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Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, à l'issue d'une réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'OCS, Tachkent, 29 juillet 2022

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Bonjour,

Quelques mots sur la réunion qui a eu lieu.

Les ministres des Affaires étrangères de l'OCS se sont surtout concentrés sur les préparatifs du sommet qui se déroulera à Samarcande (Ouzbékistan) à la mi-septembre de cette année. Les projets de documents ont été examinés, en particulier la Déclaration de Samarcande, qui est pratiquement achevée. Avant la prochaine réunion de septembre nos experts finaliseront ce travail et feront un rapport aux ministres. Nous soumettrons le projet final à l'examen des chefs d'État, ainsi qu'un certain nombre d'autres documents, dont plus d'une douzaine ont été préparés. Les plus importants d'entre eux concernent l'approfondissement des processus d'intégration.

Je mentionnerai deux documents à ce propos. Le premier est le concept de coopération pour le développement d'interconnectivité et de couloirs de transport efficaces, représentant un intérêt pratique. Le deuxième document est également très important pour notre travail ultérieur. Il s'agit d'une carte routière permettant d'augmenter progressivement la part des devises nationales dans les paiements mutuels.

Des projets concernant les domaines économiques de l'énergie, de la numérisation, des transports, des communications, de l'innovation, des nouvelles technologies et de la santé ont été préparés, ainsi qu'un nombre important d'initiatives dans le secteur de la culture et du sport. Il est prévu d'organiser les jeux sportifs de l'Organisation de coopération de Shanghai. Il a été décidé de créer, à partir de 2022, une nouvelle institution d'"ambassadeurs de bonne volonté de l'OCS" qui populariseront l'organisation dans les pays concernés. Il a également été décidé de désigner une capitale culturelle et touristique de l'OCS. En 2023, l'une des villes indiennes recevra ce statut.

Nous avons prêté une grande attention aux actions entreprises par nos pays au sein des organisations internationales. L'un des résultats des accords de coordination est l'adoption d'une déclaration commune des ministres des Affaires étrangères sur le renforcement de la Convention sur les armes biologiques et à toxines.

Tels sont les principaux résultats de la réunion. Je pense que nous avons bien contribué à la préparation du sommet. Au cours des prochains mois précédant l'événement, nous contrôlerons la réalisation des documents afin que le dossier qui sera présenté à Samarkand soit vraiment exhaustif et couvre tous les domaines d'activité de l'OCS.

Question: Vous êtes venu ici après l'Afrique. Comment les représentants des pays africains ont-ils réagi à votre avertissement selon lequel les États-Unis et l'UE pourraient geler les réserves monétaires de tout pays qui pourrait les contrarier? Si cela se produit, comment la Russie pourrait-elle les aider dans ce cas?

Sergueï Lavrov: Les pays africains (et pas seulement eux) et nos autres interlocuteurs (hier et aujourd'hui nous avons parlé à nos collègues de l'OCS) réalisent très bien que tout membre de la communauté internationale qui agit d'une manière contraire aux Américains ou qui provoque leur aversion pourrait faire l'objet de sanctions. Cette idée est bien présente dans l'esprit de chacun. Alors, comment faire pour aider? Aujourd'hui, nous nous sommes entendus de présenter à nos dirigeants des projets d'actions concrètes pour le passage aux monnaies nationales. Je suppose que désormais tout le monde va y réfléchir. L'Afrique possède déjà une expérience similaire: des monnaies communes dans certaines structures sous-régionales qui sont, néanmoins, dans l'ensemble liées aux monnaies occidentales. Une zone de libre-échange continentale fonctionnera sur le continent africain à partir de 2023. Une étape logique serait de la renforcer par des accords monétaires. Je pense que ce processus progressera sans aucun doute.

Question: Comment réagissez-vous aux déclarations du président français Macron, qui s'est également rendu sur le continent africain et s'en est pris à la Russie, à RT et à Sputnik, pour qu'ils ne se laissent pas tromper par la coopération avec la Russie?

Sergueï Lavrov: En effet, on espérait des déclarations plus éthiques de la part des Français. Le président Emmanuel Macron s'est montré préoccupé par l'activité militaire et diplomatique de la Russie en Afrique. Cependant, si j'ai bien compris, le chef de l'État français a précisé qu'il ne s'agissait pas de coopération, mais plutôt d'un soutien aux "régimes illégitimes et aux juntes". Si Emmanuel Macron réagissait à notre visite dans un certain nombre de pays d'Afrique, c'était assez insultant pour les États africains, qui continuent malgré tout à développer leurs relations avec la Fédération de Russie de manière cohérente.

Question: Plus tôt, la Biélorussie a déposé une demande pour devenir un membre à part entière de l'OCS. Peut-on s'attendre à ce que la procédure d'admission de Minsk soit déjà lancée lors du sommet de l'organisation en septembre de cette année?

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne l'élargissement de l'OCS, l'Iran a reçu le statut officiel de candidat en 2021. Le processus de son adhésion à part entière est lancé. Les documents en question seront en outre adoptés à Samarcande.

La candidature de la Biélorussie fait l'objet d'un large consensus, également à Samarcande, pour lancer le processus d'adhésion aux membres de l'Organisation de coopération de Shanghai. Je l'ai ressenti aujourd'hui. Il existe un certain nombre de candidats au statut d'observateur, de partenaire de dialogue. Certains pays arabes ont manifesté cet intérêt, ainsi que l'Arménie, l'Azerbaïdjan et un certain nombre d'États asiatiques. Les consultations se poursuivront au niveau des ministères des Affaires étrangères jusqu'au sommet. Je suis convaincu que nous serons en mesure de présenter des recommandations appropriées aux chefs d'État de l'OCS.

Je tiens à souligner une fois de plus qu'il existe un consensus pour lancer le processus d'adhésion de la Biélorussie à l'organisation en tant que membre à part entière.

Question: Le département d'État des États-Unis a déclaré qu'il avait envoyé une demande pour une conversation téléphonique entre vous et le secrétaire d'État Antony Blinken. Il est noté que la partie américaine a l'intention de discuter d'un éventuel échange de prisonniers, des exportations de céréales depuis l'Ukraine et des projets de la Russie concernant les territoires ukrainiens. Envisagez-vous une telle conversation? Un contact en tête-à-tête avec Antony Blinken est-il possible dans le cadre des événements de l'ASEAN au Cambodge?

Sergueï Lavrov: Nous en avons entendu parler pour la première fois lorsque nous étions en Afrique. Antony Blinken a fait une apparition à la télévision et a dit qu'il allait me contacter par téléphone. 24 heures se sont écoulées avant que nous recevions une demande officielle. Actuellement, nous sommes en train de définir le calendrier de ce contact qui devrait avoir lieu lorsque je serai dans mon cabinet. Il est peu probable que cela se passe aujourd'hui. Nous proposerons une date convenable à nos collègues américains dans les jours qui viennent.

Nous avons demandé à la partie américaine de préciser les questions à discuter. Pour l'instant, nous n'avons pas reçu de réponse, mais il paraît qu'ils se sont déjà exprimés à ce sujet dans les médias également.

S'il s'agit de l'échange de prisonniers, de détenus en Russie et aux États-Unis, ce sujet a déjà fait l'objet d'un commentaire de notre part au nom du ministère des Affaires étrangères. Ce sujet a été abordé il y a plus d'un an lors de la réunion de Genève en juin 2021 entre le président russe Vladimir Poutine et le président des États-Unis Joe Biden. À l'époque, les dirigeants sont convenus d'autoriser des responsables compétents à s'occuper de ces questions. Le ministère des Affaires étrangères ne fait pas partie de ces derniers. Néanmoins, je vais écouter ce qu’Antony Blinken a à dire.

En ce qui concerne les céréales ukrainiennes, il serait également intéressant de savoir comment ils s'apprêtent à remplir les engagements pris dans le cadre de l'initiative du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Les sanctions américaines ont entravé la réalisation à part entière des contrats signés en raison des restrictions adoptées: il est interdit aux navires russes d'entrer dans un certain nombre de ports, il existe également une interdiction pour les navires étrangers d'entrer dans les ports russes pour prendre des cargaisons d'exportation, les taux d'assurance pour tout trafic maritime russe ont décuplé (multipliés par 4 en raison des restrictions). Les chaînes financières sont également rompues par les sanctions illégitimes des États-Unis et de l'UE. En particulier, la banque Rosselkhozbank, par le biais de laquelle passent toutes les transactions principales en matière d'exportation de produits alimentaires, a été l'une des premières à figurer sur la liste des sanctions. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s'est engagé à supprimer ces obstacles afin de résoudre le problème de la crise alimentaire mondiale. Nous verrons bien.

En ce qui concerne l’Ukraine et tout le reste, j’ai entendu Antony Blinken dire qu’il ne discuterait pas de l’Ukraine avec moi, car elle devrait représenter ses propres intérêts et les Américains n’avaient pas le droit de travailler à leur place. 

À cet égard, je tiens à rappeler que, lorsque dans un de mes discours j’ai dit en répondant à une question que nous n’avions aucun préjugé contre les négociations avec l’Ukraine, Ned Price, porte-parole du département d'État, a déclaré: les États-Unis estiment que l’Ukraine ne doit pas négocier avec la Fédération de Russie. 

C’est très freudien: il est devenu clair maintenant qui dirige qui et à quel point les Américains ne forcent pas l’Ukraine à faire telle ou telle chose.

Question: Ces dernières semaines, on assiste à une tension croissante concernant l’aide militaire et politique des États-Unis à Taïwan, notamment sur l’intention de la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi de s’y rendre en visite. Avez-vous discuté de cette situation avec votre homologue chinois? La Russie craint-elle que l’escalade actuelle puisse conduire à des hostilités? Quelle serait la position de Moscou si la Chine décidait de mener une opération militaire contre Taiwan?

Sergueï Lavrov: Nous n’avons pas abordé cette question avec mon homologue chinois. La position de la Russie sur l’existence d’une Chine unie reste inchangée. Les États-Unis confirment régulièrement la même position en paroles, mais dans la pratique, leurs actes ne coïncident pas toujours avec leurs paroles. Nous ne voyons aucun inconvénient à respecter le principe de la souveraineté de la Chine et nous partons du fait qu’aucune provocation pouvant aggraver cette situation n’aura lieu.

Question: Les membres de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) devraient-ils renoncer à la monnaie américaine?

Sergueï Lavrov: Chaque membre de l’OCS devrait décider de son propre gré dans quelle mesure il se sent à l’aise en s’appuyant sur le dollar, étant donné le manque de fiabilité de cette monnaie en ce qui concerne les possibles abus. Les Américains en ont profité à plusieurs reprises avec un certain nombre d’États. Je suis convaincu que les pays de l’OCS disposent de leurs propres structures qui, en évaluant la situation, pourront tirer des conclusions et prendre des mesures concrètes pratiques en fonction de leurs propres intérêts. Le fait que nous nous soyons mis d’accord sur une feuille de route visant à augmenter la part des monnaies nationales dans les règlements mutuels témoigne de l’état d’esprit de ces pays.

Question: Cette année marque le 20e anniversaire de la signature de la Charte de l'OCS et le 15e anniversaire de la signature du Traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération à long terme entre les États membres de l'OCS. Comment évaluez-vous le rôle de l’OCS sur la scène internationale en cette période difficile?

Sergueï Lavrov: C’est un sujet dont on peut discuter longtemps. L’OCS est l’une des associations qui s’oppose aux tentatives d’imposer un monde unipolaire en proposant sa propre ligne fondée sur une véritable multipolarité et le multilatéralisme basé sur les principes de la Charte des Nations unies, y compris le principe fondamental du respect de l’égalité souveraine des États. Il n’y a pas de meneurs et de suiveurs dans l’OCS. L’organisation ne connait pas de situations comme celle à l’Otan où les États-Unis et leurs plus proches alliés imposent leur ligne à tous les autres membres de l’Alliance. Dans l'Organisation de coopération de Shanghai il n’existe pas de situation semblable à celle observée actuellement dans l’UE où l’on force la main à des pays souverains en exigeant d'eux qu’ils arrêtent d’acheter du gaz ou qu’ils réduisent leur consommation en violation des plans et des intérêts nationaux.

L’OCS est régie par le principe du consensus et les dispositions de la Charte, y compris la volonté de respecter les intérêts des États membres, d’éviter des actions hostiles les uns envers les autres, et dans l'ensemble d’agir en vue de rechercher un équilibre des intérêts. C’est une organisation foncièrement nouvelle.

Ces mêmes principes sont au cœur et régissent les activités d’autres structures dans l’espace eurasien, par exemple, l’Union économique eurasiatique (UEE) et les Brics. Je considère que c’est un bon exemple de la façon de résoudre les problèmes internationaux, de mettre en place des structures régionales et d’assurer une interaction sur un continent aussi important que l’Eurasie.

L’OCS développe des liens avec l’OTSC et la CEI. Les secrétariats des trois structures ont signé des mémorandums de coopération. Comme nous avons dit aujourd’hui, l’harmonisation des efforts de l’OCS, de la CEI et de l’OTSC s’avère de plus en plus importante pour la mobilisation du potentiel dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et le crime organisé. L'Organisation de coopération de Shanghai développe également sa coopération avec une structure aussi importante que l’ANASE.

Tous ces processus ensemble contribuent à former un grand partenariat eurasien, comme l’a dit à de nombreuses reprises le président Vladimir Poutine. Nous les considérons bénéfiques pour toute la population du continent eurasien.

Question (traduite de l’anglais): La Russie a commencé à augmenter la part du rouble dans les règlements transfrontaliers pour remplacer le dollar dans la région. Ce sujet était-il à l’ordre du jour de la réunion ministérielle de l’OCS? Quels États membres de l’Organisation soutiennent cette aspiration de la Russie?

Sergueï Lavrov (traduite de l’anglais): Comme j’ai déjà évoqué, l'une des décisions prises aujourd'hui concerne la mise en place de la feuille de route pour augmenter la part des monnaies nationales dans les règlements mutuels. Je pense qu'il s'agit d'une mesure très concrète et pratique.

Question (traduite de l’anglais): Que pensez-vous du conflit en cours entre la Russie et l’Ukraine? Quand se terminera-t-il?

La deuxième question concerne l’Afghanistan, considérez-vous que la Russie devrait reconnaître le gouvernement actuel de l’Afghanistan face à l’isolement imposé au gouvernement des talibans par les États-Unis?

Sergueï Lavrov (traduite de l’anglais): Vous êtes d’Al Jazeera, n’est-ce pas? Je suis sûr que des représentants de cette chaîne de télévision étaient présents à ma récente conférence de presse au Caire. Cette question y a été abordée. Vous pouvez demander à vos collègues égyptiens de vous envoyer des informations détaillées. Un résume de tous mes discours prononcés lors des récentes conférences de presse prendra trop de temps.

L’essentiel est que nous nous attaquons à un problème directement lié à la sécurité de la Fédération de Russie qui était constamment menacée au cours des dix dernières années. Toutes nos propositions visant à écarter ces menaces sur la base du respect mutuel des intérêts de la sécurité ont été ignorées par les États-Unis, l’UE et l’Otan. Malgré ses assurances antérieures de non-expansion vers l’Est, l’Alliance a rapproché ses frontières de celles de la Russie à cinq reprises. Nous pouvons assister à une situation similaire avec l’Ukraine. Dans ce pays, on a interdit tout ce qui est russe: la langue, l’éducation, la culture, les médias. Si la chaine Al Jazeera y était diffusée en russe, elle serait également interdite. Il serait inconcevable que le français en Belgique, l’anglais en Irlande ou le suédois en Finlande soient interdits. Mais quand le gouvernement ukrainien a interdit le russe en promouvant des théories et pratiques néonazies, l’Occident ne s’y opposait pas, au contraire, il encourageait l’Ukraine pour être "un bastion de la démocratie". Les pays occidentaux fournissaient des armes au régime de Kiev et prévoyaient d’y construire des bases navales. Toutes ces actions visaient ouvertement à contenir la Fédération de Russie.  Pendant dix ans, nous mettions en garde que c’est inacceptable. L’Occident a catégoriquement ignoré nos préoccupations.

Je suppose que vous avez couvert les évènements en Irak, en Libye et en Syrie. À cette époque, les États-Unis ont déclaré, sans explication, qu’il y avait une menace pour leurs intérêts nationaux à 10.000 kilomètres des frontières américaines et ont commencé à bombarder ces territoires. Ainsi, les États-Unis ont rasé Mossoul et Raqqa, tuant des centaines de milliers de civils sans aucune protestation de la part de la communauté internationale. À mon avis, cela relève du racisme.

Prenons l’exemple de l’Afghanistan où même des cérémonies de mariage étaient attaquées par des frappes aériennes, ou de l’Irak et de la Lybie où l’État a été complètement détruit et de nombreuses vies humaines ont été sacrifiées. Lorsque les États qui ont mené une telle politique font maintenant du tapage autour de l’Ukraine, je ne pourrais que conclure que les vies des Afghans et des Arabes ne valent rien pour les gouvernements occidentaux. C’est triste. Il est nécessaire d’éradiquer le deux poids deux mesures et ces instincts racistes et coloniaux.

Nous coopérons avec le gouvernement de l’Afghanistan en le reconnaissant comme une réalité établie sur le terrain. L’Ambassade de Russie n’a jamais quitté Kaboul. Cependant, afin d’être reconnu comme légitime, le gouvernement des talibans devrait tenir ses promesses qu'il a faites en arrivant au pouvoir. Il s’agit de créer un gouvernement inclusif, non seulement sur le plan ethnique mais aussi sur le plan politique, et de renforcer les efforts dans la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue.

Ils devraient également assurer la protection des droits fondamentaux de tous les citoyens de l’Afghanistan.


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