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Article de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, consacré à Evgueni Primakov (du livre "Primakov inconnu. Souvenirs") dans le magazine Russian Business Guide, octobre 2019

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La période pendant laquelle Evgueni Primakov était ministre des Affaires étrangères est, évidemment, particulièrement importante pour nous, les diplomates. Son arrivée au ministère des Affaires étrangères a marqué un tournant dans la politique étrangère de l’État, la création de prémisses à la reconquête des positions de la Russie sur la scène internationale. Evgueni Primakov comprenait mieux que quiconque que la situation géographique unique de notre pays, son histoire séculaire, son vaste potentiel et le statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies supposaient l'autonomie et l'aspect mutivectoriel de la politique étrangère.

Sa prise de conscience de la nécessité d'entamer la coopération trilatérale au format Russie-Inde-Chine, qui reste un vecteur important des efforts de ses membres, a posé les bases de la formation du groupe des Brics, qui s'est affirmé par la suite comme un élément central, clé, du processus de formation d'un monde multipolaire.

Evgueni Primakov n'a jamais été partisan de la confrontation. Son fameux "demi-tour au-dessus de l'Atlantique" n'était pas une tentative d'attiser la tension dans le monde, mais un ferme rappel de la nécessité de construire le dialogue avec la Russie sur un pied d'égalité, de respecter dans l'ensemble, dans les affaires mondiales, les normes fondamentales du droit international. Comprenant parfaitement que la diplomatie ne peut pas réussir sans bons contacts personnels, il a, grâce à son intellect et à son érudition, à sa capacité de communiquer ouvertement et dans le respect réciproque, réussi à établir de bonnes relations avec la grande majorité de ses collègues étrangers.

Le style de travail d'Evgueni Primakov qui, j'en suis certain, sera un modèle pour de nombreuses générations de diplomates russes, mérite une attention particulière. Malgré un emploi du temps extrêmement chargé, il était toujours au courant de toutes les nuances d'évolution de la situation mondiale, il entrait dans les détails des problèmes les plus complexes et difficiles à traiter. Il exigeait la même approche de ses subordonnés - il ne supportait pas les stéréotypes, les avis et les jugements superficiels et hâtifs.

Il a soudé tout notre collectif, l'a orienté vers un règlement efficace des grandes tâches de la Russie. Je me souviens de mai 1998, quand un groupe de collaborateurs du Ministère des Affaires étrangères sous la direction d'Evgueni Primakov a reçu, sur décret du Président de la Fédération de Russie, de hautes récompenses d’État pour l'importante contribution à l'application de la politique étrangère. Je me trouvais parmi eux, à l'époque en tant que Représentant permanent auprès de l'Onu. Après la remise de ces récompenses a été prise une photo avec Evgueni Primakov au centre, avec son sourire toujours sage et ouvert. Elle compte parmi mes préférées et reste à ce jour sur mon bureau au Ministère.

La ligne fondamentale d'Evgueni Primakov était perçue avec respect par de nombreux politiciens étrangers. C'est ce que me disait en janvier 1996 Henry Kissinger, avec qui nous étions à un déjeuner à New York chez l'Ambassadeur d'Israël. Quand quelqu'un à la table a demandé ce que pensait le patriarche de la diplomatie américaine de la nouvelle nomination, étant donné que le prédécesseur d'Evgueni Primakov était très confortable pour l'Occident, alors que le nouveau ministre avait des opinions très différentes, Kissinger a répondu qu'il lui était toujours plus pratique d'avoir affaire à des gens qui avaient clairement conscience de leurs intérêts nationaux.


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