Allocution et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères par intérim Sergueï Lavrov lors d'une conférence de presse conjointe à l'issue de son entretien avec le Ministre philippin des Affaires étrangères Alan Peter Cayetano, Moscou, 15 mai 2018
Mesdames et messieurs,
L'entretien avec l'homologue philippin Alan Peter Cayetano a été, comme à l'habitude, très amical et substantiel.
Les Philippines sont un partenaire important et prometteur de la Russie dans la région Asie-Pacifique. Nous souhaitons renforcer notre partenariat dans tous les domaines, comme l'ont convenu nos présidents Vladimir Poutine et Rodrigo Duterte pendant la visite du dirigeant philippin à Moscou en 2017 et lors de la rencontre des deux dirigeants en marge du sommet de l'APEC à Da Nang en novembre 2017. Nous avons évoqué en détail la mise en œuvre actuelle des ententes conclues durant ces rencontres et avons noté un progrès significatif dans tous les domaines.
Nous souhaitons poursuivre le développement du dialogue politique dans différents formats, notamment lors des consultations régulières entre les ministères des Affaires étrangères, et élargir les échanges interparlementaires. Nous avons réaffirmé notre souhait mutuel de renforcer l'efficacité de la lutte conjointe contre le terrorisme international, le trafic de stupéfiants, le crime transnational, la piraterie et d'autres risques et défis transnationaux. A cet égard, nous avons noté l'importance des contacts établis entre les dirigeants des conseils de sécurité de la Russie et des Philippines. La prochaine réunion des secrétaires des conseils de sécurité de la Russie et des Philippines aura lieu vendredi 18 mai à Moscou.
Nous avons noté une augmentation considérable des échanges, bien que les chiffres absolus ne soient pas encore satisfaisants. Nous nous sommes prononcés pour une exploitation plus active du grand potentiel existant dans le domaine de l'agriculture, des transports, de l'énergie, des communications, des hautes technologies et de l'usage pacifique de l'énergie nucléaire. Nous sommes convaincus que la Commission russo-philippine conjointe pour la coopération commerciale et économique, qui a été créée très récemment et s'est réunie pour la première fois l'an dernier, permettra de réaliser ce potentiel dans tous les domaines mentionnés.
Nous avons analysé la mise en œuvre de plusieurs projets d'investissement avec la participation de compagnies russes aux Philippines dans l'infrastructure de transport et l'exploitation minière. Nous sommes convenus de continuer de contribuer au développement de la coopération militaire et militaro-technique pour faire suite aux ententes conclues l'an dernier pendant la visite du Ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou aux Philippines.
Les liens humains entre nos deux pays s'élargissent. Cette année sera organisée une semaine du cinéma russe aux Philippines, et le nombre de bourses accordées par le gouvernement russe aux citoyens philippins pour étudier dans nos universités a augmenté. Nous avons constaté avec satisfaction l'intérêt croissant des Philippins pour étudier le russe et nous avons remercié nos amis pour cela. Trois universités philippines dispensent déjà des cours de russe, notamment avec le soutien de la fondation Rousski Mir.
Nous avons évoqué en détail la nécessité de perfectionner la base juridique et contractuelle bilatérale. Nous avons passé en revue les documents en cours d'élaboration et sommes convenus d'accélérer leur mise au point.
Concernant les problèmes régionaux et internationaux, nous avons réaffirmé nos approches de plusieurs questions-clés de l'agenda régional et international. Ces approches de la Russie et des Philippines s'appuient sur le respect de tous les principes de la Charte de l'Onu, y compris les principes d'égalité souveraine des États, la non-ingérence dans les affaires intérieures et le règlement pacifique des litiges. Nous sommes convenus de mesures concrètes que nous prendrons en coordination avec les Philippines pendant les prochains forums de l'Onu dans le domaine socioéconomique et des droits de l'homme.
Nous nous sommes mis d'accord sur les actions à engager en amont de plusieurs activités de l'ANASE - les réunions annuelles régulières dans le cadre du partenariat de dialogue entre la Russie et l'ANASE, les forums de l'APEC, le Sommet de l'Asie orientale, le forum régional de l'ANASE, les rencontres des ministres de la Défense de l'ANASE et des pays partenaires de cette organisation et bien d'autres. Notre objectif commun consiste à renforcer la sécurité et à garantir un développement durable en Asie-Pacifique basé sur l'équité, le profit mutuel et la prise en compte des intérêts de tous les pays situés dans la région.
Question: Le Président russe Vladimir Poutine compte-t-il se rendre prochainement aux Philippines?
Sergueï Lavrov: En effet, mon homologue et ami a transmis un message du Président philippin Rodrigo Duterte adressé au Président russe Vladimir Poutine confirmant, entre autres, l'invitation transmise à notre chef de l’État en mai 2017 pendant la visite du Président philippin. Nous avons réaffirmé aujourd'hui notre souhait de poursuivre les contacts au sommet. Bien évidemment, ce sommet qui doit faire passer notre partenariat au niveau supérieur doit être couronné de résultats concrets. Aujourd'hui nous sommes convenus, je l'ai dit, d'accélérer la mise au point de documents importants préparés par nos institutions compétentes. En tant que chefs de diplomatie nous assurerons la coordination de ce travail. Nous avons des raisons de penser qu'il sera accéléré.
Question (traduite de l'anglais): En quoi l'accord bilatéral sur les migrants de travail en cours de préparation sera-t-il profitable pour la Russie et les Philippines?
Sergueï Lavrov: Nous voulons que les ouvriers philippins qui travaillent en Fédération de Russie soient socialement protégés. Beaucoup d'entre eux se sont retrouvés ici par le biais de sociétés privées qui, souvent, ne possèdent pas les licences nécessaires. Tout cela ne garantit pas la sécurité sociale des citoyens philippins qui travaillent en Russie. En signant l'accord dont la mise au point commencera conformément à notre entente d'aujourd'hui, nous réglerons ces problèmes. Nous avons de tels accords avec plusieurs pays, y compris des membres de l'ANASE.
Question: Le SBU (Service de sécurité d'Ukraine) a annoncé des perquisitions et le lancement de procédures d'instruction visant des structures médiatiques contrôlées par la Russie. Les agents du SBU se sont introduits aujourd'hui dans le bureau de RIA-Novosti Ukraine à Kiev et la journaliste se trouvant à l'intérieur est injoignable depuis. Nous avons appris également l'arrestation à Kiev du journaliste de RIA-Novosti Ukraine Kirill Vychinski. Que pouvez-vous dire de ces agissements des autorités ukrainiennes?
Sergueï Lavrov: Je l'ai appris littéralement aujourd'hui. Mais honnêtement, à mon plus grand regret, cela ne me surprend pas. C'est loin d'être la première situation de ce genre quand les autorités ukrainiennes ferment les yeux sur les sévices des casseurs radicaux néonazis qui cherchent à perturber le travail des journalistes russes en Ukraine ou, en l'occurrence, restreignent elles-mêmes l'activité.
Bien évidemment, nous travaillons sur cette situation. Nous exigerons un accès à nos citoyens. En ce qui concerne l'aspect médiatique des faits, les principes et les valeurs européennes telles que la liberté d'expression, et la garantie des conditions nécessaires pour le travail des journalistes, nous avons déjà attiré à plusieurs reprises l'attention de nos collègues occidentaux sur ce point dans le cadre de l'OSCE, du Conseil de l'Europe, pour dire qu'ils réagissaient avec beaucoup de retenue à ces exactions de leurs protégés à Kiev.
Je pense que les USA et les membres européens de l'OSCE doivent enfin s'exprimer sans deux poids deux mesures. Bien sûr, nous attendons des déclarations intransigeantes du représentant de l'OSCE pour la liberté des médias Harlem Désir. Je répète qu'à l'heure actuelle il est important pour nous de comprendre où se trouvent nos citoyens, comment ils sont traités et quelles sont les raisons de ces actes inadmissibles.
Question: Le Président américain Donald Trump a annoncé la sortie de l'accord iranien qui, on le sait, n'est pas un accord bilatéral. Quelle est la probabilité que l'accord soit maintenu si Washington tentait de faire pression sur les autres signataires de l'accord?
Sergueï Lavrov: Pour l'instant, toutes les autres parties du Plan d'action global commun pour le programme nucléaire iranien ont annoncé qu'elles restaient attachées à tous leurs engagements. Les représentants iraniens l'ont confirmé, notamment hier pendant la visite du Ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif en Russie. La Chine, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont également confirmé qu'ils restaient attachés à cet accord.
Nous voyons, comme vous l'avez si bien noté, qu'elles feront et font déjà l'objet de fortes pressions. Des ultimatums sont déjà avancés sur la nécessité de suspendre le commerce avec l'Iran, y compris les livraisons de certains produits et l'achat de pétrole iranien. Des délais sont annoncés – 60, 90 jours. C'est déjà un plan de pression massive. Mais nos partenaires européens nous disent qu'ils se préparent pour ne pas dépendre des USA dans leurs liens commerciaux et économiques avec l'Iran et comptent prendre des mesures compensatoires.
Nous souhaitons en parler avec tous les pays qui comptent rester dans le cadre de l'accord signé sur le programme nucléaire iranien. Nous verrons à quel point les Européens seront résistants cette fois. Par le passé, dans certains cas, ils cédaient au final à Washington manifestement au détriment de leurs intérêts légitimes.
Une chose est sûre: en se retirant du Plan d'action les USA ont perdu tous leurs droits par rapport à ce document dont plusieurs termes accordent certains droits aux signataires. Les USA (ils ne le nient pas) ont perdu ces droits.