Intervention du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et ses réponses aux questions lors des discussions dans le cadre du Forum international des jeunes, Seliger, le 27 août 2014
Chers participants du forum,
Tout d'abord, je tiens à remercier les organisateurs de m'avoir invité. Pour moi, c'est une réunion importante parce que la diplomatie doit tenir compte des opinions de ceux qui ont choisi l'une des branches des sciences sociales en tant que métier et qui sont préoccupés par le sort du pays et son développement à travers la construction d'un consensus national avec toutes les ressources spirituelles, intellectuelles, matérielles de la société. Aujourd'hui, alors que la mondialisation a pénétré dans toutes les sphères de la vie humaine, la distinction entre politique intérieure et extérieure devient très relative - elles sont étroitement liées et s'influencent mutuellement.
Par exemple, les révolutions «de couleur». Il semble qu'elles viennent de l'intérieur, mais sont chauffés plus activement de l'extérieur. Peut-être que s'il n'y avait pas cette encouragement extérieure, dans la plupart des cas, ces révolutions « de couleur » ne se seraient pas reproduites. Mais quand elles ont eu lieu, entrainant des changements dans le pays (la plupart du temps il s'agit d'un changement de régime), ces événements ont un effet déstabilisateur sur la politique internationale. Nous l'avons observé en Géorgie, tout comme c'est le cas maintenant avec l'Ukraine. Compte tenu de la disparition de la « base » bipolaire, qui existait pendant la guerre froide, les relations internationales d'aujourd'hui sont devenues extrêmement imprévisibles, et impliquent un grand nombre de risques. Cela réfute les prédictions de la fin des années 1980 - début des années 1990 que la «fin de l'histoire» a eu lieu, que les normes occidentales se renforcent partout dans le monde, entrainant l'uniformité. C'était une illusion, un fantasme, une erreur si vous voulez.
Le sens de l'étape actuelle des relations internationales consiste en passage au nouveau modèle de l'organisation du monde : un modèle polycentrique fondé sur la prise en compte du facteur de l'apparition des nouveaux centres de la puissance économique et financière. On sait que l'influence politique vient avec l'influence économique et financière. Le passage à un système polycentrique reflète la tendance objective, qui consiste à fonder l'ordre du monde sur la diversité culturelle et civilisationnelle du monde moderne. C'est une réalité objective, et on ne peut pas la contourner.
Les problèmes à résoudre ne manquent pas. Il semblerait que le terrorisme international, le trafic de drogue, l'immigration clandestine, la prolifération des armes de destruction massive, l'insécurité alimentaire, les épidémies, les conflits régionaux devrait pousser la communauté internationale à agir en solidarité, puisque ces menaces sont communes pour tous. Cependant, nos mesures collectives sur la scène internationale pour faire face à ces défis et menaces sont empêchées par l'aspiration des États-Unis et de l'Occident de garder leur position dominante dans le monde, à laquelle ils sont habitués au cours des siècles, et de retarder artificiellement la formation d'un monde polycentrique multipolaire, qui, je le répète, reflète les tendances objectives du développement mondial.
Nous avons été accusés que les actions récentes de la Fédération de Russie aurait sapé les fondements de l'ordre mondial d'après-guerre. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité - si quelqu'un a donné l'exemple d'une très mauvaise attitude envers les principes et normes stipulés dans la Charte des Nations Unies, l'Acte final d'Helsinki et d'autres documents de l'OSCE, c'étaient nos partenaires occidentaux. Je tiens à rappeler qu'à la fin des années 1990 l'impensable s'est produisit : certains États-membres de l'OSCE ont bombardé le pays-membre de l'OSCE – la Yougoslavie. La dislocation de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (RSFY), qui a eu lieu la veille, s'est produite en violation d'un grand nombre de normes et principes de l'OSCE. Voici un exemple. C'est la Croatie qui a été la première à quitter la RSFY. Alors, pour un long moment l'Union européenne demeurait perplexe, essayant d'élaborer une position commune, mais l'Allemagne a décidé de ne pas attendre ses collègues de l'UE et a unilatéralement reconnu la Croatie, donnant lieu à une « réaction en chaîne ». Comme je l'ai déjà dit, cet évènement a été suivi par les bombardement de la Yougoslavie en violation de toutes les normes et les engagements imaginables, adoptés dans le cadre de l'OSCE. Puis c'était l'agression en Irak, ainsi que les récents bombardements de la Libye, en violation de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, etc.
La Russie est plus que quiconque intéressée par le renforcement du droit international afin d'éviter les doubles standards et de faire remplir les engagements fixés dans le cadre de l'ONU, de l'OSCE, dans les relations Russie-OTAN, Russie-UE et celles qui comprennent les acteurs internationaux. C'est notre approche de base.
Tout ce que j'ai dit, est directement lié à la position actuelle de la Russie par rapport à une crise profonde en Ukraine. Nous avons fait beaucoup d'efforts afin d'harmoniser certaines mesures au sein de la communauté internationale au stade initial, ce qui aurait pu permettre aux Ukrainiens de calmer la situation, de s'éloigner d'une menace de la guerre civile et de commencer le processus de négociation. Par ailleurs, le 21 février dernier un accord a été signé entre l'ancien président de l'Ukraine Viktor Ianoukovitch et les dirigeants de l'opposition A.Iatseniouk, V.Klichko et O.Tyagnibok, avec les signatures des ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne, la France et la Pologne. Le premier point de cet accord était un engagement à créer un gouvernement d'union nationale, qui se chargerait de la préparation de la réforme constitutionnelle, qui serait acceptable pour tous en Ukraine. Et c'est la nouvelle constitution qui aurait dû servir la base pour les élections présidentielles. J'insiste sur le fait : ce n'était pas l'idée de Viktor Ianoukovitch, mais celle des leaders de l'opposition qui ont insisté pour que le gouvernement d'unité nationale soit à la base des efforts visant à sortir de la crise. Viktor Ianoukovitch a «disparu», il a été renversé sous le prétexte qu'il avait fui le pays, bien qu'il ne l'ait jamais quitté, il se trouvait sur le territoire de l'Ukraine. L'accord du 21 février a été littéralement piétiné le lendemain. Alors l'opposition, au lieu d'établir un gouvernement d'unité nationale, a annoncé la création du « gouvernement des gagnants ». Ainsi, ceux qui n'étaient pas d'accord avec le coup d'Etat, ont reçu le signal qu'ils étaient considérés comme des perdants. Puis c'était toute une série de confrontations, y compris la tentative échouée, mais qui a fait beaucoup de bruit, d'abroger la loi sur les langues, ce qui dans le Sud-Est de l'Ukraine a été considéré comme atteinte à la langue russe. Tout cela a entraîné les conséquences que nous voyons actuellement.
La Russie n'a pas abandonné ses efforts et a participé aux activités internationales visant à trouver un moyen de sortir de cette impasse. Le 17 avril une réunion des ministres des Affaires étrangères de la Russie, des Etats-Unis, de l'Ukraine et du Haut Représentant de l'UE pour les affaires étrangères a eu lieu à Genève. Ils ont adopté une déclaration qui a fixé la nécessité urgente à mettre fin à l'utilisation de la force et le début d'une réforme constitutionnelle transparente, qui devrait couvrir toutes les régions et toutes les forces politiques dans le pays. Rien de tout cela ne s'est passé : aucun processus constitutionnel n'a pas été lancé. Un projet d'amendements à la Constitution de l'Ukraine a été élaboré en secret. Même tous les députés de la Verkhovna Rada ne l'ont pas vu. Jusqu'à présent, il n'a pas été publié, n'a pas fait l'objet d'un dialogue national, malgré les engagements pris par les dirigeants ukrainiens dans le cadre de la déclaration de Genève. Depuis lors, nous attirons constamment l'attention de la partie ukrainienne et ceux qui ont signé ces documents sur la nécessité de remplir tout ce dont ils sont convenus, sans tentatives « d'empocher » ce qu'ils étaient en mesure « d'empocher » à ce stade, ni de remettre les promesses données à plus tard, ou bien à jamais.
Au fur et à mesure de la prolifération de la confrontation militaire terrible dans le Sud-Est de l'Ukraine, le cessez-le-feu est devenu la tâche primordiale. Une autre tentative a été faite après que le président russe Vladimir Poutine, ainsi que les présidents de l'Ukraine, la France et le chancelier de l'Allemagne ont convenu de travailler dans ce format lors des célébrations consacrées au 70e anniversaire de l'ouverture du second front en Normandie. Les ministres des Affaires étrangères de la Russie, l'Ukraine, la France et l'Allemagne se sont réunis le 2 juillet en Allemagne, où ils ont adopté une déclaration mettant l'accent sur l'objectif principal d'un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel. Ça fait pratiquement deux moins que rien n'a changé : le cessez-le-feu n'a pas été instauré.
La partie ukrainienne, au lieu de remplir son engagement relatif à un cessez-le-feu sans conditions, soulève des exigences préliminaires, qui n'ont jamais figuré lors nos discussions. Il s'agit de la libération de tous les otages avant l'instauration de la trêve; du contrôle renforcé aux frontières. Nous n'avons rien contre les conversations à ces sujets, mais la trêve même ne peut pas rester un «otage» de ces conversations. La chose principale maintenant consiste à arrêter les affrontassions. La partie ukrainienne doit, comme elle s'est engagée dans la déclaration de Genève du 17 avril, dont j'ai déjà parlé, inviter toutes les régions du pays, y compris, le Sud-Est, pour lancer un dialogue constitutionnel national, dans le cadre duquel les deux parties puissent travailler sur ces changements dans la loi fondamentale du pays, qui assureraient le confort, la sécurité, la coexistence équitable dans le cadre de l'Etat ukrainien de toutes nationalités, minorités et régions en fonction de leurs intérêts économiques. L'Ukraine a besoin d'une entente nationale qui n'est possible que sur la base d'une balance d'intérêts de toutes les régions et de toutes les forces politiques du pays.
Maintenant quelques mots à propos de la réunion d'hier à Minsk. Elle a débuté dans un format multilatéral avec la participation des présidents de l'Union douanière – le président russe Vladimir Poutine, président kazakh Nursultan Nazarbayev et le président biélorusse Alexandre Loukachenko, ainsi que le président ukrainien Piotr Porochenko, le président du collège de la Commission économique eurasiatique Viktor Khristenko et trois commissaires européens – le Haut Représentant de l'UE pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton, le commissaire européen au commerce Karel De Gucht et le commissaire européen à l'énergie Günther Oettinger. La discussion a porté sur les questions évoquées par Vladimir Poutine lors d'une conférence de presse. Tout d'abord, il s'agit de la composante économique de la situation actuelle en ce qui concerne les intentions de l'Ukraine à adhérer à l'accord sur l'association et la zone de libre-échange avec l'UE et le fait que cette décision créerait un certain nombre de risques pour les intérêts des pays qui, tout comme l'Ukraine, sont membres d'une autre zone de libre-échange au sein de la CEI. Les engagements pris par l'Ukraine sur la zone de libre-échange de la CEI, selon notre conviction, soutenue par l'analyse présenté hier, entrent en contradiction avec les obligations de l'Ukraine, une fois qu'elle rejoigne une zone de libre-échange avec l'Union européenne et signe un accord d'association avec l'UE.
La discussion a été franche et objective. Les participants se sont mis d'accord que les consultations débutées à cet égard il y a quelque temps, doivent être intensifiées. Les ministres de l'économie et d'autres représentants du bloc économique des gouvernements respectifs ont été chargés à travailler sur l'harmonisation des approches aux problèmes qui puissent être résolus au niveau des experts, pour tenter de parvenir à des compromis. Des problèmes que lesquels les experts n'arriveront pas à s'entendre, seront discutés au niveau des chefs d'État dans un avenir prévisible, mais en tout cas jusqu'au 12 septembre prochain. C'est dommage, car à mon avis, il n'aurait pas fallu de mettre des délais artificiels.
En Normandie, lors de la réunion des dirigeants de la Russie, l'Ukraine, l'Allemagne et la France, il s'agissait de la nécessité de mettre en premier lieu la tâche de s'entendre sur une certaine forme de processus d'harmonisation dans les relations de l'Ukraine et avec les pays de la CEI et l'Union douanière d'une part, et l'Union européenne de l'autre. Les délais artificiels n'y aident pas. Cependant, en tant que geste de la bonne volonté, nous avons accepté d'essayer de terminer tout vers le 12 septembre, puisque les dirigeants ukrainiens se sont publiquement engagés à ratifier l'accord avec l'UE au mois de septembre. Le président russe Vladimir Poutine a prévenu honnêtement et à maintes reprises que si la ratification a lieu sans accords préliminaires avec la Russie et les membres de l'Union douanière, alors, en pleine conformité avec les droits fixés dans l'accord de la CEI sur la zone de libre-échange, nous allons annuler certaines préférences avec nos partenaires commerciaux en Ukraine et nous appliquerons pour eux les mêmes formes de coopération dans le commerce et la sphère économique, qui sont en vigueur avec l'UE, notamment le régime le plus favorable, qui est le standard pour tous les membres de l'OMC – pas de discrimination ou de sanctions, mais pas de privilèges ni préférences non plus.
Il est étonnant que cette précipitation de ratifier l'accord avec l'UE forcement en septembre se manifeste parallèlement avec l'annonce de la dissolution du Parlement et la tenue des élections anticipées le 26 octobre prochain. L'idée est de ratifier cet accord par l'ancien parlement. En même temps, la dissolution de la Verkhovna Rada a été motivée par le fait qu'elle ne reflète pas la volonté du peuple. Ne serait-il pas mieux d'attendre les élections, quand les gens élisent leurs représentants en toute compréhension de ce qui s'est passé, et ce qu'ils veulent voir dans le futur? L'Union européenne a publiquement exprimé l'espoir que, en dépit de l'annonce d'élections anticipées, l'Ukraine n'allait pas traîner avec la ratification et la signature d'un accord en septembre.
Hier tous les négociateurs ont décrit la situation dans le Sud-Est comme une catastrophe humanitaire, et ont reconnu l'importance de l'aide humanitaire. Président du Kazakhstan Noursoultan Nazarbaïev et le président du Bélarus Alexandre Loukachenko ont souligné le rôle proactif de la Russie. Comme vous le savez, nous avons déjà envoyé le premier convoi avec l'aide humanitaire en Ukraine, et avons officiellement adressé un appel à la partie ukrainienne de l'intention dans les prochains jours d'envoyer un second convoi. Hier, les présidents de la Russie et de l'Ukraine ont discuté de cette question lors de la réunion en tête-à-tête. En parallèle, j'ai parlé avec le ministre ukrainien des Affaires étrangères P.Klimkin. Nous avons des raisons de croire que des solutions techniques et logistiques constructives seront trouvées pour envoyer le deuxième convoi humanitaire russe dans l'est de l'Ukraine. Je suis sûr qu'il ne sera pas le dernier, parce l'aide y est nécessaire en quantités immenses. Le Kazakhstan et la Biélorussie ont exprimé leur volonté de se joindre à notre campagne et envoyer de l'aide humanitaire dans le Sud-Est. Les représentants de l'UE en ont également parlé. Nous allons encourager la communauté internationale à traiter de manière responsable cette catastrophe qui touchent à ce jour environ 4 millions de citoyens du Sud-Est de l'Ukraine. Plus d'un million de personnes ont quitté la zone, la grande majorité d'entre eux se sont réfugiés dans la Fédération de Russie. S'il y a un intérêt, je peux en parler en détail.
Dans le contexte des relations économiques, l'accent a été mis sur la tâche de reprendre les pourparlers sur la question gazière entre la Russie et l'Ukraine. Pour des raisons évidentes, ce sujet représente un intérêt particulier pour la Commission européenne. Personne ne se réjouit à entendre périodiquement des menaces de Kiev, qui a l'intention de bloquer le transit de gaz. Le commissaire européen à l'énergie Günther Oettinger a exprimé hier sa conviction, ou même l'espoir, que les autorités ukrainiennes n'allaient pas interrompre le transit des ressources énergétiques de la Fédération de Russie dans les pays de l'Union européenne.
En plus des questions économiques et humanitaires, le troisième aspect, le plus important à ce stade, notamment il s'agit d'arrêter l'effusion de sang et de rechercher des moyens afin de lancer un véritable dialogue national. Nous sommes convenus de reprendre les activités du groupe de contact, qui s'était réuni plusieurs fois avec des représentants de la Russie, les dirigeants ukrainiens, l'OSCE et la délégation de Lougansk et de Donetsk. Il y a la compréhension que ce mécanisme (en tant que le pas initial) devrait être impliqué plus activement. C'est cet appel qui a été fait hier à Minsk. Nos amis biélorusses ont proposé leur capital comme un site permanent pour ces contacts. Compte tenu du fait que les régions de Lougansk et de Donetsk restent la scène des affrontements sanglants, et se rendre à Kiev représente un certain risque pour les insurgés - nombreux sont ceux qui veulent les arrêter, - Minsk est le meilleur endroit pour ces réunions. Nous l'avons activement soutenu.
Nous n'avons aucun intérêt à une confrontation ou à la création d'une spirale des sanctions. Bien avant les événements en Ukraine, les attaques sur la Russie ont eu un caractère inadéquat. Tout a commencé beaucoup plus tôt. Il suffit de rappeler, comment on nous a traité suite à des obstacles mises de notre côté pour la prétendue « révolution démocratique » en Syrie, par le fait de soutenir le « dictateur » Bachar al-Assad. Il est intéressant d'écouter les gens qui ont déclaré alors, qu'ils n'auraient jamais l'affaire avec Assad. Aujourd'hui, il s'avère que, bon gré mal gré, ils devront coopérer avec lui, si nous voulons vaincre les terroristes de l'Etat islamique.
Nous nous a attaqué dans le cadre de sujets moins importants, tels que «l'affaire Magnitski». Je l'ai appelé moins important, mais il s'agit de la vie d'un homme, et de la tragédie humaine qui a été utilisée pour des spéculations politiques et des provocations. Rappelez-vous l'annulation de la visite du président américain Barack Obama à Moscou avant le sommet du G20 à Saint-Pétersbourg à cause d'E.Snowden. N'oubliez pas l'attitude négative par rapport à la Russie seulement parce que nous avons organisé les Jeux olympiques de Sotchi, etc.
Même sans l'Ukraine, cette ligne se serait prolongée en tout cas. A notre grand regret, cela s'est enraciné profondément dans les milieux dirigeants de certains pays occidentaux – avant tout, aux États-Unis. Après la domination historique de longue durée dans l'économie mondiale et en politique, maintenant, ces États tentent de retenir artificiellement leurs positions, tout en comprenant que dans l'économie elles ne sont plus celles qu'elles étaient après la Seconde Guerre mondiale, quand l'Amérique produisait plus de la moitié du PIB mondial. Ainsi ils tâchent d'utiliser les outils se trouvant en leur disposition - militaires, politiques, les technologies du remplacement des régimes pour retenir artificiellement le processus de la formation d'un système démocratique international basé sur l'égalité en droits. Tous ne sont pas encore en mesure de comprendre qu'il ne faut pas aller à l'encontre du processus historique objectif. Nous espérons vivement que cela se produira, sinon on va continuer à nous imposer des sanctions unilatérales illégales, et nous allons y répondre de manière adéquate, ce que nous essayons de faire. Mais, je le répète, ce n'est pas notre choix, nous ne cherchons pas de confrontation. La rhétorique déchaînée des médias occidentaux a besoin d'une remise en cause car elle est chauffée et est alimentée non par l'opinion publique, mais par les dirigeants politiques des pays occidentaux qui « guident » leur public, se référant après à ce dernier comme le moteur qui les fait agir d'une manière anti-russe. Les politologues russes posent également une question qui est allié de la Russie, prenant l'exemple de l'OTAN, qui vote comme un seul bloc, toujours et partout. Nous avons beaucoup d'alliés : les membres de l'OTSC, les partenaires sur les projets d'intégration eurasienne, les participants de l'OCS, les BRICS et la grande majorité des pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine.
Si nous parlons des unions, mais pas dans le sens ancien du mot ni dans le sens d'une discipline au sein d'un bloc, alors que l'OTAN s'est prononcé contre le Pacte de Varsovie, et tout le monde savait que cette partie de la table de négociation serait en faveur de cette décision à l'unanimité, et l'autre serait contre, mais aujourd'hui, une telle sorte de discipline est humiliante pour les Etats, prônant la démocratie, le pluralisme, etc. Aujourd'hui, nous avons tous besoin des unions de réseau, flexibles. Quand on nous dit que nos alliés de l'OTSC ne vote pas toujours à l'unisson avec la Russie - par exemple, nous votons contre, et eux, par exemple, ils s'abstiennent ou ne participent pas au vote, nous ne faisons pas la tragédie à ce sujet, contrairement à l'OTAN, où toute dérive, toute manifestation de la dissidence sont punissables. Nous le savons tout comme l'envoi immédiat des émissaires dans les capitales des pays qui ont osé montrer une certaine indépendance, et comment on en « tire des conclusions » (comme nous l'avons déjà dit). Nous respectons nos partenaires et leur droit à nuancer les détails. Nous savons qu'avec eux nous sommes d'accord pour l'essentiel, et ce n'est pas bien grave si, sur certaines questions, notre position n'est pas absolument uniforme. Au contraire, je crois que cela enrichit notre relation. Les attaques contre la Russie sont principalement liées au fait que nous, plus que quiconque, parlons ouvertement de nos propres intérêts, exprimons notre point de vue que nous ne déclarons pas en tant que la vérité ultime, et nous sommes ouverts à écouter et à entendre des autres, en s'appuyant sur la réciprocité et le fait que notre indépendance ne sera pas soumise à une sorte de « punition », ce qui pour le monde civilisé moderne représente quelque chose entre le bien et le mal. Comme le président russe, Vladimir Poutine, l'a souligné à plusieurs reprises, nous considérons notre indépendance de la politique étrangère et la souveraineté en tant que des valeurs fondamentales les plus importantes. Et cela sera toujours le cas.
Sans prendre en compte l'attitude envers E.Snowden ou les personnes qui ont réalisé un coup d'Etat en Ukraine, mais parlons de la façon dont nous voyons l'ordre mondial, alors il doit être juste, démocratique et fondé sur le respect du droit international et de tous les principes énoncés dans la Charte des Nations Unies dans son intégralité sans doubles standards et sans droit à une sorte d'exclusivité. Et de ce point de vue, la grande majorité des pays dans le monde sont nos alliés.
Question: Votre arrivée à Seliger est un grand honneur pour nous.
La Fédération de Russie a répondu aux sanctions occidentales. Comment cela affectera la coopération internationale ultérieure de la Russie, y compris les organisations des Nations Unies basées à Rome, la coopérer dans le domaine de la sécurité alimentaire et la résolutions des problèmes mondiaux dans ce domaine? Comment devrions-nous revoir l'ensemble du programme de la Russie dans le domaine de l'agriculture, la pêche, l'alimentation et d'autres industries liées à et à la coopération internationale? Comment nous, la jeune génération, y compris les avocats, les experts agricoles et les spécialistes internationales, pouvons aider dans ce processus?
S.Lavrov : La sécurité alimentaire est une partie intégrante de la sécurité globale de tout Etat. Si vous vous occupés de ce sujet, vous savez que la tâche de nous approvisionner de la nourriture a été fixée bien avant les événements dont vous venez de parler. Un pays comme la Russie, devrait être indépendant, d'autant plus que nous avons tout le nécessaire pour garantir à nos citoyens la nourriture de qualité à des prix abordables. C'est un postulat, qui ne dépend de rien.
En ce qui concerne les sanctions introduites, c'était une mesure nécessaire. Cette mesure a été choisie comme une réponse aux actions unilatérales inacceptables de l'Union européenne, les États-Unis et de certains autres pays, violant les règles de l'OMC, sur la base d'un certain nombre de considérations, comme le président russe Vladimir Poutine l'a dit à plusieurs reprises, et compte tenu de notre intérêt de soutenir les fabricants russes. Parmi les sanctions imposées par nos partenaires occidentaux, il y avait des limites pour la Banque agricole de maintenir l'accès aux ressources à l'étranger. Cela signifie que la banque, qui a pour tâche de subventionner et financer les producteurs agricoles, a perdu une partie de sa capacité, et les agriculteurs qui exportent leurs produits en provenance d'Europe à la Fédération de Russie, et dont les banques ne sont pas soumises à des restrictions, reçoivent un avantage concurrentiel injuste. C'est un point.
Un autre point, ce sont des considérations de sécurité nationale, un critère qui est fixé dans les règles de l'OMC et les membres de l'Organisation peuvent les impliquer pour introduire des mesures de protection. Les dirigeants du pays doivent réfléchir s'il est raisonnable de garder la dépendance alimentaire considérable des pays qui ont imposé des sanctions unilatérales et illégitimes et nous appellent publiquement un adversaire, nous traitant comme des ennemis.
En ce qui concerne les motifs de cette décision, je pense que les deux raisons mentionnées sont très importantes. Cela n'a aucune incidence sur nos approches à la coopération avec le Programme alimentaire mondial, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Fonds international de développement agricole, dans lequel nous avons récemment adhéré. Nous prônons pour la poursuite de cette coopération. Encore une fois, ces mesures ne sont pas liés à notre participation et ne limitent pas notre activité dans le cadre des projets, menés par ces organisations.
Quant à la façon dont nos avocats qui travaillent dans le secteur agro-industriel, pourraient contribuer à la sécurité alimentaire, je compte sur vous, vous en avez intérêt, vous avez des diplômes appropriés, et vous, comme je le vois, en travaillez. Je vous souhaite du succès.
Question: Je voudrais dire que je suis fier que le peuple russe a trois grandes qualités telles que la patience, la capacité d'aider et la capacité de pardonner. En particulier, nous avons récemment annulé la plupart de la dette de Cuba. Qu'est-ce que la Russie reçoit en échange de l'annulation des dettes de certains Etats? Est-il commensurable avec ce que nous obtenons en retour?
S.Lavrov: Tout ne peut pas être mesuré en billets de banque. Mais vous avez mentionné les trois qualités de notre peuple: la patience, la capacité d'aider et la capacité de pardonner. Dans le cas de radiation de la bonne partie de la dette cubaine, nous avons longtemps attendu, et finalement nous avons voulu les aider et les avons pardonné. Mais je vous assure que partie de la dette qui reste (qui s'élève, si je ne me trompe pas à environ 3,5 milliards de dollars) selon l'accord des parties sera destinée à l'investissement dans l'économie cubaine, avec la participation des entreprises russes.
Nous comprenons que les relations entre l'Union soviétique et Cuba étaient spécifiques, que le taux de change de rouble par rapport au dollar était relativement bas à l'époque très. Cela fait également partie du problème. Un dollar a coûté 60 cents. Le fait que Cuba ne pouvait pas payer la dette est évident pour tous. Mais le fait que nous avons trouvé une formule qui faciliterait de régler la situation budgétaire du pays, d'annuler la dette et régler le problème de la dette avec la Fédération de Russie, élargit les possibilités de Cuba pour emprunter sur les marchés étrangers, parce que la dette en suspens a constitué pour ce pays un facteur de restriction. Le montant restant ira à un réel investissement dans l'économie cubaine, avantageux pour les entreprises russes et les Cubains eux-mêmes. Les avantages sont mutuels. Nous pourrions attendre indéfiniment, et personne n'aurait de bénéfice de cette patience. Lorsque notre désir d'aider, de comprendre et de pardonner a prévalu, tout a été décidé instantanément.
Question: Dans le cadre de l'incohérence des récents événements géopolitiques, dans les médias et lors de réunions internationales la position de la Russie est le plus souvent représentée par le Président russe, vous et le Représentant permanent de la Russie auprès de l'ONU, Vitaly Tchourkine. Pourquoi l'élite russe n'est pas assez actif, ne participe pas beaucoup dans le processus de création d'une image positive de notre pays et d'explication de notre position à la communauté internationale?
S.Lavrov: Chaque fois que je regarde les documents publiés par le ministère russe des Affaires étrangères avec des propositions pour les dirigeants du pays, et lorsque je vois l'expression «promouvoir une image positive de la Russie sur la scène internationale», je remplace le mot «positive» à «objective». Nous n'avons pas besoin de positif artificiel, nous voulons être tels que nous sommes - nous n'avons rien à avoir peur. Même dans les cas, quand nous sommes dans une minorité évidente, nous sommes prêts à expliquer honnêtement pourquoi nous prenons telle ou telle position. Des moments où nous nous trouvons dans la minorité arrivent (personne ne le nie), et ils sont principalement créés de manière artificielle, via les voyages à travers le monde, les menaces ou les promesses des avantages de toute sorte. Tout le monde le sait. Et puis on nous dit à voix basse, « nous sommes désolé, nous avons été forcés de le faire ». Nous le traitons comme quelque chose qui, malheureusement, continue à exister dans cette vie. Mais nous ne faisons ni scandale ni tragédie.
Nous faisons beaucoup d'efforts. Ce n'est pas seulement la tâche de l'élite, mais aussi celle des médias. Qu'entend-on par l'élite? Je pense qu'ici nous voyons une élite qui est intéressée à participer directement dans la gouvernance du pays dans les plus brefs délais pour résoudre les problèmes socio-économiques, humanitaires et des questions nationales. Et tout cela est impossible de réaliser sans tenir compte des facteurs externes, dont j'ai déjà parlé.
Dans le monde actuel tout est étroitement lié. Voici un exemple. La chaîne de télévision « Russia Today » est un projet réussi, une média très efficace, qui donne un point de vue alternatif. Cette chaîne bénéficie d'un taux de popularité comparable à celui de CNN, BBC et bien d'autres grandes chaînes de télévision aux Etats-Unis et en Europe. Nous sommes en train de renforcer activement la diplomatie humanitaire, de réanimer les activités de Rossotrudnichestvo. Les centres russes de la science et de la culture à l'étranger devraient bénéficier d'un financement supplémentaire – à ce propos le président a signé une directive, soutenue par la décision du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie – afin d'organiser plus d'activités pour ceux qui sont intéressés par la Russie, la langue russe et notre culture.
En général, la culture, l'information et l'enseignement sont des composantes significatives de «soft power». Je le répète, nous sommes maintenant engagés dans cette voie le plus activement possible, ayant le soutien du gouvernement. Le travail avec les compatriotes a atteint un nouveau niveau. Il existe des programmes pour les soutenir, on a créé le Fonds de protection des compatriotes résidants à l'étranger. Nous encourageons les organisations non gouvernementales qui s'intéressent aux affaires internationales et veulent raconter de la situation en Russie à l'étranger. Pour soutenir ces organisations nous avons créé le Fonds de la diplomatie publique A.Gortchakov, nous accordons des subventions aux ONG pour la participation à des événements internationaux dans le cadre de l'OSCE, l'ONU, le Conseil de l'Europe, etc. Ce ne sont que quelques exemples.
Le nombre de bourses que nous octroyons aux jeunes des pays étrangers afin qu'ils puissent faire leurs études dans la Fédération de Russie, augmente constamment. Nous essayons de distribuer les bourses en sélectionnant les gars prometteurs qui ne veulent pas seulement obtenir un diplôme quelque part, mais qu'ils souhaitent faire les études en Russie et à promouvoir les relations de son pays avec la Fédération de Russie. Le nombre de jeunes étrangers qui sont invités en Russie pour les voyages avec les jeunes russes augmente chaque année de façon significative. Il s'agit d'une forme très prometteuse.
Je pense que l'élite doit parler de ce que nous faisons, doit expliquer pourquoi nous croyons quelle décision prendre dans telle ou telle situation. Dans ces activités il faut également impliquer la société civile. Je crois que la société civile représentée par des gens intéressés est une élite russe dans le vrai sens du mot.
Question: Avez-vous discuté de la situation concernant la centrale nucléaire ukrainienne de fabrication soviétique et son passage d'urgence, sans examens nécessaire, au combustible américain, qui ne nous convient pas en termes de la géométrie? Y a-t-il une réelle menace écologique pour l'Ukraine?
S.Lavrov: La question est très intéressante. Hier, il n'a pas été discutée, mais sur ce point il y a des discussions entre les ministères russe et ukrainien de l'Énergie, ainsi que dans le cadre de Rosatom et les autorités ukrainiennes compétentes. Nous envisageons cette question avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Il n'est pas un secret que la société américaine «Westinghouse» cherche activement à gagner une place sur le marché européen. Ils ont fait une telle tentative, non seulement en Ukraine, mais aussi dans d'autres pays.
Vous avez absolument raison qu'en raison des différences du carburant les tentatives d'introduire des broches américaines dans les réacteurs de fabrication soviétique et russe n'est pas sans danger. Quand il y a quelques années, sous la pression des États-Unis la société «Westinghouse» s'est mise à introduire son mécanisme dans l'un des réacteurs dans la République tchèque, fabriqué par l'Union soviétique, il y a eu de sérieux problèmes. Tout un mouvement social s'est levé en faveur de la fin des expériences, car ils étaient trop dangereux.
En Ukraine, sous le gouvernement précédent a également entrepris quelques mesures expérimentales, comme ils les appelaient, qui consistaient à insérer plusieurs dizaines de broches dans nos réacteurs. C'était très inquiétant. Pour autant que je sache, actuellement ces tentatives ne sont plus admises. Nous exigeons que la Russie en tant que producteur du réacteur de pays soit informée des mesures prévues, pour qu'on en discute avec nous, car c'est nous qui avons garanti la sécurité du réacteur, quand il a été lancé, et ces engagements sont toujours en vigueur. Ce genre d'expériences risque de mal se terminer, surtout en Ukraine, où le souvenir de Tchernobyl est encore frais.
Question: Dans vos allocution, vous avez dit que les négociations sont prévues entre les autorités ukrainiennes et les représentants de Donetsk et de Lougansk pour résoudre le conflit à travers des réformes constitutionnelles et une nouvelle constitution. Cependant, les insurgés ont déclaré à plusieurs reprises qu'ils ne considèrent pas l'Ukraine comme leur pays, ça fait longtemps qu'ils se sont désassociés, et maintenant leur pays est appelé Novorossia. Ils n'ont pas l'intention de discuter des projets constitutionnels ukrainiens. Qu'est-ce que la Russie va faire si les insurgés refusent de discuter de la constitution de l'Ukraine? Ce scénario, est-il réel?
S.Lavrov: Les autorités de Kiev indiquent également qu'ils ne connaissent pas ni la République populaire de Lougansk, ni celle de Donetsk, ni la Nouvelle-Russie, et qu'ils sont tous des « terroristes et séparatistes ». Les dirigeants ukrainiens n'arriverons pas à tenir cette position extrême. Les régions de Lougansk et de Donetsk ont organisé les référendums, dont les résultats nous avons pris en compte avec respect. Nous en avons déclaré. Nous avons souligné que la Russie prônait en faveur de l'application pratique des résultats des référendums dans les régions de Lougansk et de Donetsk, qui passerait à travers le processus de négociations avec Kiev. Nous sommes convaincus que la capacité de toutes les régions ukrainiennes de négocier est loin d'être épuisée. Il s'agit de la volonté de remplir les engagements pertinents. A ce stade-là, nous ne nous attendons pas à des discussions immédiates de la Constitution avec les droits et responsabilités des régions, de la décentralisation, fédéralisation etc. Pour le moment, le mécanisme, qui comprend les autorités de Kiev, les représentants de Lougansk et de Donetsk, la Russie et l'OSCE, est important pour parvenir à une tâche la plus urgente : la trêve et l'accord sur un cessez-le-feu durable. Sans un dialogue politique avec la participation de toutes les régions, nous n'allons jamais comprendre si les Ukrainiens parviennent à se mettre d'accord. Lorsque les autorités de Kiev disent que « nous n'allons commencer le dialogue qu'après que Donetsk et Lougansk déposent leurs armes, et s'ils ne le font pas, nous allons atteindre nos objectifs par des moyens militaires », c'est une approche absolument irresponsable. Lorsqu'on dit aux représentants de Donetsk et de Lougansk : « vous vous rendez, puis nous verrons quoi faire avec vous », cela crée une réaction en chaîne: « vous voulez gagner par des moyens militaires, ne voulez pas nous parler, alors nous utiliserons également les moyens militaires afin que vous nous entendiez et réaliseriez, nous l'espérons, qu'il est inutile de continuer à s'entretuer ».
Les avis des gens ne sont pas unanimes. Je suis convaincu que les conquêtes qui ont été réalisées dans les régions de Lougansk et de Donetsk, vont consolider ces régions dans la lutte pour le plus important : vivre sur ces terres comme leurs pères et grands-pères, de vivre comme ils veulent, parler russe, éduquer dans cette langue leurs enfants, choisir leurs gouverneurs et des assemblées législatives, être en mesure d'avoir un profit de l'activité économique sur leur territoire, être en mesure de communiquer, en termes économiques, humanitaires et tout simplement avec leur famille et leurs amis dans la Fédération de Russie et d'autres pays. C'est la chose la plus importante. Tout le reste peut être réglé en présence d'une volonté politique. Nous croyons qu'il est maintenant nécessaire de faire tout le possible pour qu'ils se mettent à la table de négociation et, après atteindre l'accord sur un cessez-le-feu, essaient d'entendre l'un l'autre. Tant que les négociations ne soient pas lancées, nous ne comprendrions pas s'ils parviennent à vivre ensemble.
Question: Ce n'est pas un secret que depuis six mois la Russie est en train de durcir sa politique migratoire, fermer l'accès à des ressortissants étrangers. Plusieurs étudiants étrangers ne peuvent pas terminer leurs études. Que recommandiez-vous dans ce cas? Peut-être cela serait bien d'introduire dans une législation en matière d'immigration une catégorie distincte pour les étudiants. Autrement ces étudiants ne pourront pas obtenir leur diplôme, et le gouvernement ne donnera pas l'accès aux étudiants étrangers.
S.Lavrov: Il est nécessaire de rétablir l'ordre dans ce domaine. En Russie, 80% des travailleurs migrants travaillaient au « gris », ou même « au noir ». Les gens n'avaient aucun droit. Les employeurs confisquaient les passeports, aucun contrat n'a été signé, il n'y avait aucuns engagements légaux. Si l'employeur donne le salaire, c'est bien, sinon, le migrant est une personne qui n'a pas où aller pour déposer une plainte, car il n'a même pas de passeport. On peut le considérer comme une semi-esclavage. Il fallait en finir, notamment pour rétablir l'ordre et mettre fin au travail au noir. Il est également important que ces personnes se sentent protégées, en toute légalité. Comme il arrive toujours avec de grandes réformes, à un moment où les nouvelles règles ont été approuvées et ont été introduites dans la pratique, de nombreuses situations surviennent quand les gens se sentent mal à l'aise, plusieurs travailleurs ont senti la pression des employeurs qui ne voulaient pas renoncer à ces conditions lucratives. Le ministère des Affaires étrangères en collaboration avec le Service fédéral des migrations ont tenu plusieurs réunions, en invitant à Moscou des représentants de tous les pays de la CEI. La grande majorité de nos interlocuteurs sont bien conscients que si le migrant, au lieu d'être privés des droits, de vivre sans documents et parfois dans des conditions inhumaines, a la possibilité d'avoir un statut légal en achetant un brevet, ou bien son employeur peut le faire (1000 roubles par mois n'est pas une si grande somme pour les employeurs), il va bénéficier de la protection sociale, avoir des garanties de retraite et une épargne, et ceci est non seulement pour un ou trois mois, en poussant le travailleur à chercher des moyens clandestins pour prolonger le visa de trente ou quatre-vingt-dix jours (comme c'est le cas de l'Ukraine). Nous sommes convaincus que nous sommes sur la bonne voie.
Lorsque nous nous éloignons de l'ancien système avec plusieurs millions de travailleurs migrants en situation irrégulière, cela ne se fera pas sans douleur. Cette nouvelle règle est entrée en vigueur, obligeant de renvoyer du pays des centaines de milliers de personnes et même, en raison des violations précédentes, leur interdire l'entrée dans la Fédération de Russie pour une longue période. Dans chaque cas, par exemple, avec nos collègues kirghizes et tadjiks, des partenaires d'autres pays dont les ressortissants travaillent sur le territoire russe, nous appliquons des approches flexibles, le Service fédéral des migrations de Russie contribue à trouver des solutions afin d'aider leurs citoyens d'éviter de longues procédures administratives.
Il y a eu quelques précédents avec les étudiants de certaines républiques d'Asie centrale, et pas seulement (certains voisins de la Géorgie se sont plaints), lorsque les étudiants de retour après les vacances, à une des raisons purement formelles, ne pouvaient pas entrer légalement en Russie. Tout cela nous avons réglé. Si à cet égard il y a des problèmes qui entravent l'arrivée des étudiants, donnez-moi les documents, et dans les deux prochains jours je vais essayer de résoudre le problème.
Question: Une session ordinaire du Forum du partenariat russo-américain du Pacifique se tiendra au mois de septembre. Quelle est la position de Moscou en ce qui concerne les perspectives de l'exploration de l'Arctique compte tenu des relations tendues d'aujourd'hui entre la Russie et les Etats-Unis?
S.Lavrov: Il faut laisser l'Arctique en dehors de la rhétorique militaire. L'autre jour, mon collègue canadien a déclaré que le Canada, ou, plus probablement, lui-même, est inquiet suite à l'activité de la Russie dans l'Arctique, et le Canada sera prêt pour la confrontation militaire avec la Fédération de Russie dans les latitudes nordiques. Un jour plus tard, son porte-parole a dit qu'il avait été mal compris et mal interprété cette déclaration. Je pense que, malheureusement, son discours n'a pas été mal interprété. Son prédécesseur a également déclaré que la Russie ne dispose pas d'un tel droit.
Rappelez-vous quand notre grand explorateur polaire Arthur Tchilingarov avec un groupe de collègues a planté le drapeau russe au fond de l'Océan arctique sous le pôle Nord, le Canada a lancé de terribles accusations contre la Russie que nous essayaient, comme lors de la « ruée vers l'or » de conquérir le territoire. Cela n'a aucun sens. Nous ne voulons pas que l'Arctique devienne une zone de conflits. Il y a le Conseil de l'Arctique, qui comprend cinq pays riverains de l'océan Arctique. C'est un format légitime, qui garantit les droits juridiques des Etats frontaliers, afin qu'ils fixent les règles d'engagement dans la région, l'utilisation de son énorme richesse prudente et responsable à l'égard de la nature.
Les premiers accords intergouvernementaux sur la prévention des déversements de pétrole dans l'Arctique et le traitement de ces déversements ont été déjà signés. Par conséquent, Greenpeace ne doit pas s'inquiéter : nous prenons en compte toutes ces préoccupations, et nous les partageons. Contrairement aux bruyantes protestations, au sein du Conseil de l'Arctique, nous prenons des mesures concrètes afin de préserver une écologie unique de la région. Cette institution a des programmes spéciaux pour soutenir les peuples autochtones qui habitent au Nord, préserver leur mode de vie, les traditions et la culture. Récemment, le Conseil de l'Arctique a décidé d'admettre les pays observateurs. Ce fut un long processus. Il s'agit des observateurs de l'UE, la Chine, l'Inde et quelques autres pays, comme le Japon, la Corée.
Cette décision stipule clairement que les règles de coopération en Arctique sont définies par les pays de l'Arctique, membres du Conseil de l'Arctique. Lorsque nous nous réunissons à ce forum, personne ne parle ni de conflits, ni de confrontations. Tous sont intéressées pour que cette région soit explorée sur la base de la coopération, le respect du droit international, y compris les décisions prises par la délimitation du plateau continental. La Russie participe activement à ce travail. Nous avons déjà prouvé notre droit à l'ensemble de la mer d'Okhotsk. Maintenant nous terminons le processus de régularisation des droits sur le plateau continental. Une procédure longue, mais nous sommes confiant, nous avons tous les fondements juridiques pour faire valoir nos droits sur la totalité du plateau continental dans l'océan Arctique.
Question: ces derniers temps la politique étrangère russe montre une tendance positive de rapprochement avec les pays d'Amérique latine. Pourriez-vous commenter avec quels pays nous prévoyons une coopération étroite et dans quels domaines? Quelles réunions et les événements la Russie envisage de tenir avec les pays d'Amérique du Sud?
S.Lavrov: Il ne s'agit pas seulement de nos intentions, nous coopérons déjà avec tous les pays d'Amérique latine, notamment avec les principaux pays de la région : Brésil, Argentine, Mexique, Chili, Pérou, Venezuela, Cuba, Nicaragua. Nous prenons en compte que les pays de la région développent activement les processus d'intégration : il y a des unions économiques et politiques des nations sud-américaines, la communauté intégration de l'Amérique centrale. Aucun pays n'est en dehors d'une ou des unions d'intégration. Nous avons établi des relations avec chacune de ces associations, et avec tous les pays d'Amérique latine. Contrairement à la situation à l'époque de l'Unions soviétique, nous avons établi des relations diplomatiques avec tous les pays, ouvert plusieurs nouvelles ambassades et nous développons un partenariat stratégique. Je tiens à mentionner que le Brésil est un membre des BRICS - une nouvelle association puissante, qui gagne de plus en plus d'adeptes. Chaque sommet des BRICS se tient en même temps que l'organisation du forum de «outreach», avec l'invitation des pays de la région. En 2013, le sommet des BRICS en Afrique du Sud était accompagné par la rencontre des BRICS avec les dirigeants des douze pays africains. Cette année, le sommet de cette association a eu lieu dans la ville Fortaleza et a été accompagné par la rencontre avec les présidents des dix pays d'Amérique latine, outre le Brésil.
Ufa est la capitale du Sommet BRICS en 2015, la Russie est devenue le pays président, et nous préparons ce forum, qui se tiendra « bout à bout » avec le sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Nous devons également mener le travail « outreach ». Maintenant nous sommes en train de définir la liste des invités. Nous allons évidemment nous concentrer sur les participants aux processus d'intégration dans l'espace eurasien.
Je dois aussi mentionner le fait que, malgré la présence de nombreux sous-groupements régionaux d'intégration, il y a trois ans un pas très important a été fait : tous les pays d'Amérique latine (Amérique du Sud et le Mexique) ont formé la Communauté des Etats d'Amérique latine et des Caraïbes (Celac). Avant cette structure n'a pas existé. Il y a eu une Organisation des États américains, qui comprenait tous les pays d'Amérique latine et des Caraïbes ainsi que les Etats-Unis et le Canada. Les pays de l'hémisphère occidental ont formé leur propre forum sans Etats-Unis et Canada, ce qui met en évidence la tendance à la formation d'un monde polycentrique, dont j'ai parlé lors de mon allocution d'ouverture. L'Amérique latine est une région puissante et très prometteur, qui est devenue l'un des piliers d'un nouvel ordre mondial.
Parmi les objectifs les plus prometteurs pour l'avenir proche, nous prévoyons un échange régulier de visites. La plupart de ces pays ont mis en place des commissions intergouvernementales pour le commerce et la coopération économique. Cette année, le président Vladimir Poutine a visité Cuba, le Nicaragua, l'Argentine, le Brésil. J'ai également eu l'occasion de me rendre cette année à Cuba, au Nicaragua, au Chili, au Pérou. Les ministres des Affaires étrangères de l'Argentine, de la Colombie, et un certain nombre d'États des Caraïbes sont venus en Russie.
L'un des traits distinctifs de notre coopération est un accord sur le régime sans visas. Il ne reste que deux ou trois pays, avec lesquels nous n'avons pas encore signé des accords, mais le travail est sur le stade de finalisation. Ainsi l'ensemble de la région de l'Amérique latine sera ouvert pour la libre entrée des citoyens russes à tout moment.
Question: Quels sont les obstacles à la délivrance d'un visa d'entrée en Russie au lauréat du prix Nobel, le chef spirituel bouddhiste du Dalaï Lama?
S. Lavrov: Je pense que le prix Nobel n'a rien à voir. Il y a des lauréats du prix Nobel de la paix, qui ne sont pas très connus. Il s'agit d'une question distincte qui n'a rien à voir avec notre approche de délivrance des visas d'entrée. Nous avons envisagé ce sujet avec les dirigeants de la Kalmoukie et nos autres républiques où le bouddhisme est pratiqué. La chose la plus importante est que, quand on parle de la visite pastorale, le pasteur doit clairement s'éloigner de l'activité politique. Jusqu'à présent, malheureusement, selon nos observations, cela n'a pas été fait. Nous comprenons parfaitement les aspirations des bouddhistes de la Fédération de Russie, et tenons dans notre vie intérieure et la politique étrangère de collaborer de manière étroite avec toutes les grandes confessions traditionnelles. Dans ce cas, il y a des aspects qui portent sur les problèmes du Tibet et la participation politique de Dalaï Lama dans ces processus. Ils ne peuvent pas passer sans être pris en compte.
Question: En mars 2011, Dalaï Lama a renoncé à ses intentions au pouvoir politique au Tibet.
S.Lavrov: Je ne dis pas qu'il doit faire une déclaration. Il ne doit pas s'engager dans des activités politiques.
Question: Aujourd'hui, lors de votre allocution vous avez mentionné que la crise ukrainienne peut être résolu par la réalisation d'un équilibre entre les pouvoirs des régions qui sont en contradiction les uns avec les autres. À mon avis, il y a une autre alternative pour sortir de la crise ukrainienne. En 2008, la Russie pourrait s'attendre à un équilibre entre l'Ossétie du Sud, Abkhazie et la Géorgie, mais elle a pris des mesures efficaces permettant de résoudre le conflit en quelques semaines. Combien de temps persiste la crise dans le Sud-Est de l'Ukraine? Pourquoi la Russie ne cherche pas à défendre l'indépendance des républiques populaires de Lougansk et de Donetsk?
S.Lavrov: Je vais vous corriger, la guerre en Ossétie du Sud n'a pas duré quelques semaines, mais cinq jours. En Ossétie du Sud, il s'agissait d'une attaque directe contre la Fédération de Russie, précisément contre nos citoyens, les soldats de la paix qui s'y trouvaient sur la base d'un accord international. Il ne fait aucun doute, c'était une agression contre la Fédération de Russie.
Aujourd'hui, je l'ai déjà parlé de notre attitude aux référendums tenus dans le Sud-Est de l'Ukraine. Nous avons exprimé le plein respect de leurs résultats et nous nous sommes prononcé pour la mise en pratique de la volonté des citoyens du Sud-Est de l'Ukraine, par le biais du processus de négociation. Nous ne sommes pas intéressés par l'éclatement de l'Etat, ni par non-respect des droits de l'homme. Comme en témoigne le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), aujourd'hui il s'agit d'un conflit armé interne en Ukraine. Cela nous oblige à être guidés par les approches fixées par le droit international : le cessez-le-feu et le début des négociations. Nous respectons la volonté du peuple ukrainien. Mais le peuple doit avoir une possibilité d'envisager quels accords peuvent être atteints sans qu'ils soient imposés, non lors de la guerre et les bombardements, mais dans les conditions du cessez-le-feu. Nous voulons que les Russes en Ukraine vivent avec les Ukrainiens, Hongrois, Roumains et d'autres nationalités tout comme ils ont l'habitude de vivre, qu'ils soient respectés et que leurs droits soient garantis. Dans notre intérêt commun de préserver une grande population russe de l'Ukraine, qu'elle soit confortable pour les Russes, et afin que nous ne soyons poussés à « découper » un monde russe morceau par morceau, où c'est possible. Mais ce n'est pas le cas. C'est une situation complètement différente par rapport à ce qui s'est passé dans la Crimée. Là, nous avons pu constater l'initiative et la volonté de plus de 90% de Criméens, et ce qui n'a jamais été remise en cause. Nous ne pouvons pas affirmer que seulement se désassociant de l'Ukraine, les Russes vont vivre confortablement. Nous voulons que les Russes vivent confortablement en Ukraine, en Moldavie où ailleurs. Leurs droits doivent être protégés conformément à leurs traditions et intérêts. Nous essayons de nous en occuper. Mais d'abord il faut arrêter la guerre, et alors il sera clair, si c'est possible ou non.
Question: Combien de réfugiés ukrainiens sont maintenant sur le territoire de la Fédération de Russie? Combien d'argent a été alloué dans ce cadre? Comment cela peut affecter l'économie nationale, maintenant et dans l'avenir? Qu'est-ce qu'on va faire avec eux?
S.Lavrov: A ce sujet j'ai une information objective sur la base des rapports qui ont été récemment publiés par le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires et le Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Ces données caractérisent la situation humanitaire dans le Sud-Est de l'Ukraine. La région de Lougansk est pratiquement privée d'eau, il y a la pénurie de nourriture et de médicaments; 75 villes de Donbass restent sans électricité , 4 millions de personnes se trouvent dans la zone de conflit, 290 écoles ont été détruites ou endommagées. Durant la dernière semaine plus de 22 mille personnes ont fui Donetsk et Lougansk (ce sont, je le répète, les données de l'ONU). En outre, les réfugiés ont peur d'utiliser les «couloirs», fournit par Kiev, parce qu'ils ne sont pas sans danger. Selon l'ONU, le 18 août des gens, essayant de quitter la zone des conflits, sont devenus cibles de tirs. C'est ce qui nous considérons inacceptable.
En plus de la peur des hostilités, il y a la peur de la mobilisation forcée dans les régions de l'Ukraine, où viennent les gens du Sud-Est. Ceux qui restent en Ukraine, ne sont pas appelés des réfugiés, mais des personnes déplacées à l'intérieur du pays. Ils constituent 190 mille de personnes, dont 92% les habitants du Sud-Est de l'Ukraine. Selon l'ONU, seulement 8% de population ont quitté la Crimée, donc le territoire de la Fédération de Russie, pour se rendre en Ukraine, et le processus est terminé. Environ 17 mille personnes des régions du sud-est se sont rendues en Crimée et veulent y rester. Les habitants du Sud-Est qui se sont rendus dans les autres régions de l'Ukraine, veulent revenir, ce qui confirma également la nécessité de permettre les réfugiés de vivre où ils veulent. Selon l'ONU, la position de ceux qui ont fui vers d'autres régions de l'Ukraine est très difficile. Le pays n'a pas de législation sur les personnes déplacées à l'intérieur, c'est pourquoi ils ne reçoivent pas de documents confirmant leur statut. Et s'il n'y a pas de documents et système d'enregistrement central, ces gens ne peuvent pas trouver un emploi, d'accorder des prêts pour obtenir des moyens de subsistance. Les rapports des structures de l'ONU attirent l'attention sur ce sujet.
Dans certaines villes, où les personnes déplacées se retrouvent, notamment Odessa, Kharkiv et Kherson, on a enregistré une croissance de l'attitude négative, même agressive envers les immigrants. Dans un de mes discours, j'ai déjà cité les faits que le président de l'administration régionale d'Odessa I.Palitsa a déclaré qu'Odessa n'a pas besoin de réfugiés du Sud-Est de l'Ukraine, et elle n'accordera non plus de contributions au budget du pays pour la restauration de cette région, etc. Ceci a toute apparence des nettoyages ethniques.
Quant aux réfugiés, 25 mille personnes sont parties pour la Biélorussie, 1250 mille en Pologne, en Russie, selon les données officielles de l'ONU, 207 mille personnes, dont 88 000 ont demandé une protection temporaire, et 119 mille personnes ont demandé le statut de résident temporaire ou la citoyenneté. Il est souligné que le nombre de citoyens ukrainiens en Russie peut être sensiblement supérieure. Selon nos données, leur nombre pourrait s'élever à un million de personnes. Mais les chiffres incluent ceux qui sont entrés dans le pays au cours des dernières années. Si on prend en compte les travailleurs migrants, cela serait évidemment quelques millions de personnes.
Les rapports de l'Office du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés donnent une note positive aux mesures prises par le gouvernement de la Russie et les régions qui accueillent les réfugiés. C'est la région de Rostov, qui accueillent le plus de réfugiés, mais maintenant les programmes sont mis en œuvre pour rediriger les migrants dans d'autres régions en fonction de leurs souhaits. Compte tenu de leur profession civile, ils choisissent des zones industrielles ou agricoles de la Fédération de Russie jusqu'au Kamtchatka. Dans les conversations avec les experts de l'ONU, qui ont visité les camps de réfugiés, les gens sont pour la plupart heureux qu'ils se sont échappés de la guerre, et s'attendent à s'installer en Russie.
Je ne sais pas à combien s'élève le coût. C'est évident que le montant est important : il faut équiper des logements temporaires, organiser l'alimentation, fournir des moyens pour la réinstallation des familles dans d'autres régions. Mais ça vaut le coup, parce qu'il s'agit des Slaves, dont la plupart est orthodoxe.
Question: Dans certains atlas utilisés dans les écoles chinoises, la Sibérie figure comme des «terres temporairement perdues ». Est-ce que cela représente une menace réelle pour nous ?
S.Lavrov: Il n'y a aucune menace. À l'époque, nous avons également payé l'attention sur ces atlas et informé nos amis chinois. Ils assurent que ces atlas n'ont aucun rapport avec la politique pratique, et que la situation serait corrigée. Ceci prend un certain temps. Dans notre travail nous ne nous basons pas sur des atlas, mais sur un ensemble de traités de frontières que nous avons signé avec la Chine, ratifiés et pieusement respectés dans la pratique. Nous et les Chinois croyons que la situation juridique internationale qui s'est développée entre les deux pays, et assure un partenariat stratégique entre nos deux pays et peuples.
Question: Vous avez parlé des attitudes négatives envers les réfugiés en Ukraine. Y a-t-il de telles manifestations en Russie? Quelle est la politique de la Russie à long terme envers les réfugiés? Qu'est-ce qui va arriver à ces gens une fois le conflit résolu?
S.Lavrov: La politique de la Russie est déterminée par ses lois et engagements internationaux, y compris la participation aux conventions internationales sur les droits de l'homme et des réfugiés. Si une personne s'adresse à notre pays pour demander un statut sur le territoire de la Fédération de Russie, ce statut est accordé en vertu des critères requis. Dans ce cas, ces critères ont été assouplis, car avant même la phase aiguë des vagues de crise et l'afflux de réfugiés ukrainiens, la législation sur la citoyenneté a été modifiée, selon laquelle les locuteurs natifs de la langue et la culture russes bénéficient des conditions facilitées pour obtenir la citoyenneté. La grande majorité des réfugiés en provenance d'Ukraine répond à ces critères. S'ils introduisent la demande pour un tel statut, elle est examinée de manière positive et constructive.
Honnêtement, je n'ai jamais entendu parler d'une attitude négative par rapport aux réfugiés dans certaines régions où ils viennent. Je pense que nos médias qui couvrent cette situation, auraient attiré l'attention à ce sujet. Cela m'intéresse également, dans quelles régions une attitude négative s'est manifestée. Je comprends que les gens sont différents, et parmi les réfugiés peuvent se trouver des individuels antipathiques. Tout est individuel. Cela fait partie des relations humaines.
Question: Au cours de « l'opération anti-terroriste» dans le Sud-Est de l'Ukraine, des crimes de guerre contre des civils sont nombreux. Est-ce que la Fédération de Russie envisage à prendre dans ce cadre des efforts diplomatiques visant à convoquer un tribunal international pour crimes de guerre en Ukraine?
S.Lavrov: Je pense qu'il n'est pas nécessaire de multiplier les tribunaux pour chaque conflit. Nous avons eu une telle expérience quand, après la guerre en Yougoslavie, un tribunal spécial a été créé, tout comme le Tribunal spécial pour le Rwanda dans le cadre d'un génocide. C'est contre-productif. Il y a d'autres institutions juridiques internationales : la Cour pénale internationale, au Statut de laquelle les autorités ukrainiennes ont exprimé l'intention de se joindre. Outre les organismes internationaux, il ne faut pas oublier les instruments nationaux. Le Comité d'enquête russe envisage la possibilité d'ouvrir de nouvelles affaires criminelles contre un certain nombre de dirigeants ukrainiens qui sont soupçonnés d'avoir commis des crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Quelques enquêtes sont déjà ouvertes, il y a de nouveaux, y compris celle de l'attaque contre le consulat général de la Fédération de Russie à Odessa.
Les mécanismes qui peuvent et doivent être utilisés ne manquent pas. Comme c'est le cas avec d'autres conflits, je crois que la justice doit prévaloir et les auteurs doivent être traduits en justice. Nous insistons pour que personne n'essaie de « balayer sous le tapis » l'affaire des snipers en février dernier sur le Maïdan, une terrible tragédie à Odessa le 2 mai dernier, des événements similaires à Mariupol, les frappes aériennes sur le Conseil régional de Lougansk, des villages et des grandes villes, ainsi que la tragédie du Boeing malaisien. Au début chacun de ces épisodes a provoqué beaucoup de bruit et d'accusations - si vous vous souvenez, à Odessa les manifestants auraient brûlé eux-mêmes, à Lougansk il ne s'agissait pas d'une attaque aérienne et des tirs des missiles antiaériens portatifs de l'intérieur du bâtiment de l'administration régionale, et qu'à cause du fonctionnement de l'air conditionné, le projectile ne s'est pas envolé. Ce sont les histoires à dormir debout.
Nous ne laisserons pas « oublier » ces enquêtes. Encore une fois, comme dans tout autre conflit, ceci doit constituer la priorité. Nous ne devons rien perdre de vue, mais maintenant tous les efforts sont principalement axés sur la nécessité d'atteindre un cessez-le-feu. La justice doit punir les coupables de ces crimes, mais il faut d'abord résoudre une situation qui donne lieu à de nouveaux crimes de guerre.
Question: Vous avez dit que les pays occidentaux ont souvent recours à deux poids deux mesures. Lorsque la Crimée a été inclus dans la Fédération de Russie, la reconnaissant comme un sujet de droit, et les résultats du référendum à la Novorossia ont été pris en compte avec respect, mais cette région n'a pas été reconnue comme un sujet distinct du droit : n'est-ce pas un double standard?
S.Lavrov: En Crimée il s'agissait d'une situation unique, principalement parce que le référendum ne pouvait causer aucun problème du tout, puisque la quasi-totalité de la population (environ 90%) ont pris part au vote. L'accès a été ouvert aux journalistes, aux observateurs et tous ont pu s'assurer que le référendum s'est tenu librement et sans aucune influence. Il n'y a pas eu de doute que le résultat reflétait la volonté de l'écrasante majorité de la population.
Tout référendum qui aura lieu dans ce cadre-là, doit être considéré en termes de conditions qui les ont provoqués. Les référendums, tout comme les élections présidentielles en Ukraine, ont eu lieu seulement dans certaines parties du Sud-Est.
Si nous sommes formalistes, nous ne parviendrons pas à résoudre tous les problèmes. On nous demande pourquoi nous avons reconnu l'indépendance de la Crimée. Vous avez répondu à sa demande de rejoindre la Russie, mais pourquoi ne pas prendre des mesures similaires à l'égard d'autres régions, où vivent les Russes et les russophones? Nous n'avions pas d'autres options pour assurer la sécurité de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie, que par la reconnaissance de leur indépendance; nous avons pas eu de droit de ne pas reconnaître juridiquement la volonté du peuple de Crimée et de ne pas répondre à leur appel à la Fédération de Russie, qui était absolument sans alternative et il ne fait aucun doute. Tous les processus politiques qui ont lieu dans le cadre des combats, doivent être compris d'abord en termes de la nécessité d'arrêter le massacre et puis seulement passer à une discussion. C'est inévitable. Une approche formelle ne fonctionne pas dans ce cas.
Quant aux deux poids deux mesures, nous avons un seul standard : vivre sans guerre, et pour que les gens aient le droit de vivre comme ils veulent, sur le territoire de leurs pères et grands-pères. Pour qu'ils, comme dans ce cas, puissent avoir l'aide humanitaire, ou lieu de l'interdire. Nous avons eu tellement de soucis avec le premier convoi humanitaire quand une dizaine de jours nous avons dû attendre de longues procédures administratives fictives. Finalement notre patience a été épuisée, et l'aide humanitaire a été livré. Washington et les capitales occidentales ne faisaient que lancer des accusations et des insultes. On nous a reproché : « comment pouvez-vous apporter de l'aide humanitaire quand il n'y a pas de consentement de la part du gouvernement ukrainien? » Mais nous avons reçu ce consentement: on nous a envoyé une note qu'ils acceptent cette aide, puis ils ont commencé à jouer le jeu de logistique, d'organisation et d'autres.
Dans le même temps en Irak, sans demander l'avis de l'administration centrale, des avions assurent l'acheminement de l'aide humanitaire dans la capitale du Kurdistan irakien, où cette aide est très attendue, mais personne ne s'est adressé au gouvernement irakien. Le parlement irakien se demande pourquoi les avions de deux grands pays européens avec l'aide humanitaire atterrissent dans la ville d'Erbil dans Kurdistan irakiens, et ils n'en sont même pas au courant? En Syrie, on envoie de l'aide à l'opposition sans le consentement du gouvernement syrien. Maintenant les Américains ont déclaré qu'ils allaient bombarder les terroristes sur le territoire syrien, et ils n'ont pas besoin d'autorisation. Nous avons expliqué que ce serait une violation flagrante du droit international. Il faut lutter contre le terrorisme, et, Dieu merci, les Etats-Unis se sont enfin rappelé que les terroristes se battent principalement contre le président Bachar al-Assad. Mais pour les neutraliser il faut interagir avec le gouvernement syrien, au lieu de procéder à des bombardements sans en informer Damas.
Il y a un an et demi, dans le cadre du G8, nous avons décidé de faire appel au gouvernement syrien et l'opposition afin qu'ils unissent leurs forces dans la lutte contre le terrorisme. Cet accord a été signé par les présidents des Etats-Unis, la France et la chancelière allemande, qui puis ont commencé à dire qu'il fallait lutter contre le terrorisme, mais dans ce cas, les terroristes se battent pour la bonne cause, aidant à renverser un dictateur. C'est deux poids deux mesures « sur un plateau d'argent ». Nous allons le surmonter. L'affaire est complexe d'autant plus que nos partenaires occidentaux, principalement Washington, essaient de « nager à contre-courant de l'histoire » et de casser la tendance objective à la formation d'un monde polycentrique et juste, désirant de garder sous leur propre contrôle, ayant de l'exclusivité, comme l'a répété le président américain Barack Obama. Par conséquent, ils font tout ce qui est dans leur intérêt, malgré tout.
La stratégie de sécurité nationale américaine, adoptée en 2010, stipule que quand il s'agit de l'intérêt des États-Unis, ils agiront sans tenir compte du droit international, de façon unilatérale, y compris l'usage de la force. Dans son discours à l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2013, Barack Obama l'a confirmé, en disant que les intérêts des Etats-Unis au Proche-Orient et en Afrique du Nord permettent l'utilisation de la force ou de tout autre moyen possible de façon unilatérale. Mais où sont les États-Unis par rapport au Proche-Orient? À une distance de plusieurs milliers de kilomètres. Toutefois, lorsque le gouvernement syrien bombarde les terroristes qui ont occupé les villes syriennes, cela provoque de l'indignation et est considéré comme un crime contre l'humanité. Lorsque les dirigeants de Kiev utilisent des avions, de l'artillerie lourde, des missiles balistiques, plusieurs lanceurs de roquettes contre les villes ukrainiennes, ceci est appelé le droit de tout État de protéger son intégrité territoriale. Cela est dit avec une pause de deux jours et est répété constamment.
Nous voulons mettre fin à toute effusion de sang. Dans les conditions de paix, avec la tête froide, toutes les parties doivent se mettre à la table et comprendre comment cela s'est passé et ce qu'il faut faire pour éviter une répétition.