Allocution et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov au cours d'une conférence de presse conjointe avec Jean-Marc Ayrault, Ministre français des Affaires étrangères et du Développement international, Moscou, 19 avril 2016
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes ravis d'accueillir la délégation du Ministère français des Affaires étrangères menée par Jean-Marc Ayrault, Ministre français des Affaires étrangères et du Développement international. C'est la première fois que Jean-Marc Ayrault nous rend visite en cette qualité mais il était déjà venu en Russie, notamment en tant que Premier ministre français. Dans l'ensemble, Jean-Marc Ayrault a contribué et contribue toujours largement au développement de la coopération franco-russe. Nous nous sommes également rencontrés en marge d'événements internationaux multilatéraux. Nous avons convenu aujourd'hui de maintenir nos contacts étroits sur un ordre du jour le plus large possible.
Jean-Marc Ayrault a un programme chargé à Moscou – avant notre entretien d'aujourd'hui, nous avons rencontré ensemble le Président russe Vladimir Poutine au Kremlin avec qui nous avons eu une discussion longue, très détaillée, professionnelle et constructive.
Nous sommes satisfaits de constater une dynamique positive dans nos relations bilatérales ces derniers temps. Le dialogue au sommet se poursuit, tout comme les contacts entre les ministres et le personnel des Affaires étrangères. Les rencontres entre les députés, les différents ministères et institutions de la Russie et de la France sont plus fréquentes et actives.
Nous sommes satisfaits du maintien d'un haut niveau de coopération dans les hautes technologies, notamment l'aéronautique et la cosmonautique, l'infrastructure de transport et pétrogazière, l'énergie nucléaire et la construction automobile. Les entreprises françaises veulent conserver une coopération d'affaires étroite avec les partenaires russes. Il est à noter qu'en dépit des difficultés objectives et subjectives, aucune des compagnies françaises en Russie (près de 500) n'a quitté notre marché.
Nous espérons, comme l'ont convenu nos premiers ministres, qu'il sera possible d'organiser d'ici la fin de l'année une nouvelle réunion de la commission intergouvernementale coprésidée par nos chefs de gouvernement pour évoquer les solutions permettant de surmonter la réduction des échanges commerciaux, qui ne peut certainement satisfaire ni la Russie ni la France.
Cette année, nous célébrons le 50e anniversaire de notre coopération bilatérale dans l'espace. Nous avons atteint des résultats significatifs dans ce domaine. Depuis 2011, nous mettons en œuvre les programmes de lancement des fusées-porteuses russes Soyouz (13 lancements réalisés) depuis le cosmodrome de Kourou en Guyane française. En novembre 2016, nous prévoyons le lancement d'un vaisseau Soyouz transportant le cosmonaute français Thomas Pesquet depuis le cosmodrome de Baïkonour.
Sur le plan humain, nos liens se développent. Début avril a notamment été initié un nouveau projet bilatéral: l'Année du tourisme culturel, qui se déroulera jusqu'au à mi-2017. Le récent Accord bilatéral sur la reconnaissance mutuelle des diplômes, des qualifications et des grades universitaires contribuera au développement des contacts académiques et, dans l'ensemble, entre nos peuples. Cet automne, le Centre spirituel et culturel russe à Paris sera inauguré sur le quai Branly. Nous y voyons une nouvelle confirmation des sentiments réciproques d'amitié et de sympathie entre nos peuples.
Nous avons échangé nos points de vue sur l'ordre du jour international, largement et en détail. Nous avons mis l'accent sur la nécessité de mobiliser les efforts de la communauté internationale pour régler différents conflits et crises, ainsi que pour lutter contre le terrorisme. Ce sujet avait été central pendant la visite en Russie du Président français François Hollande en novembre 2015. Par la suite, il est resté la priorité des contacts entre nos militaires et nos services de renseignements. Nous continuerons de coordonner nos efforts pour la lutte antiterroriste, tant dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies que dans celui de nos relations bilatérales. En particulier, nous avons trouvé un accord de principe pour rétablir l'activité du Groupe de travail pour la lutte contre les nouveaux défis et menaces.
Nous avons échangé objectivement notre vision des événements en Syrie et des faits qui s'y rapportent, notamment le travail conjoint dans le cadre du Groupe international de soutien à la Syrie (GISS), qui s'appuie sur les plans approuvés par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il est nécessaire de parvenir à instaurer un cessez-le-feu, d'empêcher sa violation et de contribuer à élargir l'accès de l'aide humanitaire aux personnes dans le besoin dans ce pays. Une attention particulière a été accordée au processus de paix initié à Genève. Nous pensons qu'il faut lui accorder un caractère pan-syrien et faire en sorte que le gouvernement syrien et tout l'éventail de l'opposition s'assoient à la table des négociations pour décider du sort de leur pays comme le stipule la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Nous avons également évoqué la situation en Libye, en Irak et dans d'autres pays de la région. Il faut que tous les acteurs extérieurs déploient le maximum d'efforts pour que toutes les parties, dans chacun de ces pays et dans chacune de ces situations, avancent vers la réconciliation nationale, vers une entente nationale, en consolidant les efforts pour combattre les terroristes et les extrémistes.
Avec Jean-Marc Ayrault et la délégation française, nous avons également étudié notre coopération dans le cadre du Format Normandie, qui contrôle le respect des Accords de Minsk du 12 février 2015 par les parties. Pour que ces accords soient appliqués, il faut établir un dialogue direct entre Kiev et le Donbass, fixer le statut particulier de cette région, apporter les précisions appropriées à la Constitution ukrainienne, organiser une amnistie réelle et convenir des modalités d'organisation des élections locales. Nous espérons que le nouveau gouvernement ukrainien s'occupera plus activement de ces questions que le précédent, d'autant qu'il n'y a manifestement plus aucun différend insurmontable entre le Président ukrainien Petro Porochenko et le Premier ministre Vladimir Groïsman.
Concernant les relations entre la Russie et l'Union européenne, nous sommes persuadés qu'il est dans l'intérêt de tous les pays concernés de renforcer les bases d'un partenariat tourné vers l'avenir dans différents secteurs. La partie russe y est prête, bien évidemment, sans tentatives de mener les affaires comme si rien ne s'était produit, sans deux poids deux mesures, sans actions unilatérales, sans tentatives de créer de nouvelles "lignes de démarcation" en Europe.
Nous pensons que le règlement de toutes ces tâches, en visant l'horizon politique, contribuerait à l'établissement d'un dialogue entre l'Union européenne et l'Union eurasiatique, et sur un plan plus large, à évoquer les perspectives de création d'un espace économique et humanitaire de l'Atlantique au Pacifique s'appuyant sur une sécurité égale et indivisible.
Demain, après une longue interruption, se tiendra une réunion des représentants permanents du Conseil Otan-Russie. Nous avons accepté la proposition de l'Alliance, qui avait gelé nos contacts mais qui estime aujourd'hui nécessaire d'organiser une telle rencontre. Nous avons clairement laissé entendre qu'on ne pouvait pas faire comme si de rien n'était ni assister à de nouveaux "jeux à sens unique". L'ordre du jour approuvé pour la réunion de demain reflète non seulement ce dont les otaniens ont besoin, mais également ce qui intéresse la Russie. A l'issue de la réunion, nous informerons évidemment la presse.
Nous avons "réglé nos montres" sur l'activité de l'OSCE, notamment dans le contexte du problème le plus actuel – l'activité de la Mission spéciale d'observation de l'OSCE en Ukraine et la participation de cette Organisation au Groupe de contact et à ses sous-groupes pour la recherche d'une entente sur toutes les démarches sans exception à entreprendre par Kiev et par le Donbass pour remplir inconditionnellement et à entièrement les Accords de Minsk.
Nous avons convenu de soutenir les contacts sur toutes ces questions et d'autres sujets de notre ordre du jour. Je suis certain que les entretiens d'aujourd'hui étaient très utiles.
Question: Pensez-vous que le Président syrien Bachar al-Assad pourrait gagner cette guerre?
Sergueï Lavrov: La réponse à cette question est très simple: personne ne peut gagner cette guerre. Tous les experts le reconnaissent, et même les belligérants. Toutefois, des acteurs isolés, sur le "front extérieur", nourrissent quand même l'espoir de renverser le régime par la force et mettent tout en œuvre pour y parvenir, notamment en essayant de provoquer l'échec des négociations de Genève. Il me semble que les USA, qui sont coprésidents du GISS avec la Russie, la France et d'autres pays faisant partie de ce Groupe, ne sont absolument pas d'accord avec ces tentatives. Vouloir décider quelque chose à la place du peuple syrien va à l'encontre de ce que nous avons convenu dans le cadre du GISS et au Conseil de sécurité des Nations unies, où a été approuvée la résolution 2254. Je la cite constamment: "Seul le peuple syrien peut décider de l'avenir de la Syrie". Pour cela il faut assurer, grâce aux négociations de Genève, un dialogue direct entre la délégation du gouvernement et tous les opposants sans exception.
Aucun des groupes opposés au gouvernement ("de Riyad", "de Moscou-Le Caire", "de Hmeimim", groupes indépendants) n'a le monopole de l'opposition contre le régime actuel de Damas. Les décisions du GISS et les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies mettent en avant le caractère inclusif du processus de paix, et le fait que la solution ne pourra être que pacifique. D'ailleurs, quand nous mettions au point ces documents, la Russie, la France et les USA insistaient pour ajouter une phrase selon laquelle le conflit syrien ne pouvait pas avoir de solution militaire. Malheureusement, certains représentants du Moyen-Orient ont empêché qu'elle figure dans les textes. Pas besoin d'entrer dans les détails – je pense que tout le monde comprend de quoi il s'agit. C'est une position d'une minorité absolue qui n'a pas de perspectives, c'est un fait. Nous faisons tout pour que la solution militaire ne l'emporte pas car elle mènerait au chaos définitif dans la région, à l'effondrement d'un autre État après ce qui a déjà été infligé à l'Irak et la Libye. Il ne faut pas oublier que le Yémen, lui aussi, est loin d'être en bonne forme. Ceux qui couvent de tels plans doivent en endosser la responsabilité.
Pour donner la parole à Jean-Marc Ayrault, je voudrais citer ce qu'il vient de dire dans son discours, en exprimant l'espoir que la Russie aiderait à régler la crise en Syrie. Il a déclaré que la Russie avait des liens historiques avec Damas. J'aurai l'audace de préciser que la France a des liens historiques tout aussi profonds avec la Syrie, y compris quand ce territoire était sous mandat français dans le cadre d'une décision de la Société des Nations. C'est sous mandat français qu'a été instaurée la structure actuelle de l’État syrien et que les alaouites se sont vu allouer le rôle qu'ils y jouent encore aujourd'hui.
Nous espérons que la France continuera d'aspirer à la formation et à la sauvegarde de cette structure étatique syrienne où tous les groupes religieux et ethniques sans exception pourront vivre dans le confort et la sécurité, cette fois dans de nouvelles conditions où il sera devenu évident que des changements s'imposent.
Question (adressée à Jean-Marc Ayrault): La réunion du Conseil Otan-Russie au niveau des représentants permanents est prévue demain à Bruxelles. Ce sera la première depuis une longue interruption, après que l'Alliance a décidé de geler les relations avec la Russie. La lutte contre le terrorisme y sera évoquée, à la demande de Moscou. Au cours des six derniers mois, Paris et Bruxelles ont été victimes de terribles attentats. Ne pensez-vous pas qu'on a perdu beaucoup de temps au lieu de coopérer activement avec la Russie en la matière? Quand pourrait être rétabli complètement le travail du Conseil Otan-Russie? Comment se sent la France au sein de l'Alliance, étant donné que votre pays a changé plus d'une fois de position par rapport à sa présence dans l'Otan?
Sergueï Lavrov (ajoute après Jean-Marc Ayrault): Je voudrais confirmer que la France faisait partie des pays qui ont soutenu notre proposition de compléter l'ordre du jour initialement proposé par les otaniens par le thème de la lutte contre le terrorisme, qui s'inscrit dans la problématique de l'Afghanistan et de toutes les menaces qui émanent de ce pays. Je pense que cela pouvait également être formulé de manière plus large. Les propositions initialement avancées par le secrétariat de l'Otan étaient bien plus modestes: ils voulaient parler de l'Ukraine et des moyens d'éviter des incidents imprévus. Nous étions d'accord d'inscrire l'Ukraine à l'ordre du jour, d'autant que nous avons de nombreuses questions par rapport au rôle joué par certains pays de l'Otan dans la crise ukrainienne, dans son exacerbation, dans l'encouragement des extrémistes et des nationalistes radicaux.
En ce qui concerne l'activité militaire dangereuse, nous sommes prêts à en parler mais nous avons convenu qu'il fallait tout de même le faire dans le cadre d'une analyse de la situation militaire générale dans l'espace euro-atlantique, dans celui de la Russie et de l'Alliance, et avant tout au niveau des frontières entre notre pays et l'Otan. Si l'on ne comprend pas d'abord vers où dérive la situation militaro-politique dans la région, les objectifs visés par l'expansion constante de l'Otan vers l'Est et le rapprochement de l'infrastructure militaire des frontières russes, il est très difficile de s'entendre sur les questions secondaires. Nous sommes reconnaissants envers les pays de l'Otan qui ont soutenu cet ordre du jour plus fondamental qui sera évoqué demain. Nous sommes certains que la France adopte des positions visant à surmonter de manière constructive les crises dans les relations entre la Russie et l'Occident.
Question: Pensez-vous que la volonté de la France d'évoquer certaines questions avec des représentants de la société civile russe soit le signe d'une attitude critique envers les autorités russes?
Sergueï Lavrov: Le fait que nos hôtes rencontrent des représentants de la société civile et de l'opposition ne nous dérange pas: c'est une pratique normale. Les ambassades implantées dans d'autres pays doivent travailler avec les partis au pouvoir, avec les autorités, avec l'opposition - c'est une façon de faire mondialement répandue. L'important est d'éviter le deux poids deux mesures, car quand nos collègues occidentaux nous rendent visite, on leur demande ensuite tout le temps s'ils ont rencontré la société civile. Mais quand nous communiquons avec des représentants de l'opposition (y compris parlementaire) en Europe, on nous demande pourquoi nous voulons nous entretenir avec des "marginaux" et "exacerber la confrontation". C'est un problème. Comme l'a dit Jean-Marc Ayrault, "il ne faut pas voir seulement la paille dans l’œil de son voisin mais aussi celle qui est dans le sien - si ce n'est la poutre".
En effet, la Russie, la France et tous les autres pays ont encore du travail pour assurer les droits de l'homme et les libertés constitutionnelles. Il existe en Russie le poste de Délégué pour les droits de l'homme, qui édite des rapports annuels sur la situation des droits de l'homme dans le pays. Ils sont consultables. J'ignore s'il existe une telle institution dans chaque pays de l'UE mais c'est le cas en Russie. Bien sûr, elle n'est pas parfaite - personne n'affirme le contraire - mais elle existe et est soutenue par le Président russe, nos autorités et joue un rôle important dans le dialogue entre le gouvernement russe et la société civile, y compris pour remédier aux infractions qui, je le répète, ont lieu dans tous les pays. Nous voudrions qu'il n'y ait pas non plus, à ce sujet, de deux poids deux mesures.
Parmi les nombreux dialogues sectoriels que nous avions établis avec l'UE, l'un d'entre eux portait sur les droits de l'homme. Mais cette dernière en a suspendu le fonctionnement. Les représentants européens ont récemment déclaré qu'ils gèleraient tout sauf le dialogue sur les droits et l'homme et ont proposé d'en parler. Ce n'est pas le cas. Si on décide de rétablir les relations, faisons-le complètement. Nous attendons une initiative venant de la partie qui a fermé la porte à la poursuite de ces contacts. Hormis le dialogue avec l'UE, nous avons soutenu et continuons de soutenir avec nos partenaires les discussions bilatérales sur les droits de l'homme. Comme l'a déclaré Jean-Marc Ayrault (et nos approches coïncident), nous ne souhaitons pas lire la morale pour déclarer ensuite aux journalistes "je suis très fort et j'ai dit la vérité aux partenaires les yeux dans les yeux", mais qu'on contribue réellement à surmonter les lacunes dans le travail des gouvernements.
Un exemple. Actuellement, tous nos partenaires occidentaux de l'autre côté de l'océan et en Europe, dès qu'on mentionne les droits de l'homme en Russie, ne parlent que de Nadejda Savtchenko. Personne ne rappelle que des journalistes russes ont été tués en Ukraine. Les partenaires occidentaux ne disent pas non plus publiquement que leur mort ne fait l'objet d'aucune enquête. Ce thème est peut-être mentionné dans les contacts avec les autorités ukrainiennes mais je n'ai rien entendu dans la sphère publique qui indiquerait que les collègues occidentaux s'intéressent à l'enquête sur les assassinats de journalistes russes, de l'activiste d'opposition Oles Bouzina (cela fait un an qu'il a été tué), le récent meurtre d'Iouri Grabovski – avocat d'un Russe poursuivi en Ukraine. Le Conseil de l'Europe a même dû publiquement exprimer sa préoccupation par rapport à l'inaction dans l'enquête sur les personnes tuées par des snipers sur le Maïdan en février 2014, ainsi que dans celle sur les événements qui se sont produits à Odessa en mai 2014 et bien d'autres faits sinistres survenus dans le cadre de la crise ukrainienne.
Des formats permettent pourtant de travailler sur ces questions. Il y a le CDH des Nations unies et ses mécanismes d'examen annuels périodiques. Dans la cadre de ce mécanisme, chaque État rend compte de ses actions. Nous sommes prêts et ouverts à ce travail. Mais surtout, nous devons tout faire pour corriger les lacunes dans la protection des droits de l'homme où que ce soit, et pas pour se faire de la publicité.
Question: Les représentants du groupe d'opposition de Riyad proposent de geler les négociations et l'opposition "modérée", notamment les représentants d'Ahrar al-Sham et de Jaysh al-Islam, ont annoncé qu'il fallait suspendre le processus de paix et le cessez-le-feu pour reprendre les combats. Quelles seraient les conséquences d'une reprise du conflit armé? La réunion du GISS à Genève le 21 avril est-elle possible dans ces conditions et à quel niveau?
Sergueï Lavrov: Nous avons déjà évoqué cette question aujourd'hui – je l'ai mentionnée pendant mon allocution d'ouverture. Le comportement du groupe de Riyad, qui bien que réuni à Riyad (et tout le monde le sait) est soutenu par la Turquie, est celui d'un participant capricieux manifestement gâté par ses protecteurs extérieurs, qui s'est mis en tête qu'il était le seul à pouvoir représenter les opposants syriens et que tous les autres étaient "inférieurs", que leur avis ne devait pas être pris en compte pendant les négociations. Ils ont cru pouvoir insister sur l'ordre du jour des négociations, déclarer qu'il fallait définir clairement quand le Président syrien Bachar al-Assad cesserait de diriger le pays pour que les négociations commencent. Ce faisant, ils se réfèrent à la nécessité de respecter la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Tout le monde comprend que c'est un mensonge.
Je le répète, les "opposants gâtés" commencent à dicter leurs conditions. Je sais que nos partenaires occidentaux comprennent le malaise de cette situation. Ils savent qu'on ne peut pas être pris en otage de ceux qui visent à saper le processus de paix et à créer des conditions qui permettraient de justifier la dérive vers un scénario armé. Il faut empêcher fermement ces agissements.
Les négociations ne sont pas gelées. Car elles n'impliquent pas que le groupe de Riyad mais aussi les délégations du gouvernement syrien et de groupes qui s'étaient réunis à Moscou, au Caire, à Astana, les groupes de Hmeimim et les "indépendants". Nous partons du fait que l'envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu Staffan de Mistura poursuit ses "actions de navette" avec ceux qui ne cherchent pas à avancer des ultimatums et des conditions préalables ne correspondant pas avec les exigences du Conseil de sécurité des Nations unies.
En ce qui concerne les groupes Ahrar al-Sham et Jaysh al-Islam, que vous avez mentionnés comme "modérés", je rappelle que, quand nous avons mis au point de la position du Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie demandait de les inscrire sur la liste des organisations terroristes et extrémistes. Nos partenaires occidentaux, dont la plupart partageaient cet avis, nous ont tout de même demandé de faire un compromis car certains pays de la région objectaient fermement contre cette catégorisation. Nous l'avons accepté - pour pouvoir avancer ne serait-ce qu'un peu. Mais nous avons écrit dans la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies et dans la décision du GISS qu'hormis Daech et le Front al-Nosra, qui sont clairement définis comme terroristes par tous, cette liste pourrait s'élargir de ceux qui ne respecteraient pas le cessez-le-feu. La déclaration de sortie du cessez-le-feu pose des bases juridiques pour soulever cette question en détail. De plus, concernant la liste des organisations terroristes, il existe de nombreuses preuves du fait que le Front al-Nosra tente de se cacher derrière d'autres noms en s'alliant avec de petits groupes qui ne sont pas inscrits sur les listes terroristes pour échapper aux représailles. Nous rassemblons actuellement les faits à ce sujet par le biais de divers canaux. Je suis certain que prochainement, nous demanderons au Conseil de sécurité des Nations unies d'inscrire sur la même liste que Daech et le Front al-Nosra ceux qui sapent la trêve et cherchent à se cacher derrière de nouveaux noms.
En ce qui concerne la réunion du GISS. Ce groupe travaille à Genève au niveau des représentants permanents et de deux sous-groupes: pour le cessez-le-feu et pour les questions humanitaires. Ils se réunissent pratiquement un jour sur deux. Je pense que c'est de cela qu'il est question quand les médias mentionnent la réunion du 21 avril. Aucune réunion ministérielle n'est à l'ordre du jour pour le moment. Nous pensons que le mécanisme de Genève est très efficace et permet de contrôler la situation actuelle et de régler rapidement les questions qui surviennent. Bien sûr, les ministres devront jouer leur rôle quand il sera nécessaire de changer radicalement nos approches communes ou d'apporter des précisions au mandat approuvé par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Question: Le Président du Parlement ukrainien a déclaré que les députés devaient supprimer, dans le projet de loi sur les amendements à la Constitution, le point concernant le statut spécial du Donbass. De son côté, le nouveau Premier ministre a suggéré de créer un "ministère pour l'opération antiterroriste (ATO) et les territoires occupés". Qu'en pensez-vous? Dans quelle mesure ces initiatives respectent les Accords de Minsk?
Sergueï Lavrov: Nous venons de vous communiquer les points que nous avons abordés pendant nos consultations. La Russie et la France espèrent que le nouveau gouvernement, qui n'est pas en conflit avec le président comme le précédent, mené par Arseni Iatseniouk, sera disposé aux réformes et à remplir complètement les engagements de Kiev dans le cadre des Accords de Minsk. Nos partenaires occidentaux confirment cette position. Pour des raisons évidentes, ils ont bien plus d'influence sur Kiev que nous. Nous espérons que les initiatives que vous avez mentionnées seront empêchées - je veux parler de l'exigence du Président du Parlement ukrainien (connu, comme beaucoup le disent, pour avoir dirigé les snipers qui ont tiré sur les manifestants du Maïdan) de supprimer le point sur le statut particulier du Donbass des projets de loi du parlement. Cette annonce est contraire à ce qui nous a été confirmé aujourd'hui par nos partenaires dans la position ferme de la France et ce que nous disent les Américains, y compris au plus haut niveau.
Quant à l'initiative du Premier ministre Vladimir Groïsman de créer un ministère "pour l'ATO et les territoires occupés", j'ai lu qu'une structure de ce genre avait déjà été créée. Mais si le chef du gouvernement qui, comme nous venons de le voir, doit s'occuper de la mise en œuvre des Accords de Minsk, crée un ministère pour les territoires occupés, cela signifie qu'il ne considère pas ces territoires comme n'ayant pas accepté de vivre dans un État ukrainien uni à condition de remplir les Accords de Minsk, mais comme devant être libérés par la force. J'espère que nos partenaires occidentaux ne resteront pas indifférents face à cette approche. On ne voudrait pas que cette philosophie soit appliquée - or il y a suffisamment de raisons de le craindre.