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Interview de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, aux radios Sputnik, Komsomolskaïa pravda et Govorit Moskva, Moscou, 14 octobre 2020

1735-14-10-2020

 

Question: Bonjour Monsieur Lavrov. Nous ne nous serrons pas la main - coronavirus oblige. Nous observerons le maximum de règles, même si nous ne portons pas de masque. On nous a fait savoir que nous avions peu de temps parce que les Italiens vous attendaient, c'est pourquoi nous ne vous interromprons pas afin que vous puissiez répondre à toutes les questions qui intéressent le public.

Quand nous préparions l'interview nous nous sommes dits, un peu en plaisantant - même si c'est un humour triste - qu'avant que Monsieur Lavrov n'entre il faudrait regarder sur les réseaux sociaux si une nouvelle guerre n'avait pas éclaté. Cette année, tout arrive très soudainement. Et il aurait été fâcheux, si une guerre avait éclaté il y a cinq minutes, que nous ne vous ayons pas posé de question à ce sujet.

Aucune nouvelle guerre n'a éclaté, mais une autre se poursuit, presque nouvelle, malgré la trêve qui semble avoir été conclue, notamment grâce à vos efforts titanesques (effectivement vous n'avez pas fumé pendant ces 11 heures, je n'imagine pas comment vous avez tenu?), mais de facto il n'y a pas de cessez-le-feu. Je voudrais vous demander: est-il possible? Nous, la Russie, parlons de l'absence d'alternative à une approche pacifique du processus de paix. Est-ce possible? L'un d'entre eux s'arrêtera-t-il?

Sergueï Lavrov: Bien sûr, ces négociations étaient uniques. Le Président russe Vladimir Poutine a apporté sa contribution au moment décisif parce qu'il suivait nos discussions nocturnes et, profondément dans la nuit, nous avons parlé deux fois avec lui.

Question: A-t-il téléphoné ou est-il entré?

Sergueï Lavrov: Il a téléphoné. Le Ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou y a participé également parce qu'il était important de déterminer que l'annonce d'une trêve ne serait pas suffisante sans mécanisme de contrôle du cessez-le-feu. C'est précisément ce que prévoit le deuxième point du document convenu.

Ces derniers jours, j'ai contacté plusieurs fois mes homologues à Bakou et à Erevan. Sergueï Choïgou a fait de même, il a parlé aux ministres de la Défense des deux pays. Vladimir Poutine a parlé aux dirigeants des pays belligérants. Notre principal message est qu'il est nécessaire de se rencontrer immédiatement au niveau des militaires et de mettre au point le mécanisme de contrôle du cessez-le-feu dont parle ce fameux document mais que personne n'a encore évoqué.

J'ai réaffirmé ces signaux il y a littéralement une demi-heure quand le Ministre azéri des Affaires étrangères Djeyhoun Baïramov m'a téléphoné. Nous envoyons le même signal à nos collègues arméniens. Je pense que c'est actuellement la clé pour faire cesser le conflit qui touche les sites civils et les citoyens.

Question: Quel est le mécanisme magique de contrôle du cessez-le-feu? Une zone d'exclusion aérienne?

Sergueï Lavrov: Quand les politiques et les diplomates parlent d'un accord de cessez-le-feu, dans chaque conflit, afin de l'appliquer avec succès, les militaires mettent immédiatement en place sur le terrain les mesures concrètes qui doivent être prises pour cela, afin de veiller objectivement au respect du cessez-le-feu des deux côtés. Ce n'est pas quelque chose de "magique". C'était également le cas en Transnistrie. Ainsi que dans le Donbass, d'ailleurs, même si le cessez-le-feu y a été proclamé plusieurs fois et que seulement le dernier tient plus ou moins - et seulement parce que le Groupe de contact pour régler le conflit en Ukraine a élaboré des mesures supplémentaires de vérification de ce régime. C'était aussi le cas en 1994 dans le Haut-Karabakh quand l'annonce d'un cessez-le-feu s'était accompagnée d'une entente claire entre les militaires concernant sa réalisation sur le terrain.

Pour répondre à la seconde partie de la question, oui, évidemment, un règlement politique est possible. Les propositions élaborées et qui continuent d'être élaborées par les coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE restent sur la table des négociations. Leur contenu est déjà connu: c'est une libération progressive par étapes des régions autour du Haut-Karabakh tout en respectant les garanties de sa sécurité et d'un lien fiable entre l'Arménie et le Karabakh avant que son statut définitif ne soit défini. Ce schéma est bien connu. Je pense qu'à quelque chose malheur est bon: ces événements regrettables devraient aider à intensifier le processus de paix parallèlement au règlement des problèmes de sécurité sur le terrain.

Question: Monsieur Lavrov, quand vous parlez de communication fiable avec l'Arménie vous faites allusion à deux régions: le corridor de Latchin, le régime "5-2"?

Sergueï Lavrov: Tous les accords évoqués ces derniers temps et pris au sérieux par les parties impliquaient dans un premier temps la libération de cinq régions avec le maintien de deux régions dans un deuxième temps, tout en reportant à la seconde étape la question du statut définitif du Haut-Karabakh. Dans un premier temps, hormis la libération de cinq régions, toutes les communications, les liaisons de transport et les contacts de transport seraient débloqués, avec le déploiement de casques bleus qui garantiraient que les activités militaires ne reprendraient pas.

Question: Donc les casques bleus sont le fameux mécanisme dont vous avez parlé?

Sergueï Lavrov: Non, ce mécanisme doit fonctionner maintenant, sur la ligne de contact réelle. Ce ne sont pas les cinq régions qui devaient être transmises dans un premier temps conformément aux propositions des coprésidents. Même des observateurs militaires au lieu des casques bleus suffiraient à l'étape actuelle.

Question: Les nôtres?

Sergueï Lavrov: Nous pensons qu'il serait parfaitement juste que ce soient nos observateurs militaires. Mais le dernier mot revient aux belligérants. Nous partons du principe qu'Erevan et Bakou tiendront compte de nos liens d'alliés, de nos relations de partenariat stratégique.

Question: Monsieur Lavrov, pour appeler les choses par leur nom, la guerre actuelle au Karabakh a été inspirée par la Turquie. Et nous "tombons" régulièrement sur la Turquie - en Libye, ainsi qu'en Syrie, où Ankara ne devient plus du tout notre allié mais un rival militaire. Sachant que nous déclarons régulièrement que c'est notre allié stratégique. Qu'en sera-t-il à l'avenir au vu des événements en cours? Où sommes-nous, où est la Turquie? Qui sommes-nous l'un par rapport à l'autre?

Sergueï Lavrov: Nous n'avons jamais qualifié la Turquie d'allié stratégique. C'est un partenaire très étroit. Dans plusieurs domaines ce partenariat a un caractère stratégique.

En effet, nous travaillons en Syrie, nous essayons d'aider à régler la crise libyenne. La Turquie cherche également à promouvoir ses intérêts dans cette région. Le plus important est que c'est parfaitement légal si les intérêts sont légitimes, que ce soit la Turquie, l'Iran, les Émirats arabes unis ou le Qatar. Plusieurs pays ont des intérêts dans cette région, qui vont au-delà de leurs frontières nationales, se projettent plus loin. Il est important que cette projection soit transparente.

En ce qui concerne la Syrie, je pense que cette transparence et cette légitimité ont été assurées malgré la présence de militaires turcs sur le territoire syrien sans l'invitation des autorités légitimes. Le Président syrien Bachar al-Assad et son gouvernement ont soutenu la création du format d'Astana. Ils coopèrent dans l'accomplissement de toutes les initiatives avancées par le "trio" des garants d'Astana. En ce sens le partenariat entre la Russie, la Turquie et l'Iran joue un rôle très important. C'est lui qui a permis de réduire les territoires contrôlés par les terroristes jusqu'à la zone de désescalade d'Idleb.

L'Est de l'Euphrate est un thème à part. Malheureusement, les Américains promeuvent les idées séparatistes de manière opaque et absolument illégale sur les territoires qu'ils contrôlent, en encourageant les Kurdes à y établir des règles de vie et de fonctionnement différentes du gouvernement central.

Nous coopérons également avec la Turquie en Libye. Des diplomates, des militaires et des représentants des services de renseignement se sont déjà rencontrés plusieurs fois pour profiter des capacités de chacune de nos parties. Nous sommes en contact avec tout le monde: avec l'Est de la Libye où se situe le parlement et avec l'Ouest du pays où se trouve le Gouvernement d'union nationale (GNA). Vous le savez, les Turcs soutiennent le GNA mais savent parfaitement qu'ils doivent chercher des compromis entre les approches de toutes les régions, de toutes les forces politiques libyennes. Les processus politiques sont encore assez chaotiques mais se développent tout de même et commencent à s'aligner. Cela concerne la conférence de Berlin sur la Libye et les initiatives proposées par le Maroc, la Tunisie, l’Égypte en tant que pays voisins - c'est parfaitement clair, nous le soutenons. Il est important aujourd'hui de canaliser tout cela sous l'égide de l'Onu en un système unifié qui s'appuiera sur la stimulation de toutes les parties libyennes non pas à se fixer mutuellement des ultimatums, comme nous l'avons vu entre Tobrouk et Tripoli ces derniers temps, mais à s’asseoir pour chercher un terrain d'entente.

A présent, nos collègues de l'Onu cherchent à réduire tous ces efforts à un dénominateur commun. Nous y contribuons activement. J'ai entendu que la Turquie souhaitait également que ces processus s'intensifient. Quoi qu'il en soit, la diplomatie prévoit la prise en compte des positions de touts les belligérants à l'intérieur d'un pays plongé dans une crise, mais également la prise en compte des intérêts des États de la région qui sont légitimes et sont acceptés par les belligérants eux-mêmes.

Question: Vous avez dit qu'il fallait prendre en compte les intérêts de tous les acteurs. Mais pensons-nous que l'intérêt de la Turquie est légitime dans le Karabakh? Avons-nous l'intention d'en tenir compte?

Sergueï Lavrov: Je passe au Karabakh. Nous ne sommes pas d'accord avec la position affichée par la Turquie et exprimée plusieurs fois par le Président azéri Ilham Aliev. Ce n'est pas un secret. Nous ne pouvons pas partager les déclarations selon lesquelles un règlement militaire du conflit existe et est admissible. Malheureusement, la Turquie a réussi à le faire et a confirmé qu'elle soutiendrait toutes les actions qui seront engagées par l'Azerbaïdjan pour régler ce conflit, y compris militaires.

Nous sommes en contact avec les collègues turcs. J'ai parlé plusieurs fois au Ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu depuis le déclenchement de cette crise. Nous défendons notre point de vue selon lequel le règlement pacifique est non seulement possible: c'est le seul moyen de garantir un règlement durable de ce problème, parce que tout le reste ne ferait qu'étouffer le conflit temporairement. En l'absence d'accord politique à long terme, un jour les solutions obtenues militairement prouveront leur inconsistance, et des actions militaires auront tout de même lieu de nouveau.

Question: L'effet d'une guerre reportée?

Sergueï Lavrov: Oui, nous le voyons, d'ailleurs, avec le problème palestinien.

Question: Impossible de ne pas le voir, et pratiquement tout le monde souligne que le Président turc Recep Tayyip Erdogan s'est activé. Il mène son jeu au Moyen-Orient - en Libye, en Syrie. Il considère clairement cette zone comme sa sphère d'intérêts, sans le cacher. Il le dit.

Sur le territoire de Chypre, il mène son propre jeu. Une nouvelle fois il a provoqué une escalade avec la Grèce. Ils étaient à un pas d'une guerre contre Athènes. Sans compter sa déclaration selon laquelle Jérusalem était aussi une ville ottomane. Maintenant, c'est ce qu'ils font dans le Caucase du Sud. Sachant que dans son discours d'investiture, en parlant de la Turquie, il l'avait qualifiée de "Turquie ottomane". En Turquie même, il est appelé le "nouveau sultan". Il dit ouvertement qu'il veut recréer un nouvel Empire ottoman, c'est pourquoi il s'est activé tous azimuts. Je ne parle même pas de sa décision de rouvrir le culte [musulman, ndT] à l'église Sainte-Sophie. C'est clairement un écart vis-à-vis des volontés laissées par Kemal Atatürk.

Compte tenu de cette activité du dirigeant turc et de toute la République turque, apporterons-nous des correctives à notre politique en ce sens?

Sergueï Lavrov: Bien sûr, il faut toujours penser aux correctives, mais la politique turque, comme toute autre, doit partir de la réalité, éviter la matérialisation du principe "la guerre est la continuité de la politique". C'est ma profonde conviction. Même s'il existe certainement des situations quand les canons doivent cesser de garder le silence s'il l'on fait l'objet d'une agression.

Question: Chez nous, cela s'appelle: "Si vous n'écoutez pas Lavrov, vous allez entendre Choïgou".

Sergueï Lavrov: J'ai vu un t-shirt avec cette phrase. Oui, c'est à peu près cela.

Mais d'abord, je voudrais définir la situation générale, qui, où et comment cherche à promouvoir ses intérêts. Partout où, selon vous, la Turquie fait preuve d'activité, les pays qui se situent à 10.000 milles ou même plus loin de cette région sont parfois encore plus actifs qu'Ankara. Certains États se trouvent plus près, mais les États-Unis jouent partout à ces endroits un rôle très actif.

En Syrie les Américains sapent activement tout le sens de la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui confirme l'intégrité territoriale de la Syrie et exige de la respecter. Ils créent sur son territoire des structures pseudo-étatiques sans se gêner. Ils ont d'abord interdit à tous les pays d'acheter du pétrole syrien, puis ils ont autorisé leurs compagnies à y extraire du pétrole et à utiliser l'argent obtenu pour renforcer les structures kurdes qui ne doivent pas se soumettre à Damas. D'ailleurs, également à l'Est de l'Euphrate travaille la Turquie pour, selon elle, faire entrave au terrorisme kurde. Les préoccupations d'Ankara concernant la sécurité de sa frontière avec la Syrie à l'Est de l'Euphrate et dans la région d'Idleb sont bien plus légitimes que les actions de Washington qui tente d'attiser le séparatisme en Syrie.

Les États-Unis sont très actifs en Libye. Ils tentent également de régler ce conflit dans leur intérêt, notamment pour affaiblir la Turquie et, entre autres, la Fédération de Russie. C'est déclaré ouvertement. Le pétrole joue aussi un rôle important parce que la question relative au retour du pétrole libyen sur le marché mondial, à la levée du moratoire proclamé par le chef de l'Armée nationale libyenne Khalifa Haftar, revêt une grande importance politique et pratique impactant directement les prix des hydrocarbures.

Sur le problème palestinien, Jérusalem, le règlement du conflit israélo-palestinien, la création de l’État palestinien, les États-Unis ont écarté pratiquement tous les autres en disant qu'ils régleraient tout eux-mêmes. L'Initiative de paix arabe prévoyait d'abord la création de l’État palestinien, suivie de la normalisation des relations entre Israël et tous les Arabes. Mais les États-Unis l'ont mise sens dessus dessous. Ils veulent d'abord imposer activement l'établissement des relations d'Israël avec tous les voisins arabes, et ensuite voir comment il est possible et même s'il faut régler le problème palestinien.

Nous souhaitons que les relations d'Israël avec ses voisins et d'autres pays de la région s'améliorent. Nous sommes opposés à ce que cela soit fait au détriment des intérêts du peuple palestinien fixés dans cette même résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations unies qui a proclamé la création de l’État hébreu. Il vit et prospère, c'est notre proche ami et partenaire. Alors qu'il n'y a toujours pas d’État palestinien. Certes, "une chose promise est attendue pendant trois ans", selon le proverbe russe, mais ces trois ans sont passés depuis longtemps.

Dans une situation où l'on proclame comme oubliée et rayée une décision du Conseil de sécurité des Nations unies sur le fait que le sort et la situation de Jérusalem en tant que capitale des trois religions monothéistes devaient être déterminés en tenant compte des positions des parties, quand l'accès à la Mosquée d'Al-Aqsa, qui doit être décidé dans le cadre des accords sur le statut définitif dans le contexte de la création de l’État palestinien, sera de nouveau modifié et annulé, nous entendrons probablement ce même genre de déclarations de la part des dirigeants du monde islamique, dont fait partie le Président turc Recep Tayyip Erdogan.

Si l'on analyse la situation dans un contexte encore plus large, on voit que dans le monde islamique se déroule une bataille pour le leadership. Il y a plusieurs pôles: la Turquie, mais aussi l'Arabie saoudite en tant que leader et emplacement des deux plus grands sanctuaires islamiques. N'oublions pas qu'hormis les Turcs et les Arabes, il y a également les Pakistanais et les Indonésiens. L'Indonésie est le plus grand pays islamique du monde. Nous avons également des contacts avec la Ligue arabe, avec le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et avec l'Organisation de coopération islamique (OCI), qui réunit tous les pays islamiques sans exception - de l'Asie, de l'Afrique, où qu'ils se trouvent. Malheureusement, dans le cadre de l'islam cette confrontation, cette concurrence pour le leadership que l'on perçoit ces derniers temps prend de plus en plus souvent des formes assez dures. Dans les contacts avec les collègues de l'OCI, nous appelons à ce qu'ils élaborent des approches communes, des positions de consensus, à ce qu'ils aspirent à l'harmonie entre tous les courants de l'islam. En 2004, le Roi de Jordanie Abdallah II a organisé un sommet de tous les musulmans qui s'est soldé par la signature de la Déclaration d'Amman réaffirmant l'unité de tous les musulmans, l'engagement de la promouvoir dans différentes situations pratiques. On n'y parvient toujours pas.

En ce qui concerne l'église Sainte-Sophie, nous reconnaissons le droit de la Turquie et des autorités d'Istanbul de déterminer les paramètres concrets de l'utilisation de ce site, mais, bien évidemment, compte tenu de son statut de site du patrimoine culturel mondial de l'Unesco. Dans le cadre de cette organisation, la discussion n'est pas encore terminée. Les collègues turcs nous ont assuré que tout ce qui est lié à la culture orthodoxe resterait ouvert aux visiteurs, aux touristes, aux pèlerins. Nous verrons comment cela sera réalisé en pratique, car techniquement ces mesures ne sont pas encore mises en œuvre.

Concernant le Caucase du Sud, encore une fois, regardez qui cherche à être actif. Les Américains sont loin d'être les moins actifs.

Question: Les Américains disent franchement que la zone de leurs intérêts nationaux s'étend au monde entier. Ils se positionnent en tant qu'empire. Les Turcs ne se sont jamais exprimés ainsi, mais sont à présent sur cette voie.

Sergueï Lavrov: De nouveau "les vaches et Jupiter"?

Question: Il faut comprendre ce qu'ils veulent dire.

Sergueï Lavrov: Peut-être que tout le monde doit être une "vache"? Dans le cas contraire, tout le monde doit être "Jupiter"?

Question: Je vous cite: "Si l'UE ne comprend pas la nécessité d'un dialogue mutuellement respectueux avec la Russie, nous serons contraints de cesser la communication avec eux." Que vouliez-vous dire?

Sergueï Lavrov: Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que nous nous demandions si les "affaires comme d'habitude" étaient encore possibles et s'il était possible en principe de traiter avec l'UE, qui regarde d'une manière assez hautaine et arrogante la Russie, exige de rendre des comptes pour tous les péchés que nous aurions commis, selon l'UE. Je trouve que nous n'avons pas de raisons de rendre des comptes. Nous avons notre propre Constitution, nos lois, nos mécanismes.

Question: On se souvient de votre fameuse phrase adressée à l'ancien Ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni Ed Miliband, quand il conseillait de changer la Constitution de la Russie: "Who are you to lecture me?".

Je poursuivrai cette question. Comment pouvons-nous ne pas communiquer avec eux? Ou pouvons-nous? Que vouliez-vous dire?

Sergueï Lavrov: Les intérêts économiques doivent être préservés, les opérateurs économiques doivent eux-mêmes décider ce qui est bénéfique ou non. Je trouve qu'il est indigne pour nous de courir et de se rabaisser. S'ils détruisent notre partenariat économique, y compris le Nord Stream 2, ils ne pourront certainement pas détruire toute la structure de transport de gaz au niveau de nombreuses institutions et compagnies. Que cela suive son cours - celui des intérêts objectifs qui coïncideront.

On nous dit qu'en principe nous ne sommes pas encore assez grands pour être un partenaire géopolitique de l'UE, comme l'a déclaré notamment Ursula von der Leyen. Le Ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas dit que les divergences avec la Russie ne signifient pas que l'Allemagne ne veut pas avoir de relations bonnes, ou du moins raisonnables, avec notre pays. Elles ne seront probablement pas bonnes dans un avenir proche, mais ce n'est pas de notre faute. Nous sommes toujours prêts à les relancer, à les normaliser, à les rétablir sur une base d'équité et de respect mutuel. Tout ce qui concerne la raison maintenant, malheureusement, doit être analysé par l'autre partie de notre dialogue. J'espère vraiment que la raison prendra le dessus. Nous ne le constatons pas pour l'instant.

Au sujet des courants latents et de la formation d'une nouvelle approche de l'UE envers la Russie. Récemment, des think tank proches du gouvernement allemand et des politologues ont publiquement commencé à élaborer une nouvelle "politique de l'Est". En fait, ils proposent de démanteler l'agenda bilatéral actuel. Selon eux, nous avions un "partenariat stratégique" qui a disparu. Il y a eu un "partenariat pour la modernisation" promu par Frank-Walter Steinmeier quand il occupait le poste de Ministre des Affaires étrangères. Ces politologues pensent que tous ces projets n'ont pas pu être matérialisés. La Russie a refusé de défendre les mêmes idées que l'UE et l'Otan et s'est définitivement transformée en adversaire sur des questions fondamentales de l'ordre mondial - c'est ce que disent ces penseurs proches du gouvernement allemand. Ils suggèrent de renoncer aux idées stratégiques vis-à-vis du partenariat avec la Russie. Jusqu'à récemment, l'UE déclarait que si elle avait des divergences stratégiques avec la Russie, il fallait coopérer de manière sélective dans les sphères d'intérêts communs. Mais désormais, ces penseurs basent leur nouvelle approche sur le paradigme selon lequel cette coopération sélective deviendra possible seulement quand "les Russes changeront de comportement". Cela arrive à maturité. Quand de telles choses percent parmi les analystes politiques, alors cela dénote évidemment un changement de position au sein de l'élite dirigeante. Nous verrons comment cela sera préparé dans la politique pratique, mais pour l'instant elle n'est malheureusement pas très optimiste chez les dirigeants de l'UE, dont la France et l'Allemagne. Même si Paris, selon moi, est bien plus disposé à maintenir les relations stratégiques avec la Russie. Du moins, c'est la position du Président français Emmanuel Macron mise en œuvre dans le contexte de ses accords avec le Président russe Vladimir Poutine dans plusieurs mécanismes créés entre Moscou et Paris afin d'évoquer et d'élaborer des approches communes concernant la sécurité stratégique et la stabilité en Europe. Nous verrons sur quoi débouchera toute cette situation et ces processus de réflexion.

Hier, j'ai parlé au Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell. Je pense qu'en tant qu'un homme expérimenté il sait parfaitement que sans la Russie il est très difficile de régler certaines questions qui intéressent l'UE. C'est pourquoi même l'instinct de garantie de ses propres intérêts doit pousser l'UE au partenariat et à la coopération avec la Russie, mais, selon moi, et à en juger par sa réaction à mes questions, pour l'instant l'UE n'est pas à même de maîtriser la minorité russophobe qui bloque les approches plus ou moins constructives du développement des relations avec notre pays en spéculant grossièrement sur le principe de consensus et de solidarité.

Question: La "minorité russophobe", c'est les pays baltes?

Sergueï Lavrov: Les pays baltes, la Pologne.

Question: Les "Russes doivent changer de comportement". Certes, mais nous pouvons le changer dans des sens différents. Par exemple, pourquoi une enquête pénale n'est-elle pas ouverte sur Alexeï Navalny? Pourquoi la Chancelière allemande Angela Merkel rencontre Alexeï Navalny, pourquoi un grand nombre de dirigeants occidentaux rencontrent Svetlana Tikhanovskaïa, alors que nous nous sommes toujours prudents, sur la défensive? Peut-être que nous devrions nous aussi commencer à rencontrer l'opposition, au moins au niveau du Ministère des Affaires étrangères, avec nos "sympathisants" dans ces pays? Nous sommes très prudents alors que la situation "va à vau-l'eau".

Sergueï Lavrov: Nous avons essayé de nous comporter avec décence, nous avons toujours respecté les décisions concernant le choix de dirigeants, de parlementaires, etc. dans les pays avec lesquels nous avons des relations. Oui, nous voyons que nos collègues occidentaux rencontrent toujours l'opposition - parfois pas du tout l'opposition dite systémique. Ce thème a été spécialement abordé il y a quelques années. Nous avons décidé que nous travaillerons avec l'opposition. Nous n'étions déjà pas gênés par de telles relations, mais à présent nous le ferons sans faire attention à ceux qui tentaient de nous critiquer

Question: Par qui commencerons-nous?

Sergueï Lavrov: 2017. La campagne électorale en France. A l'invitation de nos parlementaires, Marine Le Pen est venue à Moscou en tant que leader d'un parti parlementaire, politique légitime et systémique. Elle a parlé aux députés, elle a été reçue par le Président russe Vladimir Poutine. Le Ministre français des Affaires étrangères de l'époque, Jean-Marc Ayrault, avait publiquement déclaré que c'était une tentative d'ingérence dans les processus électoraux de son pays, que Paris ne voulait pas s'ingérer dans les affaires intérieures de la Russie et espérait que Moscou ne s'ingérerait pas non plus dans les affaires intérieures de la France. Vous avez cité des exemples de personnes qui avaient rencontré Emmanuel Macron, Angela Merkel, comment était reçue Svetlana Tikhanovskaïa. Personne ne s'intéresse au fait que dans l'ensemble c'est une ingérence dans les affaires intérieures biélorusses.

Question: C'est peut-être précisément parce que nous sommes aussi polis et prudents?

Sergueï Lavrov: Nous n'avons pas d'obstacles actuellement pour communiquer avec l'opposition. Sauf s'il s'agit de ceux qui appellent au renversement de l'ordre constitutionnel de nos partenaires, nous communiquerons avec tout le monde, comme cela arrive déjà dans un grand nombre de cas.

Question: Pourquoi ne pas ouvrir une enquête pénale sur l'affaire Navalny? C'est une sorte d'argument, comme quoi nous n'avons même pas ouvert une enquête pénale.

Sergueï Lavrov: Nous l'avons expliqué plusieurs fois. Une affaire pénale doit être ouverte en s'appuyant sur des faits permettant de soupçonner la présence d'un crime pénal. Cette décision est toujours précédée par une enquête préliminaire, actuellement menée par le Ministère russe de l'Intérieur. Il a interrogé plus de 200 personnes, les médecins, le personnel de l'hôtel, l'équipage de l'avion, etc. Je ne vais pas énumérer. Différentes chaînes citent actuellement autant de faits qu'il y a actuellement de non-dits, d'aberrations et d'autres: la bouteille; pourquoi des gens sont venus dans la chambre d'hôtel, ils étaient en sous-vêtements sans chaussures, mais personne d'autre n'est tombé malade… Un million d'incohérences. Nous insisterons pour que nos collègues allemands respectent leurs engagements juridiques internationaux découlant de la Convention européenne d'entraide juridique en matière pénale de 1959 et de ses protocoles.

En ce qui concerne les persécutions pénales et qui doit des explications à qui. Nos représentants officiels ont récemment déclaré que nous avions des informations sur le travail de la CIA avec Alexeï Navalny. L'avocat de ce dernier a immédiatement exigé de prouver ces informations. Tout simplement. C'est leur position. Et quand nous demandons de prouver la présence d'un crime pénal dans ce qui est arrivé à Alexeï Navalny, que nous demandons aux Allemands de montrer ce qu'ils ont découvert dans ses analyses, ils nous demandent pourquoi nous ne les croyons pas sur parole. Ils disent qu'ils ne peuvent pas nous le transmettre car le patient doit donner son accord, or il ne le fait pas.

Question: C'est un exemple classique de toute la politique internationale de ces dernières années: tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux.

Vous avez mentionné l'Allemagne et le Nord Stream 2. Ma question est précise: que ferons-nous si l'Allemagne renonçait tout de même au Nord Stream 2? Mais je vais la formuler plus largement, cela fait longtemps que je veux vous la poser - entre autres. Quoi que nous fassions, nous obtenons des sanctions. Certains pensent que cela ne dépend même pas de ce que nous faisons, que cela ne dépend pas de notre comportement. Qu'il existe une liste de sanctions qui a été inventée depuis longtemps et sera mise en application non pas pour changer notre comportement mais pour contenir notre développement - économique, militaire et commercial. Il y aura toujours une "affaire Magnitski" ou autre chose pour décréter des sanctions. Tant de personnes meurent en détention provisoire aux États-Unis, mais nous n'adoptons pas de sanctions. Et nous n'avons pas de capacités pour décréter des sanctions plus ou moins sensibles contre eux. S'ils le font de toute façon, pouvons-nous cesser de nous retourner sur eux, défendre plus largement nos intérêts dans le monde? Peut-être que nous devrions décider ce que nous voulons faire avec l'intégration, si nous voulons revenir à une forme d'État de l'Union plus large? Peut-être que nous devrions le positionner de manière plus marquante et agressive, dans le bon sens du terme, et le réaliser puisque les sanctions seront décrétées de toute façon?

Sergueï Lavrov: C'est exactement ce que j'ai dit. Il est temps de cesser, et nous cessons déjà de nous juger en fonction de l'avis de l'Occident collectif ou de pays occidentaux à part. Nous avons des personnes qui peuvent juger les actions de la Fédération de Russie en tant qu’État. Nous avons la Constitution, les autorités compétentes, il y a le peuple russe qui prend les décisions pour choisir celui à qui il confie la direction du pays. C'est tout. Si nous avons des partenaires (c'est la grande majorité) qui sont prêts à chercher un équilibre des intérêts sur la base du respect réciproque, alors nous devons poursuivre avec eux notre coopération. Je répète: ils sont majoritaires.

Oui, nous avons des structures que nous avons créées en grande partie à notre initiative et que nous voulons renforcer. Dans le secteur militaro-politique: l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC). La CEI couvre également les questions de sécurité dans l'espace postsoviétique et les projets économiques, sociaux, humanitaires et éducatifs. Il y a l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), l'UEE, l’État de l'Union - il faut les renforcer. Je pense qu'il faut le faire plus activement. Les consignes en ce sens ont été formulées par le Président russe Vladimir Poutine. Elles sont prises en charge par notre gouvernement.

Bien sûr, nous devons tout faire pour que ces projets soient plus attractifs pour ceux qui sont unis aujourd'hui par ces structures. Je ne pense pas que nous devons constamment faire attention à ce que l'Occident dit de nous. Je suis absolument d'accord avec vous: pas la peine pour l'Occident de chercher spécialement des prétextes pour contenir notre développement. Il sait lui-même créer de tels prétextes, nous l'avons vu.

Question: Dans ce cas, peut-être devrions-nous agir avec plus de détermination? Envoyer des troupes dans le Donbass, rétablir l'ordre ouvertement? Quel est le problème, si des sanctions seront décrétées de toute manière?

Sergueï Lavrov: Nous sommes tout de même des gens polis, vous savez. Je suis certain que notre position de distanciation de la situation, quand nous faisons attention à l'Occident et à ce qu'il pense de nous, doit rester dans le cadre du droit international. Nous devons rester attachés à tous les accords qui ont été conclus avec notre participation, dont les Accords de Minsk si l'on parle du Donbass.

En revanche, nous devons nous-mêmes exiger de ceux qui ont apposé leur signature sous ces décisions visant à régler telle ou telle situation qu'ils tiennent leurs engagements. J'ai déjà envoyé certainement dix lettres à mes homologues en France et en Allemagne, dans lesquelles j'attire directement leur attention sur les actions absolument inadmissibles et diamétralement opposées aux Accords de Minsk entreprises par les dirigeants officiels en Ukraine, dont le Président du pays Vladimir Zelenski, le chef de la délégation aux négociations du Groupe de contact Leonid Koutchma et le Ministre des Affaires étrangères Dmitri Kouleba. Les réponses sont complètement impuissantes - des réponses bureaucratiques. Je leur explique que Vladimir Zelenski a déclaré qu'il fallait revoir le contenu et le déroulé du document de Minsk. Et ils me répondent: "Nous y restons attachés." Je cite l'exemple de la discrimination de la langue russe dans les lois sur la langue, sur l'éducation, transgressant la Constitution de l'Ukraine et ses engagements internationaux. Ils répondent: "Oui, nous attirerons sur ce point l'attention dans le cadre de l'OSCE et du Conseil de l'Europe." C'est une preuve de plus qu'ils se considèrent comme au-dessus des lois et au-dessus de la Fédération de Russie. Ce sentiment de supériorité est très dangereux.

Question: Mais il ne suffit pas toujours.

Sergueï Lavrov: Le sentiment de notre propre dignité nous suffit, c'est à cela qu'il faut penser, je crois.

Question: Les auditeurs nous téléphonent et nous disent tout le temps - cette pensée est exprimée de plus en plus souvent ces derniers temps - qu'il faut arrêter de seulement exprimer sa préoccupation vis-à-vis de la situation, qu'il faut être plus actif et, peut-être, plus agressifs ou nous-mêmes initier des processus au lieu de réagir aux actions de quelqu'un.

Nous avons mentionné Svetlana Tikhanovskaïa. Actuellement elle voyage et rencontre différents présidents, réside dans un pays voisin de l'UE. Sommes-nous préparés en principe au changement de pouvoir en Biélorussie? Avons-nous une option de secours hormis le Président biélorusse Alexandre Loukachenko? Nous sommes très souvent confrontés au fait que suite à certains événements le pouvoir change, quelque part suite à une révolution, ailleurs pour d'autres raisons, mais ensuite il s'avère que nous n'avons pas d'option de secours et ignorons comment faire.

Sergueï Lavrov: Je pense évidemment que nous devons analyser la situation sur tous les axes qui entourent la Fédération de Russie, qui plus est dans les pays qui sont nos alliés proches. Pendant des années et des siècles, nous avons vécu dans un même Etat. Sachant qu'évidemment nous ne devons pas nous comporter comme les Américains. Je ne peux pas être d'accord avec cela. Ils se comportent de manière brutale, grossière, désinvolte, même s'ils cherchent à apprendre à tous les autres à respecter le droit de tout peuple à disposer de lui-même. Ils cherchent à former ce droit à travers leurs ambassades, comme on l'a constaté à Kiev pendant les deux "maïdans". Tout le monde sait parfaitement où les représentants du FBI et de la CIA se trouvent dans les bâtiments gouvernements officiels, et combien ils sont. Ils font la même chose en Moldavie, d'ailleurs. Nous le voyons également d'après les déclarations publiques de l'ambassadeur américain. Ils promeuvent leurs intérêts dans les républiques en Transcaucasie, nous le voyons et le savons aussi.

Mais je suis certain que nous ne devons pas agir selon ces méthodes. Il faut voir la perspective de développement de nos alliés, les démarches qui nous permettent de maintenir de bonnes relations mutuellement avantageuses avec eux, indépendamment de l'évolution des événements politiques intérieurs.

En ce qui concerne la Biélorussie, je suis certain que notre ligne en soutien à la réforme constitutionnelle, que je viens de mentionner, qui a été proposée pour la première fois par le Président biélorusse Alexandre Loukachenko et dans laquelle nous voyons un bon prétexte pour entamer un véritable dialogue national incluant toutes les forces politiques du pays, est la plus optimale.

Nous avons déclaré que nous reconnaissions les résultats de la présidentielle. Nous sommes certains que toutes les tentatives de nos partenaires occidentaux de les contester et de dire que le résultat était inférieur, d'exiger de nous d'accepter l'invitation de l'OSCE qui réglera cette situation, ne conviennent pas du tout.

Ce sont nos partenaires occidentaux et les partenaires occidentaux de Minsk qui ont tapé sur les doigts de l'OSCE pour qu'elle n'accepte pas l'invitation du Président biélorusse Alexandre Loukachenko à envoyer des observateurs pour voir comment l'élection présidentielle a été organisée et s'est déroulée. Il est pour le moins incorrect de dire maintenant que seule l'OSCE sauvera cette situation, quand elle a simplement manqué l'occasion d'apporter sa contribution à la garantie des événements dans le sens où elle aurait pu contribuer au développement de l’État biélorusse. Le Président biélorusse Alexandre Loukachenko a dit qu'il ne tenait pas au pouvoir, qu'après la réforme constitutionnelle il était prêt à étudier la possibilité d'une présidentielle et de législatives anticipées. Si nous voulons aider le peuple biélorusse, faire en sorte qu'il soit uni et prospère, alors nous devons empêcher les ultimatums de quiconque, les tentatives de protestations violentes et, évidemment, appeler à ce que les forces de l'ordre respectent également la loi et réagissent de manière proportionnelle. C'est notre position, qui a été exprimée plusieurs fois.

Question: Empêcher les protestations? Ils manifestent ici tous les dimanches.

Sergueï Lavrov: Empêcher les appels aux protestations violentes, à bloquer les axes de transport. Nous entendons actuellement de tels appels exprimés par Svetlana Tikhanovskaïa depuis Vilnius. Je dis "exprimés" parce que ces appels ont probablement été écrits par d'autres.

En ce qui concerne le fait que nous ne pouvons pas avancer d'initiatives dans notre intérêt. Ce n'est pas le cas. Les Accords de Minsk de 2015 sont clairement formulés dans l'intérêt de la Russie et soutenus par le président ukrainien de l'époque, Piotr Porochenko, ainsi que les dirigeants de l'Allemagne et de la France. Les déclarations actuelles en Ukraine concernant l'impossibilité de remplir les Accords de Minsk parce que la Russie veut les remplir selon son interprétation sont malicieuses. L'interprétation juridique internationale approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies et le fait que ces accords reflètent notre attention pour la garantie des intérêts du peuple ukrainien sur une base durable irritent, aujourd'hui en Ukraine, tous ceux qui comprennent qu'ils ne sont pas prêts à tenir compte des intérêts de l'Est du pays.

Question: Ils sont formulés dans l'intérêt russe, sauf qu'ils ne sont pas respectés. C'est pourquoi quand vous dites que nous devons agir et défendre nos intérêts dans le cadre du droit international, on a toujours envie de vous demander s'il existe. Mais je ne le ferai pas parce que c'est une question rhétorique. Pour nous, les journalistes, il semble que le droit international n'existe plus, qu'il y a seulement ce qui se passe sur le terrain, ce que nous voyons de nos propres yeux.

Nous voyons comment la Biélorussie a failli s'embraser, comment le Kirghizistan s'est embrasé. C'est ce qui se passe maintenant. Nous avons déjà parlé du Karabakh. Nos collègues de Sputnik en Moldavie et en Géorgie disent: "Nous nous préparons, parce que ce sera terrible". Ce "terrible" est-il le résultat de notre rivalité avec les États-Unis et avec d'autres forces mentionnées? Ou est-ce le résultat de la déstabilisation intentionnelle de la situation et de la création de troubles devant nos frontières? Ou est-ce simplement un désordre dans ces pays? Devons-nous être plus actifs, simplement pour faire cesser tout cela?

Sergueï Lavrov: Bien sûr, les troubles intérieurs dans ces pays jouent un rôle important, c'est évident. Je ne vais pas m'arrêter sur ce point maintenant. Dans tous les pays que vous avez énumérés il existe des problèmes intérieurs, c'était notamment visible au Kirghizistan et en Moldavie. Vous disiez dans une question précédente que quoi que nous fassions l'Occident chercherait à nous stopper, à nous contenir, à saper nos capacités dans l'économie, dans la politique et dans les secteurs technologiques. Ce sont les pièces d'un même puzzle.

Question: Dans leur propre stratégie de sécurité nationale, il est écrit qu'ils le feront.

Sergueï Lavrov: Certes, mais c'est écrit chez eux avec des formulations qui peuvent encore être ignorées dans une société décente, mais qui sur le plan pratique sont réalisées d'une manière révoltante.

Question: Vous aussi, vous savez formuler les choses différemment de ce que vous auriez voulu dire, c'est vrai?

Sergueï Lavrov: Au contraire, je peux formuler les choses d'une manière dont je ne le fais pas d'habitude. Mais ils veulent manifestement nous déséquilibrer, non seulement par des attaques directes contre la Fédération de Russie dans tous les domaines possibles et imaginables par la concurrence déloyale, les sanctions illégitimes et ce genre de choses, mais également en déséquilibrant la situation autour de nos frontières, en nous empêchant de nous concentrer sur les affaires constructives. Néanmoins, avec tous les instincts humains, avec toutes les tentations de répondre selon le principe "c'est toi l'imbécile", je suis certain que nous devons rester dans le champ du droit international.

Question: Vous êtes "old school" ["de la vieille école", ndT], Monsieur Lavrov.

Sergueï Lavrov: Je ne suis pas "old school". Je pense que c'est l'avenir malgré tout, et que l'humanité n'a rien inventé de plus fiable que la Charte de l'Onu. Du moins, celui qui peut toujours expliquer ses positions par les normes universelles du droit international, sous lesquelles ont signé tous les pays sans exception en adhérant à l'Onu puis en développant la base conventionnelle du droit international dans de nombreuses conventions, aura toujours l'ascendant moral.

Les Accords de Minsk sont approuvés par le Conseil de sécurité des Nations unies. Cela fait partie du droit international. Le processus de paix du Karabakh, le rôle des coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE où nous avons adopté des positions d'initiative et avancées, sont également fixés par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Nous venons de dire qu'il y avait des tentatives d'élargir le nombre de médiateurs. A Moscou, dans l'enceinte de la Maison de réception du Ministère des Affaires étrangères où nous nous trouvons avec vous, dans la nuit du 9 au 10 octobre a été adopté un document dont le dernier point stipule que le format de négociations reste inchangé. Cela fait également partie du droit international à présent, c'est une entente entre les parties.

Sur le plan humain, on voudrait probablement parfois être grossier ou montrer agressivement son indignation face au comportement des collègues, mais il faut se retenir.

Question: En décryptant tout ce que vous avez dit, il s'avère qu'il ne faut pas s'entendre avec la Moldavie, mais avec les États-Unis. Les élections approchent, puis l'investiture dans quelques mois. Avez-vous des pronostics, des espoirs? Percevez-vous des signes quelconques? La situation sera-t-elle meilleure ou pire après les élections? A quoi faut-il s'attendre dans l'ensemble?

Sergueï Lavrov: Le pragmatisme fait également partie de notre conception de la politique étrangère déterminée par le Président russe Vladimir Poutine, qui implique la promotion de la coopération avec tous ceux qui y sont prêts de manière équitable et dans les domaines où nous avons des intérêts communs qui se croisent. D'ailleurs, avec les Américains, nous coopérons plutôt bien dans certains domaines concrets malgré une situation détériorée de manière irréversible dans les approches conceptuelles du développement de la coopération.

En Syrie, nous ne sommes pas du tout d'accord avec le fait que, premièrement, les Américains sont venus sans aucune invitation, en occupant de facto une grande partie de la Syrie. Deuxièmement, avec ce qu'ils y font en pratique: ils volent les richesses énergétiques, les utilisent à des fins directement liées à l'incitation au séparatisme, etc. Néanmoins, nous avons des canaux stables au niveau des militaires. C'est la réalité: leurs avions volent, les nôtres aussi. Il existe des accords pour savoir qui vole où, ainsi que pour réagir aux incidents imprévus. Il y a un mécanisme d'alerte rapide.

En ce qui concerne le dialogue politique, je noterai l'Afghanistan où il existe le mécanisme Russie- États-Unis-Chine auquel adhère le Pakistan et pourrait adhérer l'Iran. Du moins, tous les acteurs de ce dialogue n'ont pas d'objections en ce sens. Nous coopérons tant bien que mal sur la péninsule coréenne malgré les approches parfois diamétralement opposées des différentes situations.

Question: Et sur le Karabakh?

Sergueï Lavrov: Oui, nous coopérons sur le Karabakh et pouvons coopérer, d'ailleurs, sur la Transnistrie, où il y a le mécanisme "5+2". Les deux camps, Chisinau et Tiraspol, ainsi que la Russie, l'Ukraine, les États-Unis, l'OSCE, et l'UE. Pour l'instant, malheureusement, ce mécanisme ne fonctionne pas pour le processus de paix transnistrien. Avant tout pour les raisons dont nous avons déjà parlé. Les Américains cherchent à tout contrôler et à faire de la Moldavie un nouvel "abcès" dans l'espace postsoviétique, à empêcher la constitution dans la pratique de la coalition récemment constituée entre Maia Sandu et Igor Dodon, son parti socialiste, pour que les forces prooccidentales remportent une victoire claire.

Les États-Unis restent encore le pays le plus puissant, mais cet État ne peut plus régler à lui seul une quelconque question de l'agenda international. Ils cherchent à le faire. C'est une inertie qui s'affaiblit progressivement. Ils cherchent avant tout à le faire dans les pays de l'espace postsoviétique, où ils promeuvent ouvertement un agenda antirusse, cherchent à créer des processus de développement des États dans le sens désiré en Asie centrale, en Ukraine, en Transcaucasie, et en Moldavie, comme nous venons de le voir. Je sais qu'ils voudraient poser les bases d'un tel scénario en Biélorussie. Nous devons nous y opposer, avant tout en tenant nos engagements envers nos partenaires stratégiques et alliés. Cela a été assez clairement annoncé, notamment par le Président russe Vladimir Poutine. De plus, nous avons d'autres formes de coopération au niveau du pouvoir exécutif, législatif, de la société civile. Je pense que nous devons être bien plus actifs et faire preuve d'initiative précisément au niveau de la société civile. Cela concerne notamment le financement, parce que même si on les appelle "organisations non gouvernementales", tout le monde sait que les ONG les plus actives et efficaces de l'Occident, les instituts républicains et démocrates américains, sont financées à 100% par le budget américain. Ainsi qu'à travers l'Agence pour le développement international, qui est également une structure publique américaine (financée par le budget public), des centaines, voire des milliers d'ONG reçoivent des subventions et agissent en très grande partie dans l'espace postsoviétique.

Question: C'est aussi ce que nous ferons?

Sergueï Lavrov: Nous disons que nous devons maîtriser le "soft power" en tant que forme pratique de la diplomatie populaire. Certes, pour le moment nous ne pouvons pas concurrencer les Américains. Margarita Simonian a elle-même reconnu à la télévision que nous ne pouvions pas comparer l'envergure du soutien financier public dont bénéficient les médias en Occident et en Fédération de Russie.

Question: C'est incomparable.

Question: Au moins, maintenant, nous savons qu'il faut suivre cette voie. C'est bien.

Question: Monsieur Lavrov, vous m'avez conduit à un paradoxe. Le journal Komsomolskaïa pravda est publié aux États-Unis, mais il a été interdit en Biélorussie.

Sergueï Lavrov: C'est un phénomène temporaire. Vous n'auriez pas dû le dire, parce que maintenant les États-Unis vont l'interdire à coup sûr. Ils n'ont pas encore eu le temps. Le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo vient de déclarer que tous les instituts de recherche aux États-Unis devaient dire lesquels d'entre eux étaient financés depuis l'étranger, qui recevait des bourses étrangères, en disant ouvertement que c'était certainement de l'argent russe et chinois, nuisible pour l’État américain.

Question: Soyons fous! Ingérons-nous dans les affaires intérieures des États-Unis sous les yeux de nos auditeurs! Qui soutiendrions-nous? Joe Biden ou Donald Trump?

Sergueï Lavrov: Nous avons déjà été catalogués parmi les principaux décideurs des destinées de l'Amérique. Le Président russe Vladimir Poutine en a récemment parlé dans une interview à la chaîne Rossiya 1. Pourquoi dépenser de l'argent quand nous sommes déjà une "autorité"?

Question: Mais tout de même, qui soutiendrions-nous?

Sergueï Lavrov: Il faut continuer de couvrir objectivement ce qui se passe.

Question: C'est ennuyeux.

Sergueï Lavrov: Non, ce n'est pas du tout ennuyeux.

Question: Quel que soit le vainqueur, ils diront de toute façon que nous l'avons fait.

Sergueï Lavrov: C'est bien. Vladimir Poutine a dit que nous coopérerons avec le président et avec l'administration qui seront soutenus par le peuple américain. C'est notre position fondamentale. Je pense qu'il ne faut rien changer dans ce sens. En revanche, je suis d'accord avec vous sur le fait que de toute façon le camp perdant nous accusera. Les deux partis, républicain et démocrate, utilisent déjà en tant qu'argument de poids le fait que "les Russes veulent faire venir leur concurrent au pouvoir". Mais quoi qu'il en soit encore une chose est sûre: la situation dans nos relations ne changera pas foncièrement. Il peut y avoir des nuances dans un sens ou un autre.

Question: Cela n'empirera pas?

Sergueï Lavrov: Peut-être, je ne sais pas. Nous restons optimistes. Seul un pessimiste dira que cela ne peut pas être pire. Un optimiste dit: peut-être.

Question: Nos diplomates sont expulsés de République tchèque, d'Autriche, de Norvège, de Slovaquie, de Bulgarie. Pourquoi? Que s'est-il passé pour qu'ils fassent la course?

Nous réagissons toujours de manière symétrique. Nous avons le principe de réciprocité. Mais pouvons-nous réagir de manière asymétrique, plus activement pour mettre un terme à cette "épidémie"?

Sergueï Lavrov: C'est un fait que maintenant c'est devenu un signe de bonne conduite envers les États-Unis et le Royaume-Uni. Les Anglais jouent traditionnellement un rôle négatif, notamment ces derniers temps. Souvenez-vous de la situation avec les Skripal quand 60 diplomates russes avaient été expulsés rien que des États-Unis. Les Anglais ont forcé la majorité des pays de l'UE, dont ils faisaient partie à l'époque, à expulser également nos collègues. Peu ont réussi à résister. Sachant que nous avons déjà dit plusieurs fois - et nos partenaires qui participent à de telles expulsions le confirment - que les Anglais n'ont apporté aucune preuve. De la même manière que maintenant les Allemands n'ont pas l'intention d'apporter la moindre preuve, malgré tous leurs engagements en matière de droit international.

Nous réagissons symétriquement. C'est une pratique diplomatique, une réponse diplomatique. Bien sûr, nous tirons également des conclusions dans le sens où les décisions de nos partenaires d'expulser les diplomates russes en les accusant d'espionnage ou d'autre chose ne reflètent pas seulement la pratique diplomatique, mais également la docilité aux tendances russophobes. Les Américains tentent de les imposer en Europe et de la dissuader d'utiliser notre gaz, nos produits militaires et bien d'autres, en les remplaçant par leurs marchandises plus chères. En revanche, les pays qui accepteront de coopérer vivront plus tranquillement. Les Américains ne les secoueront pas très fort. Du moins pendant un certain temps. Ensuite ils reprendront certainement de plus belle. Évidemment, sur un plan plus large, symétrique et conceptuel, nous tirons des conclusions sur la fiabilité de nos partenaires.

Question: Vous souvenez-vous de l'expression "si une bagarre est inévitable, il faut frapper le premier"? Alors faisons quelque chose pour ne pas nous sentir aussi offensés quand de nouvelles sanctions sont décrétées contre nous.

Sergueï Lavrov: Je n'ai pas le droit d'entrer dans les détails, mais je trouve que ces dernières années c'est ce que nous avons fait dans plusieurs cas.

Question: Karen Chakhnazarov a récemment publié un post qui se terminait par un point d'interrogation. Ce texte questionnait si la Russie était un empire ou non. Bien des choses en dépendent. Que pensez-vous en tant que ministre des Affaires étrangères? Sommes-nous un empire? Si oui, alors la politique étrangère doit être appropriée.

Sergueï Lavrov: C'est une question rhétorique pour Karen Chakhnazarov. Il considère clairement la Russie comme un empire. Je respecte son intérêt pour analyser les faits. Tous les représentants politiques n'y parviennent pas. Parfois, le temps manque pour cela. Ses réflexions tournent autour du fait que ce sont les empires qui ont un avenir dans le monde contemporain, sachant que les pays trop petits ne peuvent pas concourir avec les grands groupes. Il part du principe que l'URSS était un empire, tout comme l'Empire russe.

En grande partie, les intérêts russes sur la scène internationale résident actuellement dans la préservation de son influence et du soutien de ses voisins directs. L'UE est également un empire, au fond. Les États-Unis sont un empire avec une couverture mondiale. En promouvant ses projets "La Ceinture et la Route", "La route de la soie arctique", la Communauté de destin pour l'humanité, la Chine projette ses intérêts mondiaux et souhaite une influence qui s'étendra bien au-delà de ses frontières.

Karen Chakhnazarov utilise peut-être le terme "empire" pour simplifier le ressenti. Il est possible d'inventer un terme plus précis pour notre époque, qui montrera néanmoins que le processus objectif de formation du monde polycentrique que nous connaissons implique évidemment une élévation et un dialogue non pas entre les 193 pays membres de l'Onu, mais entre les grandes puissances. Ce sont les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Je rappelle l'initiative du Président russe Vladimir Poutine concernant le fait qu'ils assument une responsabilité particulière selon la Charte de l'Onu. Cette dernière reste en vigueur. Cela concerne également les nouvelles grandes structures qui se sont formées ces dernières décennies. L'UE en est un parfait exemple. Comme pour tout empire classique par le passé, des problèmes surviennent avec l'expansion. Au sein de l'UE plusieurs pays, notamment le Groupe de Visegrad, expriment sérieusement leur colère concernant la bureaucratie qui, comme toute démocratie, a tendance à se reproduire, à renforcer son influence au détriment des régions, en l'occurrence des pays membres de l'UE.

Les États-Unis, au fur et à mesure de l'extension de leur influence particulièrement insistante et agressive aujourd'hui, rencontreront des problèmes. Que ce soit en Afghanistan, où ils cherchent déjà par tous les moyens à obtenir quelque chose mais n'y parviennent pas et n'y arriveront pas sans l'aide d'autres pays. L'Irak en est un parfait exemple. En 2003, ils sont arrivés à Bagdad, "ont proclamé la démocratie", mais il n'y a pas de pays. La Libye a été bombardée par l'Otan à l'initiative des États-Unis et, d'ailleurs, de la France, qui était l'une des "volontaires" les plus actives à l'époque. Barack Obama préférait alors se cantonner au deuxième rôle. La démocratie n'a été instaurée nulle part où, ces deux dernières décennies, s'est étendue l'expansion américaine, alors que c'était l'objectif principal. On ne constate aucune accalmie.

Question: Partout le chaos.

Sergueï Lavrov: Partout la destruction.

Question: Il n'y aucun exemple en vingt ans.

Sergueï Lavrov: Je pense que le multilatéralisme dont nous parlons doit être orienté sur l'organisation de l'interaction, sur la recherche de compromis, d'un équilibre d'intérêts entre les principaux centres du monde contemporain disposant de territoires, de population, de capacités économiques et technologiques aussi bien dans le secteur civil que militaire. Le "quintet" du Conseil de sécurité des Nations unies est évident pour moi. Mais il faut comprendre que la France et le Royaume-Uni - pour l'instant - font partie de l'Europe. Le Royaume-Uni deviendra bientôt un pays de l'autre côté du détroit de l'Europe territoriale. Mais il est très difficile d'ignorer l'UE.

Question: En parlant d'un autre empire. Qu'en sera-t-il du Japon?

Sergueï Lavrov: Je ne pense pas que le Japon puisse être assimilé à un empire.

Question: Je parle avec ironie.

Question: Il y a un empereur.

Question: Ce n'est plus un empire formellement.

Sergueï Lavrov: Il y a eu des contacts entre le nouveau Premier ministre japonais Yoshihide Suga et le Président russe Vladimir Poutine. Ils ont échangé des messages. Le Président russe l'a félicité pour son élection en tant que leader du parti et premier ministre. Il a reçu une réponse détaillée. Ils ont également communiqué récemment par téléphone. Autant que je puisse en juger, il faudra encore voir comment se formera la politique pratique sur plusieurs axes. Mais pour l'instant je sens que malgré les nombreux pronostics les voisins japonais ont réaffirmé la continuité dans les relations, leur disposition à leur développement dans tous les domaines. Nous le saluons parce que cela reflète les approches fondamentales de la Russie fixées dans les accords communs avec le prédécesseur de Yoshihide Suga. Ils stipulent que seul un partenariat global et à part entière dans l'économie, dans le domaine des technologies, dans le secteur social, du rapprochement et de la coordination de nos approches en politique étrangère peut faire passer les relations au niveau supérieur, qui est absolument nécessaire pour aborder sérieusement toutes les questions à l'ordre du jour.

Question: Tout est clair avec la confrontation contre les États-Unis. Des pays grands et complexes sont impliqués. La Chine. Mais il y a des pays (je parle du "soft power") qui dépendent entièrement de nous - l'Abkhazie, le Tadjikistan. J'ai déjà mentionné notre drame avec la Biélorussie. On nous interdit même aujourd'hui d'y vendre nos livres. En Abkhazie ont été expulsées toutes les grand-mères russes des appartements - vous connaissez ce problème, l'Ambassade de Russie s'en occupe constamment. L'agence de presse Rossiya Segodnya ne peut pas ouvrir un poste de correspondants au Tadjikistan. Le journal Komsomolskaïa pravda y a été également fermé. Le pays dépend entièrement de nous. Il y reste encore des centaines de milliers de Russes. Ils se comportent comme ils veulent.

J'ai deux propositions. Peut-être devrions-nous immédiatement inclure dans les contrats et les accords un point sur notre "pénétration médiatique". Vous savez, c'est humainement vexant quand l'Abkhazie et le Tadjikistan nous expulsent. Je parle des Russes, des intérêts des russophones. Ils font ce qu'ils veulent. Nous ne pouvons rien faire.

Sergueï Lavrov: Les exemples que vous avez cités sont nombreux. En particulier, les problèmes avec nos médias ne sont pas définitivement réglés ni en Arménie ni au Kazakhstan, où le passage aux nouvelles formes de diffusion, la création du multiplex social n'a automatiquement pas tenu compte de nos relations d'alliés. Le Ministère de la Communication a dû intervenir activement dans les négociations. Je suis certain que nous réglerons ces problèmes.

Mais je suis d'accord pour dire que ces problèmes ne devaient pas se produire. En tenant compte de nos relations, de tout ce que nous faisons en pratique, de notre participation à de nombreuses associations communes, la prise en compte de nos intérêts doit être plus flagrante. Mais tout cela est à l'ordre du jour. La question de la propriété de Russes ethniques, ainsi que des Géorgiens ethniques citoyens russes en Abkhazie fait l'objet de notre attention permanente.

J'espère que maintenant que les perturbations en Abkhazie semblent apaisées, nous reviendrons à cette question. Même si, je répète, nous sommes surpris que ce problème reste non réglé. Maintenant, après tous ces événements, je pense que nous avancerons nos approches de manière plus énergique dans les relations avec les pays mentionnés. Dans la plupart de ces États, notre présence au niveau des entreprises est prédominante, il existe même des entreprises à capital 100% russe et des coentreprises. Dans la plupart d'entre elles, l'enseignement du russe, il faut dire, est de très haut niveau. Selon les accords en vigueur, au Tadjikistan se déroulent des programmes de formation spéciaux d'enseignants du russe, de création d'écoles supplémentaires en soutien à la ligne des pays visant à préserver le russe en tant que langue principale de la communication interethnique à l'intérieur du pays, dans le cadre de la CEI. Les mêmes processus se déroulent au Kirghizistan.

Il m'est difficile de juger tout en m'occupant à chaque fois de l'aspect pratique des relations qui se déroulent avec nos alliés, avec les partenaires stratégiques. Vous avez probablement la possibilité d'analyser plus objectivement toute la situation, c'est pourquoi vos remarques sont également importantes pour nous. Mais quand vos médias ou d'autres collègues ont des questions pratiques, bien sûr, nous serons toujours prêts non seulement à entendre et à prendre en compte ces requêtes, mais également à en faire un objet de notre politique pratique.

Question: On parle tout le temps du fait que dans tel pays a été réécrite une partie de notre histoire, dans tel autre ont été renversés des monuments à nos généraux qui occupaient des postes de commandement pendant la Grande Guerre patriotique, dans tel autre encore quelque chose a été fait à un mémorial. C'est une histoire interminable. A chaque fois nous disons que nous ne l'admettrons pas. Mais que pouvons-nous réellement faire pour l'empêcher?

Sergueï Lavrov: Encore la question de savoir si nous devons rester attachés au droit international ou si "ça suffit"?

Question: Honnêtement, je suis pour "ça suffit".

Sergueï Lavrov: Si pour "ça suffit", alors que je dirai quel sera le scénario dans ce cas. Dans ce cas, par exemple, il faut simplement détruire tous les sites commémoratifs en hommage aux légionnaires tchèques. Dire à la population que ces sites sont conformes au droit international, mais maintenant "ça suffit" alors faites ce que vous voulez.

Cela serait une invitation à ce que les multiples phénomènes mentionnés, notamment en Pologne - or à présent il en existe des manifestations isolées dans des pays comme la Bulgarie - deviennent la norme. Et dans ce cas serait passé le dernier seuil, tous les obstacles seraient levés.

Question: C'est déjà devenu la norme pour eux. Ce n'est pas une norme pour nous.

Question: Ils agissent ainsi encore aujourd'hui. Alors que nous allions à Minsk pour interviewer le Président biélorusse Alexandre Loukachenko, nous sommes passés devant l'indicateur de Katyn, où s'est écrasé l'avion polonais. Nous y avons installé un mémorial, il est en excellent état. Nous surveillons au niveau de l’État de tels lieux, et ils savent parfaitement que la Russie en tant qu’État ne laissera rien passer vis-à-vis d'eux. C'est un exemple récent qui m'est venu en tête. Mais ils ne s'arrêtent pas, ils continuent de démolir. Ne peut-on pas les effrayer?

Sergueï Lavrov: Je répète que dans ce domaine concret de protection de la mémoire et de la vérité historique, je ne vois pas d'autre solution que d'insister sur le respect des engagements en matière de droit international. Oui, ils démolissent beaucoup. Ils ne démolissent plus seulement en Pologne, en utilisant des arguments que je trouve indécents pour tout individu normal, ils disent: "Nous démantelons seulement les monuments qui ne se situent pas sur des tombes, les engagements concernent uniquement les tombes." Premièrement, les engagements mentionnent tous les monuments, donc ils mentent. Et, deuxièmement, ils ont déjà démantelé des monuments sur des tombes, par exemple à Tallinn avec le Soldat de bronze. Si nous commençons à répondre par la réciproque, cela ira à l'encontre des principes orthodoxes.

Question: C'est ce que je voulais demander. Vous dites d'abord que nous ne pouvons pas le faire parce que c'est lié au droit international. Faisons ce qui est dans notre intérêt: ne pas répondre par la réciproque parce que nous sommes des chrétiens, parce que ce n'est pas dans les traditions, mais pas parce qu'il s'agit du droit international.

Sergueï Lavrov: Non, parce que c'est le droit international. J'ai mentionné l'orthodoxie parce que je suis convaincu qu'il est malvenu pour nous de détruire des tombes et des monuments sur notre territoire. Si nous disons que le droit international, du moins dans ce secteur, n'existe plus, on dira par rapport à tous nos monuments qui restent encore, disons, en Pologne (et dans d'autres pays ce processus deviendra irréversible): "C'est fini, nous n'avons plus d'engagements, la Russie a quitté ces traités." Je ne veux pas comparer, cela peut être perçu comme une profanation, mais c'est comme au poker, c'est celui qui clignera des yeux en premier. Et si nous clignons en premier, disons, que notre patience est à bout, nous ne répondons de rien; si dans ce domaine nous devons faire preuve d'initiative, renoncer au droit international, alors pourquoi faisons-nous cela? Le sens, pour nous, serait seulement que nous puissions détruire des monuments sur notre territoire…

Question: C'est vrai pour cette sphère précise. Mais en principe?

Sergueï Lavrov: Pour l'instant, nous parlons de cette sphère. Nous disons qu'à l'heure actuelle se déroule effectivement une guerre concernant l'histoire, que l'on porte grossièrement atteinte aux résultats de la Seconde Guerre mondiale que nous avons gagnée avec d'autres pays contre la coalition hitlérienne, par le sang. La Russie soumet tous les ans à l'Assemblée générale des Nations unies une résolution sur la lutte contre la glorification du nazisme. Elle est adoptée par la grande majorité. Les États-Unis et l'Ukraine votent contre. L'UE s'abstient. Je trouve ce phénomène honteux pour l'UE. Cette année, pour la 75e session de l'Assemblée générale des Nations unies, nous avons soumis une résolution sur la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle contient un nouveau terme, plus exactement une nouvelle proposition: que tous les membres de l'Onu reconnaissent la Victoire dans la Seconde Guerre mondiale comme un patrimoine mondial de l'humanité. Parce que l'Organisation des Nations unies est un patrimoine mondial, et sa création est devenue possible seulement grâce à cette Victoire. Les États-Unis, toute l'UE, le Canada, l'Ukraine et la Géorgie s'opposent au projet de résolution.

Question: Comment l'expliquent-ils?

Sergueï Lavrov: Ils ne l'expliquent pas. Ils disent que c'est inutile: pourquoi le dire maintenant alors que nous ne l'avons jamais dit? C'est inadmissible et prouve le bien-fondé de notre affirmation qu'ils veulent réellement réécrire l'histoire, non seulement pour blanchir leurs prédécesseurs mais également pour l'utiliser maintenant dans la politique pratique à des fins antirusses. C'est pourquoi nous le combattrons. Mais je ne peux pas accepter l'idée qu'il est dans notre intérêt de renoncer et d'enterrer le droit international en tant que norme.

Question: Vous avez tout de même esquivé la réponse concernant un avenir radieux avec les Américains, y a-t-il une chance?

Sergueï Lavrov: Je n'ai pas esquivé, j'ai dit que la situation ne s'améliorera pas.

Question: Je vais amorcer une autre approche. N'avons-nous pas - les intérêts russes - une chance de participer aux différends entre la Chine et les États-Unis? Les États-Unis créent manifestement une coalition antichinoise. Nous devrions profiter de la situation. Par exemple, nous distancer légèrement de la Chine, laisser comprendre que nous pourrions être avec les Américains. Y a-t-il une marge de manœuvre pour nous dans ces nouvelles alliances?

Sergueï Lavrov: Nous partons de la réalité dans tout ce que nous faisons. Du moins, nous cherchons à le faire. Et ici je ne vois pas de raisons de se distancer de qui que ce soit. Il serait absurde de s'écarter des accords que nous considérons comme mutuellement avantageux et efficaces. Se distancer des accords avec la Chine seulement pour montrer que nous pouvons intriguer - pourquoi? Ce serait à notre détriment. Les Américains disent ouvertement, avec des méthodes pas du tout démocratiques, selon moi, que la Russie doit les aider à punir la Chine, la forcer à se désarmer ou à geler ses armements, spéculent sans gêne comme des prestidigitateurs.

Un représentant américain a récemment déclaré que la Russie les avait soutenus et que "nous déboucherons sur un accord pour la présidentielle américaine sur le gel de toutes les ogives nucléaires", que "la Russie veut vraiment que la Chine y adhère". Écoutez, c'est vraiment malhonnête.

Question: Et quelle est la situation réelle concernant le START-3? Ils disent qu'ils sont prêts, qu'ils ont proposé aux Russes le gel du potentiel nucléaire, qu'ils sont à un pas de la prolongation du Traité selon leurs conditions?

Sergueï Lavrov: Nous partions et partons toujours du principe que les accords en matière de stabilité stratégique doivent s'appuyer sur la présentation des intérêts de chaque partie de l'accord, sur l'analyse des menaces que le camp opposé présente pour vous, sur la recherche d'un compromis tenant compte de l'équilibre des intérêts de chacun et donc des menaces réelles. Cela concerne avant tout les moyens qui peuvent acheminer des ogives nucléaires sur le territoire opposé.

Mais les États-Unis ont mis tout sens dessus dessous. Ils veulent laisser de côté les vecteurs parce qu'ils se sont dotés de plusieurs moyens qui ne font actuellement pas l'objet de négociations. Ils parlent tout le temps de nouvelles ressources russes qui ont été annoncées, qui sont activement mises en service. Mais sur les cinq nouveaux types d'armement nous sommes prêts à en inscrire deux dans le contexte de notre traité. Ils le savent.

Question: Lesquels sommes-nous prêts à inclure?

Sergueï Lavrov: Je ne vais pas entrer dans les détails. Ceux qui tombent dans les catégories couvertes par le traité actuel. Ce sont les missiles intercontinentaux, les missiles des sous-marins et les bombardiers stratégiques.

Question: Alors qu'à notre place les Américains diraient qu'ils ne sont pas concernés. Et c'est tout.

Sergueï Lavrov: A leur place ils disent bien qu'ils ne sont pas concernés. Parce qu'ils disposent du programme de frappe planétaire rapide. Il ne s'agit pas de vecteurs nucléaires mais stratégiques qui peuvent atteindre les cibles de ce programme partout dans le monde en une heure. Ils n'ont pas encore été inclus dans nos discussions. Tout comme ils ne mentionnent pas la militarisation de l'espace, même si officiellement l'espace dans leurs doctrines, tout comme le cyberespace, est inclus dans l'arène des activités militaires. Nous ne pouvons pas ne pas en tenir compte.

Ils ne veulent pas tenir compte du fait qu'ils ont eux-mêmes tiré un trait sur leur adhésion au Traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires (TICEN), et bien d'autres. Au lieu de s'occuper des vecteurs concrets représentant une menace pour nos territoires réciproques, ils proposent de compter les ogives. Ainsi, ils veulent lancer de manière concrète le thème de l'arme nucléaire non stratégique, ce qu'on appelle l'armement nucléaire tactique. Il était clair qu'avant d'inclure cette catégorie d'armements dans les discussions sur leur réduction, les Américains devaient d'abord retirer ces missiles tactiques avec des ogives tactiques sur leur territoire. Ils se trouvent sur le territoire de cinq pays de l'Otan. De plus, en violation du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), Washington fait participer des pays de l'Otan aux entraînements sur l'utilisation et la manipulation de l'arme nucléaire. C'est une grossière violation du TNP. Au lieu de niveler le champ pour les contacts en retirant tout cela sur leur territoire, ils veulent tout prendre pour un dû et proposent de tout calculer. Cela ne sera pas le cas.

Leur deuxième exigence consiste à revenir aux mécanismes de vérification qui existaient dans les années 1990 et étaient globalement humiliants. A l'époque les inspecteurs étaient assis à l'entrée des usines concernées, mesuraient avec un mètre les conteneurs qui exportaient les missiles, mesuraient ce qui entrait dans ces usines. Oui, nous avions également le droit de nous trouver sur le site de Magna. Mais en mettant au point le START-3 actuel il a été décidé que nous abandonnions ces pratiques intrusives qui n'étaient pas signes d'un partenariat, qui ne convenaient pas dans l'ensemble dans des conditions où nous étions sérieusement passé aux accords équitables conclus dans le document actuel. Mais les Américains veulent compter toutes les ogives et revenir aux mesures de vérification sévères dont j'ai parlé, ainsi que nous forcer à persuader la Chine. Voilà ce dont ils parlent.

Question: Ils n'ont rien inventé de nouveau sur ce point. Il y a plusieurs années, dans ce même bâtiment, nous avons filmé l'élaboration du Traité sur la réduction des armes stratégiques. Et quand on a enfin débouché sur ce traité, les "vecteurs de l'arme nucléaire" n'ont pas été simplement transformés en "vecteurs d'armes de précision", mais il a été sérieusement affirmé qu'ils avaient réduit le nombre de vecteurs, notamment d'avions. Mais si maintenant ils adoptent cette position, alors la prolongation du START-3 n'a pas de perspective?

Sergueï Lavrov: Non, personnellement, je ne vois pas de telle perspective. Mes collègues qui travaillent au format interministériel et rencontrent la délégation américaine ne voient pas non plus une telle perspective. Même si nous ne dirons jamais que nous claquons la porte et cessons tous les contacts. Non. Mais nous expliquons simplement qu'il est impossible de discuter sur la base d'un ultimatum ignorant complètement tous les principes qui étaient reconnus pendant des décennies comme la base de nos accords sur le START-1 etc.

En ce qui concerne le Traité sur la réduction des armes stratégiques, ce n'était pas un document juridiquement contraignant mais une déclaration politique qui, à l'époque, avait permis tant bien que mal de maintenir à flot le processus de maintien de la stabilité stratégique.

Question: Qui est meilleur pour nous? Joe Biden ou Donald Trump? L'un est-il vraiment préférable à l'autre?

Sergueï Lavrov: Je pense que Semen Slepakov, qui a écrit les paroles de la chanson "L'Amérique ne nous aime pas", a profondément pénétré la compréhension du sujet.

Question: Je voudrais noter un moment historique: quand le Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov vient de citer Semen Slepakov sur les ondes des trois plus grandes radios russes. Mais ce n'est pas ma question. Pour ne pas parler du terrible thème de l'impossibilité du START-3, le plus pessimiste selon moi aujourd’hui, je voudrais poser une question sur le Kazakhstan et plus largement, comme nous le faisons généralement ici. Certains pensent, j'ignore si vous êtes d'accord avec cela, j'ignore si moi-même je suis d'accord parce que je ne suis pas une experte du Kazakhstan, mais certains analystes et experts nous promettent dans ce pays des contradictions proches de celles qui ont eu lieu en Ukraine. Je fais allusion à ce qui s'est produit entre les Russes ethniques au Nord et le Kazakhstan en tant qu’État. Je l'ai entendu de la part de plusieurs personnes et dans plusieurs sources. J'ignore si c'est le cas, j'espère que non. Je suis allée plusieurs fois au Kazakhstan, mais c'était il y a longtemps, et je n'ai rien vu de tel. Pensez-vous qu'il existe effectivement de telles craintes? Notez-vous une hausse de la tension? Question plus large: quand ferons-nous quelque chose pour que nos compatriotes (avant tout les Russes ethniques) puissent rentrer chez eux? Nous en parlons depuis des années, nous simplifions constamment quelque chose, mais la situation ne change pas.

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne le Kazakhstan, tout comme vous, je ne vois pas de risque de scission selon le principe ethnique. Les autorités du pays sont parfaitement conscientes de la nécessité de renforcer l'entente interethnique et de garantir l'intégrité territoriale fiable de leur pays. En ce sens, la prise en compte des intérêts de la partie russophone des citoyens du Kazakhstan est primordiale, notamment dans le contexte de l'enseignement du russe, du maintien de l'espace russophone, de la garantie des droits des parents d'envoyer leurs enfants dans des écoles russophones, etc.

Tout cela fait partie des accords dans le cadre de la CEI et des documents bilatéraux entre la Russie et le Kazakhstan. Cela concerne évidemment le fait que les Russes doivent se sentir impliqués dans le contrôle des régions du Kazakhstan et de l’État. Je suis certains que le Président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokaev et le premier Président du pays Noursoultan Nazarbaev en sont parfaitement conscients. Du moins, nous constatons cette compréhension lors de nos contacts au niveau des dirigeants et des ministres.

En ce qui concerne les autres acteurs qui entretiennent des relations avec le Kazakhstan, je ne peux pas croire sur parole à la pureté de leurs intentions. Nous voyons (en parlant de la conquête de l'espace postsoviétique par les Américains, notamment en Asie centrale) qu'ils essayent de semer des différends sur un nouveau territoire qui ne se situe pas simplement près de la Russie géographiquement, mais est très proche de nous historiquement, politiquement, sur le plan militaro-politique, qui est notre allié. Ils entreprennent de telles tentatives. Du moins, toutes les ONG financées par des fondations américaines mènent une ligne qui vise à encourager les tendances nationalistes de la nation titulaire pour maintenir ainsi le potentiel conflictuel.

La Chine a également son programme en Asie centrale. Elle s'intéresse avant tout à la promotion de ses intérêts économiques. J'ai déjà commenté la question relative à l'article de Karen Chakhnazarov. La Chine a accumulé de la puissance économique, et l'a fait selon toutes les règles introduites par l'Occident, avant tout les Américains, dans le cadre du concept de la mondialisation. Ce qui a provoqué en grande partie le cafouillage actuel. Les Américains n'apprécient pas l'ascension de la Chine selon les règles et la partition écrites par les Américains eux-mêmes. C'est pourquoi aujourd'hui les États-Unis veulent se retirer de l'OMC, détruire les autres accords qui limitent d'une manière ou d'une autre leur liberté d'action. En projetant sa puissance économique, la Chine défend ses intérêts parfaitement naturels. Nous essayons d'y participer et d'harmoniser les intérêts de l'Asie centrale et d'autres pays de l'espace postsoviétique, y compris les intérêts de la Russie, avec les intérêts et les capacités offerts par la Chine.

L'UEE a déjà conclu deux accords avec la Chine. Ils visent précisément à harmoniser l'intégration eurasiatique avec le projet chinois "La Ceinture et la Route" et plus largement dans le cadre de la philosophie qui a été appelée par le Président russe Vladimir Poutine "formation du Grand partenariat eurasiatique" incluant les pays de l'ASEAN et les États qui ne sont pas membres de groupes d'intégration. En plus, comme cela a été souligné, nous laissons la porte ouverte à l'UE parce qu'il serait illogique du point de vue du développement de chaque pays de ne pas profiter des avantages comparatifs donnés par Dieu: la géographie du continent affichant la croissance la plus active et étant le plus prometteur.

Encore une fois, je souligne qu'avec le Kazakhstan, tout comme avec les autres pays de la CEI, nous avons un dialogue de confiance et développé sur tous les sujets. Tous les thèmes susceptibles d'engendrer des préoccupations sont évoqués ouvertement, dans la camaraderie et sont réglés efficacement dans la plupart des cas. J'espère qu'au final nous réglerons toutes les questions de ce genre.

Question: Une question de nos auditeurs. Le Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a fait le tour du monde. Quels sont les cinq endroits les plus magnifiques, selon vous?

Sergueï Lavrov: Chaque endroit est magnifique à sa manière. Mais je penche pour la vision que j'ai développée avec Vladimir Soungorkine, d'ailleurs. En faisant le tour du monde il faut se rappeler qu'il est impossible de faire le tour de notre pays. Les merveilles de notre pays suffiront à plusieurs générations.

Question: Nous avons un débat avec Monsieur Lavrov. Il est adepte de l'Altaï, et moi de l'Extrême-Orient. Le débat est ouvert.

Question: Nous sommes adeptes de la région de Krasnodar.

Question: Sotchi, la mer Noire.

Question: Où nous avons été en vacances cette année avec les familles. Et nous sommes passés par Yalta.

Sergueï Lavrov: Du point de vue du sport, c'est des vacances passives.

Question: Cela dépend des activités.

Sergueï Lavrov: Mais ce n'est pas du sport. Je sais ce qu'on y fait.

 

 

 

 

 


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