions ont eu lieu par la suite), formant ce qu'on appelle le format de Copenhague. À chaque fois, nos collègues occidentaux et le régime ukrainien ont tenté par tous les moyens, avec diverses astuces et promesses, d'attirer le plus grand nombre de pays à participer à ces évènements.
La dernière réunion du format de Copenhague a eu lieu à Davos en janvier de cette année en marge du Forum économique mondial. Juste après, il y a eu la première réunion ministérielle du Conseil de sécurité à New York sur la question palestinienne, à laquelle de nombreux ministres ont participé. Elle était présidée par la France. J'étais également présent à cette réunion. Le chef du Département fédéral des affaires étrangères de la Confédération suisse, Ignazio Cassis, y était aussi.
Nous avons eu une rencontre, à sa demande, au cours de laquelle il a attiré mon attention sur le fait que lors de la réunion du format de Copenhague en marge du Forum économique mondial à Davos, il avait souligné devant les journalistes qu'il était impossible de parvenir à un accord sans la participation de la Russie. Je lui ai immédiatement demandé: si vous en êtes convaincu, pourquoi alors tenir cette réunion? Il n'a pas répondu. Mais en réalité, la réponse est que l'objectif est de faire passer à tout prix le "plan de Vladimir Zelenski", qui prend clairement la forme d'un ultimatum. Mon homologue suisse m'a averti en janvier de cette année qu'après les réunions du format de Copenhague, ils organiseraient un "sommet sur la paix". Mais, comme vous le savez, le sommet a échoué.
Ce fut une "conférence sur la paix". Quelques chefs d'État y ont effectivement participé, mais la grande majorité des participants était représentée à un niveau inférieur. Il y a un mois, une "réunion" a eu lieu au Bürgenstock, en Suisse, après laquelle la majorité des participants ont exprimé des évaluations réservées (pour ne pas dire négatives) quant à ses résultats. Nous pourrons en parler plus tard.
Mais revenons maintenant à la deuxième conférence que vous avez mentionnée. Suite au Bürgenstock, Vladimir Zelenski et certains représentants occidentaux ont commencé à parler de cette deuxième conférence. La Suisse a été mentionnée, mais aussi d'autres pays susceptibles d'accueillir ce deuxième tour. Mais en parlant de ce qu'ils feront là-bas, tous ont formulé une approche absolument unilatérale, inacceptable pour nous et pour beaucoup d'autres sincèrement intéressés par la paix.
Vladimir Zelenski, à l'issue de la réunion au Bürgenstock, a déclaré qu'ils avaient fait un premier pas, un bond vers un "sommet sur la paix". Ils doivent maintenant préparer un document à présenter à la Russie, afin que divers pays "puissants" tentent de mettre fin à cette guerre de manière équitable. Ce que cela signifie est difficile à comprendre. Une chose est claire: la "formule de Vladimir Zelenski", bien connue de tous, reste au cœur de ces efforts.
En ce qui concerne les efforts de paix, tout le monde parle du Bürgenstock. Personne ne mentionne les initiatives de la Chine, qui ont été nombreuses. La Chine a avancé ses propositions en février 2023 et plus tard.
Récemment, la Chine et le Brésil ont formulé plusieurs éléments d'une initiative. Je ne vais pas les énumérer. La principale différence avec la "formule de Vladimir Zelenski" et avec ce qui est fait lors de ces réunions dans le cadre du format de Copenhague est que, premièrement, la Chine, le Brésil et de nombreux autres pays qui les ont rejoints, plaident pour la convocation d'une conférence basée sur des fondements et des principes acceptables pour toutes les parties.
Deuxièmement (concernant le contenu du dialogue), la Chine, dès sa première initiative, a clairement indiqué la nécessité de commencer par examiner les causes profondes de la crise actuelle en Europe et de travailler à l'élaboration d'accords pour éliminer ces causes. Personne dans le cadre des réunions au format de Copenhague ou du Bürgenstock n'a mentionné ces causes profondes. Il y en a beaucoup. Nous en avons parlé en détail, y compris hier. Le coup d'État, l'interdiction de la langue russe, les actions militaires et physiques avec l'utilisation de l'armée contre les régions d'Ukraine qui refusaient de reconnaître comme légitimes les personnes arrivées au pouvoir à la suite de ce coup d'État, les Accords de Minsk que personne n'avait l'intention de respecter.
Si l'on regarde l'évolution de tout le processus, on nous dit que la Russie doit se retirer aux frontières de 1991. Tout le problème est qu'on nous mentait constamment.
Si, en février 2014, l'accord que le Président Viktor Ianoukovitch a signé avec l'opposition avait été respecté (il s'agissait de former un gouvernement d'unité nationale et de préparer une élection présidentielle anticipée), l'Ukraine serait encore dans les frontières de 1991. Mais cet accord a été rompu par les mêmes personnes qui l'avaient signé du côté de l'opposition. Après le coup d'État, ayant occupé les bâtiments administratifs, ils ont déclaré qu'ils annulaient le statut de la langue russe en Ukraine et qu'ils exigeaient de libérer la Crimée de la population russe, c'est-à-dire des citoyens ukrainiens vivant en Crimée. Il n'a pas été possible de maintenir l'Ukraine dans les frontières de 1991. La Crimée a organisé un référendum. Aucun observateur objectif n'a douté de cette volonté populaire. Elle est revenue dans la composition de la Russie.
Dans l'est de l'Ukraine, ceux qui ont refusé d'accepter le coup d'État ont été déclarés terroristes. Les forces armées, l'aviation de combat et l'artillerie ont été dirigées contre eux. Ils ont commencé à résister. Cette partie de l'Ukraine a de facto cessé d'en faire partie à ce moment-là.
Les Accords de Minsk prévoyaient que ces républiques, qui avaient d'abord déclaré leur indépendance, restent en Ukraine, mais qu'elles reçoivent un statut spécial, qui n'est pas trop "complexe". C'est-à-dire le droit d'utiliser la langue russe, d'avoir leur propre police (comme ici, au niveau des États, il y a leur propre police), d'être impliquées dans les consultations lors de la nomination des procureurs et des juges. Pas grand-chose. C'est à peu près ce que le Président français Emmanuel Macron a promis à la Corse. Je ne sais pas s'il y parviendra ou non. Si les Accords de Minsk avaient été respectés, l'Ukraine serait dans les frontières de 1991, moins la Crimée. Parce que personne ne parlait de la Crimée à l'époque. Cela n'a pas non plus fonctionné.
Nous avons discuté en détail des raisons du début de l'opération militaire spéciale, de son inévitabilité, comme l'a souvent souligné le Président Vladimir Poutine, à la suite de nombreuses années de nos avertissements exigeant l'arrêt de l'expansion de l'Otan vers l'est, la maîtrise du régime nazi en Ukraine, qui éradiquait légalement et physiquement tout ce qui était russe, et la garantie de la sécurité des personnes vivant sur des terres aménagées par leurs ancêtres. Si l'accord conclu entre les délégations de la Russie et de l'Ukraine à Istanbul en avril 2022 avait été signé, l'Ukraine serait dans les frontières de 1991, moins la Crimée et la partie du territoire contrôlée par les forces russes à ce moment-là. Il s'est avéré qu'on nous mentait également en disant que cet accord était une voie vers la paix. Les négociateurs ukrainiens étaient probablement sincères lorsqu'ils ont paraphé ce document. Mais, comme l'a avoué le principal négociateur David Arakhamia dans une interview télévisée, l'ancien Premier ministre britannique Boris Johnson est venu et leur a interdit de respecter cet accord. C'est pourquoi il n'a jamais été formalisé.
Lorsque nous essayons sincèrement, de bonne foi, d'apaiser cette crise qui a commencé il y a plus de dix ans, et que nous parvenons à consigner quelques accords mutuels, chaque fois ces accords sont détruits, non par nous, mais par les Ukrainiens et leurs maîtres. Le Président Vladimir Poutine a déclaré à plusieurs reprises, y compris très récemment, que nous étions prêts à discuter des problèmes de sécurité en Europe. Bien sûr, en tenant compte de la nécessité d'éliminer les causes profondes et de garantir les intérêts sécuritaires légitimes de la Russie. Non pas au détriment des intérêts de sécurité de qui que ce soit, mais dans le cadre d'accords généraux.
L'OSCE a échoué. Parce que tous les principes sur lesquels l'Organisation était fondée, à savoir la sécurité égale et indivisible, selon lesquels aucun des participants à l'OSCE ne renforcerait sa sécurité au détriment de celle des autres, ont été piétinés. L'OSCE est également l'incarnation du concept de sécurité euro-atlantique, tout comme l'Otan. Cela comprend l'Europe et les pays situés de l'autre côté de l'Atlantique, le Canada et les États-Unis. Il s'est avéré que, tant au sein de l'Otan que de l'OSCE, le seul objectif poursuivi par Washington était de soumettre tous les pays membres de ces structures ainsi que les appareils exécutifs de l'OSCE et de l'Otan.
Actuellement, l'Union européenne a signé un accord avec l'Otan, selon lequel elle reconnaît l'Alliance comme partenaire principal et est prête à aider de toutes les manières possibles l'Organisation, en mettant à disposition son territoire, en coordonnant sa politique de défense, etc.
Nous sommes prêts à négocier. Mais compte tenu de l'expérience malheureuse des discussions et consultations avec l'Occident et les Ukrainiens, en ce qui concerne un traité de sécurité européenne qui, espérons-le, sera atteint à un moment donné (et dans ce contexte, la crise ukrainienne sera réglée), nous examinerons bien sûr attentivement les formulations et insérerons dans ce document des "fusibles" contre des interprétations malhonnêtes et non viables, qui abondent dans l'histoire que j'ai tenté de raconter brièvement.
Question (traduite de l'anglais): Le 28 mai 2024, le Président des États-Unis Joe Biden, lors d'une interview, a affirmé que l'économie chinoise était au bord de l'effondrement. Selon vous, quels sont les résultats de l'économie chinoise? Comment une économie au bord de l'effondrement peut-elle devenir un facteur décisif, comme mentionné dans le communiqué de l'Otan concernant la Chine, contribuant au conflit?
Sergueï Lavrov: Comment cette déclaration correspond-elle à la réalité? L'économie chinoise se développe de manière puissante et dynamique. Oui, on essaie de l'arrêter.
Récemment, lorsque le Président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, était en France, il a rencontré non seulement le Président Emmanuel Macron, mais aussi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Les représentants de l'Union européenne ont publiquement déclaré à l'issue de ces négociations qu'ils avaient demandé à la Chine de réduire la production de biens de haute technologie parce que l'Occident avait perdu en compétitivité. Comment cela correspond-il aux principes de marché libre et de concurrence loyale?
L'Occident veut freiner l'économie chinoise. En plus des demandes de réduire la production de produits bon marché et de bonne qualité, des sanctions sont appliquées pour ralentir le développement technologique de la Chine également dans d'autres secteurs de l'économie. Mais il ne doit y avoir aucun doute. Dans de telles conditions, plus il y aura de restrictions qui discréditent complètement le modèle de mondialisation et d'unité économique mondiale promu par l'Occident lui-même, et plus les "maîtres" du système de Bretton Woods agiront de manière agressive, plus les pays contre lesquels ces sanctions sont appliquées travailleront activement et efficacement pour créer leurs propres technologies et produits. Cela inclut la République populaire de Chine, la Fédération de Russie et bien d'autres.
J'ai lu une déclaration intéressante du Secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, qui a commenté les exercices militaires qui ont eu lieu entre la Chine et la Biélorussie sur le territoire biélorusse. Il a sérieusement et avec emphase déclaré que c'était dangereux parce que la Chine se rapprochait de l'Otan. Et que les Américains se soient rapprochés de la Chine depuis longtemps et encerclent la Chine et la Russie, avec tout ce qui se passe à nos frontières, avec des structures de bloc: Aukus, le trio États-Unis-Japon-Corée du Sud. Les États-Unis concluent des accords avec la Corée du Sud sur une politique nucléaire conjointe et bien plus encore. Ils essaient de diviser l'Asean, d'attirer certains pays dans leurs structures de bloc fermées. L'Otan a décidé de promouvoir son infrastructure dans la région indo-pacifique. Des mesures concrètes sont déjà prises.
En réponse à la question sur le fait qu'ils se sont toujours qualifiés d'alliance défensive pour protéger le territoire des États membres, Jens Stoltenberg a déclaré qu'ils restaient une alliance défensive, mais que les menaces pour l'Alliance étaient désormais mondiales, et il est donc nécessaire de se rendre dans la région indo-pacifique.
La nature agressive et injuste de cette position est claire pour tout le monde. Avec la Chine et nos autres partenaires dans le cadre de l'Organisation de coopération de Shanghai, de l'Asean, du Conseil de coopération des États arabes du Golfe, nous préconisons l'élaboration d'un modèle de sécurité qui sera un modèle de sécurité eurasiatique. Il sera basé sur l'égalité, l'indivisibilité de la sécurité et la pleine prise en compte des intérêts mutuels et de leur équilibre. Ce modèle nécessitera beaucoup de temps pour se concrétiser.
Le Président russe Vladimir Poutine l'a annoncé il y a un mois lors d'un discours au ministère des Affaires étrangères. Il a particulièrement souligné que cette initiative prévoyait que le système de sécurité eurasiatique sera ouvert à tous les États et organisations du continent eurasiatique, y compris ceux situés dans la partie occidentale de l'Eurasie. Si et quand ces pays comprendront que les blocs centrés sur l'Otan ne les mènent pas dans la bonne direction.
Vous savez à quel point l'Europe souffre économiquement du fait qu'on l'ait contrainte à porter le fardeau principal des sanctions, à cesser d'acheter du gaz russe. Bien que cela ne soit pas encore totalement effectif, de telles discussions ont lieu. Les gazoducs Nord Stream, qui devaient continuer à assurer la prospérité de l'économie allemande et de toute l'Europe, ont été sabotés. Après l'introduction des sanctions, l'Europe a dû payer 200 milliards d'euros de plus pour les sources d'énergie. Aux États-Unis, diverses lois sur la lutte contre l'inflation ont été adoptées, ce qui a poussé les entreprises européennes à délocaliser aux États-Unis. L'Europe est menacée de désindustrialisation.
C'est une situation critique. Il est incorrect d'évaluer l'économie chinoise uniquement à travers le prisme des intérêts géopolitiques, il faut s'en tenir aux faits.
Question: Dans quelle mesure la politique de deux poids deux mesures des États-Unis au Moyen-Orient peut-elle mener à une guerre totale? D'un côté, il y a le non-respect des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU concernant le conflit israélo-palestinien, y compris Gaza, et de l'autre, la diabolisation du Hamas et du Hezbollah au Liban. N'y a-t-il pas un danger que l'Iran entre en guerre totale, directe et ouverte avec Israël?
Sergueï Lavrov: Les déclarations faites par les anciennes autorités de l'Iran et le président nouvellement élu reflètent une position responsable. L'Iran ne souhaite pas une escalade. Selon les analystes, y compris aux États-Unis et en Europe, les évènements montrent que c'est Israël qui souhaite une escalade.
Le Hezbollah agit de manière très retenue. Son leader, Hassan Nasrallah, a fait plusieurs déclarations publiques confirmant cette position. Mais il semble qu'on cherche à les provoquer pour qu'ils s'impliquent pleinement. L'objectif de cette provocation, selon les analystes, serait d'amener les États-Unis à s'impliquer directement avec leurs forces armées dans ce conflit.
J'espère que l'Occident fera tout pour que ces idées provocatrices (si elles existent au sein du gouvernement israélien) restent des idées, et de préférence soient oubliées. Nous faisons tout pour apaiser cette situation.
En parlant des intérêts iraniens, nous devons évidemment mentionner le Yémen. En tant que réponse à l'opération israélienne dans la bande de Gaza de punition collective, l'attentat était inacceptable. Nous le confirmons toujours. Mais punir collectivement en violation du droit humanitaire international... On ne peut pas lutter contre une violation en commettant d'autres violations sur les mêmes principes.
Ansar Allah, les Houthis ont déclaré qu'ils soutiendraient le peuple palestinien et contribueraient à lever le blocus, à mettre fin à la guerre, en utilisant leurs moyens pour empêcher le passage des navires en mer Rouge transportant des marchandises pour Israël.
La réaction des États-Unis et du Royaume-Uni a été d'envoyer leur flotte au lieu de chercher des solutions de désescalade, de parler avec Israël pour parvenir à un accord sur la manière d'appliquer les résolutions, qui, bien qu'adoptées après quatre ou cinq vetos, restent sur le papier. Au lieu de cela, ils ont eu recours à la force militaire: ils bombardent le territoire yéménite, y compris des installations qui n'ont aucun lien avec Ansar Allah.
Il y a de nombreux facteurs dans la région que certains politiciens veulent utiliser pour déclencher une grande guerre, notamment pour avoir l'opportunité d'accuser l'Iran et d'utiliser contre lui des armes de pointe. C'est une politique à courte vue et sans avenir. Nous y sommes fermement opposés. Nos alliés sont d'accord, avant tout les pays arabes, le monde musulman, la Ligue arabe, l'Organisation de la coopération islamique (OCI). Cela doit être empêché. J'espère que nous y parviendrons.
Question (traduite de l'anglais): Quelles seront les relations entre la Russie et les États-Unis si l'ancien président Donald Trump est de nouveau élu, en particulier compte tenu du choix de James Vance au poste de vice-président, qui a beaucoup parlé de l'Ukraine? J'avais posé cette question en janvier, mais beaucoup de choses ont changé depuis. Maintenant, il est candidat du Parti républicain.
Sergueï Lavrov: Certaines choses ont changé, mais pas notre position. Vous savez que nous ne nous ingérons pas dans les affaires intérieures d'autres États, y compris les États-Unis. Nous avons travaillé avec le président américain Donald Trump. Nous avons eu des contacts. Il a rencontré le président Vladimir Poutine. Il m'a reçu à la Maison Blanche à deux reprises. Indépendamment de ses humeurs, c'est pendant la présidence de Donald Trump que la guerre des sanctions a commencé. Pour être juste, elle a été initiée par le président Barack Obama. Mais sous Donald Trump, les sanctions ont augmenté, tant économiques que diplomatiques. Cependant, à cette époque, il y avait un dialogue entre la Russie et Washington aux niveaux les plus élevés. Maintenant, il n'y a plus de dialogue de ce type.
Il y a eu une rencontre en juin 2021 entre le président russe Vladimir Poutine et le président américain Joe Biden à Genève. Mais après le début de notre opération militaire spéciale, après que nous ayons expliqué de manière exhaustive qu'il ne nous restait pas d'autre choix que de protéger les intérêts de sécurité et les personnes que le régime de Kiev a déclarées terroristes et bombarde quotidiennement, il n'y a eu aucun contact.
Il y a des conversations téléphoniques épisodiques. Le chef de la CIA William Burns a rencontré le directeur du Service de renseignement extérieur Sergueï Narychkine en 2023 sur un territoire neutre. Il y a quelques conversations téléphoniques à différents niveaux, mais nous n'observons rien de substantiel.
Jake Sullivan a de nouveau déclaré qu'ils devaient absolument reprendre le dialogue avec la Russie sur la stabilité stratégique. Ils prétendent proposer et que la Russie refuse. Ils cherchent à rejeter la faute sur les autres.
Le fait est que le dialogue sur la stabilité stratégique implique des relations de respect mutuel et d'égalité. Tout cela est consigné dans nos documents, y compris le traité de réduction des armes stratégiques. Mais la Russie est publiquement déclarée ennemie, principale menace, qu'il faut tout faire pour que l'Ukraine gagne. Récemment, le président américain Joe Biden a dit que si la Russie gagnait en Ukraine, la Pologne partirait, et d'autres pays, jusqu'aux Balkans, se sentiraient et se comporteraient plus indépendamment.
Si on y réfléchit bien, il y a une idée profonde. C'est-à-dire qu'il faut vaincre les Russes en Ukraine pour que les États-Unis maintiennent toute l'Europe sous leur "commandement".
Je le répète, le Président russe Vladimir Poutine a souvent parlé de cela. Nous serons et sommes prêts à travailler avec tout leader américain élu par le peuple américain et prêt à un dialogue égalitaire et respectueux. Je rappelle que sous l'administration Trump, malgré des sanctions sévères, un dialogue avait tout de même lieu.
Hier, le ministre des Affaires étrangères de la Hongrie, Péter Szijjarto, a pris la parole et a consacré une grande partie de son discours au fait que presque toute l'Union européenne commence à saboter et boycotter les activités de la présidence hongroise parce que Viktor Orban s'est rendu à Moscou et en Chine. Parce qu'il plaide pour la paix. C'est étonnant. L'Union européenne, qui a été créée pour assurer la prospérité et la stabilité de tous les participants, est maintenant devenue un appendice de l'Otan. Et de manière tout aussi agressive, voire parfois plus agressive, exige de vaincre la Russie. Quel dialogue stratégique dans ce contexte?
Je le répète, si et quand nos collègues reviendront à la raison, qu'ils se débarrasseront de cette obsession de supériorité, de grandeur et d'impunité, nous nous assiérons pour discuter et écouter ce qu'ils ont à dire. Mais il n'est pas dans nos traditions de courir après eux et de les convaincre.
Question (traduite de l'anglais): Pensez-vous que la guerre à Gaza montre l'échec principal de la communauté internationale, du droit international, de la Cour internationale de justice de l'ONU à faire respecter les mesures provisoires, les quatre résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, les deux résolutions de l'Assemblée générale? Néanmoins, la guerre génocidaire continue. Selon vous, quel est le lien entre la guerre à Gaza, soutenue par les membres de l'Otan, notamment les États-Unis, et la guerre en Ukraine, également soutenue par l'Otan?
Sergueï Lavrov: Tout d'abord, vous avez absolument raison. Ce n'est pas seulement la situation à Gaza qui est un échec de la communauté internationale, mais toute l'histoire de la mise en œuvre des résolutions de l'ONU concernant la création d'un État palestinien. Cet État devait apparaître en même temps que l'État d'Israël et dans des frontières différentes des fragments de territoires actuels occupés par les Palestiniens. Aujourd'hui, j'en ai longuement parlé, ainsi que la majorité d'autres délégations. Et le chef de cabinet d'Antonio Guterres, Earle Courtenay Rattray, en lisant le message du secrétaire général, a clairement dit la vérité.
La vérité est que nous parlons tous de l'importance de mettre en œuvre les résolutions et nous les énumérons: la création d'un État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale, le retour des réfugiés, la coexistence pacifique de cet État avec Israël. Ensuite, M. Rattray a décrit la situation sur le terrain, montrant les territoires détenus par les Palestiniens en 1967 et ce que contrôle actuellement l'Autorité nationale palestinienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Pour la bande de Gaza, c'est une autre histoire. Israël parle à nouveau de maintenir un contrôle total, se trouvant "autour du périmètre". Cela prolongera le blocus.
Vous avez raison, il y a eu de nombreuses résolutions. Presque aucune n'a été mise en œuvre. Je me souviens encore de la "feuille de route" adoptée par le Quartet des médiateurs internationaux au début des années 2000. Tout le monde l'applaudissait alors. Ce document détaillait chaque étape, semaine par semaine, mois par mois, et devait créer un État palestinien en un an, avec des compromis par rapport aux résolutions initiales. C'est triste.
Quant au lien entre le soutien à Israël et le soutien à l'Ukraine, il y a beaucoup de similitudes. J'ai mentionné que pendant les presque dix mois d'opérations d'Israël dans la bande de Gaza, environ 40.000 civils, principalement des femmes et des enfants, ont été tués et environ 80.000 ont été blessés. Les pertes civiles de chaque côté, tant dans le Donbass qu'en Ukraine, sont deux fois moins importantes sur une période de dix ans après le coup d'État. Les chiffres sont effroyables.
Puisque vous avez soulevé cette question, il existe un aspect de cette situation concernant le rôle de l'ONU, de son secrétariat et du secrétaire général. Récemment, lorsque nous avons frappé les infrastructures militaires et énergétiques liées au bloc militaire en Ukraine, un des missiles a été abattu par le système de défense aérienne ukrainien, placé en violation du droit international humanitaire près des bâtiments résidentiels et sociaux. Les débris sont tombés sur l'hôpital pédiatrique Okhmatdet à Kiev, tuant deux personnes et blessant une vingtaine d'autres. Le lendemain matin, le porte-parole du secrétaire général de l'ONU, Stéphane Dujarric (que vous connaissez bien), a accusé la Russie au nom du secrétaire général et a exigé "que cela cesse".
Au tout début de l'opération à Gaza, après les attaques terroristes du 7 octobre 2023, des frappes ont été effectuées sur l'hôpital Al-Ahli. C'était le 17 octobre 2023. Selon diverses sources, 500 personnes y ont perdu la vie et plusieurs centaines ont été blessées. Le Secrétaire général de l'ONU a fait un commentaire long et vague, sans indiquer qui avait porté cette frappe. Il condamnait les frappes et appelait à éviter ce type de violations du droit international humanitaire. À ce moment-là, tout le monde comprenait déjà qui en était responsable. Lorsqu'on a demandé à Stéphane Dujarric le lendemain s'ils avaient déterminé les responsables, il a répondu qu'il ne pouvait rien ajouter à ce qui avait été dit la veille. Les doubles standards sont évidents. Je pense que vous avez souvent rencontré de tels exemples lors des conférences de presse. C'est regrettable.
Il existe l'article 100 de la Charte des Nations unies sur l'impartialité et la neutralité des hauts fonctionnaires de l'ONU. Il est inacceptable que l'Occident collectif privatise les structures de l'ONU à ses propres fins.
Question (traduite de l'anglais): Pour faire suite à ce qui a déjà été demandé concernant les récents commentaires du sénateur James Vance. Non seulement il critique l'aide à l'Ukraine, mais il appelle également à une paix fondée sur des négociations. Il a critiqué la politique générale de l'administration de Joe Biden concernant le conflit entre la Russie et l'Ukraine. Quelle est votre opinion sur ses récents commentaires concernant l'aide à l'Ukraine? À quoi ressembleront les frontières finales dans une solution négociée approuvée par Moscou? Par exemple, les propositions du sénateur James Vance seront-elles acceptées ou non?
Sergueï Lavrov: J'ai entendu dire la même chose que vous. Il prône la paix, l'arrêt de l'aide. Nous ne pouvons que le saluer. En fait, il faut arrêter de fournir à l’Ukraine des armes, et la guerre cessera. Et il sera possible de chercher des solutions, mais elles devront tenir compte des réalités non seulement sur le terrain, mais aussi dans la vie publique. Il s’agit notamment du fait que le Premier ministre britannique de l’époque, Boris Johnson, avec le soutien des États-Unis, a fait échouer les accords de paix en avril 2022. S’il ne l’avait pas fait, une partie importante des territoires qui ont organisé des référendums et sont devenus partie intégrante de la Russie, seraient restés en Ukraine. Mais ils ont organisé des référendums précisément parce qu’ils se rendaient compte que l’Occident perturberait tout accord et que le régime de Kiev n’était pas fiable et incapable de négocier.
Comme je l'ai déjà dit, depuis lors, quatre régions - les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, les régions de Kherson et de Zaporojie - ont organisé des référendums. Elles sont devenues partie intégrante de la Russie. Ceci est inscrit dans notre Constitution. Ce n'est pas négociable. Tous les territoires n’ont pas encore été libérés, mais nous ne pouvons en aucun cas laisser les gens qui ont voté pour le retour en Russie sous le joug d’un régime qui extermine tout ce qui est russe.
J’ai évoqué un fait important dans mon discours. Il est juste que nos amis chinois ont attiré l’attention sur la priorité de la tâche visant à comprendre les causes profondes et à les éliminer. Toutes les initiatives qui "flottent" actuellement dans les affaires ukrainiennes n’ont rien à voir avec des causes profondes. Dans toutes les formules de paix occidentales de Vladimir Zelenski et celles promues par l’Occident, rien n'est dit sur les droits de l’homme et des minorités nationales. Mais ils aiment ces sujets, comme vous le savez. Nous posons la question: pourquoi?
Je vous le dirai en toute confiance, nous avons eu des contacts non affichés avec les Américains par l'intermédiaire de politologues qui se connaissaient et comprenaient la politique de leurs gouvernements. Nos politologues ont posé cette question. Comme vous pouvez le constater, lorsque, finalement, il y aura une sorte de règlement, de toute façon, une partie de l’Ukraine (occidentale, par exemple) restera sous l’autorité de ceux qui signeront des traités de paix. Êtes-vous, Américains, favorables à l’inclusion dans de tels accords de l’abrogation des lois interdisant la langue russe dans tous les domaines de la vie? Ils ont déclaré qu’ils ne s’ingéraient pas dans les affaires intérieures de l’Ukraine, que c’était aux Ukrainiens eux-mêmes de décider.
Concernant Bürgenstock. La formule de Vladimir Zelenski comprenait et comprend 10 points. Ils ne les ont retirés pas. Y compris le fait que la Russie doit se retirer jusqu'aux frontières de 1991, la création d'un tribunal pour juger les dirigeants russes, le paiement de réparations, les restrictions sur les armes que la Russie pourrait avoir dans la zone proche du territoire ukrainien. En outre, il y avait inscrit la nourriture, l'énergie, la sécurité nucléaire, les questions humanitaires, l'échange de prisonniers, etc. L’arrogance et l’impasse de ce plan sautent aux yeux de tous. Afin d'inviter à ces événements le plus de pays possible, en premier lieu Bürgenstock (c'était leur priorité), ils ont commencé à les persuader d'aborder les questions qui ne faisaient aucun doute dans ce plan. La nourriture, l’énergie, etc. En conséquence, seuls trois sujets ont été inscrits à l’ordre du jour de la conférence de Bürgenstock. Mais même ici, c'est très significatif. La sécurité alimentaire, que l’Occident détruit de son propre chef, obligeant l’Union européenne et ses producteurs à se sacrifier pour le bien des agriculteurs ukrainiens qui, comme chacun le sait, fournissent des céréales coûteuses et de mauvaise qualité. Il s'agit d'un sujet distinct.
Nous apprécions les efforts du Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, visant à mettre en œuvre le mémorandum entre l'ONU et la Russie, qui contient des mesures visant à éliminer les obstacles aux exportations russes de produits alimentaires et d'engrais.
Le point suivant était la sécurité physique et nucléaire. Au départ, il y avait aussi la sécurité énergétique. Je me demandais pourquoi ils avaient laissé la sécurité nucléaire et exclu la sécurité énergétique. S’ils laissaient la sécurité énergétique, ils devraient discuter de celui qui a fait exploser les gazoducs Nord Stream. C'est un sujet qu'ils souhaitent clore le plus rapidement possible. Mais nous obtiendrons la vérité. Une fois de plus, au Conseil de sécurité, nous voudrions vous rappeler que ce sujet n'a pas disparu. Parce que la Suède, qui a annoncé son enquête nationale, déclare avoir enquêté pendant un an et demi, n'avoir rien trouvé et l'enquête est close. À mon avis, c’est indigne de n’importe quel homme politique. L'Allemagne garde le silence.
Tout comme nous l’exigerons lorsque nous sommes accusés de quelque chose. J'écrirai une autre lettre au Secrétaire général. En avril 2022, Boutcha a été utilisée pour perturber le traité de paix. J'ai dit à plusieurs reprises au Conseil de sécurité de l'ONU que s'ils étaient si aigris par l'attaque agressive de l'armée russe contre des civils, pourquoi n'en parlent-ils pratiquement pas maintenant? Afin d'expliquer d'une manière ou d'une autre ce qui se passait à Boutcha à cette époque, nous avons demandé les noms des personnes dont les corps ont été montrés sur la BBC. Personne n’a l’intention de nous dire quoi que ce soit.
Tout comme l’Allemagne ne va pas montrer les tests des échantillons prélevés sur feu Alexeï Navalny et sur la base desquels elle nous a accusés de l’avoir empoisonné. Nous avons demandé à voir ces tests. Ils nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas le faire. Ils ont dit que s'ils nous montraient les tests, nous découvrirons alors quel type de connaissances les Allemands possèdent dans le domaine des armes biologiques. Si vous ne voulez pas les montrer, comment pouvez-vous accuser? De nombreuses questions de ce type se sont accumulées. J'ai une liste.
Nous obtiendrons la vérité auprès de l’Occident, sinon il n’y aura pas de confiance.
Quant à l'énergie. Les Nord Stream et tout ce qu’ils tentent aujourd’hui d’interdire, tant sous forme de gazoduc que sous forme de gaz naturel liquéfié, sont directement liés à la crise alimentaire. Parce que la production d’engrais dans l’Union européenne a fortement diminué à cause de la hausse des prix du gaz. Tout est interconnecté. Accuser la Russie de tout est indigne de n’importe quel pays. Surtout ceux qui siègent au Conseil de sécurité de l’ONU. En théorie, ils devraient se sentir responsables de ce qui est dit.
Question (traduite de l'anglais): Que pensez-vous de la visite du Premier ministre Narendra Modi à Moscou? Quelle pensez-vous de la coopération énergétique entre l’Inde et la Russie?
Sergueï Lavrov: L'Inde est une grande puissance. Elle détermine elle-même ses intérêts nationaux et choisit ses partenaires. Nous savons qu’elle est soumise à une forte pression, éhontée, absolue, inacceptable du point de vue du comportement sur la scène internationale.
Récemment, Vladimir Zelenski ou un membre de son équipe a fait une déclaration insultante sur la visite du Premier ministre indien Narendra Modi en Russie, la qualifiant de coup dans le dos de tous les efforts de maintien de la paix. Le ministère indien des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur d'Ukraine et lui a expliqué comment il faut se comporter.
Avant cela, il y avait de nombreux exemples où les ambassadeurs ukrainiens se comportaient comme des voyous. Il y avait un ambassadeur en Allemagne, Andreï Melnik, qui s'indignait à chaque fois que le chancelier Olaf Scholz donnait peu d'argent et d'armes. Dans une interview, il l’a publiquement qualifié de "saucisse de foie offensée". C’est une citation, vous pouvez la trouver sur Internet.
L'ambassadeur d'Ukraine au Kazakhstan Piotr Vroubliovski a déclaré publiquement dans une interview qu'ils feraient tout pour tuer autant de Russes que possible afin que leurs enfants aient moins de travail, et qu'ils mèneraient cette affaire jusqu'au bout.
Je pense donc que l’Inde se comporte avec dignité. Mon homologue, le ministre indien des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar, après une tournée occidentale, répondant à la question de savoir pourquoi ils ont commencé à acheter plus de pétrole à la Russie, a cité des statistiques montrant que l'Occident a également augmenté ses achats de gaz et de pétrole chez nous (malgré des restrictions sous certaines formes). Subrahmanyam Jaishankar a déclaré: vous savez, l'Inde elle-même détermine comment elle commerce, avec qui elle commerce et comment garantir l'intérêt national.
Le fait que l’Occident avance des revendications même à des puissances telles que la Chine et l’Inde signifie, premièrement, un manque de culture, une incapacité à faire de la diplomatie, et deuxièmement, c’est un échec des analystes politiques. Car asservir les deux plus grandes puissances asiatiques… Comme on dit, il ne faut pas rêver. Une ligne indigne a été choisie à l’égard de tous les pays. Mais quand de telles revendications sont faites contre deux géants...
Question (traduite de l'anglais): Vous avez dit qu'il devait y avoir un nouvel ordre multipolaire et que le processus de sa formation était déjà en cours. Selon vous, quel rôle les États-Unis y jouent-ils?
Sergueï Lavrov: Les États-Unis doivent simplement accepter la réalité et cesser de prétendre qu’ils décideront partout de tout et de tout le monde.
Le journaliste indépendant Michael Bohm travaille en Russie. On l’invite à divers talk-shows. Il parle bien le russe. Récemment, dans une interview, on lui a posé la même question: que devraient faire les États-Unis dans un monde multipolaire? Il a répondu que lorsque les États-Unis se sont isolés, c'était une période de guerres et de conflits les plus graves, et que lorsque les États-Unis sont entrés sur la scène mondiale en tant que leader, il y a eu moins de guerres. Je respecte le journalisme, mais pas suffisamment pour accepter un tel point de vue. Et non pas parce qu’il n’a pas le droit de discuter de ce qui est le meilleur et de ce qui est le pire, mais parce que ce n’est pas vrai.
Les États-Unis sont entrés sur la scène mondiale en Afghanistan, en Irak et en Libye. Comment cela s'est-il terminé? Quels changements pacifiques y a-t-il pour le mieux? Aujourd’hui, les Américains répètent comme un mantra qu’ils "soutiendront l’Ukraine aussi longtemps qu’il le faudra". Combien de temps? 20 ans comme en Afghanistan pour comprendre qu'ils ont perdu? Ou en Irak, où ils seraient également partis, mais tentent désormais de s’attarder malgré la décision du parlement irakien selon laquelle les États-Unis devraient retirer leurs troupes? Ou auront-ils la même approche à l’égard de l’Ukraine qu’à l’égard de la Libye? Combien de temps a-t-il fallu en Libye pour faire tomber l’État? Maintenant, tout le monde recolle les pots cassés pour eux.
Un monde multipolaire est une réalité. Personne ne l'a inventé. Regardez la part des États-Unis et de l’Occident dans le PIB mondial il y a 50 ou 20 ans et aujourd’hui. Il y a deux ans, les cinq pays des Brics devançaient les pays du G7 en termes de PNB et de parité de pouvoir d’achat. Maintenant que cinq États supplémentaires ont rejoint les Brics, ce ratio va augmenter. Mais les États-Unis font tout pour que ce poids réel de l'économie mondiale, de la finance mondiale dans les nouveaux pôles de croissance, ne se reflète pas dans les activités du FMI et de la Banque mondiale.
Les États-Unis s’accrochent au bloc de voix qui leur appartient (environ 15%), mais qui, selon les règles du FMI, leur permet de bloquer les décisions. Mais pour être honnête, ces quotas et ces votes auraient dû être redistribués depuis longtemps. Les Brics insistent sur ce point. Ce sera l’une des principales questions économiques et financières du sommet des Brics à Kazan en octobre prochain.
L’OMC nous a été présentée comme le régulateur optimal d’un commerce mondial équitable. Dès que la Chine, développant son économie sur les principes de mondialisation inventés par les Américains, a commencé à dépasser les États-Unis en termes de concurrence et à les battre économiquement, les Américains ont simplement fermé l'organe de résolution des différends de l'OMC. Ils ont utilisé des astuces techniques. Il n’y a pas de quorum pour le moment. Depuis de nombreuses années, toutes les plaintes justifiées de la Chine contre la politique protectionniste des États-Unis sont restées sous le tapis. La réforme de l’OMC est également à l’ordre du jour des Brics. Nous y parviendrons.
Ces sujets sont déjà et seront bien sûr parmi les principaux sujets du sommet du G20 à Rio de Janeiro. C'est précisément cette structure qui doit examiner honnêtement les réalités de l'économie mondiale et prendre des mesures pour la développer de manière à ce qu'il y ait un bénéfice mutuel en fonction de la contribution des pays à l'économie mondiale.
Dans l’espace eurasien, il y a l’OCS, l'Union économique eurasiatique et l’Asean. Ces structures ont des accords avec la Chine sur l'harmonisation des projets d'intégration avec le projet chinois Nouvelles routes de la soie. Il existe également le Conseil de coopération des États arabes du golfe Persique. Toutes ces organisations établissent des contacts entre elles, créant un tissu d'interaction matérielle future sur le continent eurasien, basé sur les avantages comparatifs d'un espace unique, riche en ressources naturelles et le plus important du point de vue des communications maritimes mondiales. Nous encourageons activement ces processus.
Après que les États-Unis et leurs alliés ont imposé des sanctions sans précédent contre la Russie, l’Iran, le Venezuela, la Chine et d’autres pays, les États d’Afrique et d’Amérique latine ont commencé à réfléchir à la manière de se protéger de tels caprices. Après tout, personne ne sait qui sera le prochain à faire les frais de la colère des Américains.
Lors du sommet des Brics de l'année dernière, le président brésilien Luiz Lula da Silva a activement promu l'idée de créer des plateformes de paiement et des mécanismes de règlement alternatifs dans le cadre des Brics. Les ministres des Finances et les dirigeants des banques centrales de l'association y travaillent et prépareront des recommandations pour le sommet de Kazan. Le Président du Brésil a suggéré que, dans le cadre de la Celac, nous réfléchissions à la transition vers une monnaie commune. Tout le monde essaie de se protéger.
Il y a des informations que l'Arabie saoudite, dans le contexte du désir des États-Unis et de l'Occident collectif dans son ensemble de voler l'argent russe, envisageait de réduire sa dépendance à l'égard du dollar. Le processus de dédollarisation est en cours et ne peut être arrêté. Donald Trump a été mentionné aujourd’hui. Il a dit que c’était suicidaire pour les États-Unis. Mais ce sont eux-mêmes qui ont lancé ce processus.
Des groupes de structures régionales telles que l'Union africaine, la Celac et les organisations asiatiques que j'ai mentionnées sont en contact les uns avec les autres. Au niveau mondial, les Brics ont toutes les chances de servir d’harmonisateur des processus entre les pays de la majorité mondiale.
Reste le G20, où les pays de la majorité mondiale continueront à communiquer avec l'Occident s'il est prêt à le faire honnêtement, et l'ONU, où tout le monde est représenté et doit communiquer. Hier, le Ministre hongrois des Affaires étrangères Péter Szijjarto a déclaré qu'il avait toujours été convaincu que l'ONU avait été créée pour communiquer avec tout le monde. Mais aujourd’hui, tout n’est plus ainsi: l’Occident a décidé que l’Organisation mondiale existait pour soutenir ses ambitions exorbitantes de jouer le rôle d’hégémon sur la scène mondiale.
Je pense que les États-Unis comprendront à un moment donné qu’il vaut mieux faire partie d’un processus constructif que de brandir le bâton de sanctions ou militaire pour forcer tout le monde à danser sous leur "musique" . Et cette "musique" y change tous les quatre ans. Et tout le monde essaie de s’adapter. Mais compte tenu des spécificités des processus politiques intérieurs aux États-Unis, ils comprennent que ce n’est pas facile.
Question: Vous avez rencontré le chef du ministère libanais des Affaires étrangères. Y a-t-il eu des discussions sur les termes d'une trêve à la frontière avec Israël ou les parties sont-elles prêtes à une guerre à grande échelle?
Sergueï Lavrov: J’ai déjà commenté ce sujet. Ni le Hezbollah, ni le gouvernement libanais, ni l’Iran ne souhaitent une guerre à grande échelle. On soupçonne que certains milieux en Israël tentent de faire exactement cela: provoquer une guerre à grande échelle dans l'espoir d'y entraîner les États-Unis. Je suis convaincu que ce sont les plans les plus dangereux qui placent les ambitions personnelles au-dessus des intérêts de leur peuple et des peuples de la région.
Question (traduite de l'anglais): Je trouve vos explications d'aujourd'hui, notamment sur les liens économiques, très utiles et auxquelles je n'avais pas pensé auparavant. Parfois, il me semble qu’il y a un sentiment de manipulation des faits lorsque la Russie est accusée d’avoir bombardé un hôpital pédiatrique en Ukraine, et qu’il y a suffisamment d’informations sur Boutcha, ainsi que sur Navalny. Mais en fait, je voulais vous demander comment la culture, l'art et la musique russes sont évalués par les journalistes qui sont liés à la Russie et qui ont grandi en parlant sa langue, qu'il s'agisse d'Evan Gershkovich ou de Masha Gessen. Il existe des journalistes d’origine russe ou des journalistes de culture russe. Je suis surpris que la Russie ne cherche pas à les attirer, mais les punisse. Toutes les histoires ne seront pas bonnes, mais elles sont capables de faire connaître la culture russe au monde.
Sergueï Lavrov: Vous avez mentionné qu'il existerait de nombreuses preuves de ce qui s'est passé dans cet hôpital pédiatrique ou à Boutcha. Ce n'est pas de cela que je parlais.
De nombreuses preuves peuvent être écrites, surtout quand il y a des journalistes qui comprennent la tâche. J'ai dit une chose précise: est-il possible d'obtenir une liste des personnes dont les corps ont été montrés à Boutcha par les correspondants de la BBC? Non. Personne ne la fournit.
Quant à Alexeï Navalny, toute vie humaine n’a pas de prix. Je n'essaie pas d'être ambigu. L'État russe a été accusé de l'avoir empoisonné. Les tests ont été effectués dans un hôpital militaire allemand. Avant qu'il ne soit remis à sa femme (cela s'est produit rapidement), rien n'a été trouvé dans l'hôpital civil russe. La clinique civile allemande n'a également rien trouvé. Mais ils l'ont retrouvé dans un hôpital de la Bundeswehr. Nous n’avons demandé qu’une chose: regarder l’analyse. Nous sommes accusés. Pensez-vous qu'il est juste de nous blâmer et de ne pas montrer l'analyse? Il est alors temps pour vous de partir dans la politique américaine.
De quels journalistes parliez-vous?
Question (traduction de l'anglais): Evan Gerchkovitch, Masha Gessen.
Sergueï Lavrov: Maria Zakharova a récemment publié un post dans lequel, avec des citations de Somerset Maugham et d'autres journalistes, elle montrait que l'utilisation de journalistes à des fins de renseignement, du moins dans la tradition anglo-saxonne, est tout à fait naturelle.
Nous disposons de preuves irréfutables qu'Evan Gershkovich se livrait à des activités d'espionnage. Les services de renseignement de la Russie et des États-Unis, par accord du président russe Vladimir Poutine et du président américain Joe Biden en juin 2021, maintiennent des contacts pour voir si quelqu'un peut être échangé contre quelqu'un d'autre. Tout le monde sait très bien que ce sujet apprécie la discrétion. De temps en temps, les Américains le mentionnent dans l’espace public, ce qui n’aide pas. Mais de tels contacts existent. Cela n’a rien à voir avec une attaque contre le journalisme.
Nous ne nous soucions pas moins que vous de la liberté de journalisme et d’expression. Lorsqu’ils ont commencé à expulser nos journalistes et à fermer des bureaux de correspondants entiers, nous n’avons d’abord pas réagi. Maria Zakharova et moi en avons discuté. Ma position était que vous ne devriez pas faire la même chose qu’eux. Nous devons préserver nos principes, les principes de l'OSCE. Ensuite, il y a eu des mesures dégoûtantes, irréfléchies et agressives. Nous devons agir selon le principe d'œil pour œil.
Maria Zakharova: Evelyn, votre expérience est connue, vous êtes une journaliste célèbre. Pourriez-vous nous aider à obtenir une liste des personnes tuées à Boutcha? Nous n’avons pas réussi à le faire, même avec le secrétaire général.
Sergueï Lavrov: Ce serait bien que les journalistes, en tant que représentants de la profession d’investigation, commencent au moins à poser cette question. Ou est-ce que cela n’intéresse personne? Des dizaines de personnes y ont été tuées.
Je vous souhaite du succès dans votre travail difficile. J'espère qu'il y aura le moins de restrictions possible sur votre profession.