Interview de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, dans l'émission Le Grand jeu sur Pervy Kanal, Moscou, 28 décembre 2022
Question: Il y a quelques années, je discutais avec l'ancien Secrétaire d'État américain Henry Kissinger. Je venais de revenir de Moscou et lui ai dit que si la politique des États-Unis et de l'Otan visant à ignorer les préoccupations russes, et ce, avec un air satisfait, continuait, la Russie serait obligée d'utiliser la force. Henry Kissinger a répondu que si nous le faisions, nous subirions un grand préjudice et toute l'Otan s'unirait contre nous.
Il avait raison: l'Occident collectif s'est uni en réponse à l'opération militaire spéciale et a fait preuve d'une plus grande cohésion que beaucoup d'entre nous ne s'attendaient. Moscou ne donne certainement pas l'impression d'une "ville" qui a flanché et doute de sa justesse et de sa force.
Quelles perspectives d'escalade des hostilités voyez-vous, d'un côté, et de l'autre, des négociations sérieuses l'année prochaine?
Sergueï Lavrov: Vous avez raison que l'Occident collectif s'est uni. Mais cela n'a pas eu lieu par "appel du cœur" de chaque membre de l'Alliance. Ils ont été avant tout unis par les États-Unis. La mentalité de la domination n'a pas disparu.
Il y a deux semaines, j'ai attiré l'attention sur la déclaration d'un professeur de Stanford que les États-Unis doivent être les gendarmes du monde pour sauver le monde. Non seulement l'Otan, mais également l'Union européenne en tant que groupe, qui revendiquait il n'y a pas si longtemps dans ses discours une autonomie stratégique, s'est entièrement soumise à la politique occidentale commune. Des centres de coordination d'action de l'Otan et de l'UE sont créés, des États neutres sont aspirés (Finlande, Suède). Bien avant cela a commencé à être intégré le programme de "mobilité" permettant d'utiliser l'infrastructure de transport et autre des pays en dehors de l'Otan pour projeter le matériel de l'Alliance vers l'est, plus près de nos frontières.
Récemment, l'émission Le Grand jeu a évoqué les profonds changements qui s'opèrent dans l'Union européenne et en Europe dans l'ensemble, concernant le déplacement du centre de gravité au profit du bien-être des Européens, avant tout de la Pologne, des pays baltes, de la République tchèque, de la Slovaquie. Les puissances européennes se perdent dans cette situation. Le Président français Emmanuel Macron parlait il y a quatre ans de la nécessité pour l'Europe de compter sur ses propres forces, d'avoir sa propre armée. Une Boussole stratégique a été inventée pour avancer vers l'autonomie stratégique. Emmanuel Macron parlait de la mort cérébrale de l'Otan, montrant sa déception par les processus imposés par les États-Unis. On n'en parle plus. Le Président français déclarait qu'un jour il faudrait construire une architecture de sécurité en Europe en tenant compte des intérêts de tous les pays, y compris la Russie. Mais il a été immédiatement remis à sa place par les membres "cadets" de l'alliance occidentale. C'est considéré par tous comme un déroulement normal des choses.
Quant à savoir comment la Russie était perçue, notamment pendant la période à laquelle vous avez mentionné ce sujet avec Henry Kissinger. Les collègues occidentaux disaient que "la Russie doit connaître sa place". Ils le faisaient avec satisfaction. C'est une bonne observation. La "satisfaction" se manifestait pratiquement pendant toutes les années après la disparition de l'Union soviétique. D'abord, on nous tapotait sur l'épaule au sens premier et figuré. On estimait que nous étions dans la proche du "milliard d'or", que nous devenons partie intégrante du système occidental de la mondialisation. Il est actuellement appelé système de "règles" sur lesquelles l'ordre mondial doit être fondé. On nous voyait comme un partenaire "mineur" ordinaire possédant les ressources nécessaires à l'Occident et à qui l'Occident fournirait des technologies en maintenant et en renforçant les positions de partenaires dans son système de coordonnées. Ce sont les leaders occidentaux qui y "mènent la barque", notamment les États-Unis et leurs alliés proches en Europe, qui ont redressé les épaules et s'estiment en droit de dicter les voies de développement de ce continent.
Un article d'Henry Kissinger a récemment suscité de nombreux commentaires. Nous avons noté les estimations et les pronostics, notamment sa vision des options pour un règlement définitif. Étonnant que personne n'ait remarqué la phrase qui est mentionnée dans l'article comme allant de soi: "Deux puissances nucléaires rivalisent pour un pays (Ukraine) ne disposant que d'armes conventionnelles." C'est peut-être un lapsus. Mais Henry Kissinger est une personne sage, il ne dit rien au hasard.
Mais c'est une franche reconnaissance des parties au conflit. L'Occident collectif avec une puissance nucléaire en tête, les États-Unis, est en guerre contre nous. Cette guerre nous a été déclarée depuis longtemps: après la fin du coup d'État en Ukraine orchestré par les États-Unis et soutenu par l'UE, après que personne n'avait l'intention de remplir les Accords de Minsk (s'avère-t-il). Angela Merkel l'a de nouveau confirmé.
Quelques années avant la fin de son mandat, lors d'une conversation avec le Président russe Vladimir Poutine, quand il attirait une nouvelle fois son attention sur ce qui était écrit noir sur blanc, à savoir la nécessité de régler les problèmes du statut particulier dans le cadre d'un dialogue direct entre Kiev, Donetsk et Lougansk, elle a dit que c'était une "ambiguïté constructive". Comme quoi, la Russie décide de tout dans le Donbass, c'est à elle de s'entendre avec Kiev. Ce n'est pas du tout une révélation, une volonté de ne pas se faire distancer au dernier moment du "train" prenant un rythme russophobe. C'était profondément enraciné.
Pendant le sommet au format Normandie à Paris en décembre 2019, les experts de l'Administration présidentielle et du Ministère des Affaires étrangères avaient préparé un texte d'entente confirmant les termes fondamentaux des Accords de Minsk. Le numéro 1 étant le cessez-le-feu et la séparation des forces le long de toute la ligne de contact. Cela avait été convenu par tous.
Quand les quatre dirigeants se sont assis à la table ronde à l'Élysée et les assistants ont pris place le long du périmètre, le Président ukrainien Vladimir Zelenski a dit qu'il ne remplirait pas et ne signerait pas la séparation des forces sur toute la ligne de contact. Au mieux, choisir trois zones expérimentales et essayer d'y procéder à une séparation. Nous avons immédiatement eu des soupçons, mais nous avons découvert la raison pour laquelle une telle métamorphose s'est produite entre le consensus d'experts et sa destruction au niveau des chefs d'État. Les Américains avaient envoyé un "signal" que si Vladimir Zelenski séparait les forces sur toute la ligne de contact, les Russes ne rendraient jamais le Donbass.
Question: Vous le savez comme un fait qu'il a reçu un tel conseil, une telle instruction des États-Unis?
Sergueï Lavrov: Je ne sais pas de qui concrètement. Mais ils lui ont dit ce que j'ai mentionné: s'il séparait les forces, il réduirait significativement ses chances de reprendre ces territoires par la force. Ils voulaient reprendre par la force parce qu'ils ne voulaient pas remplir les Accords de Minsk en termes de conditions du rétablissement de l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Elles sont simples: la langue russe, la police locale (comme dans divers États américains), l'engagement des autorités centrales de mener des consultations lors de la nomination des juges et des procureurs, des liens économiques particuliers avec les régions voisines russes.
C'est le cas de la République serbe en Bosnie-Herzégovine et c'est également prévu par l'entente entre Pristina et Belgrade (conclu "sous les fanfares" avec la médiation de l'UE en 2013) sur la création de la Communauté des municipalités serbes du Kosovo. Approximativement les mêmes droits étaient accordés aux Serbes dans le nord de ce territoire que dans les Accords de Minsk aux Russes résidant sur les territoires en question.
Vladimir Zelenski a renoncé au rétablissement de l'intégrité territoriale de l'Ukraine en attribuant à une partie de sa population les droits fixés fans de nombreux conventions internationales et dans la Constitution du pays, qui prévoit à ce jour l'engagement de l'État à garantir les droits des minorités nationales, et les Russes sont mentionnés à part. Le plan B existait depuis longtemps, encore à Paris en2019. Parfois les dirigeants ukrainiens déclaraient que les Accords de Minsk n'étaient pas dans leur intérêt en proposant de reprendre par la force.
Le processus de la tragédie ukrainienne a une riche histoire. On cherche actuellement à annuler sa partie expliquant ce qui se passe, comme bien d'autres choses. La culture russe est également annulée en Ukraine depuis des années. Des lois ont commencé à être adoptées à l'époque de Piotr Porochenko et cela continue avec Vladimir Zelenski. Il y a deux ans, il a approuvé une loi sur le statut de l'ukrainien en tant que langue nationale. Cela a préoccupé même la Commission de Venise du Conseil de l'Europe, l'UE et l'OSCE. Mais tout ce que ces institutions respectées ont fait à l'époque, c'est de dire aux Ukrainiens que la loi pouvait être maintenue, mais dans ce cas il faut mettre à jour la législation existante sur les minorités nationales.
Il y a quelques semaines, le parlement ukrainien a adopté en deuxième lecture une loi sur les minorités nationales. C'est un exemple de la législature ukrainienne. Elle stipule que l'État garantit les droits de toutes les minorités au niveau découlant de la législation en vigueur. Tout ce qui a déjà été bafoué (éducation, médias, culture) est reconnu dans la nouvelle loi sur les minorités nationales comme la base des droits lesquels le régime de Kiev est prêt à octroyer aux minorités nationales. Les autorités roumaines se sont indignées. Elles ont commencé à parler de la nécessité de consultations, que personne ne leur a demandé leur avis. On connaît également l'attitude du régime de Kiev envers les Hongrois, la minorité hongroise. Sans parler des Russes.
Pardon de faire un tel préambule pour répondre à votre question. Il s'agit de l'affirmation ou non d'un ordre mondial néocolonial dont parlait le Président russe Vladimir Poutine. L'Occident le dissimule sous le slogan du respect d'un "ordre mondial fondé sur des règles". Quand ce terme est apparu, je demandais aux collègues occidentaux (quand on communiquait encore) de transmettre la liste des "règles" les fixant. Inutile de s'étonner. Personne n'a jamais transmis des références à des "règles" concrètes où il serait possible de lire comment se comporter. La réponse est simple: ces "règles" signifient que tout le monde doit se soumettre aux États-Unis.
Question: Ces règles ont été avancées par l'Occident mais n'ont jamais été approuvées à l'ONU.
Sergueï Lavrov: Nulle part et jamais. Personne ne les a vues. Quand ils ont commencé à l'introduire dans le discours international, nous étions perplexes et avons tenté de les inciter à une discussion sérieuse. Mais ils ne voulaient pas le faire.
Ces "règles" sont parfaitement reflétées dans la déclaration du professeur de Stanford que les États-Unis doivent être les gendarmes du monde pour sauver le monde. Plusieurs doctrines américaines proclament la Russie de menace immédiate. Pas parce que nous avons l'intention d'attaquer qui que ce soit, mais parce que nous avons défié cet ordre mondial. La Chine est le prochain défi systémique le plus redoutable à long terme. C'est la seule puissance capable de devancer les États-Unis pratiquement dans tous les secteurs. Pékin atteindra bientôt le niveau de Moscou et de Washington en termes de réserves d'armement nucléaire, de développement du potentiel nucléaire.
Faut-il s'attendre à une escalade? La réponse à cette question se trouve dans différentes déclarations et estimations des politologues. Les autorités russes ne parlent pas de l'intention de promouvoir une approche prévoyant une escalade. Nous sommes disposés à remplir les objectifs de l'opération militaire spéciale. Comme l'a souligné le Président russe Vladimir Poutine, les quatre nouvelles régions de la Fédération de Russie sont notre priorité absolue. Elles doivent être libérées des menaces de nazification qu'elles subissaient pendant des années. Il faut garantir la sécurité de tous leurs habitants, le respect de leurs droits.
Un autre objectif primordial consiste à empêcher la création et le maintien sur le territoire ukrainien de quelconques menaces pour notre sécurité. On dit maintenant que l'Occident ne cherchait pas à pousser l'Ukraine aux hostilités contre la Russie, mais je considère l'étouffement de la population russophone de l'Ukraine comme une véritable agression.
Question: Je voudrais préciser. Lorsque vous parlez des quatre régions, parlez-vous de leurs frontières administratives ou de la partie du territoire qui se trouve désormais sous le contrôle effectif de l'État "Russie"?
Sergueï Lavrov: Non. Je parle de leurs frontières en tant que partie de la Fédération de Russie, conformément à la Constitution de notre pays. C'est une chose évidente.
Question: Cela veut dire que ces territoires devront encore être libérés par la Russie?
Sergueï Lavrov: Bien sûr. Il s'agit d'une demande de la volonté qui s'est manifestée dans les quatre régions. Dans la RPD et la RPL il y a longtemps, et dans les régions de Zaporojié et de Kherson en automne 2022.
Question: Quelle est votre attente finale? Un processus de négociation, ou la reconnaissance par l'Ukraine de ce fait est-elle une condition pour lancer des négociations?
Sergueï Lavrov: Le président de la Russie, Vladimir Poutine, a déclaré à plusieurs reprises que nous ne rejetons jamais une offre permettant de parvenir à des accords diplomatiques. Les conditions requises pour que nous soyons prêts à en discuter sont bien connues. Une partie indissociable de ces conditions est la propriété des quatre territoires, des régions de la Fédération de Russie. Ce n'est pas tout ce qui a besoin d'être discuté.
Le deuxième grand bloc de problèmes, outre le sort des citoyens qui ne veulent pas vivre sous la domination du régime actuel, dont la tendance et la philosophie sont manifestement nazies et racistes, est la sécurité de l'ensemble de la Fédération de Russie, qui a été exposée à de nombreuses menaces provenant du territoire ukrainien. Certains affirment aujourd'hui que ce n'est pas du tout le cas, que tous ces exercices organisés en Ukraine, y compris en mer Noire, n'étaient qu'une "coopération militaire à des fins pacifiques". Le territoire de l'Ukraine a été assez activement "exploré", y compris la planification (nous le savons aussi) et l'établissement d'une base navale dans la mer d'Azov. Vous comprenez qu'à l'époque, cette mer appartenait à deux états. L'émergence d'une base navale anglo-saxonne y transforme radicalement la situation en matière de sécurité. Tout comme avant le coup d'État et avant le référendum, des plans ont été élaborés pour établir une base militaire dans ce qui était alors la Crimée ukrainienne dans le but de neutraliser nos capacités en mer Noire.
Nous ne menons pas l'affaire avec des opérations spontanées, offensives et spectaculaires, comme le pratique la partie ukrainienne, généralement sans tenir compte des pertes. Ils ne s'intéressent qu'à l'effet médiatique ici et maintenant, et que l'Occident continuerait à "chanter les louanges" des dirigeants actuels en tant que représentants de la vraie démocratie. Vladimir Zelenski est un héros de tous les temps, on ne peut donc rien lui refuser. On lui refuse quelque chose quand même. Il y a des gens intelligents à l'Occident qui comprennent que ces gens et ce régime ne doivent obtenir aucun type d'armement.
Les "experts anonymes" du Pentagone ont déclaré à plusieurs reprises qu'ils n'avaient pas le droit d'interdire à Zelenski de frapper des territoires reconnus par la communauté internationale comme étant l'Ukraine, y compris en mentionnant directement la Crimée. Plusieurs témoignages anonymes mais crédibles faits par des spécialistes américains indiquent que les systèmes de lance-roquettes multiples concernés étaient en cours d'amélioration afin d'acquérir une portée allant jusqu'à 1000 km. Personne ne cache le fait que les données des satellites, tant militaires que civils, appartenant aux propriétaires américains sont activement utilisées en temps réel pour corriger les tirs. Le ciblage est effectué directement avec la participation de spécialistes américains. Nous avons posé la question aux Américains par les canaux dont dispose encore notre ambassade: la décision de remettre la batterie "Patriot", étant donné la difficulté de son utilisation, signifie-t-elle qu'il y aura des spécialistes américains ? On nous a largement expliqué que ce n'était pas prévu, car les États-Unis ne voulaient pas et ne vont pas entrer en guerre directe contre la Russie. Le "Patriot" sera opérationnel pendant quelques mois, le temps que les militaires ukrainiens maîtrisent la technologie. Mais plusieurs dizaines, peut-être même des centaines de soldats américains sont déjà sur place. Ils étaient présents en Ukraine avant même le coup d'État. Les employés de la CIA occupaient au moins un étage dans le service de sécurité de l'Ukraine. Il y a maintenant un important bureau d'attaché militaire là-bas. Les spécialistes militaires ne se contentent manifestement pas de rendre visite au ministère ukrainien de la défense. D'une manière ou d'une autre, ils assurent des services de conseil direct (peut-être plus que de conseil). Il y a également un groupe de spécialistes qui (comme le Pentagone l'a expliqué au Congrès américain) ont supervisé l'utilisation des armes américaines pendant tous ces mois. Ainsi, lorsque le Congrès a tenté d'exiger un mécanisme spécial, le Pentagone a répondu qu'"ils" étaient déjà là pour tout surveiller. C'est une situation assez intéressante. Il existe de nombreux faits concernant les armes occidentales qui apparaissent sur le marché noir en Europe (pour l'instant, peut-être déjà dans d'autres régions). J'ai demandé à mes collaborateurs de faire une sélection à partir de sources ouvertes pour montrer à nos interlocuteurs ce qui a été jusqu'à présent "balayé sous le tapis".
Nous ne sommes pas pressés. C'est ce qu'a déclaré le président de la Russie, Vladimir Poutine. Nous voulons mettre fin le plus rapidement possible à cette guerre, que l'Occident préparait et a finalement déclenchée contre nous par l'intermédiaire de l'Ukraine. La priorité pour nous est la vie des soldats et des civils qui restent dans la zone de guerre. Nous sommes un peuple patient. C'est à partir de ces priorités que nous défendrons nos compatriotes, nos citoyens et les terres qui ont été russes pendant des siècles.
Question: Vous avez dit à juste titre que l'Occident nous fait la guerre à travers l'Ukraine et au-delà. Mais l'Occident et les États-Unis affirment de façon hypocrite (étant donné qu'ils n'envoient pas officiellement leurs troupes pour combattre ouvertement la Russie sur le territoire ukrainien) qu'ils ne sont pas partie prenante à ce conflit. Par conséquent, sans craindre la troisième guerre mondiale, y compris la guerre nucléaire, ils peuvent envoyer à l'Ukraine toutes les armes qu'ils veulent, leur fournir des renseignements, les conseiller sur le champ de bataille. Nous pouvons constater que la quantité et la qualité des armes que l'Occident fournit à l'Ukraine augmentent. L'Occident est en train de surmonter ses propres tabous, fixés il y a quelques mois d'ici. Que fait la Russie et que fera-t-elle en 2023 pour persuader l'Occident d'abandonner cette logique dangereuse et mettre fin à cette tendance?
Sergueï Lavrov: Je pense que nous devons poursuivre notre ligne, qui a été tracée par le président de la Russie Vladimir Poutine "sur le terrain", pour renforcer nos capacités, tant sur le plan technologique que sur le plan du personnel militaire, qui a suivi une formation sérieuse après une mobilisation partielle. Une partie importante d'entre eux est déjà sur place, mais la plupart ne sont pas en première ligne (là où les professionnels et les contractuels se battent). Une partie importante est en réserve. Nous continuerons à renforcer notre groupement. Cette décision a été prise en septembre 2022. Le commandant du groupe des forces combinées a été désigné. Nous sommes engagés dans des actions qui nous permettront de "travailler" dans ces territoires de manière beaucoup plus efficace dans un avenir très proche. Je n'ai aucun doute à ce sujet.
J'attire également l'attention sur ce que vous avez dit, à savoir le pompage de plus en plus intense d'armes modernes occidentales en Ukraine. Je suis la discussion dans notre société, aussi bien dans votre programme que dans d'autres cercles et formats de science politique.
Des officiers militaires professionnels à la retraite parlent de la nécessité de couper les canaux d'approvisionnement en armes de l'Occident. Je fais référence aux chemins de fer, aux ponts et aux tunnels. Je suppose que les professionnels ne peuvent pas l'ignorer. Ils le font depuis longtemps. Ils doivent prendre des décisions professionnelles sur les méthodes à utiliser pour entraver et, dans le meilleur des cas, interrompre ces approvisionnements. Une méthode a été et est utilisée pour endommager l'infrastructure, y compris l'infrastructure énergétique qui sert à l'approvisionnement de ces armes. Je suis convaincu qu'il y a d'autres plans qui seront impliqués à ce propos.
Nous avons peu d'occasions de parler à l'Occident en ce moment. Il n'y a pas vraiment trop envie lorsque vous lisez les déclarations des ministres des affaires étrangères, des premiers ministres et des présidents sur la nécessité de s'occuper de la sécurité de l'Europe contre la Russie. Ils avaient l'habitude de dire "sans la Russie", mais maintenant ils disent "contre" elle. L'idée du président français Macron de créer une communauté politique européenne, grosso modo, c'est l'OSCE moins la Russie et la Biélorussie. Ces propos ont été prononcés par un homme qui, un peu plus tard, a déclaré qu'il était important de ne pas perdre l'occasion de mettre en place une sorte de structure de sécurité avec la Russie. Mais la communauté politique européenne sera renforcée. Ils prévoient un autre sommet au printemps et tentent d'y faire participer tous nos voisins, à l'exception de la Biélorussie.
Dans ce contexte, nous n'avons aucune intention particulière de parler à l'Occident. Lorsqu'une situation spécifique se présente et que l'Occident fait ouvertement des choses illégales, nous posons des questions. Récemment, des informations ont circulé selon lesquelles la Grèce allait transférer ses S-300 à l'Ukraine. Notre ambassadeur a reçu des instructions, il s'est adressé au ministère des affaires étrangères et au ministère de la défense de la Grèce et leur a rappelé que ces systèmes avaient été transférés en Grèce. Vous vous souvenez de cette histoire où ils devaient être livrés à Chypre, mais l'Occident a tout fait pour empêcher cela, étant donné la position insulaire de Chypre et le fait que ce pays n'était pas membre de l'Otan. Finalement, un compromis a été atteint qui arrangeait tout le monde. Le système a été acheté par la Grèce. Selon le contrat qui a garanti cet accord, le pays n'a pas le droit de les remettre à qui que ce soit sans notre consentement. Nous l'avons rappelé aux Grecs. Ils ont dit qu'ils étaient conscients de leur obligation. Nous surveillons de près ce genre de choses. D'autant plus que le même problème de la disposition interdisant le transfert de nos armements à qui que ce soit s'applique à la plupart des armements en Europe de l'Est, où cet armement a été produit sous licence (dans les anciens pays du Pacte de Varsovie). Il faut rester sur ses gardes. De nombreuses infractions sont commises sous le slogan "sauver l'Ukraine", car "l'Ukraine c'est l'Europe" et "l'Europe c'est l'Ukraine".
Question: Les États-Unis ont-ils tort de penser qu'ils se trouvent dans une situation de sécurité, qu'ils ne doivent craindre aucune escalade, aucun affrontement militaire direct avec la Russie et qu'ils peuvent donc tout faire en termes d'assistance militaire à l'Ukraine avant d'entrer directement en guerre avec la Russie?
Sergueï Lavrov: Il n'y a pas longtemps, le président de la Russie, Vladimir Poutine, en a parlé, lors d'un Conseil élargi du ministère de la Défense. C'est lui qui, en tant que commandant en chef, a formulé notre position (je n'ajouterai rien) sur les nouveaux systèmes de notre marine qui viennent d'être mis en service.
Question: Dmitry Simes a commencé notre conversation en disant que "l'Occident s'est consolidé". Il me semble que l'année passée a montré une tendance encore plus importante. C'est la formation d'une majorité mondiale. Les pays de l'Est et du Sud qui sont en désaccord avec l'hégémonie occidentale et ont qui ont refusé de se joindre à l'Occident contre la Russie. Je considère cette année comme un moment de vérité en termes de relations avec l'Occident et avec le "non-Occident". Notre pivot vers la majorité mondiale est-il vraiment une orientation stratégique de la politique étrangère russe, plutôt qu'une orientation conjoncturelle, qui persistera et s'intensifiera en 2023? Que fera la Russie en 2023 pour renforcer ses liens avec la majorité mondiale et son rôle dans les affaires internationales?
Sergueï Lavrov: Je suis d'accord avec les analystes qui mentionnent, en analysant l'année écoulée, que le désaccord entre l'Occident, qui proclame son hégémonie et son contrôle sur la mise en œuvre de "ses règles" partout, d'une part, et la majorité mondiale, d'autre part, est de nature objective. Il a mûri et, tôt ou tard, il aurait de toute façon pris une forme concrète. Notre décision selon laquelle nous ne pouvions plus tolérer l'humiliation des Russes et les menaces pour la sécurité de notre pays créées en Ukraine (raison pour laquelle nous avons lancé une opération militaire spéciale) a été une sorte de catalyseur et a considérablement accéléré le processus.
Il me semble que la plupart des pays "non occidentaux" avaient déjà constaté à ce moment-là, après les sanctions adoptées à la suite du coup d'État organisé contre la Russie, après le référendum de Crimée, le caractère peu fiable du système dans lequel ils se trouvent, comme tout le monde. C'est le système de la monnaie internationale, de la finance, de la mondialisation, des chaînes d'approvisionnement, de l'assurance du transport international, des taux de fret et des choses technologiques que produisent quelques pays. Il s'agit par exemple des conducteurs auxquels les Américains tentent maintenant d'opposer leur veto. Ils ont appliqué des sanctions aux entreprises chinoises qui fabriquent des conducteurs, cherchant de toute évidence à ralentir le développement de la RPC. Tout s'est passé beaucoup plus vite que cela.
De nombreux pays ont été forcés de faire des choix ici et maintenant. Cela doit être difficile à faire, compte tenu de la dépendance vis-à-vis du système de mondialisation créé par les Américains et discrédité par eux-mêmes, car Washington a fait preuve d'un manque de fiabilité en tant que commissaire et opérateur de ce système.
Oui, nous avons entendu les dirigeants chinois dire qu'ils sont contre l'hégémonie et qu'il est nécessaire de construire un ordre mondial juste; nous avons entendu les dirigeants indiens dire qu'ils seront guidés par les intérêts indiens et qu'il est insensé de les persuader d'oublier les leurs au profit des intérêts géopolitiques américains. La Turquie, l'Algérie, sans oublier le Venezuela, Cuba, le Nicaragua. Le Mexique, l'Argentine et le Brésil ne soutiennent pas non plus les sanctions. Le processus de formation d'un nouvel ordre mondial va, bien sûr, s'accélérer et s'accélère déjà. Il s'agira objectivement de toute une époque historique.
Dans l'une de vos émissions, j'ai noté une déclaration de quelqu'un disant que la mondialisation se termine et que la régionalisation commence, qu'il y aura plusieurs grands blocs qui se formeront autour de leaders régionaux. Au sein de ces blocs, il y aura une substitution de tous les instruments et mécanismes qui constituent aujourd'hui un système mondial, mais qui sont utilisés de manière abusive par ceux qui ont créé ces instruments. Le débat portait sur la question de savoir si les États-Unis en avaient conscience. Quelqu'un a mentionné qu'ils en étaient tout à fait conscients. De plus, les Américains voudraient accélérer le processus de cette régionalisation de l'économie mondiale et des relations internationales en général. Et la Chine, comprenant également la nécessité d'une telle régionalisation et n'ayant rien contre celle-ci, tout en créant ses propres instruments et structures, souhaite que ce processus prenne plus de temps.
Lorsque j'ai entendu cela, j'ai pensé que c'était une observation intéressante. Il faut mieux étudier la question. Mais si les Américains voulaient vraiment accélérer la régionalisation du système mondial, cela signifierait qu'ils voulaient négocier le plus tôt possible. Plus vite les négociations et les accords seront conclus, plus grandes seront les chances de conserver l'influence qu'ils avaient et d'avoir une influence mondiale.
Il ne fait aucun doute que le processus a commencé. Il ne s'agit même pas de choisir entre la majorité mondiale et l'Occident; nous choisissons ceux qui sont fiables et contractuels, qui sont prometteurs en termes de projets à long terme, qui ne regarderont pas de manière opportuniste où ils peuvent ou ne peuvent pas en profiter.
Cette question a été abordée à un moment donné avec des collègues américains (lorsque nous disposions de canaux pour un dialogue régulier). Nombreux ont été les membres de l'administration américaine à reconnaître, après le début de la pandémie, que la démocratie au sens occidental du terme a ses limites et que ceux que les Américains appellent une "autocratie" ont des avantages. L'"autocratie" consiste en gros en un État centralisé, doté d’un forte vertical, qui peut prendre des décisions rapidement et promptement, applicables sur tout le territoire. Il est certain que si l'on compare la façon dont les différents pays ont fait face au COVID-19, il existe de nombreux exemples dans un sens ou dans l'autre. Nos camarades chinois ont finalement reconnu qu'il n'était pas tout à fait correct de fermer le pays d'un seul coup, car cela empêchait le développement de l'immunité collective. Ils sont en train de corriger cette erreur. Mais en termes de nombre de personnes touchées, les États-Unis sont loin devant tous les autres.
J'ai eu cette conversation avec l'ancienne secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice. Je lui ai demandé si le fait d'être détourné tous les deux ans par une campagne présidentielle ou "parlementaire" ne l'empêchait pas de diriger un pays vaste, grand et diversifié (même si la fonderie fait de chacun un Américain)? Elle a dit que bien sûr, il s'agit d'une perturbation. Leur système est lourd, mais c'est leur problème. Ils savent comment les résoudre. C'est leur problème d'une part, mais c'est aussi le problème du reste du monde. Parce qu'à chaque fois qu'il y a une campagne électorale, les Américains doivent trouver un thème extérieur, soit une menace, soit un défi. Ensuite, étant donné leur poids sur la scène mondiale, les processus mondiaux deviennent des "otages" sous la plus forte influence de leur "discours" et de leur lutte politique internes. Les États autocratiques (comme les États-Unis les caractérisent), avec un système de pouvoir centralisé, ont au moins l'avantage que l'"horizon" est beaucoup plus prévisible. La Chine, par exemple. On peut discuter pour savoir si cela est compatible avec la démocratie, mais qui peut dire que la démocratie en version américaine est la meilleure forme de gouvernement?
Peut-être que Winston Churchill avait en partie raison lorsqu'il a dit que "la démocratie est la pire forme de gouvernement". Il a ensuite ajouté qu'"en dehors de toutes les autres inventées jusqu'à présent". Le monde ne reste pas statique, quelque chose pourrait être inventé.
Question: Je pense qu'une autre phrase intéressante est attribuée à Winston Churchill : "le meilleur argument contre la démocratie est une conversation de cinq minutes avec l'électeur ordinaire". Je voudrais dire que si vous voulez comprendre le caractère erroné de la démocratie américaine, parlez à un membre ordinaire du Congrès et vous comprendrez beaucoup de choses.
Il y a quelques jours, vous avez mentionné que la presse américaine (le New York Times, entre autres) avait rapporté que certaines personnes de l'administration Joe Biden envisageaient sérieusement de tenter une attaque préventive contre les hauts dirigeants de la Russie. J'ai appelé Washington et j'ai parlé à deux personnes de l'administration qui ont préféré rester anonymes.
Sergueï Lavrov: J'ai également cité une source anonyme.
Question: Ils ont dit qu'ils ne pouvaient pas se porter garants de tout le monde dans l'administration (c'est énorme), mais bien sûr, il n'y a pas de tels projets de frapper les hauts dirigeants de la Russie et il ne peut pas y en avoir. Croyez-vous, d'après les informations dont vous disposez, que quelqu'un ayant un pouvoir réel à Washington est en train d'élaborer des plans pour frapper les dirigeants russes?
Deuxième question. À plusieurs reprises, à Washington, le secrétaire d'État Anthony Blinken et le conseiller à la sécurité nationale John Sullivan ont exprimé la façon dont Washington avertit la Russie de ne pas s'engager dans une voie quelconque, sous peine d'en subir les conséquences les plus graves. Voulez-vous profiter de cette occasion pour dire à l'administration ce qui se passerait si quelqu'un tentait une telle grève?
Sergueï Lavrov: J'ai fait recours à une source anonyme, mais contrairement à vous (vous connaissez vos sources anonymes), je ne la connais pas. Je sais qu'il était "annoncé" comme étant de haut rang.
Question: A-t-il été annoncé par le New York Times?
Sergueï Lavrov: Oui.
Question: Cela veut dire que le New York Times l'a pris au sérieux?
Question: Je voudrais préciser. Lorsque vous parlez des quatre régions, parlez-vous de leurs frontières administratives ou de la partie du territoire qui se trouve désormais sous le contrôle effectif de l'État "Russie"?
Sergueï Lavrov: Non. Je parle de leurs frontières en tant que partie de la Fédération de Russie, conformément à la Constitution de notre pays. C'est une chose évidente.
Question: Cela veut dire que ces territoires devront encore être libérés par la Russie?
Sergueï Lavrov: Bien sûr. Il s'agit d'une demande de la volonté qui s'est manifestée dans les quatre régions. Dans la RPD et la RPL il y a longtemps, et dans les régions de Zaporojié et de Kherson en automne 2022.
Question: Quelle est votre attente finale? Un processus de négociation, ou la reconnaissance par l'Ukraine de ce fait est-elle une condition pour lancer des négociations?
Sergueï Lavrov: Le président de la Russie, Vladimir Poutine, a déclaré à plusieurs reprises que nous ne rejetons jamais une offre permettant de parvenir à des accords diplomatiques. Les conditions requises pour que nous soyons prêts à en discuter sont bien connues. Une partie indissociable de ces conditions est la propriété des quatre territoires, des régions de la Fédération de Russie. Ce n'est pas tout ce qui a besoin d'être discuté.
Le deuxième grand bloc de problèmes, outre le sort des citoyens qui ne veulent pas vivre sous la domination du régime actuel, dont la tendance et la philosophie sont manifestement nazies et racistes, est la sécurité de l'ensemble de la Fédération de Russie, qui a été exposée à de nombreuses menaces provenant du territoire ukrainien. Certains affirment aujourd'hui que ce n'est pas du tout le cas, que tous ces exercices organisés en Ukraine, y compris en mer Noire, n'étaient qu'une "coopération militaire à des fins pacifiques". Le territoire de l'Ukraine a été assez activement "exploré", y compris la planification (nous le savons aussi) et l'établissement d'une base navale dans la mer d'Azov. Vous comprenez qu'à l'époque, cette mer appartenait à deux états. L'émergence d'une base navale anglo-saxonne y transforme radicalement la situation en matière de sécurité. Tout comme avant le coup d'État et avant le référendum, des plans ont été élaborés pour établir une base militaire dans ce qui était alors la Crimée ukrainienne dans le but de neutraliser nos capacités en mer Noire.
Nous ne menons pas l'affaire avec des opérations spontanées, offensives et spectaculaires, comme le pratique la partie ukrainienne, généralement sans tenir compte des pertes. Ils ne s'intéressent qu'à l'effet médiatique ici et maintenant, et que l'Occident continuerait à "chanter les louanges" des dirigeants actuels en tant que représentants de la vraie démocratie. Vladimir Zelenski est un héros de tous les temps, on ne peut donc rien lui refuser. On lui refuse quelque chose quand même. Il y a des gens intelligents à l'Occident qui comprennent que ces gens et ce régime ne doivent obtenir aucun type d'armement.
Les "experts anonymes" du Pentagone ont déclaré à plusieurs reprises qu'ils n'avaient pas le droit d'interdire à Zelenski de frapper des territoires reconnus par la communauté internationale comme étant l'Ukraine, y compris en mentionnant directement la Crimée. Plusieurs témoignages anonymes mais crédibles faits par des spécialistes américains indiquent que les systèmes de lance-roquettes multiples concernés étaient en cours d'amélioration afin d'acquérir une portée allant jusqu'à 1000 km. Personne ne cache le fait que les données des satellites, tant militaires que civils, appartenant aux propriétaires américains sont activement utilisées en temps réel pour corriger les tirs. Le ciblage est effectué directement avec la participation de spécialistes américains. Nous avons posé la question aux Américains par les canaux dont dispose encore notre ambassade: la décision de remettre la batterie "Patriot", étant donné la difficulté de son utilisation, signifie-t-elle qu'il y aura des spécialistes américains ? On nous a largement expliqué que ce n'était pas prévu, car les États-Unis ne voulaient pas et ne vont pas entrer en guerre directe contre la Russie. Le "Patriot" sera opérationnel pendant quelques mois, le temps que les militaires ukrainiens maîtrisent la technologie. Mais plusieurs dizaines, peut-être même des centaines de soldats américains sont déjà sur place. Ils étaient présents en Ukraine avant même le coup d'État. Les employés de la CIA occupaient au moins un étage dans le service de sécurité de l'Ukraine. Il y a maintenant un important bureau d'attaché militaire là-bas. Les spécialistes militaires ne se contentent manifestement pas de rendre visite au ministère ukrainien de la défense. D'une manière ou d'une autre, ils assurent des services de conseil direct (peut-être plus que de conseil). Il y a également un groupe de spécialistes qui (comme le Pentagone l'a expliqué au Congrès américain) ont supervisé l'utilisation des armes américaines pendant tous ces mois. Ainsi, lorsque le Congrès a tenté d'exiger un mécanisme spécial, le Pentagone a répondu qu'"ils" étaient déjà là pour tout surveiller. C'est une situation assez intéressante. Il existe de nombreux faits concernant les armes occidentales qui apparaissent sur le marché noir en Europe (pour l'instant, peut-être déjà dans d'autres régions). J'ai demandé à mes collaborateurs de faire une sélection à partir de sources ouvertes pour montrer à nos interlocuteurs ce qui a été jusqu'à présent "balayé sous le tapis".
Nous ne sommes pas pressés. C'est ce qu'a déclaré le président de la Russie, Vladimir Poutine. Nous voulons mettre fin le plus rapidement possible à cette guerre, que l'Occident préparait et a finalement déclenchée contre nous par l'intermédiaire de l'Ukraine. La priorité pour nous est la vie des soldats et des civils qui restent dans la zone de guerre. Nous sommes un peuple patient. C'est à partir de ces priorités que nous défendrons nos compatriotes, nos citoyens et les terres qui ont été russes pendant des siècles.
Question: Vous avez dit à juste titre que l'Occident nous fait la guerre à travers l'Ukraine et au-delà. Mais l'Occident et les États-Unis affirment de façon hypocrite (étant donné qu'ils n'envoient pas officiellement leurs troupes pour combattre ouvertement la Russie sur le territoire ukrainien) qu'ils ne sont pas partie prenante à ce conflit. Par conséquent, sans craindre la troisième guerre mondiale, y compris la guerre nucléaire, ils peuvent envoyer à l'Ukraine toutes les armes qu'ils veulent, leur fournir des renseignements, les conseiller sur le champ de bataille. Nous pouvons constater que la quantité et la qualité des armes que l'Occident fournit à l'Ukraine augmentent. L'Occident est en train de surmonter ses propres tabous, fixés il y a quelques mois d'ici. Que fait la Russie et que fera-t-elle en 2023 pour persuader l'Occident d'abandonner cette logique dangereuse et mettre fin à cette tendance?
Sergueï Lavrov: Je pense que nous devons poursuivre notre ligne, qui a été tracée par le président de la Russie Vladimir Poutine "sur le terrain", pour renforcer nos capacités, tant sur le plan technologique que sur le plan du personnel militaire, qui a suivi une formation sérieuse après une mobilisation partielle. Une partie importante d'entre eux est déjà sur place, mais la plupart ne sont pas en première ligne (là où les professionnels et les contractuels se battent). Une partie importante est en réserve. Nous continuerons à renforcer notre groupement. Cette décision a été prise en septembre 2022. Le commandant du groupe des forces combinées a été désigné. Nous sommes engagés dans des actions qui nous permettront de "travailler" dans ces territoires de manière beaucoup plus efficace dans un avenir très proche. Je n'ai aucun doute à ce sujet.
J'attire également l'attention sur ce que vous avez dit, à savoir le pompage de plus en plus intense d'armes modernes occidentales en Ukraine. Je suis la discussion dans notre société, aussi bien dans votre programme que dans d'autres cercles et formats de science politique.
Des officiers militaires professionnels à la retraite parlent de la nécessité de couper les canaux d'approvisionnement en armes de l'Occident. Je fais référence aux chemins de fer, aux ponts et aux tunnels. Je suppose que les professionnels ne peuvent pas l'ignorer. Ils le font depuis longtemps. Ils doivent prendre des décisions professionnelles sur les méthodes à utiliser pour entraver et, dans le meilleur des cas, interrompre ces approvisionnements. Une méthode a été et est utilisée pour endommager l'infrastructure, y compris l'infrastructure énergétique qui sert à l'approvisionnement de ces armes. Je suis convaincu qu'il y a d'autres plans qui seront impliqués à ce propos.
Nous avons peu d'occasions de parler à l'Occident en ce moment. Il n'y a pas vraiment trop envie lorsque vous lisez les déclarations des ministres des affaires étrangères, des premiers ministres et des présidents sur la nécessité de s'occuper de la sécurité de l'Europe contre la Russie. Ils avaient l'habitude de dire "sans la Russie", mais maintenant ils disent "contre" elle. L'idée du président français Macron de créer une communauté politique européenne, grosso modo, c'est l'OSCE moins la Russie et la Biélorussie. Ces propos ont été prononcés par un homme qui, un peu plus tard, a déclaré qu'il était important de ne pas perdre l'occasion de mettre en place une sorte de structure de sécurité avec la Russie. Mais la communauté politique européenne sera renforcée. Ils prévoient un autre sommet au printemps et tentent d'y faire participer tous nos voisins, à l'exception de la Biélorussie.
Dans ce contexte, nous n'avons aucune intention particulière de parler à l'Occident. Lorsqu'une situation spécifique se présente et que l'Occident fait ouvertement des choses illégales, nous posons des questions. Récemment, des informations ont circulé selon lesquelles la Grèce allait transférer ses S-300 à l'Ukraine. Notre ambassadeur a reçu des instructions, il s'est adressé au ministère des affaires étrangères et au ministère de la défense de la Grèce et leur a rappelé que ces systèmes avaient été transférés en Grèce. Vous vous souvenez de cette histoire où ils devaient être livrés à Chypre, mais l'Occident a tout fait pour empêcher cela, étant donné la position insulaire de Chypre et le fait que ce pays n'était pas membre de l'Otan. Finalement, un compromis a été atteint qui arrangeait tout le monde. Le système a été acheté par la Grèce. Selon le contrat qui a garanti cet accord, le pays n'a pas le droit de les remettre à qui que ce soit sans notre consentement. Nous l'avons rappelé aux Grecs. Ils ont dit qu'ils étaient conscients de leur obligation. Nous surveillons de près ce genre de choses. D'autant plus que le même problème de la disposition interdisant le transfert de nos armements à qui que ce soit s'applique à la plupart des armements en Europe de l'Est, où cet armement a été produit sous licence (dans les anciens pays du Pacte de Varsovie). Il faut rester sur ses gardes. De nombreuses infractions sont commises sous le slogan "sauver l'Ukraine", car "l'Ukraine c'est l'Europe" et "l'Europe c'est l'Ukraine".
Question: Les États-Unis ont-ils tort de penser qu'ils se trouvent dans une situation de sécurité, qu'ils ne doivent craindre aucune escalade, aucun affrontement militaire direct avec la Russie et qu'ils peuvent donc tout faire en termes d'assistance militaire à l'Ukraine avant d'entrer directement en guerre avec la Russie?
Sergueï Lavrov: Il n'y a pas longtemps, le président de la Russie, Vladimir Poutine, en a parlé, lors d'un Conseil élargi du ministère de la Défense. C'est lui qui, en tant que commandant en chef, a formulé notre position (je n'ajouterai rien) sur les nouveaux systèmes de notre marine qui viennent d'être mis en service.
Question: Dmitry Simes a commencé notre conversation en disant que "l'Occident s'est consolidé". Il me semble que l'année passée a montré une tendance encore plus importante. C'est la formation d'une majorité mondiale. Les pays de l'Est et du Sud qui sont en désaccord avec l'hégémonie occidentale et ont qui ont refusé de se joindre à l'Occident contre la Russie. Je considère cette année comme un moment de vérité en termes de relations avec l'Occident et avec le "non-Occident". Notre pivot vers la majorité mondiale est-il vraiment une orientation stratégique de la politique étrangère russe, plutôt qu'une orientation conjoncturelle, qui persistera et s'intensifiera en 2023? Que fera la Russie en 2023 pour renforcer ses liens avec la majorité mondiale et son rôle dans les affaires internationales?
Sergueï Lavrov: Je suis d'accord avec les analystes qui mentionnent, en analysant l'année écoulée, que le désaccord entre l'Occident, qui proclame son hégémonie et son contrôle sur la mise en œuvre de "ses règles" partout, d'une part, et la majorité mondiale, d'autre part, est de nature objective. Il a mûri et, tôt ou tard, il aurait de toute façon pris une forme concrète. Notre décision selon laquelle nous ne pouvions plus tolérer l'humiliation des Russes et les menaces pour la sécurité de notre pays créées en Ukraine (raison pour laquelle nous avons lancé une opération militaire spéciale) a été une sorte de catalyseur et a considérablement accéléré le processus.
Il me semble que la plupart des pays "non occidentaux" avaient déjà constaté à ce moment-là, après les sanctions adoptées à la suite du coup d'État organisé contre la Russie, après le référendum de Crimée, le caractère peu fiable du système dans lequel ils se trouvent, comme tout le monde. C'est le système de la monnaie internationale, de la finance, de la mondialisation, des chaînes d'approvisionnement, de l'assurance du transport international, des taux de fret et des choses technologiques que produisent quelques pays. Il s'agit par exemple des conducteurs auxquels les Américains tentent maintenant d'opposer leur veto. Ils ont appliqué des sanctions aux entreprises chinoises qui fabriquent des conducteurs, cherchant de toute évidence à ralentir le développement de la RPC. Tout s'est passé beaucoup plus vite que cela.
De nombreux pays ont été forcés de faire des choix ici et maintenant. Cela doit être difficile à faire, compte tenu de la dépendance vis-à-vis du système de mondialisation créé par les Américains et discrédité par eux-mêmes, car Washington a fait preuve d'un manque de fiabilité en tant que commissaire et opérateur de ce système.
Oui, nous avons entendu les dirigeants chinois dire qu'ils sont contre l'hégémonie et qu'il est nécessaire de construire un ordre mondial juste; nous avons entendu les dirigeants indiens dire qu'ils seront guidés par les intérêts indiens et qu'il est insensé de les persuader d'oublier les leurs au profit des intérêts géopolitiques américains. La Turquie, l'Algérie, sans oublier le Venezuela, Cuba, le Nicaragua. Le Mexique, l'Argentine et le Brésil ne soutiennent pas non plus les sanctions. Le processus de formation d'un nouvel ordre mondial va, bien sûr, s'accélérer et s'accélère déjà. Il s'agira objectivement de toute une époque historique.
Dans l'une de vos émissions, j'ai noté une déclaration de quelqu'un disant que la mondialisation se termine et que la régionalisation commence, qu'il y aura plusieurs grands blocs qui se formeront autour de leaders régionaux. Au sein de ces blocs, il y aura une substitution de tous les instruments et mécanismes qui constituent aujourd'hui un système mondial, mais qui sont utilisés de manière abusive par ceux qui ont créé ces instruments. Le débat portait sur la question de savoir si les États-Unis en avaient conscience. Quelqu'un a mentionné qu'ils en étaient tout à fait conscients. De plus, les Américains voudraient accélérer le processus de cette régionalisation de l'économie mondiale et des relations internationales en général. Et la Chine, comprenant également la nécessité d'une telle régionalisation et n'ayant rien contre celle-ci, tout en créant ses propres instruments et structures, souhaite que ce processus prenne plus de temps.
Lorsque j'ai entendu cela, j'ai pensé que c'était une observation intéressante. Il faut mieux étudier la question. Mais si les Américains voulaient vraiment accélérer la régionalisation du système mondial, cela signifierait qu'ils voulaient négocier le plus tôt possible. Plus vite les négociations et les accords seront conclus, plus grandes seront les chances de conserver l'influence qu'ils avaient et d'avoir une influence mondiale.
Il ne fait aucun doute que le processus a commencé. Il ne s'agit même pas de choisir entre la majorité mondiale et l'Occident; nous choisissons ceux qui sont fiables et contractuels, qui sont prometteurs en termes de projets à long terme, qui ne regarderont pas de manière opportuniste où ils peuvent ou ne peuvent pas en profiter.
Cette question a été abordée à un moment donné avec des collègues américains (lorsque nous disposions de canaux pour un dialogue régulier). Nombreux ont été les membres de l'administration américaine à reconnaître, après le début de la pandémie, que la démocratie au sens occidental du terme a ses limites et que ceux que les Américains appellent une "autocratie" ont des avantages. L'"autocratie" consiste en gros en un État centralisé, doté d’un forte vertical, qui peut prendre des décisions rapidement et promptement, applicables sur tout le territoire. Il est certain que si l'on compare la façon dont les différents pays ont fait face au COVID-19, il existe de nombreux exemples dans un sens ou dans l'autre. Nos camarades chinois ont finalement reconnu qu'il n'était pas tout à fait correct de fermer le pays d'un seul coup, car cela empêchait le développement de l'immunité collective. Ils sont en train de corriger cette erreur. Mais en termes de nombre de personnes touchées, les États-Unis sont loin devant tous les autres.
J'ai eu cette conversation avec l'ancienne secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice. Je lui ai demandé si le fait d'être détourné tous les deux ans par une campagne présidentielle ou "parlementaire" ne l'empêchait pas de diriger un pays vaste, grand et diversifié (même si la fonderie fait de chacun un Américain)? Elle a dit que bien sûr, il s'agit d'une perturbation. Leur système est lourd, mais c'est leur problème. Ils savent comment les résoudre. C'est leur problème d'une part, mais c'est aussi le problème du reste du monde. Parce qu'à chaque fois qu'il y a une campagne électorale, les Américains doivent trouver un thème extérieur, soit une menace, soit un défi. Ensuite, étant donné leur poids sur la scène mondiale, les processus mondiaux deviennent des "otages" sous la plus forte influence de leur "discours" et de leur lutte politique internes. Les États autocratiques (comme les États-Unis les caractérisent), avec un système de pouvoir centralisé, ont au moins l'avantage que l'"horizon" est beaucoup plus prévisible. La Chine, par exemple. On peut discuter pour savoir si cela est compatible avec la démocratie, mais qui peut dire que la démocratie en version américaine est la meilleure forme de gouvernement?
Peut-être que Winston Churchill avait en partie raison lorsqu'il a dit que "la démocratie est la pire forme de gouvernement". Il a ensuite ajouté qu'"en dehors de toutes les autres inventées jusqu'à présent". Le monde ne reste pas statique, quelque chose pourrait être inventé.
Question: Je pense qu'une autre phrase intéressante est attribuée à Winston Churchill : "le meilleur argument contre la démocratie est une conversation de cinq minutes avec l'électeur ordinaire". Je voudrais dire que si vous voulez comprendre le caractère erroné de la démocratie américaine, parlez à un membre ordinaire du Congrès et vous comprendrez beaucoup de choses.
Il y a quelques jours, vous avez mentionné que la presse américaine (le New York Times, entre autres) avait rapporté que certaines personnes de l'administration Joe Biden envisageaient sérieusement de tenter une attaque préventive contre les hauts dirigeants de la Russie. J'ai appelé Washington et j'ai parlé à deux personnes de l'administration qui ont préféré rester anonymes.
Sergueï Lavrov: J'ai également cité une source anonyme.
Question: Ils ont dit qu'ils ne pouvaient pas se porter garants de tout le monde dans l'administration (c'est énorme), mais bien sûr, il n'y a pas de tels projets de frapper les hauts dirigeants de la Russie et il ne peut pas y en avoir. Croyez-vous, d'après les informations dont vous disposez, que quelqu'un ayant un pouvoir réel à Washington est en train d'élaborer des plans pour frapper les dirigeants russes?
Deuxième question. À plusieurs reprises, à Washington, le secrétaire d'État Anthony Blinken et le conseiller à la sécurité nationale John Sullivan ont exprimé la façon dont Washington avertit la Russie de ne pas s'engager dans une voie quelconque, sous peine d'en subir les conséquences les plus graves. Voulez-vous profiter de cette occasion pour dire à l'administration ce qui se passerait si quelqu'un tentait une telle grève?
Sergueï Lavrov: J'ai fait recours à une source anonyme, mais contrairement à vous (vous connaissez vos sources anonymes), je ne la connais pas. Je sais qu'il était "annoncé" comme étant de haut rang.
Question: A-t-il été annoncé par le New York Times?
Sergueï Lavrov: Oui.
Question: Cela veut dire que le New York Times l'a pris au sérieux?
Sergue Lavrov: Nous sommes habitués au fait que c'est du journalisme sérieux. Bien qu'il y ait de plus en plus de signes que ce n'est pas toujours le cas, mais quand même. Je voulais délibérément exagérer cette fuite anonyme, car cette source a dit (c'était peut-être elle, maintenant c'est politiquement correct de dire il ou elle) qu'une telle menace avait été proférée, et en principe le Kremlin ne devrait pas se sentir en sécurité. Quelque chose comme ça. Il n'y avait rien de personnel à propos de Vladimir Poutine. Mais tout était clair. J'ai décidé de le souligner délibérément, car cela a été dit sur fond de "têtes parlantes" sans cesse. Une "tête parlante" est, apparemment, celle qui ne sait que parler. Pas réfléchir. De Kiev, Alexeï Danilov, par exemple.
Question: Secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense de l'Ukraine.
Sergueï Lavrov: Oui, un grand spécialiste des affaires internationales. Mikhaïl Podoliak.
Question: Conseiller du chef de l'administration du Président de l'Ukraine.
Sergueï Lavrov: "Nous reprendrons la Crimée" et "Que Kremlin sache que nous volerons vers eux et y larguerons nos bombes". Ils disent cela tous les jours.
Lorsqu'une thèse similaire mais moins vulgaire a été formulée par une "source anonyme à Washington", on n’a vu aucune réaction de l'Administration elle-même. Les journalistes n'ont pas demandé à Mme Karine Jean-Pierre lors de la conférence de presse ce qu'ils en pensaient. Interrogé sur la Crimée un responsable anonyme du Pentagone a répondu qu'ils ne pouvaient pas empêcher les Ukrainiens d'opérer avec leurs forces armées dans ce qu'ils considéraient comme le territoire de l’Ukraine. C'est un changement important de position.
En avril 2014, après le coup d'État et le référendum en Crimée (je l'ai déjà évoqué, cela ne devrait pas être un secret), nous nous sommes réunis à Genève. Le secrétaire d'État américain John Kerry, votre fidèle serviteur, la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton et Andreï Dechtchitsia. Nous avons discuté d'un document d'une page, dans lequel la thèse principale était le soutien à la fédéralisation de l'Ukraine et le lancement d'un processus avec la participation de toutes les régions de l'Ukraine. Cela a été perçu de manière tout à fait naturelle par la déléguée de l'Union européenne et John Kerry. Ensuite, ce "papier" n'a disparu nulle part. Mais il n'a obtenu aucun statut. Au même moment, John Kerry et moi avons eu de longues conversations bilatérales. Pendant l’une de ces conversations, il a dit qu'ils étaient bien conscients que le choix des Criméens était sincère et que cela ne faisait aucun doute. Mais, disent-ils, il est nécessaire de le légaliser d'une manière ou d'une autre, d'organiser à nouveau un référendum en invitant l'OSCE, l'ONU et quelqu'un d'autre. Ou tout était fait "à la hâte". Je lui ai expliqué que cela avait été fait de cette façon parce que cela avait eu lieu immédiatement après que les putschistes ont lancé des "trains de l’amitié" avec des voyous armés, le Secteur droit et d'autres groupes ultraradicaux néonazis en Crimée, qui avaient pris d'assaut le bâtiment du Conseil suprême de Crimée. La population ne voulait pas la répétition de ce genre de provocations agressives.
Le président Joe Biden ne cesse de dire que pour éviter une troisième guerre mondiale l'Ukraine doit "gagner". Il vient de le dire récemment. Je ne comprends pas vraiment la logique, car ensuite il dit aussi "nous n’allons pas affronter directement la Russie en Ukraine, sinon ce sera une troisième guerre mondiale". Et après un certain temps, a-t-il ajouté que pour éviter cela, "l'Ukraine doit gagner". Nous n'avons pas de canal de dialogue. De temps en temps le président des chefs d'état-major interarmées Mark Milley appelle le chef d'état-major général des forces armées russes Valeri Guerassimov. Le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin parlait à plusieurs reprises avec notre ministre Sergueï Choïgou pendant cette période. C'est bon et utile. Mais tout se limite au fait qu'il faudrait être prudent.
Question: Hillary Clinton, lorsqu'elle était secrétaire d'État américaine, a formulé le principe de la diplomatie américaine, qui est toujours en vigueur aujourd'hui. C'est "marcher et mâcher du chewing-gum en même temps". Dans ce cas, si nous parlons des relations russo-américaines, il sous-entend que les États-Unis endiguent la Russie, aident l'Ukraine, essaient d'aider l'Ukraine à "vaincre la Russie sur le champ de bataille". Mais en même temps ils veulent discuter avec la Russie des dossiers qui les intéressent. Maintenant ils souhaitent discuter avec la Russie de la reprise des inspections sur les sites nucléaires dans le cadre de la mise en œuvre du traité START-3. Les États-Unis en appellent au fait que nous sommes des superpuissances nucléaires et que pour des raisons de stabilité stratégique, il est nécessaire qu'il y ait des inspections. À mon avis, c'est très hypocrite. Je vois la principale menace pour la stabilité stratégique dans la guerre hybride que les États-Unis mènent contre nous, et non dans le fait qu'il y ait ou non des inspections. Dans tous les cas, en avons-nous besoin? Oui, c'est l'une des opportunités de dialogue avec les États-Unis, mais dans le contexte, tel que les États-Unis le présentent, est-ce nécessaire?
Sergueï Lavrov: Dans ma jeunesse je marchais et mâchais du chewing-gum et je n'éprouvais aucune gêne. C'est une image américaine. Nous parlons avec d'autres idiomes, y compris comment se comportent les amateurs de production halieutique.
Vous avez tout à fait raison. Ils souhaitent la reprise des inspections. Certainement nous analysons la situation. Selon notre évaluation, ils en ont besoin pour comprendre, "et si c'était le cas", alors à quoi s'attendre. Ceci en dépit de tous les "mantras" sur l'inadmissibilité de la guerre nucléaire, à laquelle nous sommes toujours attachés à cent pour cent. Cela a été récemment réaffirmé dans notre déclaration faisant référence aux déclarations initiées par la Russie des cinq pays nucléaires selon lesquelles il ne peut y avoir de vainqueur dans une guerre nucléaire et elle ne peut jamais être déclenchée. En juin 2021, lors du sommet, les présidents Joe Biden et Vladimir Poutine, à notre initiative, ont mis à jour et reconfirmé les déclarations de la fin des années 1980 de Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev.
Ils veulent organiser ces inspections. Ils nous envoient des signaux. Des représentants du Conseil de sécurité nationale nous appellent pour tout reprendre. Nous (tout à fait dans le sens de votre analyse selon laquelle la stabilité n'est pas assurée par les inspections) citons ce traité. Le préambule de ce traité stipule que la Fédération de Russie et les États-Unis "travaillent à cet égard pour renforcer de nouvelles relations stratégiques fondées sur la confiance mutuelle, la transparence, la prévisibilité et la coopération", etc. Maintenant, les États-Unis y ont tiré un trait. On nous qualifie pratiquement d'ennemi. Il n'y a pas de confiance. Ils nous en parlent ouvertement. Le même préambule précise que les parties reconnaissent le lien indestructible entre les armes stratégiques offensives et les armes stratégiques défensives. Oui, c'était le maximum auquel les Américains étaient prêts pour indiquer qu'ils comprenaient nos préoccupations concernant leurs projets de défense antimissile, pour créer une défense antimissile mondiale, mais, néanmoins, ce lien est inscrit dans le traité. Même à l'étape précédente, avant les évènements actuels, dans le cadre des consultations sur la mise en œuvre de l'accord, nous avons attiré leur attention sur le fait qu'il y avait un lien. Le traité précise que non seulement le lien existe, mais qu'il pèse lourd pour les futures discussions sur la réduction des armements stratégiques. Ils disent que "c'était le préambule". Nous attirons leur attention sur le fait que notre Douma, lors de la ratification du traité, a déclaré que sans mentionner le lien étroit et inséparable entre les armes stratégiques offensives et défensives, la ratification serait impossible. Ce n'est pas un "prélude" à quelque chose, c'est un fait juridique. Bien sûr, ils violent cet engagement. Une défense antimissile mondiale est en cours de construction le long du périmètre de nos frontières et de celles de la Chine. Tous les discours du genre "ne vous inquiétez pas, tout est fait contre l'Iran et la Corée du Nord" sont désormais de l’histoire ancienne. Plus personne ne s'en souvient. Il est ouvertement déclaré que le système de défense antimissile devrait aider à "dissuader" la Russie et la Chine.
Dans ces conditions, s'ils ne voient dans ce traité qu'une seule chose importante pour eux: "laissez-nous venir voir", ce n'est pas très honnête. D'un point de vue technique, les sanctions ont sérieusement entravé notre capacité à effectuer des inspections réciproques. Même s'il est permis à l'avion de survoler tous les territoires des pays (hypothétiquement) sur l'itinéraire vers Genève, les membres de la délégation et les équipages, comme nous l'avons analysé, auront de sérieuses difficultés avec les paiements de l'hôtel, la nourriture, le ravitaillement de l'avion. Ils ne peuvent rien garantir. "Reprenons et puis nous verrons en cours de route". Le dossier technique est absolument secondaire, voire sans importance.
Une question stratégique fondamentale est qu'ils ont sapé tous les fondements sur lesquels repose ce traité. Néanmoins, après avoir dit tout cela à nos collègues américains, nous avons dit que nous étions pleinement attachés à nos engagements au traité dans la mesure où ils peuvent être mis en œuvre sur un pied d'égalité: nous leur fournirons les informations prévues par le traité en en temps opportun et intégralement et enverrons les notifications appropriées.
Question: Poursuivant le sujet d'une menace réelle pour la stabilité stratégique, Joe Biden a déclaré que pour empêcher une troisième guerre mondiale, "l'Ukraine doit gagner sur le champ de bataille". D'après vous, que feront les États-Unis lorsque l'Ukraine perdra sur le champ de bataille? Cela me semble inévitable. Ils se sont convaincus que cette guerre n'était pas seulement et pas tant pour l'Ukraine, mais pour le leadership américain, le fameux "ordre mondial fondé sur des règles", c'est-à-dire l'hégémonie américaine. Que vont-ils faire quand l'Ukraine perdra?
Sergueï Lavrov: Vous me posez une colle. J'essaie de réfléchir avant de dire quelque chose. Et ça ne marche pas toujours. Lorsqu'une personne dit de telles choses, elle garde probablement quelque chose "en réserve" pour un tel cas, s'il s'agissait d'une déclaration consciente.
Maintenant, tout le monde a commencé à parler de la nécessité de négociations. Mais ensuite ils nous accusent d’y renoncer. Bien que le président russe Vladimir Poutine ait répété à plusieurs reprises qu'il n'y avait pas de propositions sérieuses.
L'exemple du processus d'Istanbul montre bien qu'à l’époque ils se sont mis d’accord et dit: "C'est trop tôt. Vous n'avez pas épuisé la Russie suffisamment de notre point de vue, des Américains". Lorsqu'ils disent que Kiev est "prêt" et que la Russie "ne veut pas", ils le font hypocritement, dans le contexte du fait que Kiev déclare qu'il ne s'assiéra jamais à la table des négociations jusqu'à ce qu'ils ne libèrent leur territoire "ukrainien natif et la Crimée". Tant que la Russie "ne dépose pas les armes", ne paie pas de "réparations", on ne nous admettra pas dans un nouveau "groupe". Et ensuite le tribunal encore. Et en février 2023, ils vont réunir de nouveaux rangs. Ce sera intéressant à voir.
Maintenant et depuis longtemps tout sort du cadre onusien. Les Français et les Allemands ont créé des plateformes sur le droit international humanitaire. Puis ils ont créé l'Alliance des multilatéralistes dirigée par l'UE. Lorsqu'on leur a demandé pourquoi cela ne se faisait pas à l'ONU, où le format lui-même est le plus multilatéral possible, ils ont répondu qu'il y avait des rétrogrades, et qu’ils étaient de vrai multilatéralistes.
Puis Joe Biden a convoqué un "sommet des démocraties", décidant qui était démocrate et qui ne l'était pas. Or, un "démocrate" au sens américain est quelqu'un qui n'est même pas loyal aux États-Unis, mais au Parti démocrate américain. Linguistiquement c’est compréhensible. Puis la Communauté politique européenne a été convoquée. Les États-Unis ont récemment accueilli le sommet États-Unis-Afrique. Contrairement à nous, qui avons invité tout le monde au premier sommet et tout le monde au second à la mi-2023, les Américains eux-mêmes ont décidé de ce qu'était l'Afrique comme concept géographique. Six ou sept pays n'ont pas été invités, parce que les gouvernements y sont arrivés au pouvoir de manière "illégale", c'est-à-dire pas par des élections. Et en Ukraine, le gouvernement est arrivé au pouvoir simplement par un coup d'État sanglant.
Question: En tant que personne qui vient d'arriver de Washington je peux discuter avec vous. Si l'administration Biden a décidé que "quelque chose" n'était pas l'Afrique, alors "quelque chose" n'est pas l'Afrique. Vous lancez déjà un défi à l'alpha et l'oméga. Si quelqu'un a décidé que "ceci" n'est pas l'Afrique, pourquoi Moscou n'est-il pas d'accord avec cela?
Sergueï Lavrov: Pour en finir avec l'énumération de ces "arabesques", sur la perspective de créer un nouveau de forum de sécurité sans la Russie. Zelenski a proposé un plan en dix points, et Dmitri Kouleba nomme déjà les superviseurs occidentaux pour chacun des dix points. Ils vont maintenant donner des ordres.
Question: Revenons à Henry Kissinger. Il a écrit il y a des années que les dirigeants se mentaient rarement car, contrairement à la diplomatie publique, lorsque vous avez affaire à un rival, il n’était pas question de dire la toute vérité. Mais quand les dirigeants se parlent, ils ne se trompent généralement pas, car ils devront avoir affaires les uns aux autres en perspective et un minimum de confiance est un principe fondamental de la diplomatie.
Maintenant, me semble-t-il, nous sommes arrivés à une situation où il n'y a aucune confiance, alors que même à Washington et à Bruxelles ils se vantent qu'il n'y a pas de confiance, de relations de confiance avec la Russie et qu'elles ne peuvent pas l'être. Lorsqu'on dévoile ouvertement ce qui a été dit après des négociations avec vous, avec le président de la Russie. Quand ils disent qu'il y avait des avertissements lors de la crise géorgienne de 2008, qu'il fallait "renverser" Mikhaïl Saakachvili. Alors que maintenant on attribue des déclarations à vous et à Vladimir Poutine, qui (comme il s'avèrera plus tard) n'ont jamais été faites.
J'ai une question à vous poser: comment pouvons-nous travailler dans de telles conditions avec vos anciens collègues américains, qui restent une grande puissance, à qui nous devons avoir affaire à la fois avec le minimum de dialogue public et confidentiel qui existe aujourd'hui. Quel conseil pouvez-vous donner? Pas rhétorique mais sérieux pour ceux qui déterminent la politique américaine à Washington, pour que dans la nouvelle année un dialogue sérieux commence néanmoins.
Sergueï Lavrov: Quant au dialogue, nous ne voudrions faire aucun vœu. Ils savent parfaitement que ce n'est pas nous qui avons interrompu le dialogue. Nous n'allons pas demander de reprendre le dialogue. Ce n'est pas dans notre tradition. Notre tradition, c’est de toujours répondre aux propositions raisonnables si une proposition de rencontre suit.
Nous avons reçu plusieurs propositions informelles au cours de cette période. Nous étions d'accord à chaque fois. L'une d'elles s'est matérialisée. Il s’agit de la rencontre entre le directeur de la CIA William Burns et le chef du Service de renseignement extérieur Sergueï Narychkine à Ankara. Il s’agissait d'une rencontre confidentielle, mais tout a "fuité". Peu de choses sont gardées secrètes de nos jours. Bien que nous essayions toujours de respecter un tel accord. Il y eu d'autres propositions. Également en référence aux "ordres" de Washington. Nous n'avons jamais refusé. Mais ensuite, ces propositions se sont réduites à rien.
Je voudrais souhaiter être un peu plus "démocrate" non pas à son sens, mais sur la scène internationale. Lorsque vous commencez à parler de démocratisation des relations internationales, et non pas de quelque chose de surnaturel et de nouveau, mais du fait que ces relations devraient être fondées sur la Charte des Nations unies, qui stipule que l'ONU a été fondée sur l'égalité souveraine des États. Vous n'avez besoin de rien d'autre. Seulement suivre cet engagement, que les auteurs américains (avec les nôtres) ont inscrit de leurs propres mains dans ce document fondamental. Car sinon ils se sentent en droit (j'ai cité ces exemples, ils sont sur toutes les lèvres) de décider soudainement que la sécurité des Etats-Unis s'est fortement détériorée ou dépend de manière décisive de ce qui se passe en Yougoslavie; du fait qu'il semblait à quelqu'un que Saddam Hussein faisait des recherche dans le domaine des armes de destruction massive; ou Mouammar Kadhafi n'était pas assez "beau", ou peut-être qu'il en savait trop au sujet du financement de la campagne électorale du Président de la France. Et c'est tout. Un corps expéditionnaire était envoyé à dix mille kilomètres de là. Ils ont ruiné la Libye. Maintenant, ils essaient de la reconstruire eux-mêmes. Tout comme les Américains ont un jour insisté pour que le Soudan soit divisé en deux parties. Puis ils ont commencé à se plaindre que ni l'un ni l'autre ne les écoutait. Maintenant on exige d'imposer des sanctions contre le Soudan et le Soudan du Sud. Et ils les introduisent déjà.
En Irak, (des centaines de milliers de personnes, des villes ont été rasées. Aucune arme n'a été trouvée) Tony Blair dans ses mémoires écrit qu'ils ont "échoué", qu'ils ont fait une erreur, "eh bien, cela n'arrive à tout le monde". Et c'est de l'autre côté de l'océan. Je ne dis même pas quelles sont les raisons "annoncées" par les Américains pour intervenir en République dominicaine, à la Grenade. Là, le président Reagan a déclaré qu'une menace avait été créée pour la vie des citoyens américains. Juste une menace. Et il y avait des milliers d'Américains là-bas. Ils envahissent, changent de pouvoir, etc.
Dans notre cas avec les Russes et les russophones en Ukraine, leurs droits, leur langue, leur éducation, leurs médias, leur culture ont été bafoués par la loi. Puis a eu lieu le coup d'État. Ensuite, les putschistes ont immédiatement déclaré instinctivement que la langue russe devait être interdite, qu’il fallait cesser de "travailler" avec elle et que les Russes devaient être "expulsés" de Crimée en général. Nous avons accepté les Accords de Minsk. Ils concernaient une petite partie des territoires dont il est actuellement question. En Ukraine, rien n'a été adopté ni sous Piotr Porochenko ni sous Vladimir Zelenski sans un avis américain. Et si l'Occident, avant tout les États-Unis, remplissait ensuite ces accords dans l'ensemble simples, il ne se serait rien passé. Il n'y aurait pas eu de putsch ni de coup d'État si les Allemands, les Français, les Polonais, qui ont garanti un accord entre Ianoukovitch et l'opposition, il y aurait eu des élections que cette opposition aurait gagnées. Tout était clair. Pourquoi fallait-il le faire? Je n'ai qu'une seule réponse - car dans ce cas, la théorie avancée par Zbigniew Brzezinski serait sujette à révision et à risque. Et puis l'Ukraine, à condition que les accords conclus soient respectés, et que tout reste tel qu'il était dans les frontières de 1991, cela créerait des conditions où la Russie et l'Ukraine maintiendraient des relations normales (je rêve maintenant, mais je pense que je ne suis pas loin de la vérité).
Il a donc fallu "mettre en place" des russophobes, rompre l'accord avec Viktor Ianoukovitch et commencer ce qu'ils continuent à faire: introduire la justification de la théorie nazie dans la législation et promouvoir la pratique nazie à travers des bataillons dans la vie quotidienne.
Au Congrès américain, lorsqu'ils ont approuvé le budget militaire américain, une fois de plus, comme les membres du Congrès le font chaque année, ils ont inclus une interdiction de toute aide (militaire, matérielle) à Azov. A chaque fois, le Pentagone s'y oppose et cherche à retirer cette interdiction du budget américain. Cela en dit déjà long.
Question: Quelle est votre pronostic pour l'année prochaine? Je ne vous demande pas des fantaisies, ce n'est pas une occupation pour le ministre. Que seriez-vous prêt à partager en termes de vos propres attentes.
Sergueï Lavrov: Nous devons toujours être réalistes. Je ne suis pas pessimiste, bien qu'on dise qu'un pessimiste est un optimiste bien informé. C’est comme avec un verre: à moitié plein ou à moitié vide. Il est également important de savoir quel liquide se trouve dans le verre.
Mes attentes sont réalistes. Je suis convaincu que grâce à notre persévérance, notre patience et notre détermination, nous défendrons les nobles objectifs qui sont d'une importance vitale pour notre peuple et notre pays, de manière cohérente, en restant toujours prêts pour un dialogue égal et des accords qui garantiront une sécurité véritablement égale et indivisible en Europe .
Cela suppose de prendre en compte les intérêts de la Russie. Ce n'est pas quelque chose que nous avions inventé et exigé. C'est ce que tous les dirigeants occidentaux ont signé à Istanbul en 1999, à Astana en 2010, et dans le cadre des documents du Conseil Otan-Russie. On nous mentait, pour le dire diplomatiquement.