Allocution et réponses à la presse du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov pendant l'heure des questions à la Douma d'Etat de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, Moscou, 15 juin 2016
Monsieur le Président de la Douma,
Chers députés de la Douma d'Etat,
Avant tout, je voudrais exprimer ma gratitude pour une nouvelle invitation à intervenir dans le cadre de l'heure des questions à la Douma d'Etat de l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie.
Au Ministère russe des Affaires étrangères nous apprécions l'attention permanente des députés pour notre travail et les efforts pour mettre en œuvre la ligne de la politique étrangère fixée par le Président russe Vladimir Poutine. Je voudrais souligner avant tout qu'une coopération étroite entre le Ministère et l'Assemblée fédérale, les comités de la Douma et du Conseil de la Fédération permet non seulement de se mettre d'accord sur les approches des problèmes pertinents à l'agenda international, mais également d'assurer en pratique une efficacité maximale des efforts communs des pouvoirs exécutif et législatif dans le but de renforcer les positions du pays dans les affaires internationales.
Vous connaissez forcément les appréciations de la situation internationale exprimée à plusieurs occasions par le Président russe Vladimir Poutine, y compris lors de ses récentes visites en Biélorussie, au Kazakhstan, en Grèce et au sommet Russie-ANASE à Sotchi. Le Président russe Vladimir Poutine appelle les choses par leur nom, souligne la nécessité d'empêcher l'accroissement dans le monde d'un potentiel de conflit et confirme la disposition de la Russie à travailler ensemble avec tous les Etats pour créer un système de sécurité international moderne et non-aligné.
Les relations internationales traversent aujourd'hui un tournant associé à la formation continue d'une nouvelle architecture polycentrique. C'est une tendance objective qui reflète la diversité culturelle et civilisationnelle du monde contemporain, l'apparition et le renforcement de nouveaux centres de force et d'influence, la volonté naturelle des peuples à disposer d'eux-mêmes. Dans le même temps se renforce une concurrence globale dont les résultats prédéterminent les futurs contours de l'ordre mondial.
Sur fond d'aggravation de la menace terroriste, d'approfondissement de conflits régionaux et d'instabilité de l'économie mondiale, on ressent de plus en plus l'aspiration de nos partenaires occidentaux menés par les USA à obtenir une dominance globale par tous les moyens.
Les récents événements ont dévoilé le caractère illusoire de tels espoirs. Il est évident qu'aucun Etat, même le plus puissant, ou un groupe d'Etats ne peut prétendre à régler à lui seul les nombreux problèmes de notre époque.
Dans ces conditions nous avons besoin d'un travail diplomatique collectif basé sur une véritable égalité des principaux acteurs internationaux pour trouver des réponses optimales aux menaces et aux défis communs pour tous. Et la Russie se tient à une telle pratique et philosophie en politique étrangère en défendant ses intérêts nationaux, tandis que les USA et leurs alliés cherchent à créer un "front de dissuasion" antirusse dans l'esprit de la Guerre froide. Mais ils ne peuvent plus non plus nier la nécessité de coopérer avec la Russie, la sollicitation de la position russe sur les questions d'actualité.
A la tribune de l'Onu en septembre 2015 le Président russe Vladimir Poutine a avancé l'initiative de créer un large front antiterroriste sur une base juridique internationale solide et sous l'égide de 'Onu.
Pour appuyer cette initiative, notre aviation se trouvant en Syrie à la demande des autorités de ce pays avec l'armée syrienne et les rebelles ont contrecarré les plans des extrémistes visant à créer un avant-poste dans une région stratégiquement importante du Moyen-Orient.
La prise de conscience par les partenaires de la gravité du défi émanant de Daech, du Front al-Nosra et de leurs semblables, ainsi que la nécessité de coordonner les efforts avec nous a pris du temps. Néanmoins, on a réussi à avancer dans la mise en place d'un travail pratique. Sous la coprésidence de la Russie et des USA a été forme le Groupe international de soutien à la Syrie (GISS), des décisions ont été prises par le Conseil de sécurité des Nations unies approuvant le plan des tâches pour faire cesser le conflit, assurer l'accès humanitaire dans les régions bloquées et promouvoir le processus de paix sans conditions préalables et sans ingérence extérieure.
La Russie continuera de mener une politique indépendante, responsable et d'initiative s'appuyant sur la primauté du droit international, les méthodes collectives de règlement des problèmes internationaux avec un rôle central de l'Onu, la reconnaissance du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
A l'Onu, dans les Brics, à l'OCS, au G20 et dans d'autres formats multilatéraux nous promouvons un agenda unificateur en assurant un équilibre de la politique mondiale. Nous restons ouverts au développement d'une coopération équitable et mutuellement bénéfique avec tous les Etats et unions d'intégration ayant un intérêt réciproque.
Sachant que nul ne doit douter qu'en toute circonstance nous garantirons la sécurité de notre pays et de nos citoyens.
Nous constatons les tentatives qui continuent de faire pression sur nous, de déclencher une campagne antirusse pour nous forcer à renoncer aux approches de principe et morales des problèmes de l'ordre mondial. On constate également la volonté de réparer la discipline transatlantique à nos frais, tout en sapant les positions russes en tant que concurrent sur les marchés des hydrocarbures et de l'armement.
Nous n'avons pas l'intention d'entrer dans une confrontation qu'on nous impose que ce soit avec les USA, l'Otan ou l'Union européenne. Il est évident que les comportements conflictuels et les jeux géopolitiques à résultat nulle ne font que ralentir les efforts pour assurer un développement mondial stable en générant des crises à l'instar de l'ukrainienne. Nous espérons que l'Occident a pris conscience de la nuisance d'encouragement des nationalistes radicaux et cherchera à faire remplir rigoureusement par Kiev les Accords de Minsk du 12 février 2015 par le biais d'un dialogue direct des autorités ukrainiennes avec Donetsk et Lougansk. Nous sommes prêts à coopérer pour atteindre cet objectif et aider à créer des conditions favorables pour régler les graves problèmes de l'Ukraine.
Les conflits dans l'espace de la CEI, comme dans toute autre région, peuvent être réglés uniquement de manière pacifique, par des moyens politiques, diplomatiques et autres non militaires. Cela concerne aussi bien la crise en Ukraine que les problèmes de la Transnistrie et du Haut Karabagh. L'importance, c'est de respecter les accords conclus par les parties et empêcher leur révision.
Nous sommes convaincus que toutes ces situations de crise seraient résolues bien plus facilement en surmontant les défauts systémiques dans le domaine de la coopération paneuropéenne et en supprimant les lignes de démarcation qui persistent. Nous appelons à entamer un travail pour créer un espace économique et humanitaire commun de l'Atlantique au Pacifique, s'appuyant sur l'architecture d'une sécurité équitable et indivisible. L'harmonisation des processus d'intégration européenne et eurasiatique pourrait devenir un pas important dans cette direction.
L'Union économique eurasiatique (UEE), malgré les difficultés connues, est devenue une organisation internationale moderne. Les décisions prises le 31 mai pendant la réunion du Conseil économique eurasiatique suprême à Astana visent à remplir des objectifs concrets de développement des pays qui en font partie et d'accroître leur compétitivité. Nous nous concentrons à la fois sur le renforcement de l'Etat de l'Union Russie-Biélorussie, sur la garantie d'une activité efficace de l'OTSC et sur le perfectionnement des méthodes de travail de la CEI.
Les processus d'intégration dans l'espace de la CEI ne marinent pas dans leur propre jus. Avec les partenaires nous cherchons à élargir les possibilités pour des projets mutuellement bénéfiques avec d'autres pays. La préparation d'un accord de coopération économique et commerciale entre l'UEE et la Chine est en cours, nous avons trouvé un accord de principe sur la recherche de solutions pour allier les plans de développement de l'UEE et du projet de la Ceinture économique de la Route de la soie, des négociations sont en cours sur la création d'une zone de libre-échange avec plusieurs pays des quatre coins du monde.
De nouveaux horizons s'ouvrent avec l'initiative du Président russe Vladimir Poutine pour le début des consultations entre les membres de l'UEE, de l'OCS et de l'ANASE pour créer à terme un partenariat économique eurasiatique global. Cette idée a suscité beaucoup d'intérêt au sommet Russie-ANASE qui s'est tenu à Sotchi les 19 et 20 mai.
A terme dans notre travail dans tous ces domaines nous nous appuierons sur notre partenariat stratégique avec la Chine, l'Inde et le Vietnam, nous élargirons la coopération avec d'autres pays de la région Asie-Pacifique, y compris compte tenu de la décision concernant les tâches d'envergure pour le développement de la Sibérie et de l'Extrême-Orient.
L'OCS devient un important garant de la stabilité et de la sécurité régionale. Son potentiel se renforcera davantage avec l'achèvement du processus d'adhésion de l'Inde et du Pakistan en tant que membres à part entière.
La consolidation des Brics prend également de l'ampleur. On crée dans ce format des mécanismes permanents de coopération, on élabore des approches communes pour régler les questions relatives à la démocratisation des relations internationales.
Chers collègues,
Avant de terminer mon allocution, je voudrais remercier les députés pour l'approbation du projet de loi fédérale sur l'Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la Fédération de Russie (dans un Etat étranger) et le Représentant permanent (représentant, observateur permanent) de la Fédération de Russie après d'une organisation internationale (dans un Etat étranger). Si j'ai bien compris, le Conseil de la Fédération de l'Assemblée fédérale russe a également témoigné son soutien. Nous apprécions hautement les efforts que vous entreprenez pour soutenir notre service diplomatique. Cela contribue indéniablement à une mise en œuvre efficace de la politique étrangère russe.
D'ici quelques jours sera lancée la campagne électorale pour les élections de députés à la Douma d'Etat de l'Assemblée fédérale de 7e convocation, qui se tiendront le 18 septembre. Le Ministère russe des Affaires étrangères accorde une attention prioritaire à la préparation minutieuse et au déroulement des législatives à l'étranger et fait tout pour qu'elles se déroulent avec succès. C'est encore un domaine où nous coopérons avec les députés de la Douma depuis plusieurs années.
Merci pour votre attention. Avant notre réunion d'aujourd'hui nous avons reçu des questions écrites de différentes fractions auxquelles ont été données des réponses écrites. Mais je suis prêt à répondre à toutes vos questions.
Question: L'attention du monde entier est rivée sur la lutte contre le terrorisme international en Syrie et en Irak. Dans le même temps, Daech tente d'élargir son influence en Afrique du Nord, en particulier en Libye, détruite en 2011 suite à l'agression de l'Otan et de l'assassinat de Mouammar Kadhafi. Aujourd'hui, avec l'aide de la mission de l'Onu, les USA cherchent à maintenir au pouvoir des individus sous leur contrôle, y compris des terroristes explicites. La Libye n'est pas un pays qui nous est complètement étranger. L'URSS et la Russie ont formé de nombreux spécialistes civils et militaires, nous avons eu une large coopération économique et militaro-technique. A l'heure actuelle, selon les informations rapportées, les forces saines de la société libyenne opposent une résistance à Daech. Ne pensez-vous pas qu'il serait dans l'intérêt de la Russie de soutenir activement de telles forces dont le noyau est constitué par des individus qui gardent des sentiments historiquement amicaux envers notre pays?
Sergueï Lavrov: Nous n'avons jamais rompu le contact avec ces gens. Vous avez parfaitement raison en disant que la Libye est un exemple des résultats catastrophiques d'une politique de force irréfléchie pour renverser des régimes, d'une catastrophe causée par ceux qui ont grossièrement violé la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur la zone d'exclusion aérienne. Nous avons aujourd'hui ce que nous avons. Les conséquences de la crise libyenne se font sentir non seulement dans les pays voisins d'Afrique du Nord, mais également au Sahara-Sahel: au Tchad, en Centrafrique et au Mali. Daech et les groupes terroristes alliés combattent en grande partie avec les armes qui ont été, en transgressant l'embargo de l'Onu, illégalement livrées d'Europe et de certains pays du Moyen-Orient voulant renverser le régime de Mouammar Kadhafi. Aujourd'hui nous ressentons que nos collègues occidentaux et surtout les collègues dans la région, comme l'Egypte, ont parfaitement conscience de la nécessité de surmonter les conséquences de la conduite irréfléchie de l'Occident et de tout faire pour rétablir l'unité nationale du peuple libyen.
Je suis au courant des tentatives d'ignorer des unités relativement importantes des tribus libyennes qui combattent le plus efficacement Daech qui s'est déjà enraciné dans plusieurs régions de la Libye. Il y a la décision prise au Maroc le 17 décembre 2015 et approuvé par le Conseil de sécurité des Nations unies – l'accord de Skhirat, conformément auquel doit être créé un gouvernement d'unité nationale. La création de ce gouvernement en conformité avec l'accord de Skhirat doit être approuvé et ratifié par le parlement libyen siégeant à Tobrouk et reconnu comme légitime par la communauté internationale. Nous collègues occidentaux sont tentés d'ignorer cette partie des accords et se concentrer sur le soutien d'individus qui dirigent le gouvernement d'unité nationale mais n'arrivent même pas à se rendre à Tripoli, car pour des raisons de sécurité ils se trouvent dans une base aérienne près de la ville.
Nous sommes persuadés de la nécessité d'unir les forces libyennes et seulement après se tourner vers les requêtes envers la communauté internationale avancées par le peuple libyen uni. Je vous assure que les personnes qui se souviennent de nos liens n'ont jamais rompu le contact avec nous. Nous coopérons avec eux et les soutenons dans leur aspiration à l'entente et au dialogue national.
Question: Je suis certain qu'au fond le sport ne vous laisse pas indifférent et vous trouvez certainement dans votre emploi du temps chargé le temps pour suivre l'Euro en France. Les troubles au stade de Marseille et dans la ville n'ont aucune justification et doivent être sanctionnés. Néanmoins, il existe un certain parti pris des autorités françaises à l'égard des supporters russes. Par exemple, la police de Cannes a arrêté hier un bus avec nos supporters pendant plus de 10 heures sans explications. Les passagers n'étaient pas autorisés à quitter le bus et ne recevaient pas d'eau jusqu'à l'arrivée du consul russe. Comment le Ministère russe des Affaires étrangères a-t-il l'intention de soutenir les supporters qui se trouvent en France?
Sergueï Lavrov: Je suis entièrement d'accord avec vous. Il s'agit d'un incident complètement inadmissible quand un bus avec plus de 40 supporters russes a été arrêté. Ils ont été sommés de sortir pour vérifier leurs papiers et identités. Au même moment, quand l'interpellation avait lieu, les autorités françaises étaient obligées d'en informer notre Ambassade ou Consulat général à Marseille. Cela n'a pas été fait. Les représentants de nos établissements à l'étranger se sont rendus immédiatement sur les lieux en l'apprenant sur les réseaux sociaux où les supporters ont publié leurs commentaires. Il s'est avéré que les Français étaient déjà prêts à appeler des forces spéciales pour lancer l'assaut contre le bus. C'était une situation absolument inadmissible, mais nos diplomates ont réussi à l'apaiser et à établir un certain dialogue. Les Français ont enfreint leurs engagements par rapport à la Convention de Genève – c'est un fait. J'ai déjà envoyé un message oral au Ministre français des Affaires étrangères en exigeant de ne plus tolérer de telles infractions.
Quant au fond général sur lequel se déroule l'Euro, je suis d'accord avec vous et je trouve inadmissible de se comporter comme l'ont fait certains de nos citoyens venus avec des feux et des pétards. Tout cela est formellement interdit. Nous savons que dans le championnat russe également les tentatives de tels supporters de gâcher la fête aux autres suscite un total rejet. Dans le même temps, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur le fait qu'on tente d'ignorer les provocations flagrantes des supporters d'autres pays. Vous avez probablement vu des images révoltantes à la télévision quand on piétine le drapeau russe en criant des insultes visant les dirigeants du pays et les grands sportifs russes. Evidemment, il ne faut pas se laisser aller jusqu’au pugilat quoi qu'il arrive, mais il est également inadmissible d'ignorer les provocateurs qui cherchent sournoisement à créer un conflit
Comme je l'ai déjà dit, nos diplomates travailleront en régime permanent avec les autorités françaises.
Question: Les partenaires occidentaux, notamment les pays de l'UE, ont déclaré à plusieurs reprises que l'accomplissement des Accords de Minsk était une condition pour lever les sanctions antirusses. Dans le même temps, les capitales européennes ont déjà commencé à prendre conscience du fait que la principale raison de leur atermoiement était la position non constructive de Kiev. Est-ce que cela signifie qu'ils sont prêts à cesser d'insister sur l'association intransigeante entre les sanctions contre la Russie et la mise en œuvre des Accords de Minsk bloquée par Kiev. En d'autres termes, que pouvons-nous attendre des pays de l'UE? Que pensez-vous des perspectives de la levée réciproque des sanctions contre tous les députés comme un éventuel premier pas l'un vers l'autre?
Sergueï Lavrov: En effet, nous avons une approche "créative" de la situation. Nous ne nous dérobons pas et ne cherchons pas à persuader nos partenaires européens et américains à lever les sanctions contre nous, je fais allusion aux sanctions économiques, sectorielles et financières. Nous sommes certains que la Russie n'en est pas digne. C'est à ceux qui ont décrété ces sanctions de décider ce qui doit être fait avec l'impasse qu'ils ont provoquée dans les relations. D'ailleurs, cette impasse s'érode peu à peu. Comme le confirme la liste des participants au Forum économique mondial de Saint-Pétersbourg qui s'ouvre demain.
Nous entendons en permanence nos collègues européens assurer que les sanctions seront levées immédiatement après l'exécution des Accords de Minsk, sachant que, comme vous l'avez dit, ils partent du fait que c'est à la Russie de les remplir. Cela a été inventé par nos collègues européens dans l'espoir de trouver le moindre compromis entre ceux qui s'opposaient au prolongement des sanctions et ceux qui insistaient pour ne jamais lever les sanctions, même après le règlement de la crise ukrainienne parce que la Russie "se comporte mal sur la scène internationale". Je ne plaisante pas, c'était une citation d'un débat en UE. Ils cherchent aujourd'hui à se convaincre eux-mêmes, vous voyez?
Nous ne souvenons jamais le thème des sanctions en premier. Ils disent eux-mêmes que tout se normalisera après le règlement de la crise ukrainienne, ils se persuadent qu'il faut faire revenir la Russie dans le G8. Nous n'entreprenons aucune initiative à ce sujet et ne le ferons pas. Nous avons déjà entendu de nombreuses fois qu'il n'y aura plus d'affaires comme avant. Et c'est avant tout notre position. Nous n'attendrons plus d'être invités quelque part. Nous réaliserons nos objectifs en politique étrangère en coopérant avec ceux qui sont prêts à travailler avec nous sur une base de parfaite équité et de profit mutuel.
En disant cela à propos des sanctions économiques et financières, je voudrais noter en ce qui concerne les interdictions de séjour des députés – ça dépasse tout entendement. Je pense qu'il est important de lever ces restrictions, avant tout pour que les "élus du peuple" – européen et eurasiatique – puissent directement communiquer entre eux. Ceux qui décrètent de telles sanctions craignent une telle communication directe entre les députés. C'est honteux.
Question: Monsieur Lavrov, une société de consultation britannique pas très amicale envers nous a inscrit hier la Russie dans la liste de 30 qui utilisent le plus efficacement la "puissance douce" (soft power) pour promouvoir ses valeurs dans le monde. Ce résultat mensuel s'explique par plusieurs facteurs, à commencer par l'intensification du travail avec nos compatriotes à l'étranger et en terminant par l'élargissement de la diffusion de Russia Today dans le monde. Par ailleurs, il faut défendre les acquis, et plus on approchera du sommet du classement, plus ce sera dur. Question: si l'information que les nouvelles autorités argentines ont décidé d'exclure Russia Today de la liste gratuite des chaînes était confirmée, peut-on espérer que cette démarche hostile ne passera pas inaperçue?
Sergueï Lavrov: Je pense que l'efficacité du travail en termes de ce qu'on appelle puissance douce ne se mesure pas uniquement par des classements, mais plutôt par des résultats concrets dans différents pays. Les tentatives du Royaume-Uni et des USA de mettre les bâtons dans les roues de la chaîne Russia Today en disent déjà long. Par conséquent ils ont prouvé leur efficacité. Ils ont prouvé qu'ils apportent un point de vue alternatif jusqu'à la population et cela préoccupe les autorités des pays concernés. Et, bien sûr, le fait que pratiquement tous les médias russes et russophones soient interdits en Ukraine indique que cette forme de travail est efficace.
En ce qui concerne l'Argentine, après les premières annonces que Russia Today pourrait être rayée de la liste des chaînes gratuites, les représentants argentins nous ont immédiatement transmis qu'aucune décision n'avait été prise à ce sujet, qu'ils étaient en cours de réflexion sur la manière d'incorporer certaines chaînes régionales argentines dans le réseau gratuit. Et ils ont demandé de ne pas prendre cet événement comme quelque chose d'antirusse, comme si tout était déjà prédéterminé. Nous verrons. Je pense que si cette idée soumise par l'organisme chargée de la télédiffusion était confirmée ou approuvée, cela ne serait certainement pas perçu comme un geste amical qui correspond au partenariat stratégique entre la Russie et l'Argentine, comme un geste qui correspondrait à l'atmosphère dans laquelle nos présidents ont récemment communiqué par téléphone et ont confirmé la continuité de nos relations. Nous verrons.
Question: Monsieur Lavrov, nous vous sommes évidemment reconnaissants pour votre coopération, y compris sur la Syrie, notamment avec Mikhaïl Bogdanov, représentant spécial du Président russe pour le Moyen-Orient et l'Afrique, Vice-ministre des Affaires étrangères.
Je sais que vous participez à la préparation d'une grande visite du Président russe en Chine. Le Président de la Douma Sergueï Narychkine et le Président du Comité central du Parti communiste russe Guennadi Ziouganov se sont récemment entretenus avec des représentants chinois. D'où ma question. Comment voyez-vous les opportunités de renforcer la coopération du Parlement et du Ministère russe des Affaires étrangères pour remplir les tâches primordiales de notre coopération et alliance avec la Chine notamment en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, les projets communs dans la construction d'avions de nouvelle génération et dans la cosmonautique. Pensez-vous que le parlement sera davantage impliqué dans le règlement de telles questions, surtout après la future visite du Président.
Sergueï Lavrov: Je suis certain que le gage de notre réussite sur la scène internationale est la garantie d'une activité synchronisée, coordonnée et convenue de toutes les branches du pouvoir. Compte tenu des relations particulières entre la Douma d'Etat et entre les fractions d'une part, et les députés chinois de l'autre, je suis convaincu que c'est un élément primordial de notre stratégie vis-à-vis de la Chine. Nos relations avec la Chine connaissent une renaissance. Elles n'ont probablement jamais été aussi bonnes. Et ces relations englobent tous les domaines d'activité. Pour nous la Chine est l'unique pays avec lequel a été créé un mécanisme diversifié de coopération et d'accord de positions qui ne laisse de côté pratiquement aucun domaine d'activité. Le Vice-premier ministre préside plusieurs comités qui préparent des textes pour les réunions annuelles des chefs de gouvernement, par conséquent les chefs de gouvernement soumettent les questions les plus importantes aux sommets annuels. L'éventail de projets en cours de réalisation ou d'élaboration avec la Chine est effectivement impressionnant et concerne de plus en plus de secteurs de hautes technologies: ce sont des projets communs dans le domaine aéronautique et la poursuite de la coopération dans le domaine de l'énergie nucléaire. Je suis certain que le rôle de la Douma d'Etat et du Conseil de la Fédération ne consiste pas uniquement à ratifier les accords signés. Il est dans notre intérêt de prendre en compte votre avis au stade de préparation de nouvelles idées et initiatives, au stade de préparation d'une réaction aux propositions chinoises, et je trouve que ce travail a lieu. Nous sommes prêts à le poursuivre et à l'intensifier.
Question: Des médias rapportent des informations et nous sommes contactés par des citoyens dont des proches, des citoyens russes, sont retenus en Ukraine sans aucune raison valable. On arrête tout le monde: des retraités et des femmes. Et ce, sans respecter les règles consulaires, nous en sommes rarement informés – un véritable Moyen-âge. Dans des affaires fabriquées on interpelle tous ceux qui ont un passeport russe. Dans ce sens les voisins prennent manifestement exemple sur leurs tuteurs américains: inventer une affaire, piéger, kidnapper, mettre un sac sur la tête et jeter en prison, comme ce fut le cas avec Viktor Bout et Konstantin Iarochenko.
Ma question: le Ministère russe des Affaires étrangères dispose-t-il d'informations fiables, de listes de citoyens russes arrêtés en Ukraine. Mène-t-on un travail pour les identifier, les aider et les libérer. Il n'est pas question des procès publics, mais des individus qui ont pratiquement disparu aujourd'hui.
Sergueï Lavrov: Ce travail est mené, et pas seulement par le Ministère russe des Affaires étrangères. Nous coopérons avec d'autres institutions. La liste que nous avons n'est peut-être pas exhaustive, car très souvent les disparitions de nos citoyens ne sont rapportées à personne. Les proches l'ignorent, et en l'absence de proches nous ne pouvons pas obtenir de telles informations. Ce travail est en cours. Nous exigeons constamment d'éclairer ces questions. Le processus de concertation sur les échanges de prisonniers a lieu dans le cadre du Groupe de contact, et nous essayons de faire en sorte que dans tous les cas, dans le cadre ou en dehors des Accords de Minsk, tous ceux qui ont été arrêtés et restent en détention soient identifiés, et nous sommes prêts à nous occuper du sort de chacun de nos citoyens et nous le ferons. A l'étape actuelle, je ne peux pas entrer dans les détails, mais la question est parfaitement logique et c'est un axe prioritaire de notre travail vis-à-vis de l'Ukraine, et de l'Europe et de l'Amérique aussi, car sans l'influence de l'Occident on peut difficilement espérer que Kiev engagera des démarches normales en la matière.
Question: Les 2e Jeux mondiaux des jeunes compatriotes, qui se sont déroulés dans le cadre d'un projet initié par le parti Russie unie, se sont terminés il y a 6 semaines. Les enfants étaient ravis. Cette fois, près de 600 enfants de 46 pays y étaient venus. Ces Jeux ont été hautement appréciés non seulement par les enfants, mais également par pratiquement tous ceux qui les ont suivis, y compris le Président russe Vladimir Poutine. Pensez-vous qu'il est possible de rendre ces Jeux traditionnels, car ils ne sont pas "bureaucratisés" et suscitent une réaction positive des enfants dans bien des pays. Peut-on compter sur votre soutien pour organiser les 3e Jeux mondiaux?
Sergueï Lavrov: Nous avons soutenu depuis le début l'initiative de Russie uni lors de l'organisation des premiers Jeux. A l'époque nous n'avions pas d'expérience, mais grâce aux efforts communs nous avons assuré aux Jeux un tel succès, que ce n'est plus aujourd'hui un événement isolé, mais une véritable fête pour les enfants et les adolescents. C'est la meilleure appréciation de ce qui a été fait à l'initiative de Russie uni. Je suis favorable à ce que ces Jeux deviennent annuels. Nous y contribuerons par tous les moyens, y compris dans le cadre de la relation entre le Ministère des Affaires étrangères et la Douma d'Etat, Russie uni, ainsi que dans le cadre de la Commission gouvernementale pour les compatriotes à l'étranger, dont vous êtes également un membre permanent. Nous sommes entièrement favorables à ce que les initiatives de ce genre deviennent régulières et à ce qu'elles soient plus nombreuses.
Question: Nous observons avec beaucoup d'inquiétude les réfugiés, des individus avec une autre culture et vision du monde, remplir la "bonne et vieille" Europe. Ce n'est pas seulement une pression sur le système économique et social des Etats, mais également un changement sociodémographique de la composition de la population. Le fait est que la survie et le développement de toute nation nécessite un coefficient minimal de natalité qui ne doit pas être inférieur à 2,1%. Ce coefficient est de 1,35% en Europe. Cela signifie qu'en l'espace d'une courte période historique la composition de la population de l'Europe changera foncièrement. Théoriquement la Russie le risque également. Quelles mesures, selon vous, doivent être prises en politique étrangère et dans les relations avec d'autres pays pour sauvegarder la nation russe?
Sergueï Lavrov: C'est avant tout notre propre préoccupation. Il est possible d'emprunter l'expérience positive d'autres pays, par exemple stimuler la natalité ou le respect de la famille, la propagande d'une bonne hygiène de vie, y compris dans les relations entre les époux, entre un homme et une femme. La Russie prend des mesures pour stimuler la natalité. Vous êtes au courant du "capital maternité". Avec votre aide ce projet n'a pas seulement été prolongé, mais il devient également plus diversifié du point de vue des domaines pour son utilisation.
En ce qui concerne le Ministère russe des Affaires étrangères, dans le cadre des discussions internationales sur les problèmes de la maternité, de l'enfance et de la famille, nous préconisons constamment que, premièrement, ces problèmes ne soient pas mis dans l'ombre et, deuxièmement, qu'ils ne soient pas interprétés dans le sens des nouvelles tendances du tout-est-permis qui fleurissent en Europe. J'espère que des gens viendront chez nous également. Nous avons un programme de déménagement volontaire des compatriotes qui vivent à l'étranger. Il a prouvé son efficacité. Aujourd'hui une expérience a été accumulée et des centaines de milliers de personnes ont profité de cette opportunité. Je pense que c'est également une source de préservation de la nation, car nous recevons essentiellement des citoyens des républiques de l'ex-URSS qui ont vécu avec nous dans un même pays, considèrent notre culture comme leur propre, parlent russe et connaissent l'histoire de notre Etat.
Si vous avez des idées concrètes que le Ministère des Affaires étrangères pourrait utiliser pour atteindre cet objectif important, nous vous serions reconnaissants.
Monsieur Narychkine, merci.
Honnêtement, je n'avais pas pensé à un mot de la fin. Je voudrais exprimer ma gratitude à tous les députés et fractions pour leur attention accordée à l'activité du Ministère des Affaires étrangères, aux conseils que nous recevons périodiquement et que nous cherchons à prendre en compte dans la mesure du possible. Ils apportent généralement des idées intéressantes. Quoi qu'il en soit, la communication avec la Douma d'Etat est toujours encourageante. Je suis certain que ce fut le cas cette fois également.
Encore une fois merci pour votre coopération.