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Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d'une conférence de presse conjointe avec Annalena Baerbock, Ministre des Affaires étrangères de l'Allemagne, à l'issue de leurs pourparlers, Moscou, 18 janvier 2022

59-18-01-2022

Mesdames et messieurs,

Je voudrais saluer encore une fois la nouvelle Ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock. Nous nous étions déjà parlé au téléphone, mais il s'agit de notre première rencontre en personne. J'espère que sur sa base nous pourrons établir une coopération constructive et intéressée.

Nous avons évoqué en détail plusieurs questions essentielles de l'ordre du jour bilatéral. La Russie souhaite des relations de bon voisinage avec l'Allemagne, basées sur les principes d'équité, de respect et de prise en compte des intérêts réciproques. J'ai confirmé la disposition à une coopération globale avec le gouvernement allemand récemment constitué afin de surmonter les problèmes accumulés. Ils sont nombreux aussi bien dans le dialogue bilatéral que sur tout l'éventail de l'interaction de nos pays sur la scène internationale.

Le potentiel existe. Il est solide. Nous avons constaté une hausse considérable l'an dernier des échanges russo-allemands par rapport aux indicateurs de 2019-2020. Nous partons de la nécessité de déployer des efforts supplémentaires, notamment au niveau de l'État et entre les opérateurs économiques concernés, afin de maintenir cette dynamique positive. À cela contribuerait l'élargissement de la coopération dans des secteurs prometteurs tels que la santé, la protection du climat, l'efficacité énergétique, le développement de sources d'énergie renouvelable, de technologies hydrogène et écologiques.

Nous avons échangé nos avis sur les questions liées à la certification en cours et à la mise en service à venir du gazoduc Nord Stream 2. Il s'agit du plus grand projet commercial de la dernière décennie visant à garantir la sécurité énergétique de l'Allemagne et de toute l'Europe. Nous avons attiré l'attention des collègues allemands sur le caractère contre-productif des tentatives de politiser ce projet.

Nous avons abordé les problèmes auxquels la chaîne RT DE est confrontée en Allemagne. Nous avons exprimé nos attentes à cet égard. Nous sommes convaincus que les médias russes en Allemagne et les médias allemands en Russie doivent travailler à des conditions égales et non discriminatoires.

Nous nous sommes prononcés pour la reprise du travail et la mise à jour conceptuelle du Forum public russo-allemand Dialogue de Saint-Pétersbourg. Il est réjouissant que la plupart des participants, à la fois du côté de l'Allemagne et de la Russie, y soient favorables. Nous avons également soutenu le travail d'un autre Forum public: les Rencontres de Potsdam.

Nous avons échangé nos avis sur les problèmes internationaux d'actualité. Nous avons accordé beaucoup d'attention aux relations entre la Fédération de Russie et l'UE. Malheureusement, elles restent en grande partie prises en otage de la ligne antirusse de Bruxelles et d'un groupe de pays membres de l'UE adoptant une position antirusse.

Nous avons exprimé notre préoccupation vis-à-vis de la politique de l'Otan visant à endiguer la Fédération de Russie. À cet égard, nous avons attiré l'attention, nous avons parlé en détail des initiatives avancées par la Russie pour convenir de garanties de sécurité fiables et juridiquement contraignantes. Je rappelle que nous avons transmis ces garanties aux États-Unis et aux membres de l'Otan. Maintenant, nous attendons des réponses à nos propositions, comme cela a été promis, pour poursuivre les négociations.

En ce qui concerne l'Ukraine, nous sommes d'accord sur l'absence d'alternative aux Accords de Minsk. Nous avons attiré l'attention des partenaires sur l'inadmissibilité des tentatives de présenter la Russie en tant que partie au conflit (de telles tentatives ont été entreprises dernièrement) et de rejeter sur la Russie la responsabilité de l'absence de progrès dans la mise en œuvre des Accords de Minsk. Nous espérons que les collègues allemands influenceront leurs partenaires de Kiev pour qu'ils tiennent leurs engagements. Nous avons échangé nos points de vue sur les perspectives de l'interaction dans le cadre du Format Normandie et sur les démarches à engager pour apporter, dans le cadre de ce quartet, une contribution à la mise en œuvre des Accords de Minsk, avant tout à travers l'intensification du travail du Groupe de contact où sont représentés Kiev, Donetsk et Lougansk.

Nous avons également parlé de la situation à la frontière polono-biélorusse. Nous espérons que les parties intéressées feront tout pour régler cette crise à travers un dialogue avec les autorités biélorusses.

Nous avons parlé du recours au potentiel de maintien de la paix de l'Organisation du Traité de sécurité collective pour stabiliser la situation au Kazakhstan.

Nous avons également établi un dialogue avec l'Allemagne sur d'autres questions dans différents domaines, notamment sur la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La Russie a participé activement aux conférences sur la Libye à Berlin et à Paris. Nous souhaitons que les ententes conclues soient mises en œuvre au plus vite. Nous avons parlé et nous serons prêts à fournir des informations supplémentaires sur les efforts entrepris pour le processus de paix définitif en Syrie, pour régler les problèmes humanitaires et relancer l'économie de la Syrie. Nous coopérons assez productivement avec l'Allemagne pour créer les conditions afin de rétablir l'application à part entière du Plan d'action global commun sur le nucléaire iranien.

Autre thème sensible: l'Afghanistan. On constate une similitude d'approches sur les questions les plus fondamentales de l'ordre du jour afghan, cela concerne la prévention des menaces de propagation du terrorisme et du trafic de stupéfiants, les risques d'augmentation des flux migratoires et la nécessité d'apporter une aide humanitaire à la population.

Nous souhaitons, avec l'Allemagne, que la situation dans les Balkans évolue selon un scénario positif. Comme l'Allemagne, nous sommes membres du Comité directeur du Conseil de mise en œuvre de la paix en Bosnie-Herzégovine dans le cadre des accords signés à Dayton. Nous souhaitons rétablir la pratique du consensus dans le travail de ce mécanisme important.

La discussion a été très utile. Elle a porté sur toutes les questions sur lesquelles nos positions divergent encore. Mais l'échange d'avis a montré que nous pouvions avancer progressivement, surmonter ces divergences au profit de nos populations et des objectifs de la communauté internationale dans différentes régions critiques du monde.

Je remercie madame la Ministre et toute sa délégation pour ce travail conjoint.

Question: L'Allemagne souligne à tous les pourparlers et dans tous les formats sa disposition au dialogue avec la Russie, tout en disant constamment que de graves conséquences pourraient être entraînées si la Russie continuait "l'escalade" en Ukraine. Avez-vous évoqué aujourd'hui ces conséquences éventuelles lors de vos pourparlers?

Sergueï Lavrov: Nous avons parlé en détail de ce qui se passe en réalité en Ukraine et autour, notamment du sabotage des Accords de Minsk par le régime de Kiev. En se référant au texte de ces accords, nous avons pointé la nécessité de cesser ce sabotage et de commencer à agir selon la procédure exacte prévue par ce document, commencer à agir. Tout y est très clair. Il ne peut y avoir d'autre interprétation. Nous avons expliqué que "l'escalade" évoquée par certains politiciens occidentaux faisait référence à la présence de nos forces sur leur propre territoire, l'organisation d'activités nécessaires de formation militaire. Tous les pays le font. Nous avons expliqué que nous ne pouvions pas accepter d'exigences concernant les forces armées russes sur notre propre territoire.

Nous avons souligné qu'en exigeant de nous que nous renvoyions les unités dans les casernes (comme se sont exprimés des représentants américains), en même temps les membres de l'Otan déclarent que ce qui se passe sur le territoire otanien, notamment les déplacements des troupes (y compris les forces arrivées en Europe des États-Unis) ne concernent personne d'autre que les pays de l'Otan. Le deux poids deux mesures est flagrant.

En ce qui concerne les conséquences dont nous "menace" l'Allemagne. Je ne peux pas prévoir les démarches qui seront entreprises par le gouvernement allemand dans telle ou telle situation. Nous n'avons donné et ne donnons aucun prétexte pour causer une situation conflictuelle. Nous exigeons seulement que les ententes conclues soient scrupuleusement mises en œuvre. Cela concerne aussi bien les Accords de Minsk sabotés par le régime de Kiev que l'architecture de sécurité générale en Europe. Les propositions que nous avons soumises aux États-Unis et à l'Otan s'appuient sur la base solide des documents adoptés au sommet, y compris le sommet de l'OSCE à Istanbul en 1999 et à Astana en 2010. Tout y est clairement formulé. En effet, chaque pays a le droit de choisir ses alliances, mais une phrase stipule également que chaque pays doit assurer sa sécurité de manière à ne pas porter atteinte à celle d'autres pays. Nous avons demandé à nos collègues allemands, ainsi qu'américains, de nous expliquer comment ils interprétaient cette partie "concrète" des engagements en pratique.

Nous espérons que cette conversation se poursuivra. C'est une affaire sérieuse. On ne peut pas tarder en ce qui concerne l'adoption d'accords concrets en la matière.

Nous ne menaçons personne, mais nous entendons des menaces à notre égard. J'espère que tout cela reflète seulement certaines émotions provoquées par certaines forces dans le camp des pays occidentaux. Nous nous orienterons sur les démarches et les actions concrètes. Nous déciderons de notre réaction en fonction des démarches concrètes qui seront entreprises par nos partenaires.

Question: Après vos pourparlers, est-il probable que le Format Normandie se réunisse prochainement au niveau des Ministres des Affaires étrangères? Pouvez-vous indiquer un cadre temporel compte tenu de la globalité du conflit? Serait-il utile de faire participer à ce format d'autres pays, notamment les États-Unis?

Sergueï Lavrov: Notre position est bien connue. Pour nous, ce n'est pas "quand" qui est important, mais "pourquoi". S'il faut se rencontrer seulement pour que le président Zelenski puisse encore dire qu'à son initiative un groupe de dirigeants respectés s'est réuni et qu'il estime qu'à ce stade sa mission est accomplie, nous n'en avons pas besoin.

Un sommet du Format Normandie s'est tenu à Paris en 2019 où, lors de négociations difficiles, ont été formulées des démarches concrètes à remplir par les autorités de Kiev, approuvées par tous les participants. Rien n'a été fait en ce sens à ce jour. Il existe de nombreux exemples de sabotage par l'Ukraine des accords de cessez-le-feu conclus en juillet 2020. Il est important pour nous de comprendre au préalable de quoi il sera question à la réunion du Format Normandie à tel ou tel niveau. Ce travail est actuellement mené au niveau des conseillers diplomatiques, des dirigeants du Format Normandie. Nos approches sont fondées, claires et transparentes. Nous espérons que Berlin et Paris entendront ces approches répétées de nombreuses fois, parce que nous ne nourrissons pas d'espoirs en ce qui concerne Kiev. Il existe seulement l'espoir que Berlin et Paris forcent Vladimir Zelenski à mettre en œuvre ce qu'il a promis plusieurs fois de faire.

Comme l'a souligné à différentes occasions le Président russe Vladimir Poutine, en tant que membre du Groupe de contact et du Format Normandie nous contribuerons pleinement à la création des conditions favorables pour s'entendre sur la mise en pratique des Accords de Minsk. Nous le souhaitons sincèrement.

En ce qui concerne les États-Unis, ce thème a également été abordé plusieurs fois. Un représentant spécial de l'ancienne administration Trump à Washington au Département d'Etat américain s'occupait du processus de paix en Ukraine. Ses efforts étaient entrepris en parallèle avec le travail du Format Normandie et des réunions du Groupe de contact. Il avait une vision spécifique de qui devait faire quoi et comment. Soyons honnêtes, elle était contraire aux termes des Accords de Minsk. Mais j'ai déjà abordé ce sujet. Nous avons des raisons de croire que l'administration actuelle voit la situation ukrainienne de manière plus réaliste et reconnaît notamment la nécessité de régler avant tout les problèmes du statut particulier du Donbass.

Je vous assure que dès qu'il sera clair quels pouvoirs doivent obtenir Donetsk et Lougansk conformément aux Accords de Minsk, il sera bien plus simple de régler les autres problèmes. Maintenant, tout bute sur la volonté déclarée, évidente et législativement appuyée du régime de Kiev de bloquer les aspects politiques des Accords de Minsk et de faire dévier toutes les discussions vers des questions importantes mais secondaires.

Nous ne pourrions que saluer le fait qu'en plus des formats existants, les États-Unis puissent aider à avancer dans ce sens, parce qu'ils possèdent une influence décisive sur le régime de Kiev.

Question: Il est impossible de s'attendre à un soutien du gouvernement allemand à la diffusion de la chaîne RT. Peut-on l'attendre de la part du Ministère russe des Affaires étrangères? Si oui, sous quelle forme?

Sergueï Lavrov: Non seulement on peut s'y attendre, mais il est déjà apporté. Nous en avons de nouveau parlé aujourd'hui assez en détail. Au tout début de cette situation désagréable j'ai invité l'ambassadeur d'Allemagne. Ces discussions étaient menées à d'autres niveaux.

Nous sommes préoccupés par ce qui arrive à nos journalistes. Il existe des raisons de croire que le gouvernement allemand est directement lié à ces événements. Je rappelle qu'au début le service bancaire de nos journalistes a été suspendu, puis rétabli avec des signes optimistes. Mais ils devenaient de moins en moins nombreux. Quand RT DE a commencé à s'adresser à d'autres pays, je suis certain que c'est Berlin qui a tout fait pour qu'une telle autorisation ne soit pas délivrée dans d'autres capitales. Au final, la Serbie l'a accordée, mais malgré l'obtention de toutes les autorisations en parfaite conformité avec la Convention européenne sur la télévision transfrontière, le régulateur allemand a bloqué le signal satellite de diffusion. Nous estimons que c'est une ingérence dans l'activité de journalistes indépendants. C'est contraire non seulement à la Convention européenne sur la télévision transfrontière, mais également aux nombreuses conventions de l'Unesco, du Conseil de l'Europe, aux accords de l'OSCE sur l'inadmissibilité d'empêcher l'accès à l'information. Nous espérons que l'Allemagne, en tant que membre de ces accords internationaux, prendra des mesures qui ne discrimineront pas la chaîne RT DE. Nous voudrions que cela soit réglé. Nous ne voulons pas du tout agir de manière symétrique. À l'étape actuelle, nous attendons des actions concrètes de la part de nos partenaires allemands. Je ne parlerai même pas des actions qui doivent être entreprises. Il est important pour nous que les journalistes russes se sentent à l'aise et ne soient pas discriminés. Quand nous recevrons de la part de nos journalistes une telle appréciation de la situation, alors elle sera réglée.

Nous ne voulons pas causer d'obstacles à l'exercice de l'activité professionnelle des journalistes allemands en Fédération de Russie. Si besoin, nous serions contraints, même si nous voudrions l'éviter, de prendre des contre-mesures.

 

 

 


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