16:18

Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre russe des Affaires étrangères, lors de la conférence de presse conjointe à l'issue de son entretien avec Sameh Choukri, Ministre égyptien des Affaires étrangères, Moscou, 16 mars 2016

484-16-03-2016

Mesdames et Messieurs,

Nous venons de terminer un entretien très complet avec mon homologue égyptien Sameh Choukri.

Nous nous sommes focalisés sur la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, théâtres d'importants conflits à l'heure actuelle. On y constate un accroissement de la menace terroriste et de l'extrémisme, qui pèsent sur un nombre toujours plus important de pays.

La Russie et l’Égypte ont réaffirmé leur position de principe selon laquelle tous les problèmes, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, devaient être réglés uniquement dans le cadre du droit international, à travers un dialogue incluant toutes les forces politiques d'un pays et dont l'objectif serait de parvenir à une entente nationale. Dans ce contexte, nous avons confirmé notre satisfaction quant à l'évolution positive des événements en Égypte. L'an dernier, les élections législatives ont permis de conclure avec succès le processus politique annoncé par les autorités égyptiennes en 2013. Nous souhaitons que la stabilisation de la situation en Égypte se reflète positivement sur les autres pays de la région.

Nous avons une position commune, que nous avons exprimée à plusieurs reprises, en ce qui concerne la crise syrienne: seul le peuple syrien peut décider du sort de son pays. Cette idée est fixée dans les documents du Groupe international de soutien à la Syrie (GISS), ainsi que dans plusieurs résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. La mise en œuvre de ce principe et des résolutions doit assurer une existence confortable et sûre à tous les groupes de population, le retour des réfugiés et le rétablissement du pays. Nous avons convenu de continuer à collaborer de manière rapprochée au sein du GISS dans la lignée des changements positifs atteints ces derniers temps - je veux parler de la mise en œuvre de l'initiative russo-américaine soutenue par le GISS concernant la fin des opérations, l'élargissement de l'accès humanitaire à la population dans le besoin et le début du processus de paix en Syrie. Sur tous ces axes on constate un progrès. Nous espérons que ce succès (il faut en parler pour l'instant avec beaucoup de prudence) sera consolidé au cours des négociations de Genève qui se poursuivront cette semaine et la suivante.

Nous avons échangé nos points de vue sur la situation au Yémen. Les principaux objectifs, selon nous, sont: cesser le feu au plus vite, ainsi que rétablir les consultations inter-yéménites pour lancer un processus de paix à part entière qui aurait pour résultat le rétablissement de la souveraineté yéménite et de la loi dans ce pays sur la base des décisions en la matière de l'Onu et de la Conférence sur le dialogue national. Nous soutenons les efforts entrepris dans ce sens par l'envoyé spécial du Secrétaire général de l'Onu pour le Yémen Ismail Ould Cheikh Ahmed.

Nous avons aussi évoqué la nécessité de lutter fermement contre les tentatives d'exacerber les contradictions interconfessionnelles dans la région, y compris entre les sunnites et les chiites. Nous avons partagé nos avis sur la manière de surmonter les différends qui perdurent voire s'approfondissent entre les représentants de ces deux courants de la grande religion qu'est l'islam. Nos collègues égyptiens nous comprennent et nous soutiennent.

Avec l’Égypte, nous proposons à tous les acteurs extérieurs de travailler de manière plus active et plus coordonnée pour normaliser la situation en Libye. L'accord signé à Skhirat a été salué par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui s'est également prononcé pour faire participer tous les acteurs libyens influents au dialogue national et au processus de réconciliation nationale, afin de former un gouvernement de transition véritablement inclusif. Nous espérons que cette approche permettra de renverser la situation et mènera à la création d'une armée et de forces de l'ordre communes, ce qui fait actuellement l'objet de sérieux litiges entre les parties libyennes.

Nous avons accordé une attention particulière à la nécessité d'entreprendre des démarches actives pour la désescalade des tensions actuelles sur les territoires palestiniens et en Israël. Il est très important de parvenir à une entente palestinienne pour que tous les citoyens s'unissent sur la plateforme commune de l'Organisation de libération de la Palestine et de l'Initiative de paix arabe. Sur ces mêmes principes, il est important de parvenir à relancer le processus de paix entre les Palestiniens et les Israéliens, de régler le conflit israélo-palestinien sur la base juridique internationale universellement reconnue.

Bien sûr, nous avons profité de notre entretien pour parler de la coopération bilatérale, avant tout dans le cadre de la mise en œuvre des accords conclus lors des réunions régulières entre les présidents de la Russie et de l’Égypte, ainsi que des accords convenus lors de la réunion de la Commission intergouvernementale pour la coopération commerciale et économique qui s'est réunie il y a plus d'un mois au Caire.

Nous avons noté de sérieux progrès dans plusieurs domaines stratégiques de coopération, notamment avec la construction d'une centrale nucléaire en Égypte, la création d'une zone industrielle russe, ainsi que des projets dans l'aviation civile et l'infrastructure ferroviaire. Nous avons exprimé notre satisfaction quant à la reprise des liens interparlementaires après leur interruption. A l'issue de la visite en Égypte, en janvier, de Sergueï Narychkine, Président de la Douma d'Etat de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, un accord a été conclu pour la création de "groupes d'amitié" auprès de nos parlements respectifs.

Nous avons évoqué la reprise des communications aériennes directes entre nos pays pour aider à accroître les échanges touristiques, qui se sont réduits pour des raisons évidentes. Nous avons convenu de régler le problème du rétablissement de la communication aérienne au plus vite, en assurant les plus hautes normes de sécurité pour les citoyens russes. Nous apprécions les contacts établis entre les services de l'aviation civile et d'autres organismes compétents russes et égyptiens pour venir à bout des procédures qui permettront de rétablir au plus vite la communication aérienne directe. Pendant ce temps, la Russie travaille activement à l'ouverture d'un Consulat général à Hurghada cette année. Ce sera important pour le développement des liens touristiques à l'avenir.

Dans l'ensemble, les résultats de notre entretien sont très positifs. Je suis convaincu qu'ils contribueront au développement de notre coopération diversifiée pour le bien de nos peuples.

Question: La chaîne Russia Today s'est récemment rendue dans le sud-est de la Turquie, où vit la population kurde. Nous sommes allés sur place après de nombreux messages indiquant que les forces turques y commettaient des crimes contre la population locale. Notre caméra a enregistré des images horribles de destruction des quartiers résidentiels civils, ainsi que les témoignages des habitants racontant comment des civils avaient été tués. Nous avons envoyé toutes ces vidéos aux organisations internationales mais n'avons reçu - dans le meilleur des cas - que des réponses évasives. Que pensez-vous de cette réaction? Faut-il mener une enquête dans le sud-est de la Turquie?

Sergueï Lavrov: Tout rapport, qui plus est documenté, sur les violations grossières et massives des droits de l'homme et du droit humanitaire international doit faire l'objet d'une investigation. Des procédures internationales existent pour cela. Le plus important est de les appliquer de manière impartiale et objective. C'est notre position fondamentale.

En ce qui concerne les résultats et les données préliminaires et intermédiaires des requêtes de la chaîne auprès des organisations internationales des droits de l'homme, qui ont envoyé comme vous l'avez dit des réponses évasives, pour me faire mon propre avis sur la question je vous demande de me faire parvenir les copies des requêtes et des documents obtenus en réponse.

Il est terrible que des faits de ce genre se produisent dans le cadre de conflits intérieurs. Il faut y accorder beaucoup d'attention dans le strict respect des engagements internationaux pris par les pays en matière de droits de l'homme et de respect du droit international. Mais les faits sont tout aussi sérieux quand cela se produit en violant la souveraineté et l'intégrité territoriale d'autres pays. Malheureusement, la Turquie est dans ce cas de figure. Nous savons quelles actions sont menées par les forces armées turques sur le territoire irakien, nous savons qu'il y a des bombardements des positions des rebelles kurdes en Syrie depuis le territoire turc. Une décision spéciale a été prise par la Ligue arabe vis-à-vis de l'Irak et de l'ingérence de la Turquie dans ses affaires intérieures.

Il n'y a pas si longtemps, un terrible attentat s'est produit à Ankara, après quoi les autorités russes et le Président russe Vladimir Poutine ont exprimé leurs condoléances aux proches des victimes et leur solidarité avec le peuple turc. Le jour même, le gouvernement turc a désigné les coupables de cet attentat. Rien n'a été dit sur l'enquête ni sur la manière dont elle a été organisée. Mais en annonçant immédiatement après l'attentat que les Kurdes étaient coupables - sous prétexte que les attentats avaient été organisés par des organisations kurdes - la Turquie a commencé à s'en servir comme justification des bombardements qui perdurent contre les territoires syriens où vivent traditionnellement les Kurdes. Je pense que dans le contexte des efforts entrepris par la communauté internationale pour régler le conflit en Syrie, pour assurer une participation à part entière de tous les groupes ethniques et confessionnels syriens aux négociations de paix et au cessez-le-feu, une telle attitude demande une réaction claire et ferme de la communauté internationale. Les actions de la Turquie sapent les efforts entrepris entre autres avec l'approbation du Conseil de sécurité des Nations unies, pour la trêve, la livraison des cargaisons humanitaires et le début du processus de paix.

Je souligne à nouveau que si vous avez des informations selon lesquelles les organisations internationales des droits de l'homme ne réagissent pas aux requêtes envoyées comme c'est prévu par les documents institutionnels, nous serons prêts à tirer les choses au clair et vous exprimer ensuite notre avis plus concrètement.

Question (adressée au Ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukri): L’Égypte est un acteur régional important. Certaines informations indiquent que le flux de terroristes via la frontière turque continue. Dans le contexte du retrait partiel des forces aériennes russes de Syrie, que pensez-vous des négociations entre Moscou et Washington sur la lutte contre le terrorisme en Syrie et dans la région?

Sergueï Lavrov (ajoute après Sameh Choukri): Je peux ajouter qu'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies est dédiée au problème des combattants terroristes étrangers. Il y a également une résolution relative au franchissement illégal des frontières extérieures de la Syrie pour envoyer des islamistes dans le pays et organiser des réseaux de contrebande que ce soit de pétrole, d'artefacts ou d'autres biens de valeur. Ces résolutions doivent être appliquées. Conformément à ces décisions, le Secrétaire général de l'Onu a été chargé de rendre compte au Conseil de sécurité des Nations unies de tous les aspects du respect de ces interdictions. Le premier rapport a été récemment présenté au Conseil de sécurité des Nations unies. Nous espérons que le prochain sera plus direct, objectif et honnête.

Question: Serait-il exagéré de dire que toute l’Égypte et nos amis russes attendent la décision très attendue de Moscou de rétablir la communication aérienne et le tourisme avec l’Égypte? Vous venez de dire que vous aviez évoqué ce problème avec notre ministre. Que doivent faire concrètement nos services et organisations pour accélérer la décision russe sur ce problème?

Sergueï Lavrov: Comme je l'ai dit, nous avons évoqué ce thème en détail. La Russie et l’Égypte souhaitent mettre au point au plus vite toutes les aspects nécessaires pour rétablir la communication aérienne directe. Les experts russes, après ce terrible attentat, sont entrés en contact avec leurs collègues égyptiens et ont été reçus dans un esprit de coopération maximale. Avec les spécialistes égyptiens, ils ont étudié la situation sur place. Des recommandations concrètes ont été formulées, qui selon nos spécialistes permettront d'assurer une sécurité fiable des citoyens russes qui partiront en Égypte ou d’Égypte en avion. Ces recommandations ont été étudiées par les spécialistes égyptiens. Si nous comprenons bien, presque toutes ont été soutenues. Actuellement se termine en Russie, au niveau interministériel, la mise au point du Mémorandum d'entente mutuelle entre le Ministère russe des Transports et le Ministère égyptien de l'Aviation civile. Un accord a été conclu pour prendre des mesures visant à accélérer au maximum ce processus. Je le répète: nous souhaitons que cette destination touristique parmi les plus populaires auprès des Russes le reste, et que tous les problèmes survenus suite à l'attentat soient réglés au plus vite. Je suis certain que cela ne prendra pas beaucoup de temps. Cela dépendra de la manière dont les spécialistes techniques et les professionnels termineront la mise au point des approches qui ont été globalement approuvées par les deux parties, mais qu'il faut traduire dans le langage concret des procédures qui sont actuellement mises au point.

Question: Le Secrétaire d’État américain John Kerry a déclaré qu'il comptait se rendre en Russie la semaine prochaine. Connaît-on la date exacte de la visite? Est-il prévu de donner une appréciation du processus de paix en Syrie durant l'entretien?

Sergueï Lavrov: Nous nous sommes entendus avec le Secrétaire d’État américain John Kerry sur sa visite en Russie. John Kerry l'a demandé et nous avons convenu d'organiser des entretiens au niveau des ministres des Affaires étrangères. Bien sûr, la Syrie fera partie des sujets centraux mais j'espère que nous parlerons également d'autres aspects de la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord car tout cela est interdépendant, surtout dans la mesure où Daech s'enracine dans un nombre grandissant de pays.

Nous avons accordé une attention particulière à la nécessité d'entreprendre des démarches actives pour la désescalade des tensions actuelles sur les territoires palestiniens et en Israël. Il est très important de parvenir à une entente palestinienne pour que tous les citoyens s'unissent sur la plateforme commune de l'Organisation de libération de la Palestine et de l'Initiative de paix arabe. Sur ces mêmes principes, il est important de parvenir à relancer le processus de paix entre les Palestiniens et les Israéliens, de régler le conflit israélo-palestinien sur la base juridique internationale universellement reconnue.

Bien sûr, nous avons profité de notre entretien pour parler de la coopération bilatérale, avant tout dans le cadre de la mise en œuvre des accords conclus lors des réunions régulières entre les présidents de la Russie et de l’Égypte, ainsi que des accords convenus lors de la réunion de la Commission intergouvernementale pour la coopération commerciale et économique qui s'est réunie il y a plus d'un mois au Caire.


Documents supplémentaires

  • Photos

Album de photos

1 de 1 photos dans l'album

Dates incorrectes
Outils supplémentaires de recherche