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Interview de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, à la chaîne Tsargrad, Moscou, 17 mai 2023

939-17-05-2023

Question: Je commencerai par la question la plus discutée. J'ai l'impression que tout le monde a oublié la diplomatie dans le monde moderne. Les grossièretés ne viennent pas de la bouche des politologues, des journalistes, mais de celle de vos collègues et hauts fonctionnaires. La veille, le chef de l'État français a déclaré lors d'une conférence de presse que la Russie était devenue un vassal de la Chine.

Sergueï Lavrov: Nous nous sommes habitués à cela ces dernières années. En effet, cela a commencé bien avant la phase actuelle de la situation en Ukraine (avant le début de l'opération militaire spéciale). Cela s'est produit après le coup d'État en Ukraine, lorsque l'Occident, au lieu de pratiquer la diplomatie, s'est uniquement employé à défendre le régime de Kiev, qui a ouvertement proclamé la russophobie comme sa ligne de base et détruisait tout ce qui était russe: la langue, l'éducation, les médias.

La persécution de l'Église orthodoxe ukrainienne (alors encore du Patriarcat de Moscou) a commencé il y a longtemps. Lorsque le Patriarcat de Moscou a confirmé l'indépendance de l'Église orthodoxe ukrainienne, cela n'a pas changé la ligne agressive du régime de Kiev visant à éradiquer l'orthodoxie véritable et canonique de son territoire et n'a pas mis fin à sa promotion de l'"église orthodoxe d'Ukraine". Ils ont tenté d'imposer cette dernière aux croyants ukrainiens avec le soutien direct du patriarche de Constantinople, qui recevait des instructions de Washington, et bien d'autres choses qui distinguaient ce régime.

Sans aucune nuance, l'Occident, au lieu de la diplomatie que vous avez mentionnée (qui est en train de disparaître dans la version occidentale), défend le régime arrivé au pouvoir à la suite d'un coup d'État sanguinaire et anticonstitutionnel. La dernière tentative de diplomatie a été les Accords de Minsk, qui ont été tant bien que mal convenus. À l'époque, beaucoup disaient que la Russie avait fait un compromis qui ne correspondait pas aux intérêts des citoyens ukrainiens s'associant au monde russe. Néanmoins, c'était le résultat de la diplomatie - un compromis. Mais bien qu'il ait été approuvé à l'unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies, nos anciens partenaires (tous les trois signataires, sauf Vladimir Poutine: l'ancienne chancelière allemande Angela Merkel, l'ancien président français François Hollande et l'ancien président ukrainien Piotr Porochenko) ont admis qu'ils n'avaient pas l'intention de faire quoi que ce soit. Ainsi, la "diplomatie du mensonge" est ce qui restait à cette période. Maintenant, je ne sais même pas comment caractériser cette diplomatie.

Vous avez mentionné que le Président français Emmanuel Macron a déclaré que la Russie devenait un vassal de la Chine. Le Chancelier allemand Olaf Scholz et la Ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock déclarent fièrement que l'Ukraine se bat et verse du sang pour les valeurs européennes. Ainsi, ils s'associent à un régime néonazi qui ne cache pas ses intentions de réhabiliter les criminels, les marches du bataillon Azov avec des symboles SS, avec des écussons et sous des bannières directement copiées sur les étendards de l'Allemagne hitlérienne et des symboles nazis. Tout cela passe inaperçu.

Récemment, les médias ont rappelé les parents de l'actuel gouvernement allemand. Notre société n'a jamais été d'accord sur le fait que les enfants doivent répondre pour leurs parents. Un fils ne répond pas pour son père. C'est un principe de la culture russe. Chacun doit répondre de ses actes. En regardant les actes des enfants des militaires allemands et des SS qui dirigent l'Allemagne aujourd'hui, confirmant absolument le principe que les enfants ne répondent pas pour leurs parents et grands-parents, il est évident que l'actuel gouvernement allemand a hérité de nombreux gènes nazis. C'est un fait.

Nous sommes toujours, comme l'a dit le Président russe Vladimir Poutine, ouverts à la diplomatie, à condition qu'elle soit sérieuse. Nous ne voyons aucune proposition sérieuse de la part de nos collègues occidentaux. Sans entrer dans les détails, je peux dire que périodiquement certains politologues, ayant des relations dans les capitales des pays de l'Otan (à la fois à Washington et à Bruxelles), "envoient des signaux" par leurs canaux politologiques, disant qu'"il faut mettre fin à tout cela", que "nous devons revenir aux frontières de 1991", et que "la Crimée n'est pas la nôtre non plus". Est-ce de la diplomatie? Premièrement, ce sont des ultimatums et du chantage. Deuxièmement, c'est une incompréhension totale de notre position, de notre peuple et de la réalité qui s'est établie et se consolide sur le terrain.

Question: Y a-t-il un dialogue maintenant ou est-ce que tout s'est transformé en un monologue des parties?

Sergueï Lavrov: Nous ne communiquons pas au niveau des ministres. Parfois, ils appellent de Washington (de la Maison Blanche) le conseiller du Président de la Fédération de Russie Iouri Ouchakov et envoient le même signal: "libérez Paul Whelan", et maintenant aussi le "journaliste" Evan Gershkovich (comme ils l’appellent).

Le deuxième sujet qui est toujours d'actualité est la discussion des conditions dans lesquelles travaillent les diplomates russes aux États-Unis et les diplomates américains en Fédération de Russie. À peu près les mêmes questions "surgissent" parfois dans les contacts entre nous et les pays européens (l’UE et l’Otan).

L'Europe a complètement perdu son indépendance. Quoi que dise le Président français Emmanuel Macron sur "l'autonomie stratégique" et que Josep Borrell déclare la nécessité pour l'Europe d'être plus active dans la région indopacifique, l'Europe a cédé toutes ses positions à l'Alliance de l'Atlantique Nord. De plus, elle les a même cédées au sens juridique en signant la déclaration correspondante, qui montre clairement à l'UE sa place et affirme la supériorité des structures de l'Otan. Par conséquent, les Américains décideront quand et comment utiliser l'Europe à leur profit. On peut voir que la partie la plus touchée (à l'exception du peuple ukrainien) de ce qui se passe autour de l'Ukraine ce sont les Européens. Cela concerne l'épuisement de leurs budgets et la ligne qu'ils sont contraints de suivre, la ligne de leur pays pour fournir des armes à l'Ukraine, des fonds pour maintenir un équilibre budgétaire élémentaire et pour payer les pensions, les allocations et les salaires à leurs propres frais.

La désindustrialisation de l'Europe avance à grands pas. En octobre 2022, le ministre de l'Économie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique de la France, Bruno Le Maire, tirait la sonnette d'alarme qu'à causes des sanctions que l'Occident a annoncées sous la houlette des États-Unis contre nos hydrocarbures, le coût de l'énergie pour les entreprises européennes était quatre fois plus élevé que pour les entreprises américaines. De plus, les Américains ont adopté leur législation pour lutter contre l'inflation, qui est clairement protectionniste et place l'Europe dans une position subordonnée. Les entreprises européennes commencent à délocaliser activement. L'Europe paie donc la facture.

Question: En raison de mes obligations professionnelles, je dois lire quotidiennement la presse occidentale. Parfois, je suis surpris. On en apprend beaucoup sur votre pays. Dans l'une des publications de ces derniers jours, on dit que l'Occident a cessé de respecter et de craindre la Russie, et croit l'avoir isolée. L'isolement va continuer. Dans le 11ème paquet on menace d'imposer des sanctions alternatives aux pays tiers. Qu'y a-t-il vraiment derrière cela à part la propagande?

Sergueï Lavrov: L'affirmation selon laquelle l'Occident a "isolé" la Russie ne dit qu'une chose: il se considère comme "le nombril du monde". C'est la seule chose qui peut expliquer sa politique actuelle.

Les tentatives de l'Occident de contraindre les pays du Sud global, la Majorité mondiale, comme on les appelle désormais, à rejoindre les sanctions antirusses, se heurtent à la volonté de la grande majorité des pays en développement de construire leur politique sur la base de leurs intérêts nationaux, sur la base des besoins de leur économie, sur la base de résolution des problèmes sociaux. La politique occidentale échoue. Oui, ils font appel aux résultats du vote à l'ONU sur les résolutions provocatrices qu'ils rédigent à la manière jésuite, y insérant le maximum de formulations généralement admises, mais quelque part entre les lignes en introduisant des formulations franchement antirusses.

Comme dans une plaisanterie: "C'est moins cher de se mettre d'accord que d'expliquer pourquoi je ne le ferai pas." Ils ont voté, mais n'ont pas adhéré aux sanctions. Juste pour qu’on les laisse tranquille. Si vous avez raison, vous n'imposerez pas votre droiture aux autres par le chantage, les menaces et les sanctions directes. Ceux qui croient en leur propre justesse n'y ont même jamais pensé. L'Occident n'en est pas sûr.

S'ils sont de "grands démocrates", laissez les autres décider par eux-mêmes. La Russie a annoncé une opération militaire spéciale. Le Président Vladimir Poutine a raconté en détail l'histoire de la question. Les racines de ce problème étaient le coup d'État et le refus de respecter les Accords de Minsk, la poursuite des hostilités, en fait, pendant huit ans contre le Donbass, contre la population civile - il a tout expliqué. Il a montré que nous n'avions pas d'autre choix. Certains peuvent être en désaccord avec cela. L'Occident n'était pas d'accord. Laissez les autres décider par eux-mêmes qui a raison, qui a tort et quelle position ils doivent adopter - pour les "blancs" , les "rouges" ou garder la neutralité. Ils ne sont pas autorisés à le faire. Chaque jour, on les "harcèle", on leur dicte, on leur demande de rejoindre quelque chose d'antirusse. Ceux qui croient en leur justesse ne se comportent pas de cette façon.

Question: De plus, on les menace directement.

Sergueï Lavrov: Ils sont menacés directement et punis. J'ai demandé à certains de mes amis d'Afrique, d'Amérique latine, qui se plaignent que l'Occident les "saoule" exigeant de rejoindre les sanctions, ce qu'on leur offre en retour économiquement, financièrement. Si vous rejoignez les sanctions, vous perderez.

Baissant les yeux, ils disent qu'en échange ils promettent de ne pas les punir. C'est toute la "diplomatie" avec laquelle nous avons commencé la conversation d'aujourd'hui.

Question: Du point de vue des relations ultérieures, les pays les plus proches de nous sont les États proches. La priorité et les intérêts particuliers de la Russie sont l'espace postsoviétique. Ce n'est un secret pour personne, et votre homologue, le secrétaire d'État américain Antony Blinken ne cache pas qu'ils vont "faire basculer" la situation. Pardonnez le jargon - "provoquer" les forces antirusses. Dans quelle mesure, selon vous, ces pays, qui sont vraiment proches de nous mentalement et historiquement, peuvent-ils suivre non seulement la rhétorique antirusse, mais aussi les actions?

Sergueï Lavrov: Il existe de nombreux faits basés sur les actions, les déclarations de nos plus proches alliés, partenaires stratégiques, qui disent qu'ils sont mis (pour ne pas dire plus) dans une position très inconfortable. Ils essaient de ne rien faire qui puisse causer des dommages économiques. Ils se retrouvent entre deux feux. La grande part des liens économiques incombe à la Fédération de Russie, à l'UEE, à la CEI. Mais la part de l'Occident dans l'économie de l'Asie centrale et de la Transcaucasie s'accroît. L'Occident leur demande méthodiquement et cyniquement de ne pas prendre de mesures contraires à ses intérêts, promettant des "montagnes d'or". Bien qu'en réalité cela ne se transforme qu'en ingérence dans les affaires intérieures.

Parallèlement s'élargit le réseau d'ONG financées principalement par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Union européenne, qui dans un certain nombre de pays de l'espace postsoviétique se sentent de plus en plus à l'aise et tentent même de "donner le la". Je ne vais pas les énumérer, elles sont bien connues de tous. Mais malgré tout cela, je suis convaincu que ces pays sont solidaires de la Fédération de Russie. Ce sont vraiment nos alliés. Le Jour de la Victoire, 9 mai 2023 est une confirmation de cela.

Les alliés de l'OTSC ne sont pas ce qu'il y a dans l'Otan. L’Otan applique "la discipline du bâton". Parfois, on dit que dans l'OTSC, l'Arménie adopte une telle position, le Kazakhstan en a une autre...

Question: Apparemment, l'Organisation "s'effondre"…

Sergueï Lavrov: Oui, ils le disent. Mais cela n'arrive que parce que tous les membres de l'OTSC travaillent sur la base du consensus et respectent les nuances, parfois importantes, qui surgissent toujours dans la vie réelle d'un côté ou de l'autre. Il y a aussi de sérieuses nuances dans la position de certains membres de l'Otan - prenez la Turquie, la Hongrie. Mais là, ils sont obligés de suivre la "ligne du parti", il y a une vraie "discipline du bâton". Ce consensus est un oxymoron, car les États-Unis en décident là. Le secrétaire général de l'Alliance, en faisant des déclarations arrogantes, accomplit la volonté de Washington, y compris en ce qui concerne les revendications de l'Otan par rapport à la région Asie-Pacifique, qu'ils appellent "l'Indo-Pacifique". Autrement dit,  l'Atlantique Nord n'est plus défensive, mais assure la sécurité dans le monde entier.

Dans l'espace postsoviétique, l'Union économique eurasiatique donne un résultat réel - le volume des échanges augmente au profit de tous les participants. Au sein de l'UEE et plus largement au sein de la CEI, des accords sur la migration de main-d'œuvre sont en place, apportant des avantages significatifs à nombre de nos partenaires. Dans le cadre de l'Union économique eurasiatique, les frontières nationales pour la circulation des capitaux, des services, de la main-d'œuvre et des marchandises sont en train d'être supprimées. Ces processus d'intégration se développent, et ce, de manière intensive. Ceci est ressenti positivement par tous les participants de ces associations et ceux qui envisagent d'adhérer à l'Union économique eurasiatique. Je parle du Tadjikistan, qui est observateur, et de l'Ouzbékistan, qui étudie de près l'expérience de l'UEE.

L'Organisation du Traité de sécurité collective a également confirmé sa viabilité lorsqu'en janvier 2022 le Kazakhstan a demandé de l'aide. Nous avons travaillé efficacement. Dès que les dirigeants kazakhs ont déclaré qu'ils avaient la situation sous contrôle, l'Organisation a rapidement achevé son opération.

Nous étions prêts à aider un autre membre de l'OTSC, l'Arménie, de la même manière. En automne 2022, pour le sommet de l'Organisation à Erevan, un document a été préparé sur le déploiement d'une mission d'observation de l'Organisation du Traité de sécurité collective sur le territoire arménien conformément à la demande de nos alliés arméniens. Le document a été pleinement approuvé au niveau des ministres des Affaires étrangères. Puis, au dernier moment, lors du sommet, nos amis arméniens ont demandé de reporter son adoption. Jusqu'à présent, il reste sur le papier et ne peut être réalisé. Mais si Erevan avait confirmé ce qui avait déjà été convenu et restait prêt pour la signature et l'entrée en vigueur, je suis convaincu que l'Arménie aurait gagné et aurait une situation plus stable.

Nous aidons à régler le différend surgi entre le Tadjikistan et le Kirghizistan. Nous aidons le Tadjikistan à renforcer ses capacités de défense et sa frontière avec l'Afghanistan, en tenant compte des risques et des menaces qui émanent constamment du territoire de ce pays. Je ne vois aucune crise profonde dans les processus d'intégration dans l'espace postsoviétique.

La CEI entretient des contacts importants tant dans le cadre de la coopération économique, car la zone de libre-échange de la CEI fonctionne, que dans le domaine de la lutte contre les défis et menaces contemporains (terrorisme, extrémisme, trafic de drogue, crime organisé) et dans le domaine humanitaire. L'année 2023 dans la Communauté a été déclarée Année de la langue russe comme langue de communication interethnique. Maintenant, le travail sur la mise en œuvre de l'initiative du président du Kazakhstan Tokaïev pour la création d'une organisation internationale pour la langue russe est en cours d'achèvement. C'est pourquoi les différends observés entre les membres isolés de nos associations sont naturels.

Question: Vous ne pensez donc pas que les États-Unis et leurs alliés pourront déstabiliser la situation?

Sergueï Lavrov: Ils le veulent et le font activement. Je sais qu'ils disent aux Arméniens (nous avons de telles informations), ils disent, venez chez nous, chassez les Russes de votre territoire, et les gardes-frontières aussi, enlevez la base militaire, les Américains aideront à assurer la sécurité. Une provocation flagrante. Ce n'est pas non plus de la diplomatie.

Vous avez commencé l'entretien en demandant: où en est la diplomatie occidentale? Il n’existe plus de diplomatie. Il y a une corruption directe. De plus, nous voyons comment l'Occident se comporte avec ceux sur qui il misait dans le passé. Ils ont abandonné le président égyptien Hosni Moubarak, qui au début du Printemps arabe a démissionné avec dignité, ne s'est pas enfui, s'est rendu dans cette partie de l'Égypte, que nous connaissons sous le nom de Charm el-Cheikh. Il y vivait après s'être retiré. Les Américains ont permis aux Frères musulmans, arrivés au pouvoir, d'amener un vieil homme en cage dans la salle d'audience et de se moquer de lui. Nous nous sommes ensuite adressés à l'administration du président Barak Obama. À l'époque, le président russe Dmitri Medvedev leur a dit que Hosni Moubarak était une personne respectée, était un allié des États-Unis, était notre ami, toujours essayait de prendre une position médiane, reflétant les intérêts de son pays. Il a proposé d'envoyer un "signal" aux Frères musulmans pour le libérer. Ils devraient écouter Barak Obama, car il a immédiatement soutenu leur arrivée au pouvoir. Les Américains "se sont défilés".

Les États-Unis ont abandonné le gouvernement afghan sur lequel ils s'appuyaient pendant les 20 ans d'occupation du pays. Elle n'a apporté que la dévastation, une vague de terrorisme et de trafic de drogue. J’espère que les politiciens contemporains sont attentifs à l'histoire et à la façon dont les relations se développent avec l'hégémon qui veut s'imposer à ce titre à tout le monde.

Question: La crise ukrainienne pourrait-elle se solder par cela?

Sergueï Lavrov: Je ne l'exclus pas. Les politologues écrivent beaucoup à ce sujet. On prédit que tout cela continuera tant que les Américains en auront besoin. Ces gens seront au pouvoir aussi longtemps qu'ils en auront besoin.

Question: Je voudrais revenir sur la pensée du président français Emmanuel Macron, non pas sur le fait que nous sommes devenus des vassaux de la Chine, mais sur le développement des relations russo-chinoises et notre tournant déclaré à plusieurs reprises vers la région Asie-Pacifique. Avons-nous vraiment fait demi-tour? Si oui, quels risques et problèmes y voyez-vous? Et en quoi consistent-ils?

Sergueï Lavrov: Nous n'avons pas besoin de nous tourner où que ce soit. Nous sommes une puissance eurasienne, euro-pacifique. Nous l'avons toujours été. Depuis l'époque royale. Les deux têtes de l'aigle regardaient à la fois vers l'est et vers l'ouest.

Lorsque l'Occident était prêt pour une coopération égale, de brillantes perspectives se dessinaient pour la création d'un espace économique et social commun, un espace de sécurité commun de l'Atlantique à l'océan Pacifique. C'est comme l'océan Pacifique. Ce n'est pas à gauche de l'Oural. Notre pays était ouvert à une coopération égale avec tous ceux qui étaient prêts à cela dans des conditions de respect et d'avantage mutuels.

Nous continuions activement à développer les relations avec l'Asie. Même dans les meilleures années de coopération entre la Russie et l'Union européenne. En 2001, nous avons signé avec la République populaire de Chine le Traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération, qui stipule que nous nous soutiendrons toujours sur les questions prioritaires pour chacun de nos États. Pendant la célébration du 20e anniversaire du Traité en 2021, tout cela a été confirmé, étayé par des analyses supplémentaires, des déclarations supplémentaires selon lesquelles nous n'allons pas créer une alliance militaire, mais nos relations d'interaction et de partenariat stratégiques multiformes sont d'une qualité supérieure à une alliance militaire classique.

Depuis 2001, nous avons commencé à développer nos relations, tout d'abord, avec la Chine, l'Inde et les pays de l'Asean. Maintenant, on dit que "la Russie a tourné le dos à l'Occident". Personne ne s'est détourné de personne. Au contraire, l'Occident lui-même s'est détourné, marchant sur la gorge de ses intérêts. Lorsque le volume des relations avec les pays occidentaux a "baissé", objectivement la part de notre politique orientale a augmenté. De plus, quelle qu'en soit la proportion, le volume absolu des relations avec la Chine atteint des niveaux records. Pour notre part, je pense que nous devons continuer à suivre le cap annoncé. Nous sommes ouverts à la coopération avec tout le monde.

Le président français Emmanuel Macron, semble-t-il, se sent impuissant lorsqu'il évoque depuis plusieurs années l'autonomie stratégique de l'Union européenne ("le coq chante mais le matin ne vient pas"). Il se sent vassal des États-Unis. Il est mal à l'aise avec ça. "Honneur et respect à lui" pour cela. Mais il ne peut rien y faire.

Contrairement à notre cas. La Chine est dix fois plus grande. C'est notre principal partenaire commercial, loin devant tous les autres. Mais la Chine est le principal partenaire commercial de 140 pays sur près de 200 pays du monde. Oui, c'est un pays puissant, en croissance rapide, avec des objectifs stratégiques qu'il atteint constamment. La Chine voit les horizons de son développement, contrairement à ceux qui ont des élections tous les deux ans. En Amérique, tous les deux ans, ils sacrifient des choses de l’échelle mondiale à leurs petites "chamailleries" politiques intérieures.

Il ne faut pas mesurer les autres à son aune. Nous ne voyons aucunes menaces de la part de la Chine. Nous avons les relations les plus étroites et les plus confiantes à tous les niveaux. Des relations de respect mutuel et avantageuses. Si entre les pays du monde occidental de telles relations sont extrêmement rares (si elles existent), alors ce ne sont pas nos problèmes.

Question: Pourriez-vous réfuter la thèse selon laquelle un "rideau de fer est en train de descendre" (il y a une telle analogie) non pas de notre côté, mais de l’autre?

Sergueï Lavrov: Je ne veux même pas jouer avec les termes. L'Occident a fait son choix et dit que "la Russie doit subir une défaite stratégique", "doit abandonner la Crimée", trahir le peuple russe dans d'autres parties de l'ancienne Ukraine. Ils sont déclarés "non-humains", et leur destruction physique est l'objectif du régime actuel de Kiev. Mikhaïl Podoliak a récemment annoncé qu'ils s'empareraient de la Crimée, du Donbass et y détruiraient tout ce qui est russe.

Plus d'une personnalité à Kiev déclarait publiquement qu'ils vont tuer les Russes. L'ancien ambassadeur d'Ukraine au Kazakhstan Piotr Vroublevski en a également parlé. Directement devant les caméras il a dit que partout où se trouvaient les Russes, ils devaient les tuer. C'est "leur devoir" devant les pères, qui "n'ont pas réussi à accomplir cette tâche". Du langage simple et "diplomatique". C'est en ce qui concerne la "diplomatie" à l'américaine et ukrainienne.

Ce régime tue des Russes, la culture russe, le monde russe dans toutes ses manifestations, détruisant physiquement les Russes qui sont ses citoyens. Si c'est là que l'Occident voit les valeurs que défend le régime de Zelenski, appelez cela un "rideau", de fer ou non. Ce rideau est peut-être déjà tombé, peut-être a-t-il déjà "pincé" quelque chose. Ce sera leur problème. Nous ne compterons plus sur l'Occident comme partenaire capable de trouver un terrain d'entente. Nous allons travailler avec le reste du monde qui prêt pour cela.

Question: Est-il possible d'infliger une défaite géopolitique à une puissance nucléaire? Une question philosophique.

Sergueï Lavrov: Chaque jour l'Occident répète des "incantations": "nous allons fournir plus d'armes à l'Ukraine" , "des missiles à longue portée, des engins aériens, "sans ailes"; des "chars", "il y aura bientôt des avions, mais pas maintenant, un peu plus tard". "Nous devons en finir avec la Russie."

Comme l'a dit le président français Emmanuel Macron, cette architecture de sécurité doit être construite de manière à ce que l'Ukraine soit protégée de la manière la plus fiable, et il est nécessaire de trouver d'une manière ou d'une autre une place dans tout ce "concert" pour la Fédération de Russie "déjà épuisée et désarmée". Cela ne reflète qu'une chose: ils veulent continuer ce conflit, faire monter les enchères sans cesse, intensifier ce qu'on appelle aujourd'hui l'escalade. Les Britanniques ont transféré des armes à longue portée, certains pays transfèrent d'anciens avions soviétiques et promettent de fournir des avions américains modernes. Ce ne sont peut-être pas des gens naïfs. En tous cas, leurs militaires devraient expliquer aux politiciens qu'à un moment donné, ils feront face à une résistance. Si vous élevez la barre et augmentez la qualité de la confrontation, vous devriez probablement vous attendre à une réaction appropriée, du moins selon les lois physiques et du temps de guerre.

Question: En d'autres termes, vous attendez-vous à une nouvelle escalade?

Sergueï Lavrov: Non. Je commente les faits. Cet objectif a été déclaré et il est constamment incarné "dans le fer" et dans d'autres formes qui sont des armes modernes.

Question: En conclusion, je voudrais comprendre notre ministre, le chef de la diplomatie, qui mène cette politique depuis longtemps. Où puisez-vous les forces? Une question simple. J'ai entendu dire que vous jouiez parfois des chansons dans des clubs de bardes.

Sergueï Lavrov: Non. J'ai écrit quelques textes pour les anniversaires et autres événements dans la vie personnelle de mes amis. Parfois, je le fais avec mes amis.

Question: Avez-vous des compositeurs préférés?

Sergueï Lavrov: Des compositeurs bardes? Beaucoup, je ne veux offenser personne. Vladimir Vyssotski, Boulat Okoudjava. Iouri Vizbor, Alexandre Gorodnitski et autres.

Question: Est-ce difficile d'être ministre dans une telle situation?

Sergueï Lavrov: Je n'y pas pensais. J'ai une bonne équipe. Je compte sur eux. Tous sont professionnels. C'est intéressant de travailler avec eux. L'essentiel est que nous voyons souvent de bons résultats.

Question: Espérez-vous que le bien triomphe sur le mal? Je voudrais comprendre d'où vient la force de cette croyance. En êtes-vous convaincu?

Sergueï Lavrov: Je n'y pas pensais. "Notre cause est juste" - c'est déjà devenu un slogan.

De quoi d'autre puis-je puiser la force? Vous avez posé des questions sur la musique, la poésie, les chansons. Dans le cadre du Jour de la Victoire, il y avait un grand nombre de programmes où notre grande musique de la Grande Guerre patriotique, dédiée à l'histoire de notre peuple et de notre État, a retenti. Il n'y a pas de telles chansons en Occident. C'est aussi l'un des facteurs qui inspire confiance.


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