Allocution et réponses à la presse du Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie Sergueï Lavrov lors d'une conférence de presse conjointe avec le Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération au Développement de la République du Burundi Albert Shingiro à l'issue des pourparlers, Sotchi, 23 mars 2023
Mesdames et Messieurs,
Nous avons eu des pourparlers constructifs, comme il est d'usage entre nos pays et nos représentants. Mon homologue du Burundi, Albert Shingiro a évoqué l'état des choses dans la région de l'Afrique de l'Est (où s'est tenu récemment un sommet extraordinaire de cette Organisation), et comment le Burundi, développant son économie, accorde une attention particulière au maintien de la stabilité dans cette partie du continent.
Nous avons passé en revue nos relations bilatérales. Nous partageons notre volonté commune de les renforcer successivement dans tous les domaines. Nous nous sommes mis d'accord sur les mesures pratiques nécessaires pour approfondir la coopération commerciale et économique et les liens sociaux. Nous avons discuté de secteurs aussi prometteurs que l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire. Il existe une feuille de route entre nos pays dans ce domaine. Un accord intergouvernemental est en préparation, ainsi qu'un mémorandum sur la formation du personnel dans le domaine de l'énergie nucléaire.
Une attention particulière a éré accordée à la santé publique, notamment dans le cadre de la maîtrise des conséquences de la pandémie de Covid-19 et de la préparation à d'éventuelles nouvelles maladies infectieuses. La chef de Rospotrebnadzor Anna Popova s'est récemment rendue au Burundi, où un laboratoire biologique moderne, entièrement équipé par des spécialistes russes, a été ouvert sur la base du Centre national de santé. Nous avons une série d'événements prévus pour le perfectionnement professionnel et la formation du personnel burundais dans le domaine de la santé publique.
Nous avons de bonnes perspectives dans le domaine de l'enseignement et dans d'autres spécialités. 4.500 citoyens burundais ont fait leurs études dans notre pays. Il existe au Burundi une association de diplômés des universités soviétiques et russes qui réunit 3.000 personnes.
Nous avons de bons contacts dans le domaine des forces de l'ordre. Les représentants burundais participent traditionnellement aux réunions annuelles spéciales des hauts représentants chargés des questions de sécurité. Noaus avons une dynamique positive dans le domaine des liens militaires et militaro-techniques.
Nous avons défini des mesures concrètes pour stimuler les contacts directs entre les entrepreneurs de nos pays. Un certain nombre de projets à été suspendu à cause de restrictions de Covid. Il est maintenant temps de revenir à leur mise en œuvre. À ces fins nous sommes convenus d'utiliser les opportunités offertes par les différents événements organisés dans notre pays. Par exemple, le Forum économique international à Saint-Pétersbourg, l'exposition industrielle Innoprom et la Semaine russe de l'énergie.
Nous continuons à perfectionner la base juridique de nos relations, y compris dans le domaine du nucléaire civil, de la santé, de la coopération entre les structures traitant des questions de justice et de l’activité professionnelle.
Nous avons réaffirmé la convergence des positions sur la plupart des questions d'actualité à l'ordre du jour international. La Russie et le Burundi soutiennent fermement le respect des principes de la Charte des Nations unies dans leur intégralité. Il s’agit du principe de l'égalité souveraine des États, de la non-ingérence dans leurs affaires et du respect du droit de tous les peuples à déterminer indépendamment les modèles de leur développement politique et socio-économique sans coercition ni pression de l'extérieur.
Nous sommes satisfaits du contenu du dialogue bilatéral de la politique étrangère. Nous avons une coopération et une coordination des positions au sein des plateformes multilatérales, principalement à l'ONU.
Nous notons le soutien de nos partenaires burundais des initiatives russes lors de la 77e session de l'Assemblée générale des Nations unies, notamment sur les questions visant à mettre un terme à la course aux armements dans l'espace, sur les mesures de confiance et de transparence dans l'espace, sur l'inadmissibilité de la glorification du nazisme, sur la sécurité internationale de l'information, la préparation de la Convention sur la cybercriminalité et un certain nombre d'autres résolutions traditionnellement soutenues par nos amis burundais.
Nous apprécions leur position équilibrée au sein de l'ONU concernant les questions liées à la situation en Ukraine. Nous notons une bonne compréhension de ce qui se passe, des origines de ce problème.
Nous avons salué la contribution constructive importante du Burundi au maintien de la paix en Afrique. Une attention particulière a été accordée à la situation dans l'est de la République démocratique du Congo et en République centrafricaine, en Somalie. Des centaines de casques bleus burundais travaillent dans tous ces points chauds. C’est un domaine important pour l'Union africaine et les organisations sous-régionales du continent.
Nous avons évoqué la participation active du Burundi non seulement aux activités de maintien de la paix, mais aussi à d'autres domaines de travail de l'Union africaine et de la Communauté de l'Afrique de l'Est. Le Burundi préside maintenant cette communauté. Il participe également activement à la conférence internationale sur la région des Grands Lacs, où la Fédération de Russie fait également partie du processus. Nous avons réaffirmé notre volonté de continuer à contribuer au renforcement de la stabilité régionale sur le continent africain en utilisant à la fois nos capacités bilatérales et la position de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.
Une attention particulière a été accordée aux préparatifs du deuxième sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg en juillet de cette année. Nous attendons avec impatience la participation du Président du Burundi à ce sommet qui a confirmé cette intention.
Aujourd'hui, nous avons eu une conversation opportune et utile qui permettra de donner l'impulsion nécessaire à notre travail commun sur la mise en œuvre de projets à venir.
Question: Les nouvelles révélations de Seymour Hersh indiquent que l'Allemagne pourrait être impliquée dans une opération visant à dissimuler l'implication américaine dans l'attentat de Nord Stream. Dans quelle mesure pensez-vous que cette théorie est possible, et dans quelle mesure la Russie peut-elle compter sur une enquête objective des puissances européennes, si cela s'avère être vrai?
Sergueï Lavrov: Il me semble que les premiers résultats de l'enquête publiée par Seymour Hersh ont été perçus par les pays occidentaux avec grand effroi. Ils n'ont rien trouvé de mieux que d'essayer d'abord d'ignorer ces documents, puis de les qualifier d'absurdités, puis d'inventer une version absurde de prétendus terroristes isolés (soit des citoyens ukrainiens, soit des Russes d'origine ukrainienne). C'est ridicule. De sérieux experts ont balayé cette version. Personne n’y croit.
Quant aux enquêtes nationales menées par les Suédois, les Danois et les Allemands. Début octobre 2022, le Premier ministre de la Fédération de Russie Mikhaïl Michoustine a adressé à ses collègues une lettre officielle leur demandant d'assurer la transparence de cette enquête car elle concerne une attaque terroriste sur un site russe. Nous avons suggéré d'organiser des activités communes pour établir la vérité. Jusqu'à présent, aucun des intéressés n'a pris la peine de faire preuve au moins d'une courtoisie élémentaire et de répondre au président du gouvernement de la Fédération de Russie. De nombreuses autres demandes que nous adressons formellement et officieusement à ces capitales restent sans réponse.
Je pense que ces pays seraient satisfaits du résultat, que nous, en russe, appelons "des coups d'épée dans l'eau". Nous ne nous attendons pas à la transparence de ces enquêtes, et nous ne nous attendons pas non plus à ce que le grand public soit au courant de leurs résultats. Très probablement, l'affaire se terminera par un "highly likely" comme l'a fait Londres, classant en 2007 le procès de l'empoisonnement d'Alexandre Litvenenko et nous en accusant sans fondement. Comme l'avait fait Londres en 2018 à propos de "l'empoisonnement" de Salisbury. C'est à cette époque que la formule "highly likely", "la Russie l'a fait" a été inventée. De nombreux diplomates russes en Angleterre et sur le continent européen ont été déclarés personae non gratae. Aucune preuve que la Fédération de Russie était "imliquée" dans cette affaire n'a également été présentée. De même, tout est resté dans le brouillard à propos de l'empoisonnement d'Alexeï Navalny. Aucun résultat de l'examen qu'il a subi à la clinique allemande n'a été présenté à qui que ce soit. En réponse à nos nombreuses demandes, les Allemands nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas partager ces documents car c'était un secret d'État.
Je n'ai aucune raison de penser que dans la situation avec Nord Stream les dirigeants allemands actuels trouveront le courage de faire quelque chose d’autre et d'admettre la vérité quelle qu'elle soit. Nous espérons que les organisations internationales, principalement l'ONU, prendront conscience de leur responsabilité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales et dans la lutte contre le terrorisme. Surtout en ce qui concerne l'attaque terroriste qui a détruit une infrastructure critique dont dépendait la sécurité énergétique de l'Union européenne.
Comme vous le savez, nous avons soumis un projet de résolution au Conseil de sécurité de l'ONU demandant au Secrétaire général de l'ONU d'organiser une enquête impartiale, objective et transparente avec la participation d'experts internationaux. La Chine nous soutient. Et les Américains ont réagi nerveusement. Je dirais même que leur comportement ressemble à une peur panique. Ils ont immédiatement commencé à rassembler avec leurs satellites un groupe de pays qu'ils espèrent forcer à voter contre notre résolution. Je n'exclus pas qu'ils parviennent même à obtenir suffisamment de voix pour bloquer cette initiative. Mais dans ce cas ils confirmeront simplement qu'il y a quelque chose à cacher. Cela confirmera l'objectivité des informations présentées par Seymour Hersh. Il continue de contacter ses sources et pourrait fournir des informations supplémentaires à l'avenir. Je le répète: cela ne doit en aucun cas affecter le travail du Conseil de sécurité de l'ONU qui a ses propres devoirs et pouvoirs. En l'occurrence, il doit les mettre pleinement en œuvre. Nous allons chercher la vérité.