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Interview de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, accordée au quotidien Troud, publiée le 21 août 2020

1242-21-08-2020

Question: Cette année, l'Onu organise la 75e session de l'Assemblée générale des Nations unies et fête l'anniversaire de l'Organisation. Evoquera-t-on des questions qui n'étaient pas à l'ordre du jour plus tôt? Quelles questions la Russie compte-t-elle soulever?

Sergueï Lavrov: En effet, cette année, l'Organisation des Nations unies fête son 75e anniversaire. Notre pays en tant qu'Etat-fondateur de l'Onu et membre permanent du Conseil de sécurité accorde une importance particulière à cet anniversaire. Nous pensons qu'il doit servir à renforcer le rôle de coordination central de l'Organisation dans les affaires mondiales, à unir les efforts internationaux pour lutter contre les menaces et les défis contemporains, à construire des relations véritablement justes et équitables entre les Etats.

Malheureusement, la pandémie de coronavirus qui a frappé le monde a apporté de sérieuses correctives aux plans initiaux pour la session anniversaire. La plupart des activités, aussi bien dans le cadre de la semaine de haut niveau, qui est de facto l'événement principal de l'année dans la politique internationale, que dans les mois à venir, se dérouleront en régime virtuel. Cependant, ce format forcé ne doit pas impacter le statut et la signification des discussions.

En ce qui concerne l'ordre du jour de la 75e session de l'Assemblée générale, son projet est déjà prêt. La liste des questions prévues est très large et englobe pratiquement tous les secteurs des relations internationales, à commencer par la stabilité stratégique et en terminant par les tempêtes de sable. Sachant que, comme attendu, une attention particulière sera accordée à la lutte contre la pandémie de Covid-19 et à l'élimination de ses conséquences.

Durant la session à venir de l'Assemblée générale la Russie défendra ses approches de principe. Il est question de la promotion d'un agenda positif et unificateur, du renforcement du vecteur visant à constituer un ordre mondial polycentrique, à garantir le respect rigoureux de la Charte de l'Onu, à lutter contre les tentatives de promouvoir le concept d'un "ordre mondial basé sur des règles" à titre d'alternative au droit international, à chercher des solutions politiques et diplomatiques aux crises et conflits régionaux.

Nous poursuivrons le travail pour renforcer la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme, à l'adoption de règles véritablement universelles et globales de comportement responsable des Etats dans l'espace de l'information, au renforcement des accords existants et à l'élaboration de nouveaux dans le domaine de la maîtrise des armements, du désarmement et de la non-prolifération, à la défense du principe de l'inadmissibilité de déformer l'histoire et de revoir les résultats de la Seconde Guerre mondiale.

Bien évidemment, en cas d'apparition de nouveaux problèmes, nous y réagirons rapidement.

Question: Nos relations avec l'UE laissent à désirer, les sanctions réciproques restent en vigueur, de nombreux programmes de coopération sont bloqués. Quelles sont les perspectives de détente en ce sens?

Sergueï Lavrov: Je pense qu'il serait plus correct d'adresser cette question aux collègues de l'UE. C'est à leur initiative que de nombreux formats de coopération sectorielle et de dialogue politique ont été suspendus, que les projets prometteurs ont été mis sur pause, notamment visant à mettre en place un espace commercial, économique et social commun de Lisbonne à Vladivostok. Sachant qu'il nous a été dit que toute amélioration significative des relations dépendait de la mise en œuvre des Accords de Minsk pour le règlement du conflit dans le Sud-Est de l'Ukraine, dont la Russie n'en fait pas partie. Hélas, ce lien artificiel et à courte vue est maintenu à ce jour, à la plus grande satisfaction des autorités de Kiev qui non seulement ne tiennent pas leurs engagements dans le cadre des Accords de Minsk, mais ne font pas non plus un secret de leur volonté de profiter du non-règlement du conflit pour maintenir la pression de sanctions contre la Russie.

Nous voyons que la pandémie a accéléré les processus de réflexion en UE. Elle s'exprime de plus en plus au profit du renforcement de sa propre "autonomie stratégique" dans les affaires internationales. A l'initiative du Président du Conseil européen Charles Michel a débuté la discussion en UE sur les avantages et les inconvénients de l'approche actuelle des relations avec la Russie. Nous suivons avec intérêt ce processus, même si nous ne nous faisons pas d'illusions, à tel point la vision idéologique est étroite et le conformisme de la pensée est grand envers notre pays, même au détriment des intérêts nationaux. Toutefois, c'est leur choix, ils en assument la responsabilité.

J'ajouterai que nous ne sommes pas du tout opposés au renforcement de l'autonomie de l'UE dans les affaires internationales. Par exemple, à une époque nous avons proposé à Bruxelles de coopérer dans le règlement de crise et le développement de capacités militaro-techniques. Et même aujourd'hui nous considérons l'UE comme un participant potentiel au concept de formation du Grand partenariat eurasiatique avancé par le Président russe Vladimir Poutine. D'après nous, cela profiterait à l'UE même en contribuant à réunir les potentiels d'intégration régionaux et à élargir l'accès des opérateurs économiques européens aux marchés eurasiatiques.

Nous espérons qu'une analyse sobre des réalités du monde multipolaire incitera tout de même l'UE à repenser ses approches clairement obsolètes sur le dossier russe. De notre côté, comme auparavant, nous sommes toujours ouverts à une coopération honnête et mutuellement avantageuse.

Question: L'activité de l'Otan le long de notre frontière ne faiblit pas, nos relations sont tendues. Quelles sont les approches conceptuelles du Ministère russe des Affaires étrangères en termes de détente de la tension avec l'Occident?

Sergueï Lavrov: Je rappelle que la coopération entre la Russie et l'Otan a été suspendue en 2014 non pas à notre initiative. Toutes les élaborations positives de notre coopération, y compris le mécanisme de dialogue et de coopération le Conseil Otan-Russe (COR), ont été perdues en un instant. Aujourd'hui, le COR créé conjointement en 2002 en tant que dialogue de "tout temps" est devenu une plateforme où les pays de l'Otan cherchent à nous faire la morale concernant le processus de paix en Ukraine, alors que l'Alliance n'y joue aucun rôle. Sachant qu'il est évident que la crise ukrainienne n'a été qu'un prétexte et non la véritable raison du retour de l'Alliance à son ancien objectif de "contenir" la Russie.

Aujourd'hui, comme à l'époque de la Guerre froide, la bataille contre la Russie "sur tous les fronts", notamment informationnel et propagandiste, est devenue le sens d'existence de l'Alliance. L'Otan a déployé une large activité sur le "flanc Est" à proximité de nos frontières, notamment l'organisation d'exercices et le perfectionnement de l'infrastructure militaire. L'Alliance continue d'élargir la zone de son influence militaro-politique en invitant de nouveaux pays sous son "parapluie" sous le slogan de leur protection contre la Russie. En l'absence de menaces réelles pour la sécurité cela n'entraîne que l'apparition et l'approfondissement de nouvelles lignes de démarcation en Europe.

Nous avons proposé plusieurs fois à l'Otan de suivre la voie de la désescalade de la tension militaire et de la diminution des risques d'incidents militaires sur le continent. Sur fond de pandémie de Covid-19 nous avons avancé une initiative pour faire preuve de retenue militaire, nous avons suggéré d'écarter les exercices opérationnels de la ligne de contact Otan-Russie, et d'autres mesures de transparence. La Russie a déjà renoncé à l'organisation de grande manœuvres près de la frontière des pays de l'Otan, elle a reculé plus en profondeur les activités d'envergure dans le cadre de la formation des forces.

Cependant, l'Alliance ne fait pas preuve de disposition à prendre de telles mesures. Désormais l'Otan adopte vis-à-vis de la Russie la ligne "de contention et de dialogue" où il n'y a pratiquement pas de place au dialogue ouvert sur les problèmes existentiels.

Question: L'Ukraine sabote systématiquement les Accords de Minsk n'accomplissant pas les principaux termes du sommet de décembre 2019 au "format Normandie" à Paris. Le nouveau statut du Donbass dépend-il uniquement de l'Ukraine dans le cadre des Accords de Minsk où y a-t-il d'autres solutions? Quelle est actuellement la position des Etats-Unis étant donné que Washington a alloué 250 millions de dollars pour fournir des armements à Kiev?

Sergueï Lavrov: Vous avez mentionné à juste titre les Accords de Minsk. C'est ce document approuvé par le Conseil de sécurité des Nations unies et notamment signé par l'Ukraine qui parle (paragraphe 11) de la nécessité, je cite, "d'organiser en Ukraine une réforme constitutionnelle impliquant à titre d'élément central la décentralisation (compte tenu des particularités de certaines zones des régions de Donetsk et de Lougansk convenues avec les représentants de ces zones), ainsi que l'adoption dans la législation permanente du statut particulier de certaines zones des régions de Donetsk et de Lougansk". Tout cela doit être reflété dans la nouvelle Constitution de l'Ukraine, dont l'entrée en vigueur était prévue avant la fin de l'année 2015, conformément au même paragraphe.

L'adoption constitutionnelle du statut particulier du Donbass est la clé pour régler la crise en Ukraine et régler les problèmes de sécurité, socioéconomiques et humanitaires.

Les participants du sommet de Normandie à Paris, le 9 décembre 2019, y compris le Président Vladimir Zelenski, ont soutenu à l'unanimité l'entente sur la nécessité de convenir entre Kiev, Donetsk et Lougansk de tous les aspects juridiques du statut particulier du Donbass en parfaite conformité avec les termes des Accords de Minsk.

Il est temps pour nos partenaires ukrainiens de cesser d'embrouiller la tête de tout le monde en inventant à chaque fois des excuses pour ne rien entreprendre en termes d'accomplissement de leurs engagements.

Pour régler le conflit il faut cesser de jeter de l'huile sur le feu, comme continuent de le faire les Etats-Unis, notamment en fournissant des armes à Kiev. D'où la question: Washington souhaite-t-il vraiment l'établissement de la paix en Ukraine, comme ses représentants ne cessent de le dire depuis les tribunes internationales?

Question: Quelles sont les perspectives de l'amélioration des relations avec notre voisin, la Géorgie?

Sergueï Lavrov: Depuis 12 ans, la Russie et la Géorgie interagissent dans les conditions d'absence des relations diplomatiques. Je rappelle que leur rupture à l'initiative de Tbilissi a résulté de l'aventure sud-ossète lancée par le gouvernement de Mikhaïl Saakachvili.

Sachant que la Russie prône immuablement des relations amicales et mutuellement avantageuses avec la Géorgie. Nous sommes certains que c'est dans l'intérêt national des deux pays et peuples unis par l'histoire et la culture commune, liés par des millions de destins humains entremêlés. Nous soutenons pleinement la ligne initiée en 2012 par le gouvernement de l'alliance Rêve géorgien-Géorgie démocratique visant à normaliser les relations bilatérales. Notre position c'est – plus grande est la normalisation, mieux c'est. Il n'existe aucune restriction du côté russe en ce sens. Alors que nos partenaires géorgiens manquent clairement de cohérence en jouant périodiquement la carte antirusse à des fins conjoncturelles.

Néanmoins, la vie reprend sa place. La Russie occupe aujourd'hui fermement les positions de deuxième partenaire commercial de la Géorgie (après la Turquie) avec des échanges totaux de 1,33 milliard de dollars (2019). C'est en Russie que ces dernières années la Géorgie vend les deux tiers de son vin. La Russie reste en tête en termes de virements privés en Géorgie (près de 430 millions de dollars l'an dernier). Les touristes russes s'expriment également au profit de liens plus étroits entre nos pays (1,5 million en 2019).

Fin 2013, entre la Russie et la Géorgie a été rétablie la communication régulière de bus, et la communication aérienne depuis octobre 2014. Le seul poste de contrôle à la frontière russo-géorgienne de Verkhni Lars est passé en régime de travail 24h/24. Les contacts culturels, sportifs, scientifiques, religieux et d'affaires se sont intensifiés. Sur ce fond nous avons même commencé à analyser la possibilité de lever le régime de visa pour les citoyens géorgiens.

Malheureusement, la dynamique positive a été sapée en grande partie par les événements de juin-juillet 2019 à Tbilissi, quand en réponse à la provocation des nationalistes radicaux géorgiens un décret du Président russe a instauré une interdiction temporaire des transports aériens en Géorgie. Nous espérons que la reprise de la communication aérienne aura lieu à court terme. Nous suivons attentivement la situation en Géorgie même, bien sûr nous attendons la normalisation générale de la situation épidémiologique dans la région et dans le monde, l'ouverture des vols réguliers vers d'autres destinations.

Nous comptons également sur la reprise au plus vite du dialogue politique interrompu à cause de la pandémie aussi bien au format Karassine-Abachidze que sur la plateforme des Discussions internationales de Genève sur la sécurité et la stabilité en Transcaucasie. Nous pensons qu'il serait possible d'utiliser plus activement le potentiel des sections d'intérêt auprès des ambassades de Suisse à Tbilissi et à Moscou.

La Russie tenait toujours en estime les liens amicaux avec le peuple géorgien proche avec lequel nous avons vécu dans le même Etat sous différentes appellations plus d'un siècle. Nous sommes certains que le règlement au plus vite des différends, la reprise et le développement à part entière des liens bilatéraux correspondent aux intérêts à long terme de nos peuples et pays.

Question: Que se cache derrière la nouvelle aggravation à la frontière azerbaïdjano-arménienne et quelle est la probabilité qu'elle dégénère en grand conflit armé?

Sergueï Lavrov: Le conflit frontalier des 12-16 juillet 2020 a été la deuxième plus importante (après avril 2016) infraction de l'Accord sur le cessez-le-feu de 1994 préparé avec notre médiation. Sachant que pour la première fois depuis 26 ans, les affrontements intenses avec l'usage de l'artillerie, de mortiers et de drones d'attaque ne se déroulaient pas sur la ligne de contact dans le Karabakh, mais directement à la frontière nationale entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Plusieurs raisons sont à l'origine du conflit. Avant tout le non-règlement du problème du Karabakh. Ainsi que la surchauffe unique de l'espace publique des deux côtés de la frontière. Le facteur géographique a également été un élément déclencheur: la décision des autorités arméniennes de réanimer l'ancien poste de contrôle frontalier situé à 15 km des oléoducs d'exportation géorgiens a suscité l'inquiétude des uns et la réaction injustifiée des autres, et au final a lancé le mécanisme de confrontation avec les conséquences les plus imprévisibles.

Afin de stabiliser la situation, le 13 juillet 2020, le Ministère russe des Affaires étrangères a appelé les belligérants à cesser immédiatement le feu. Il s'est entretenu par téléphone avec les collègues de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan, a rencontré les représentants des organisations qui réunissent les citoyens russes de nationalité azerbaïdjanaise et arménienne. Les deux diasporas doivent prendre pleinement conscience de leur responsabilité pour le respect des lois de la Fédération de Russie et pour la contribution à créer une atmosphère favorable à la normalisation des relations entre Bakou et Erevan.

Igor Popov, coprésident russe du Groupe de Minsk de l'OSCE pour le Haut-Karabakh, se trouvait pendant tout ce temps en contact direct avec la direction des ministères des Affaires étrangères des deux pays. Au final, avec la contribution russe active, pas du premier coup, nous avons débouché sur un cessez-le-feu à partir du 16 juillet.

En août 2020, la situation s'est plus ou moins stabilisée. A la frontière et sur la ligne de contact se maintient un calme relatif. Les accusations publiques réciproques ont diminué. Nous comptons sur la reprise au plus vite des négociations sur le processus de paix du Haut-Karabakh. Nous travaillons en ce sens ensemble avec nos partenaires du Groupe de Minsk de l'OSCE.

Question: La Russie parviendra-t-elle à faire annuler le statut de "non-citoyens" humiliant pour nos compatriotes en Lettonie et en Estonie? Car ce statut limite leurs droits politiques, économiques et sociaux.

Sergueï Lavrov: Nous jugeons discriminatoire la situation des droits de la population russophone en Lettonie et en Estonie. C'est révoltant la présence dans ces pays du phénomène honteux de non-citoyenneté massive, essentiellement des habitants russophones, privés de droit démocratiques et socioéconomiques fondamentaux. La réduction du nombre de personnes sans citoyenneté se déroule extrêmement lentement – principalement avec la mort et l'émigration de la population russophone. Ainsi, en Lettonie la catégorie de "non-citoyens" à ce jour compte 216.900 habitants du pays (près de 11% de la population), en Estonie – 75.600 (environ 6%).

Les autorités des pays baltes ne reconnaissent pas les "non-citoyens" appartenant aux minorités nationales et, en conséquence, les ont exclus de la juridiction de la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales. Les "non-citoyens" sont privés de droits électoraux, ne peuvent pas fonder des partis politiques, signer des transactions pour acquérir un terrain ou un bien immobilier sans l'accord des autorités municipales, n'ont pas le droit d'occuper un poste de fonctionnaire, dans le service militaire, dans la police, d'être juge, procureur, etc.

De nombreuses recommandations ont été publiées par les organisations internationales (le Conseil des droits de l'homme, les organes de surveillance du Conseil de l'Europe, l'OSCE et d'autres), qui se sont adressées plusieurs fois aux autorités lettonnes et estoniennes pour appeler à prendre les mesures nécessaires afin que leur politique linguistique et les normes législatives n'entraînent pas une discrimination directe ou indirecte de la population.

Ainsi, en août 2018, le Comité de l'Onu pour l'élimination de la discrimination raciale a publié sa conclusion sur le rapport de la Lettonie exprimant des préoccupations quant à la réforme éducative, ainsi qu'au problème de "non-citoyens". En mars 2019, le Comité de l'Onu pour les droits économiques, sociaux et culturels a critiqué la situation en Estonie, a exprimé sa préoccupation par le champ limité des amendements à la loi sur la citoyenneté excluant certaines catégories d'enfants de "non-citoyens"; par les strictes exigences par rapport aux connaissances de la langue nationales nécessaires pour la procédure de naturalisation; par les conséquences défavorables du statut de "citoyenneté non défini" pour participer à la vie politique.

Les mesures discriminatoires de Riga et de Tallinn ont été également condamnées par le Comité consultatif de la Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur les minorités nationales, la Commission de Venise du Conseil de l'Europe, le Haut-Commissaire de l'OSCE pour les minorités nationales et bien d'autres structures internationales.

La réaction des autorités lettonnes et estoniennes à la critique internationale n'est toujours pas adéquate à la gravité de la situation. A cet égard, nous sommes convaincus que son statut de membre de l'UE ne doit pas être considéré par les pays baltes comme une "couverture" politique pour leurs actions illégales.

De son côté, le Ministère russe des Affaires étrangères défend systématiquement les intérêts de "non-citoyens". Nous utilisons les capacités des mécanismes de contrôle pour la protection des droits des minorités nationales dans le cadre de l'Onu, de l'OSCE et du Conseil de l'Europe. Nous insistons sur le règlement du problème de "non-citoyenneté" lors des contacts bilatéraux avec les Baltes, notamment dans le cadre de consultations politiques en notant que l'une des conditions du progrès dans la construction des relations bilatérales de bon voisinage reste le respect par la Lettonie et l'Estonie des normes internationales universelles garantissant des droits égaux à l'obtention de la citoyenneté.

Question: Quel rôle la Russie est-elle prête à jouer (pas seulement dans le cadre du quartet) pour faire passer le conflit israélo-palestinien au niveau de la reprise des négociations au vu de la situation critique après les déclarations des Etats-Unis sur Jérusalem?

Sergueï Lavrov: En effet, la situation actuelle dans le processus de paix au Proche-Orient ne peut pas être décrite autrement que proche de la critique. Ce à quoi a contribué évidemment la décision de Washington de reconnaître Jérusalem comme étant une capitale unie et indivisible de l'Etat hébreu et d'y transférer l'ambassade américaine. Nous partons du principe que le problème de Jérusalem, ainsi que d'autres questions relatives au statut définitif doivent être réglés dans le cadre des négociations directement entre les belligérants, les Israéliens et les Palestiniens. Et l'anticipation de leurs résultats ne fait que compliquer la recherche de solutions au conflit. Cette entente est fixée dans la base juridique internationale reconnue du processus de paix au Proche-Orient, y compris les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, de l'Assemblée générale des Nations unies et de l'Initiative de paix arabe.

Nous sommes persuadés que dans ces conditions sont très sollicités les efforts de la communauté internationale pour relancer au plus vite les négociations israélo-palestiniennes directes afin de déboucher sur un accord de paix global entre les parties sous l'égide du quartet des médiateurs internationaux pour le Proche-Orient dont font partie la Russie, les Etats-Unis, l'UE et l'Onu. C'est sur ce point qu'a mis l'accent dans son discours pendant la visioconférence du Conseil de sécurité des Nations unies pour le Proche-Orient le 24 juillet dernier le Secrétaire général de l'Onu Antonio Guterres. La Russie soutient cet appel.

Cependant, ce mécanisme multilatéral d'accompagnement international du processus de paix au Proche-Orient s'est retrouvé paralysé aujourd'hui à cause de la position non constructive des Etats-Unis. Washington associe la poursuite du travail dans le cadre du quartet uniquement à l'avancement de leur plan de paix connu comme "deal du siècle". A ce sujet nous avons exprimé notre disposition à poursuivre la coopération sur le problème israélo-palestinien au format de "trio" avec l'Onu et l'UE, avec une éventuelle participation des principaux pays et organisations de la région.

A noter également que le rétablissement de l'unité palestinienne sur la plateforme politique de l'Organisation de libération de la Palestine est une prémisse importante pour la reprise des négociations israélo-palestiniennes directes. A cet égard, nous avons salué les démarches opportunes du Fatah et du Hamas pour surmonter la division depuis des années, qui ont été annoncées le 2 juillet 2020 lors d'une visioconférence de presse conjointe des délégués du Fatah et du Hamas.

De notre côté, nous poursuivrons le travail avec les Palestiniens afin de fixer et de renforcer la tendance rassurante prévue. Nous proposons d'organiser à Moscou une nouvelle rencontre des représentants des principaux partis et mouvements palestiniens dès que la situation épidémiologique le permettra. Début juillet 2020 a eu lieu un entretien téléphonique entre le Président russe Vladimir Poutine et le Président palestinien Mahmoud Abbas, qui a réagi positivement à notre proposition. La direction du Hamas s'est également dite prête à participer à une telle activité.

Question: Les Serbes du Kosovo restent, de facto, dépourvus de droits. La Russie prône le règlement pacifique du problème du Kosovo, mais la situation ne bouge pas. Quels efforts permettraient de faire avancer le règlement diplomatique du conflit entre Belgrade et Pristina?

Sergueï Lavrov: En parlant du problème du Kosovo je préférerais parler non pas du conflit entre Belgrade et Pristina, mais des conséquences de la séparation de force d'une partie du territoire de la Serbie. Elle a été perpétrée par des combattants armés parmi des Albanais kosovars avec la complaisance et le soutien direct de l'Occident, notamment l'agression de l'Otan contre la Yougoslavie en 1999. Suite à cet acte arbitraire à l'endroit du territoire autonome serbe a été unilatéralement proclamé un pseudo-Etat en contournant la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies – la base du processus de paix. Son sommet politique fait ouvertement l'impasse sur le droit international, les exigences légitimes et les intérêts de la République de Serbie et du peuple serbe, cherche à tout prix à légaliser la situation actuelle et lui-même.

A une époque, au prix de grands efforts et de compromis douloureux la situation a pu déboucher sur les négociations. En 2010, l'Assemblée générale des Nations unies a chargé l'UE à jouer le rôle d'intermédiaire dans le dialogue Belgrade-Pristina. Des décisions cruciales ont même été convenues par la suite, notamment sur la création de la Communauté des municipalités serbes du Kosovo. Nous avancions vers des accords mutuellement acceptables, notamment en termes de garantie de la sécurité des Serbes sur le territoire. Mais ces décisions sont restées virtuelles à cause des obstructions des Kosovars.

Aujourd'hui, le dialogue stagne. En même temps, il n'existe pas d'alternative malgré toute la volonté de briser ce nœud gordien. Bruxelles et Washington intensifient actuellement leur activité pour relancer les négociations. Il convient de rappeler qu'il faut une discussion sérieuse et honnête sur les futures relations entre Belgrade et Pristina. Elle peut être productive seulement en respectant les intérêts légitimes des Serbes du Kosovo, avec la prise en compte réelle de leurs préoccupations, en respectant le droit international. La contribution extérieure doit être apportée sans chantage et sans tordre les bras à l'un des camps tout en encourageant les appétits politiques douteux de l'autre. L'alternative à un dialogue est extrêmement dangereuse pour tous.