Allocution et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors d'une conférence de presse commune à l'issue de son entretien avec le Ministre des Affaires étrangères de la République d'Ossétie du Sud Dmitri Sanakoev, Moscou, le 18 février 2015
Mesdames et Messieurs,
Mon entretien avec le Ministre des Affaires étrangères de la République d'Ossétie du Sud Dmitri Sanakoev vient de se terminer: il a été très substantiel.
Nous avons évoqué les relations bilatérales, qui se développent progressivement entre nos deux pays sur la base des principes établis en août 2008, quand la Fédération de Russie a reconnu la République d'Ossétie du Sud comme un État souverain indépendant.
Aujourd'hui, nous avons fait un nouveau pas important en signant l'Accord sur la frontière nationale, qui permettra de dissiper les spéculations sur ce que représentent les liens entre nos États. Je profite de l'occasion pour souligner que nos relations avec l'Ossétie du Sud et la République d'Abkhazie continueront de se développer sur une base d'équité et de respect mutuel.
Nous avons convenu de poursuivre le renforcement de la base contractuelle et juridique de notre coopération, qui se base actuellement sur près de 80 documents. Nous sommes satisfaits de notre travail sur le projet d'accord de coopération et d'intégration, qui reflétera les nouveaux aspects de collaboration bilatérale concernant la défense, la sécurité, les secteurs sociaux et d'autres domaines de partenariat.
Nous avons également évoqué notre coopération sur l'arène internationale, y compris la participation des délégations russe et sud-ossète aux discussions de Genève sur la stabilité et la sécurité en Transcaucasie. Nous avons réaffirmé la nécessité d'obtenir des accords juridiquement contraignants sur le non-usage de la force pour empêcher la répétition des événements de 2008.
Cette tâche est d'autant plus pertinente à la lumière du processus d'intégration de Tbilissi à l'Otan. Nous pensons que ce processus ne contribuera pas aux efforts pour assurer la stabilité en Transcaucasie. Si nos démarches se concrétisaient (et cela commence manifestement à se faire), nous prendrons des mesures pour empêcher un impact négatif de ces processus sur la situation dans la région.
Nous avons échangé nos points de vue sur la situation en Ukraine, en tenant compte notamment des mesures pour mettre en œuvre les accords convenus à Minsk le 12 février. Nous avons noté l'absence d'alternative au cessez-le-feu. Nous estimons qu'il doit être appliqué partout, y compris dans le "chaudron" de Debaltsevo, pour que tous les autres points des accords de Minsk adoptés le 12 février, dont le début du processus politique et de la réforme constitutionnelle, soient appliqués immédiatement conformément aux délais impartis.
Je suis satisfait par l'entretien d'aujourd'hui qui aidera, sans doute, à approfondir nos relations d'alliés et de partenaires.
Question: Les autorités de l'Ossétie du Sud ont soumis à l'étude de la partie russe leur projet d'Accord sur la coopération et l'intégration. A quel stade se trouve ce processus? Sait-on déjà quand ce document sera signé?
Sergueï Lavrov: Nous avons reçu le projet d'accord de Tskhinval il y a quelques jours. Il a déjà été soumis à l'examen des structures concernées par les concertations. Il existe des procédures appropriées, qui ne prévoient aucun délai. Nous partons du fait que les concertations se dérouleront rapidement, le Gouvernement russe prendra une décision appropriée et nous initierons la préparation formelle du document au format bilatéral. Cela ne devrait pas prendre beaucoup de temps.
Question: L'accord sur la frontière entre la Russie et l'Ossétie du Sud a été signé aujourd'hui. Dans le même temps, les médias ont rapporté que la frontière entre la Russie et l'Abkhazie pourrait être "annulée". Que pouvez-vous dire concernant le point de vue selon lequel les relations entre la Russie et l'Abkhazie sont plus étroites?
Sergueï Lavrov: Lorsqu'on parle de la "levée" des frontières, c'est une expression imagée signifiant l'aspiration à ce que le régime de franchissement de la frontière nationale entre deux États amis soit le plus pratique possible pour les citoyens, les activités économiques, les contacts humanitaires, etc. Par exemple, il n'existe pratiquement pas de frontières en UE: les citoyens des pays membres et de l'espace Schengen circulent sans aucune procédure douanière ou autre. Nous voudrions à peu près la même chose avec nos voisins.
Dans l'accord sur la coopération et le partenariat stratégique que nous avons signé avec l'Abkhazie en novembre 2014, nous nous sommes fixé pour but de rendre le passage de la frontière le plus confortable possible pour les citoyens. L'accord de coopération et d'intégration entre la Russie et l'Ossétie du Sud comporte les mêmes formulations. Celui sur la frontière nationale signé aujourd'hui est un attribut de tout État souverain, comme le sont la Russie et l'Ossétie du Sud. Avec l'Abkhazie, nous travaillons également à l'heure actuelle à la délimitation de la frontière entre nos deux États pour signer un accord dans ce sens. Simplement, avec l'Ossétie du Sud nous avons terminé les négociations plus tôt et l'accord a été signé aujourd'hui. Je le répète, nos relations avec les deux républiques sont positives.
Question: L'ambassadeur d'Ukraine auprès de l'Onu a déclaré hier au Conseil de sécurité que le plan de paix de Minsk n'était pas respecté et que l'espoir de paix s'effondrait. Que pensez-vous de la mise en œuvre de ce plan? Dans quelle mesure la situation à Debaltsevo pourrait-elle y faire obstacle?
Sergueï Lavrov: La priorité absolue des accords de Minsk du 12 février est le cessez-le-feu et le début du retrait des armements lourds. Le cessez-le-feu est respecté pratiquement tout le long de la frontière, dans certaines zones les troupes sont prêtes (du moins, les insurgés l'ont déclaré publiquement) à retirer les armements lourds. Le "chaudron" de Debaltsevo, où la situation est affligeante, fait exception.
Quand les participants aux négociations de Minsk se sont réunis le 11 février, la première proposition du Président russe Vladimir Poutine était de régler la situation autour de Debaltsevo. A ce moment déjà il avait partagé l'information concernant l'encerclement d'un grand groupe de forces ukrainiennes, et qu'il fallait tout faire pour que ces hommes puissent dignement en sortir en abandonnant, bien évidemment, les armements lourds, parce que les insurgés ne les laisseraient pas faire autrement – les armements lourds sortiraient du chaudron pour ensuite continuer de bombarder des communes. Le Président ukrainien Piotr Porochenko a alors répondu qu'il n'y avait aucun encerclement, que ce problème n'existait pas. Nos tentatives supplémentaires d'en parler, de nous faire entendre et de régler ce problème ont échoué.
Et dans la nuit de samedi à dimanche, il s'est avéré que cet encerclement avait bien lieu, comme nous le supposions. La ligne de cessez-le-feu factuelle passe derrière Debaltsevo, parce qu'elle est contrôlée par les insurgés. Les dirigeants de la République populaire de Donetsk en ont beaucoup parlé – je pense que vous suivez ces informations. Si tout cela s'arrêtait et s'apaisait, il serait possible d'entamer les négociations sur la libération des militaires ukrainiens de ce chaudron. Mais au lieu de négocier, les forces ukrainiennes essaient et continuent d'entreprendre des tentatives pour percer l'encerclement de l'intérieur et de l'extérieur. Bien sûr, les insurgés ripostent.
Nous partageons les préoccupations concernant les événements à Debaltsevo. Nous sommes persuadés qu'il faut cesser l'usage des armes pour tenter de changer le statu quo établi à 00h00 le 15 février. J'espère que le bon sens prévaudra, que la tâche de sauver les hommes encerclés sera une priorité. Beaucoup d'entre eux commencent à se rendre, on les traite humainement – on les nourrit, ils peuvent prendre une douche, on leur fournit des vêtements chauds. Vos collègues journalistes travaillent dans cette zone et montrent en direct ces reportages. On ne voudrait pas que les ambitions politiques et la volonté de se faire bien voir prévalent sur la tâche prioritaire de sauver des vies humaines.
N'oublions pas que les accords de Minsk impliquent une approche complexe du règlement de la crise ukrainienne, y compris le début de la réforme constitutionnelle avec la participation des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk en ce qui concerne la détermination de leur statut en Ukraine. Le Président russe Vladimir Poutine l'a réaffirmé hier lors d'une conférence de presse à Budapest. Espérons que ce processus démarrera et que la situation actuelle à Debaltsevo ne sera pas utilisée comme prétexte pour le faire échouer. De telles tentatives ont été entreprises vis-à-vis des accords antérieurs, et nous ne voudrions pas que cela se reproduise.
Question: Que pensez-vous de la déclaration d'Alexandre Loukachenko, le président biélorusse, selon laquelle Minsk était prêt à garantir l'évacuation des militaires ukrainiens de Debaltsevo?
Sergueï Lavrov: Je n'ai pas entendu cette proposition. Je pense que toute suggestion qui permettrait de le faire mérite d'être soutenue, à condition, bien sûr, que les autorités ukrainiennes l'acceptent. Il me semble que si cette proposition était faite, les insurgés n'y seraient pas opposés. Nous appelons une fois encore tout le monde, y compris à Debaltsevo, à cesser le feu. Des hommes sont encerclés: réglons leur sort par le biais de négociations en pensant avant tout aux vies humaines.
Question: Le vice-président américain Joe Biden, après une conversation téléphonique avec le Président ukrainien Piotr Porochenko, a menacé la Russie d'adopter de nouvelles sanctions ou de prendre d'autres mesures en déclarant que si les accords de Minsk n'étaient pas remplis, la Russie paierait un prix encore plus fort. Que pensez-vous de cette déclaration? Quelle est la probabilité, d'après vous, que les accords de Minsk échouent?
Sergueï Lavrov: J'interprète cette déclaration comme un discours traditionnel pour le vice-président américain Joe Biden – de nouvelles menaces. Il voulait probablement dire que les USA exigeraient de la Russie d'en payer le prix, entre autres, en imposant aux pays de l'UE de durcir leur position. Debaltsevo est un prétexte. Je le répète, nous avons signalé qu'il fallait régler ce problème le 11 février dernier. On nous a répondu qu'il n'existait pas. Il s'avère que si. Je le prends comme une nouvelle confirmation de la ligne non constructive de Washington, en l'occurrence en la personne du vice-président américain Joe Biden.
Si c'est possible, je voudrais demander aux médias de faire plus attention à la couverture des événements. J'ai regardé les informations aujourd'hui, y compris de Debaltsevo, sur la chaîne Euronews. J'ai été intrigué par le reportage sur la visite du Président russe Vladimir Poutine en Hongrie. Le texte analytique qui l'accompagnait consistait à dire que la principale question qui préoccupait aujourd'hui nos partenaires occidentaux était de savoir si la visite en Hongrie aiderait le Président russe à diviser l'Union européenne. Vous souriez, j'ai souri aussi. Mais ce n'est pas drôle. Il a été constaté ensuite qu'il s'agissait de la première visite de Vladimir Poutine dans un pays de l'UE depuis la catastrophe du Boeing malaisien. Et on le martèle.
J'espère que la situation réelle sur le terrain sera perçue objectivement et les responsables occidentaux feront tout dans l'intérêt du peuple et de l'État ukrainiens, et non pour continuer d'exacerber la confrontation et prouver son leadership par des déclarations de ce genre.