Réponses aux questions de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors de la cérémonie de clôture de la conférence ministérielle du Forum de partenariat Russie-Afrique, Sotchi, 10 novembre 2024
Irina Abramova: Nous nous sommes à nouveau réunis à Sotchi, où s'est tenu en 2019 le premier sommet Russie-Afrique. Il a envoyé un signal fort aux peuples africains (et pas seulement) que notre pays considère l'Afrique comme un partenaire stratégique majeur.
En 2023, lors du deuxième sommet à Saint-Pétersbourg, une transition importante s'est opérée, passant des déclarations et des annonces à des actions concrètes concernant l'Afrique, à savoir un Plan d'action détaillé du Forum de partenariat Russie-Afrique pour 2023-2026 a été élaboré. L'un de ses points importants est le mécanisme de tenue de conférences ministérielles annuelles. Aujourd'hui, nous achevons le travail de la première d'entre elles.
Avons-nous réussi à transformer ce nouveau format de coopération en une plateforme permettant d'identifier les domaines les plus prometteurs de notre interaction, tout en surmontant les problèmes accumulés?
Sergueï Lavrov: Je pense que nous avons bien travaillé. Nous avons adopté des documents, à savoir la Déclaration conjointe qui contient des évaluations générales de la situation mondiale, de l'état de notre partenariat, dans les domaines économique, social, d'investissement, ainsi que de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme et d'autres nouveaux défis, mais aussi dans les domaines culturel, éducatif et social. Ces documents sont accompagnés d'accords concrets pour chacun de ces domaines, créant plusieurs feuilles de route qui seront développées dans un avenir proche, notamment dans le cadre de la préparation de la deuxième conférence ministérielle du Forum de partenariat Russie-Afrique. Pour l'instant, aucun de nos collègues africains n'a envoyé d'invitation, mais elle devrait avoir lieu l'année prochaine. Nous attendrons. Nous sommes prêts à nous rendre volontiers quel que soit l'endroit pour rencontrer nos amis africains.
Bien évidemment, la décision des dirigeants prise en 2023 à Saint-Pétersbourg concernant les sessions ministérielles annuelles implique de nombreuses responsabilités. Outre les ministres des Affaires étrangères, d'autres membres de nos gouvernements ainsi que des entreprises travaillent également. Puisque les ministères des Affaires étrangères dans tous les pays sont les coordinateurs des processus liés aux relations entre les États et les organisations, notre objectif consiste à éviter des perturbations et des ralentissements, et à contribuer à l'accélération du rythme des contacts dans tous les domaines.
L'un des objectifs que nous avons identifiés, qui a clairement été mentionné dans toutes les réunions bilatérales avec mes amis, est la nécessité de s'affranchir de la dépendance vis-à-vis des mécanismes mondiaux contrôlés par nos "collègues" occidentaux. Nous sommes tous maintenant convaincus (nous en avons beaucoup parlé) que la "mondialisation", qui nous était présentée pendant de longues décennies comme le moyen idéal de fonctionnement de l'économie mondiale, est détruite par l'Occident lui-même. L'économie mondiale se fragmente. La cause en est les sanctions illégales et l'abus du dollar.
L'un de mes amis a dit aujourd'hui qu'il existait aussi un phénomène appelé "weaponization" des paiements. Tout cela est interconnecté. Les principes sur lesquels l'Occident a construit sa mondialisation et l'a promue auprès des autres, à savoir la concurrence loyale, l'inviolabilité de la propriété, la présomption d'innocence et de nombreux autres fondamentaux de l'économie de marché, ont été détruits par l'Occident ces dernières années et ont disparu. Les sanctions ont annulé tous ces principes autrefois sacrés du capitalisme. La fragmentation de l'économie mondiale se produit dans toutes les régions: en Eurasie, en Afrique, en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Les gens commencent à chercher des moyens de développer leur économie, de résoudre leurs problèmes sociaux, de répondre aux besoins de leur population de manière à ce que les chaînes de paiement, logistiques et de transport ne dépendent pas des "caprices" des "collègues" occidentaux, des conditions imposées par le FMI et (en parlant du continent) visant à maintenir l'Afrique dans une situation éloignée de l'industrialisation.
L'Afrique continue principalement à vendre des matières premières, tandis que la valeur ajoutée est réalisée ailleurs, principalement dans les usines et sur les marchés occidentaux. C'est injuste.
Nous avons discuté et essayé d'analyser la situation. En 1960, lorsque la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux a été adoptée à l'initiative de l'URSS, nous avons observé un puissant réveil du continent africain. Le colonialisme a été pratiquement éliminé. Bien que certains phénomènes résiduels continuent d'exister en violation des résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU sur la nécessité d'une libération complète des anciennes colonies. Nos amis africains le savent. Les anciens colonisateurs conservent des territoires et ne veulent pas les rendre aux populations qui y vivent.
Nous assistons maintenant à une vague de résistance au néocolonialisme, qui consiste en des pratiques commerciales, économiques et financières qui empêchent les pays du continent de disposer pleinement de leurs richissimes ressources naturelles. Ce processus ne constitue pas seulement une prise de conscience, mais aussi la mise en place de mécanismes qui élimineront les obstacles au développement rapide de l'Afrique, à son industrialisation, à la création d'emplois grâce aux ressources africaines, non pas quelque part en Occident, mais sur le continent lui-même. Ces processus (je pense que nous sommes parvenus à un consensus) ont déjà commencé. En quoi la Fédération de Russie peut-elle aider? Depuis l'époque de l'Union soviétique, après la décolonisation, nous avons créé des entreprises industrielles en Afrique, des installations qui ont contribué à résoudre les problèmes sociaux et éducatifs.
Je pense que vous avez vu le discours du Président russe Vladimir Poutine lors de la réunion du Club de discussion international Valdaï, où il s'est exprimé à ce sujet: "Nous n'avons aucun différend pratiquement avec aucun pays africain. Le niveau de confiance et de sympathie mutuelle est élevé. Principalement parce que dans l'histoire de nos relations avec le continent africain, il n'y a eu aucune ombre. Nous n'avons jamais exploité les peuples africains."
Je peux vous assurer que cette position reste pleinement d'actualité aujourd'hui. De plus, elle est encore plus opportune, car après la pause bien connue qui est survenue lorsque l'Union soviétique a cessé d'exister et que la nouvelle Russie était occupée à établir sa souveraineté étatique, nous avions d'énormes problèmes financiers et budgétaires. Cette pause est depuis longtemps terminée.
Au cours des 20 dernières années, nous renforçons continuellement notre partenariat avec l'Afrique sur la base des traditions établies pendant la période postcoloniale. Nous espérons qu'elles ont contribué à la création d'une économie et d'une industrie indépendantes dans de nombreux pays africains.
Outre la Déclaration conjointe que j'ai mentionnée, nous avons eu des discussions approfondies sur ces sujets. Cela concerne directement les transformations profondes qui se produisent dans le monde. Elles aboutiront sans aucun doute à la formation d'une architecture multipolaire. Le continent africain doit être et sera l'un de ses centres.
* * *
Question: Je pense qu'aujourd'hui, nous avons discuté de nombreuses questions liées tant aux perspectives de nos relations qu'aux problèmes auxquels l'Afrique et la Russie sont confrontées dans le contexte de la transformation de l'ordre mondial.
Monsieur Lavrov, pour conclure notre cérémonie, quel est votre message à tous les participants à la conférence?
Sergueï Lavrov: Je suis gêné de donner des conseils à mes amis. Généralement, on s'entend avec eux, on expose honnêtement les questions qui nous préoccupent, on reçoit des réponses honnêtes et on exprime ses inquiétudes.
Aujourd'hui, nous ne nous sommes pas contentés de nous féliciter mutuellement, nous avons aussi exprimé plusieurs souhaits. Mais tout cela se fait sans tentative de diktat ou de chantage. Ces méthodes sont constamment observées dans les actions de l'Occident, qui désire frénétiquement, malgré la puissante tendance objective de formation d'un ordre mondial multipolaire, la ralentir et de préférence l'empêcher. Il ne veut pas perdre son hégémonie. Les méthodes qu'il utilise dans ses relations avec la majorité mondiale diffèrent peu des méthodes coloniales, si ce n'est que la violence physique a pratiquement disparu.
Même ici, l'Occident recourt de temps en temps à des aventures comme l'invasion de la Libye et la destruction de l'État libyen. Puis il y a eu une flambée (qui se poursuit) du terrorisme en Afrique, principalement dans la région sahélo-saharienne. Si l'on parle des régions voisines, il y a l'Irak, la Syrie et bien d'autres. Les méthodes d'intimidation et de diktat continuent d'être utilisées par l'Occident, notamment pour essayer de dresser la majorité mondiale contre la Fédération de Russie et la Chine.
Nos méthodes sont différentes. J'ai déjà cité le Président russe Vladimir Poutine lorsqu'il a dit le 7 novembre que nous ne nous étions jamais livrés à des activités d'exploitation en Afrique.
Merci à ceux qui aujourd'hui, lors de cette cérémonie et pendant la réunion, ont évoqué avec bienveillance le rôle de l'Union soviétique dans le processus de décolonisation.
Nous continuerons à travailler uniquement dans l'esprit dans lequel se sont tenus les premier et deuxième sommets Russie-Afrique. C'est dans cet esprit que nous préparerons le troisième sommet et organiserons le travail de notre conférence ministérielle dans le cadre du Forum de partenariat Russie-Afrique.
Je suis convaincu que le ton d'aujourd'hui, qui caractérisait toutes les interventions dans la recherche d'accords reflétant un équilibre honnête des intérêts, est dans une certaine mesure un exemple pour d'autres structures, qu'il s'agisse du G20 ou de l'ONU, où nos "collègues" occidentaux ne veulent pas non plus travailler honnêtement, mais veulent à nouveau dicter leur volonté à tous les autres, y compris à travers le Secrétariat "privatisé" de l'ONU, où l'Occident est surreprésenté, notamment aux postes qui déterminent la politique de l'Organisation.
Il n'y a pas de souhaits, encore moins de sermons. Un immense merci à tous mes amis qui sont venus ici. À ceux qui représentent leurs ministres, je vous prie de transmettre mes plus chaleureuses salutations et mes meilleurs vœux à mes amis dans les capitales. Nous avons prévu de nombreuses choses dans les documents adoptés et lors des discussions bilatérales. Nous allons travailler sur tout cela.
Je tiens à remercier notre hôte pour son travail en tant que directrice de l'Institut d'Afrique de l'Académie des sciences de Russie. Je suis convaincu que nous attendrons des documents analytiques intéressants et des recommandations après que nos collègues scientifiques auront analysé les discussions et formé leur propre opinion.