Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors de la conférence de presse consacrée au bilan de la semaine de haut niveau de la 74e session de l’Assemblée générale de l’Onu, New York, 27 septembre 2019
Merci de vous intéresser à nos rapports avec les affaires internationales, au travail de l’Assemblée générale et de l’Onu et à la participation de la délégation russe à ce dernier.
Notre agenda était, comme d'habitude, très chargé, avec plusieurs dizaines de rencontres avec des chefs d’État, de gouvernement et de diplomatie, des entretiens avec le Secrétaire général de l’Onu et le Président de la 74e session de l’Assemblée générale de l’Onu, des contacts traditionnels avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu, dans le cadre des BRICS, de l’OTSC et du quartet pour le Moyen-Orient.
La session actuelle se déroule dans un contexte compliqué. Il n’est pas nécessaire d’en parler en détail. Il existe beaucoup de crises et de conflits non réglés. Le nombre de problèmes de l’économie et de la politique internationales, malheureusement, ne diminue pas. Dans notre intervention d’aujourd’hui, nous avons tenté de présenter notre vision des raisons de cette situation pas vraiment optimiste. Nous avons essayé d’analyser la conception que nos collègues occidentaux promouvaient activement aujourd’hui d'un «ordre basé sur des règles» et de voir s'il correspondait avec les normes universelles généralement reconnues et collectivement concertées du droit international. Selon nos estimations, cette conception ne correspond pas vraiment à ces dernières, voire les contredit. C’est pourquoi nous voulons que tous les pays renouent avec le respect de la Charte de l’Onu et des autres normes et principes du droit international universel. Je vous assure que dans ce travail et sur cette position, beaucoup sont à nos côtés.
Cette année, l’ouverture de la session de l’Assemblée générale de l’Onu a coïncidé avec notre présidence du Conseil de sécurité des Nations unies. Son événement central a été la séance ministérielle organisée avant-hier, consacrée à la coopération de l’Onu avec l’OTSC, l’OCS et la CEI dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.
Nous avons tenu hier une autre réunion ministérielle du Conseil de sécurité de l’Onu: les débats sur le renforcement de la paix et de la sécurité en Afrique organisés en coopération avec trois membres africains du Conseil.
A mon avis, ces deux événements ont été très utiles. Le premier a permis de définir les possibilités supplémentaires qu’il était nécessaire de mettre en pratique afin de combattre plus efficacement le terrorisme en utilisant le potentiel des organisations régionales. Le deuxième a souligné encore une fois la prédominance des problèmes africains à l’ordre du jour de l’organe suprême de l’Onu: le Conseil de sécurité. Notre travail doit se laisser guider par le principe «des solutions africaines aux problèmes africains»: les Africains doivent utiliser eux-mêmes leur expérience et leur savoir-faire afin de résoudre les problèmes du continent, d’aider à trouver des compromis entre les belligérants dans tel ou tel État, dans telle ou telle partie de l’Afrique.
Je pense que les débats organisés dans le cadre de la semaine de haut-niveau de l’Assemblée générale de l’Onu et les entretiens qui se sont tenus parallèlement à ces derniers ont confirmé que l’appui sur le rôle central et coordinateur de l’Onu était un gage de réaction efficace de l’humanité aux différentes menaces communes. Malgré tous ses défauts, l’humanité n’a rien inventé de plus fiable. Et je doute qu’elle soit capable de le faire dans un avenir proche.
Question: J’ai une question concernant l’Iran. Que pensez-vous de l’avenir du Plan d'action global commun (PAGC) et des relations américano-iraniennes compte tenu du bilan de la semaine de haut niveau de l’Assemblée générale? Vous avez mentionné dans votre intervention la Conception russe de sécurité collective dans le Golfe persique: est-elle toujours «sur la table»? L’avez-vous débattue lors de vos rencontres à l’Onu?
Sergueï Lavrov: Les problèmes liés à l’effondrement du PAGC n’ont pas commencé lors de la session actuelle de l’Assemblée générale de l’Onu mais beaucoup plus tôt, il y a 18 mois, quand les États-Unis ont quitté unilatéralement ce texte adopté par le Conseil de sécurité de l’Onu et faisant donc partie du droit international, ont annoncé qu’ils interdiraient à tout le monde de respecter cet accord et introduiraient des sanctions contre ceux qui suivaient ce plan et notamment poursuivaient leurs échanges avec l’Iran.
Je pense que ces actions sont destructrices non seulement pour la situation concrète du programme nucléaire iranien, mais aussi pour le régime de non-prolifération et la situation dans la région en général. Nos collègues américains interprètent malheureusement pratiquement tous les aspects de la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord à travers le prisme anti-iranien. Comme s’ils tentaient de trouver sciemment le plus de raisons possibles afin d’argumenter leurs affirmations infondées présentant l’Iran comme la source principale du mal dans cette région et soulignant que tous les maux proviendraient de Téhéran.
Ceci étant dit, notre conception consiste à utiliser l’expérience d’autres régions du monde, et notamment de l’Europe où a été lancée la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe ayant conduit à la signature de l’acte final d’Helsinki et à l’adoption de beaucoup de déclarations importantes au sommet. J’ai déjà mentionné ces dernières aujourd’hui: la Charte de sécurité européenne et la Plate-forme pour la sécurité coopérative. C’était en 1999. Ces documents promeuvent les principes de dialogue, de respect des intérêts des autres et de volonté de débattre des préoccupations mutuelles, ainsi que le refus de renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres.
La même logique est à la base de notre initiative - la Conception de sécurité dans la zone du Golfe persique. Nous l’avons présentée pour la première fois il y a très longtemps, à une époque où il était encore possible d’éviter l’aggravation que nous constatons aujourd’hui. Malheureusement, tous les pays côtiers du Golfe n’ont pas consenti, à l’époque, à adopter ces mesures préventives. Ils disaient que l’idée était assez bonne, mais qu’il fallait attendre qu'elle mûrisse. A mon avis, elle est aujourd’hui trop mûre. Le fait que de plus en plus de pays du Golfe, notamment des pays arabes du Golfe, pensent actuellement à la désescalade, indique que les idées que nous promouvons seront demandées sous telle ou telle forme. Ces dernières sont très simples: il faut négocier, ne pas avancer de prétentions mutuelles via les médias et depuis les tribunes, mais présenter ses préoccupations et commencer à les examiner de manière sérieuse, sans tenir compte de tel ou tel public, pour satisfaire tous les participants à ce processus.
J’espère qu’un tel processus sera lancé. Selon notre idée, il devrait impliquer non seulement les pays du Golfe, mais aussi, en tant que soutiens, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, la Ligue arabe, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union européenne qui s’intéresse elle aussi à cette région du monde. Si ce processus était lancé, ces principes et ces approches pourraient être utilisés dans d’autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord où l'on ressent de manière de plus en plus marquée la nécessité d’un système de sécurité fiable et inclusive.
Question: Comment s'est déroulé aujourd'hui votre entretien avec le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo? Avez-vous abordé la stabilité stratégique? Sur quoi avez-vous débouché? Mike Pompeo a écrit sur Twitter que "les États-Unis et la Russie devaient trouver une solution constructive pour avancer": d'après vous, ce sont de nouveau de belles paroles?
Sergueï Lavrov: Nous avons effectivement évoqué un large éventail de sujets - nous avons un communiqué de presse. Il a été question de la stabilité stratégique dans toutes ses dimensions: évidemment les conflits qui perdurent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la Syrie, la Libye, l'Afghanistan; nous avons parlé du problème de l'Asie du Nord-Est dans le contexte du problème nucléaire de la péninsule coréenne; nous avons parlé des affaires bilatérales, notamment pour faire suite aux conversations qui avaient eu lieu entre nos présidents, y compris la dernière à Osaka en marge du sommet du G20 suite à laquelle ils s'étaient entretenus par téléphone en juillet. Durant ces entretiens des propositions ont été avancées, avant tout du côté russe, pour essayer de créer des canaux de communication supplémentaires pour la coopération d'affaires au niveau des entrepreneurs des deux pays et pour la prise de conscience des problèmes mondiaux de sorte à ce que la Russie et les États-Unis puissent contribuer au maximum à leur règlement en créant un conseil d'experts composé de diplomates éminents, de politiciens, d'anciens militaires, de représentants des services de renseignement et des services spéciaux. Ces propositions sont sur la table, tout comme nos propositions mentionnées aujourd'hui dans mon discours sur le fait qu'après la rupture, malheureusement, du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), il faut songer à un moratoire réciproque pour le déploiement des missiles de cette classe et faire une déclaration appropriée, songer à entamer au plus vite un travail sur la préparation de la prolongation du START. Le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo s'est dit prêt à en parler. Toutefois, il a réaffirmé la fameuse position américaine selon laquelle il est difficile de le faire à deux, qu'il faut élargir le cadre. Nous serons favorables à tout format à condition que tous les participants que les États-Unis souhaitent inviter répondent à cette invitation. Quoi qu'il en soit, notre position est que le START, qui expire en février 2021, devra être prolongé en toute circonstance. Du moins pour conserver un instrument d'appui dans le domaine de la stabilité stratégique. J'espère qu'avec nos collègues américains nous poursuivrons la conversation à ce sujet. C'est dans ce sens que nous avons parlé de la stabilité stratégique. Je voudrais souligner que la réaction n'était pas négative.
Nous avons évidemment parlé des relations bilatérales, dans le cadre desquelles se sont accumulés tellement d'éléments irritants que plusieurs fois par an nos adjoints ou directeurs des services compétents se rencontrent et énumèrent tous ces problèmes (à 90% cette énumération est réalisée par la Russie) et, malheureusement, ne peuvent trouver aucune issue pour l'instant. Bien évidemment, j'ai abordé la situation révoltante du refus factuel de délivrer des visas à une grande partie des membres de la délégation russe - 13 personnes en tout. Comme le jour de mon arrivée, j'ai réaffirmé que je n'avais pas le moindre doute sur le fait que le Président américain Donald Trump et le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo n'avaient rien à voir dans cette décision - Mike Pompeo me l'a confirmé. Si c'est le cas, alors on se demande qui prend des décisions qui sont directement liées à l'accomplissement par Washington de ses engagements pour garantir le fonctionnement normal du siège de l'Onu. Deuxième point: quand de tels excès ont lieu, les exécutants qui les commettent prennent apparemment des décisions en interprétant à leur entendement l'atmosphère générale des relations. Or cette atmosphère est bel et bien créée par la classe politique américaine. Tous les jours, pratiquement toutes les heures, sont annoncées de nouvelles sanctions, des accusations de la Russie de nouveaux péchés capitaux. Aujourd'hui, la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi a déclaré que derrière l'incident médiatisé actuellement autour de la conversation entre les présidents des États-Unis Donald Trump et de l'Ukraine Vladimir Zelenski se trouverait la Russie, qui l'aurait organisé. C'est tout simplement de la paranoïa évidente pour tous, je crois. Mais quand des politiciens sérieux, et derrière eux des médias qui prétendent être sérieux, le médiatisent à travers le monde, le fonctionnaire qui doit répondre à une demande de visa va penser: "Je préfère ne pas prendre de risques." C'est pourquoi il faut tout analyser gloablement et chercher à normaliser l'atmosphère générale. Après quoi il sera probablement plus simple de faire revenir les relations russo-américaines au stade que tout le monde attend. Nous avons entendu un tel souhait de la part de tous nos partenaires des pays émergents et européens.
Question (traduite de l’anglais): Que pensez-vous de la formation du Conseil constitutionnel en Syrie? Compte tenu de cet événement et dans le contexte de la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’Onu contenant un appel à des élections justes et libres, percevez-vous la perspective d'une démocratie complète et d'élections libres en Syrie - ce que cet État n'a pas connu en 50 ans, depuis que la famille al-Assad est au pouvoir?
Sergueï Lavrov: Je ne peux pas exprimer de réaction à la formation du Comité constitutionnel car nous nous sommes directement occupés de sa création, contrairement à certains autres participants à ce processus, qui n’ont fait que le freiner par tous les moyens. Sans leurs efforts, le Comité aurait été formé en décembre dernier déjà. Nous savons bien qui tentait de bloquer ce travail, mais nous ne nous offensions pas, ne prenions pas un air indigné: nous continuions d’aider le gouvernement et l’opposition syriens à rechercher des approches concertées. Au final, nous avons réussi à le faire. Je suis reconnaissant au Secrétaire de l’Onu Antonio Guterres et à son Envoyé spécial pour la Syrie, Geir Pedersen, qui ont accompagné ce processus de manière assez délicate et diplomatique, ont réellement aidé la Russie, la Turquie et l’Iran, les pays garants du processus d’Astana, à s’entendre avec les parties sur la liste et les règles de procédure acceptables. Le Secrétaire général a annoncé qu’ils envisageaient de convoquer d’ici un mois la première réunion du Conseil constitutionnel à Genève. Nous le saluons. Mais mon message principal est que je suis content que la résistance à ce processus a cessé. Parce qu’elle visait à torpiller tout le processus de règlement syrien, à provoquer des confrontations, des tensions et des scandales dans ce processus afin de montrer ensuite du doigt la personne que vous savez et de justifier un nouveau recours à la force. Je suis heureux que la raison a prévalu, notamment chez nos partenaires occidentaux qui sont membres de la coalition antiterroriste. Nous l’avons évoqué également aujourd’hui avec Mike Pompeo. Je pense que nous élaborons progressivement une meilleure compréhension des moyens optimaux d’aider les Syriens à s’entendre sur l’avenir de leur patrie en garantissant le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du pays par tous les acteurs extérieurs. En ce qui concerne la résolution 2254, elle est beaucoup plus large et contient beaucoup plus de clauses, non seulement une sur les élections libres. Elle mentionne en effet la nécessité d’organiser des élections libres sous la surveillance et avec l’aide de l’Onu, réunissant tous les Syriens. Mais ce texte stipule également beaucoup d’autres choses. Notamment la nécessité d’élaborer une réforme constitutionnelle qui devra précéder les élections. Nous sommes au courant de certains projets qui veulent notamment exiger les élections parallèlement au travail sur la Constitution indépendamment de son aboutissement. Cela serait une nouvelle provocation. Je vous assure que les idées de ce genre ne feront que bloquer le progrès que nous n’avons réussi à obtenir que récemment, et de nouvelles ententes entre les Syriens. Il faut tout faire progressivement, pas à pas. Quand certains veulent obtenir tout immédiatement - sinon, ils menacent de déverser des bombes - j’espère que cela ne répond aux intérêts d’aucun pays de la région, y compris d’aucun voisin de la Syrie. N’oubliez pas que la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’Onu stipule très clairement l’objectif de la lutte sans compromis contre le terrorisme. On ne peut pas l’oublier et le faire sortir du contexte les débats sur la mise en œuvre de la résolution 2254 du Conseil de sécurité.
Question: On dit qu’à l’époque de votre travail à New York, vous fumiez souvent dans le bâtiment de l’Onu, et même payiez des amendes. Fumez-vous toujours? Si oui, avez-vous payé des amendes cette fois-ci?
Sergueï Lavrov: Je n’ai jamais payé aucune amende. Ce sont des fantaisies. On crée aujourd’hui des mythes. Nous nous laissons infailliblement guider par toutes les décisions adoptées par l’Assemblée générale des nations unies sur les règles de conduite dans différents endroits du siège de l’Onu.
Question: Un peu plus tôt cette semaine, vous vous êtes prononcé pour le rétablissement des vols entre la Géorgie et la Russie. Quand pourrait-on attendre des actions concrètes et quelle sera leur nature? Compte tenu de cette annonce, pourrait-on s’attendre bientôt au rétablissement des vols avec l’Ukraine?
Sergueï Lavrov: La décision d’arrêter les vols vers la Géorgie a été adoptée en réponse à une démarche outrancière de l’opposition qui avait torpillé une réunion de l’Assemblée interparlementaire de l’orthodoxie. Il s’agissait d’une provocation préparée. Nos députés ont fait face à la violence. Lors de l’annonce de cette décision, nous avons souligné qu’il s’agissait d’une mesure temporaire et que nous l’annulerions quand la situation se normaliserait et que les dirigeants géorgiens se rendraient compte de la nécessité de mettre fin à ces excès.
Le 26 septembre, nous nous sommes entretenus avec le Ministre géorgien des Affaires étrangères David Zalkaliani, à sa demande. J’ai lu après ses longs commentaires qui, à mon avis, lui ont pris plus de temps que la rencontre même. Parmi d’autres questions, il m’a interrogé sur la date de rétablissement des vols. Je lui ai expliqué que nous n’avions jamais recherché des prétextes artificiels pour nous quereller avec la Géorgie. Si les dirigeants géorgiens arrivaient à promouvoir de manière responsable leur position en faveur de relations normales avec la Russie sans tenir compte des russophobes - il semble que l’ancien président tente encore une fois de les mobiliser pour combattre le régime de Tbilissi - je rétablirais personnellement les vols. Les commentaires des Géorgiens concernant cette rencontre suscitent en moi sourire et perplexité.
Question: Quelques jours avant le début de votre visite de travail à New York, les autorités américaines ont permis à l'épouse et à la fille de Viktor Bout d'entrer aux États-Unis. Avez-vous réussi, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, à évoquer avec vos collègues américains et koweïtiens (car au Koweït se trouve encore Maria Lazareva) le sort de Russes concrets qui souffrent pour différentes raisons?
Sergueï Lavrov: Nous posons des questions sur Viktor Bout à chaque fois, lors de tous nos contacts avec la partie américaine. J'ai mentionné la longue liste d'éléments irritants et de problèmes dans nos relations, qui est régulièrement transmise aux Américains. Le sort de Viktor Bout, tout comme celui de Konstantin Iarochenko, de Maria Boutina et d'autres de nos citoyens qui ont été enlevés par duperie ou en transgressant grossièrement les lois des pays où ils ont été capturés, est une priorité pour nous. Aujourd'hui, j'ai rappelé au Secrétaire d’État américain Mike Pompeo nos préoccupations, qui nécessitent de l'attention. Que la femme et la fille de Viktor Bout aient été autorisées à venir est une bonne chose. C'est un acte humain, après tout. Mais nous sommes déçus que cela arrive pour la première fois depuis les nombreuses années de son emprisonnement sur une accusation gratuite, à cause d'une affaire montée de toutes pièces. Nous chercherons à faire en sorte que la justice triomphe.
Je me suis occupé de l'affaire de Maria Lazareva quand j'étais récemment à Koweït, notamment au niveau de l’Émir, du vice-premier ministre et du ministre des Affaires étrangères. On nous affirme que cette question est examinée de près. Ils ont des problèmes procéduraux. Pour nous la question est claire, il faut la régler d'urgence, comme nos amis koweïtiens nous l'ont promis, d'ailleurs. Vous savez probablement que les collègues britanniques et américains nous aident dans cette affaire. J'espère qu'un tel signal collectif puissant donnera un résultat.
Question (traduite de l'anglais): Quel est le but de votre prochaine visite en Irak? A ce que je sache, vous avez également l'intention de visiter le Kurdistan irakien. L'Irak est un grand importateur d'armes russes. De plus, la Russie investit dans le secteur pétrolier irakien. Compte tenu de la tension actuelle dans la région, la Russie compte-t-elle élargir la coopération commerciale et militaire avec l'Irak?
Sergueï Lavrov: Nous avons de très bonnes relations avec l'Irak, une bonne coopération dans plusieurs domaines, notamment dans l'économie, l'énergie, ainsi que dans le secteur du renforcement de la capacité opérationnelle des forces de sécurité irakiennes, qui ont encore besoin d'un soutien pour lutter contre le terrorisme. Une grande frappe a été portée contre les terroristes en Irak, mais ce qui reste de ces bandes continue d'organiser des attentats. Nous serons prêts à évoquer ce qui sera dans l'intérêt de l'Irak compte tenu du profit que verront pour elles nos compagnies, notamment pétrolières, dans les projets éventuels. En ce qui concerne la visite en Irak dans l'ensemble, je commence à prendre exemple sur nos amis américains: en général, ils n'annoncent pas leurs visites en Irak, ils disent tout une fois sur place. Alors attendons.
Question (traduite de l'anglais): Pendant les pourparlers du Président américain Donald Trump avec des dirigeants de plus de dix pays latino-américains, notamment des représentants de l'opposition vénézuélienne, on a entendu des appels à adopter des sanctions supplémentaires contre le gouvernement du Président vénézuélien Nicolas Maduro. Cependant, ils n'ont pas réussi à commenter les liens supposés entre le leader de l'opposition Juan Guaido et les barons de la drogue locaux. Pensez-vous que l'Onu devrait réagir au fait qu'un individu ayant un tel "palmarès" pourrait devenir président du Venezuela?
Sergueï Lavrov: C'est du même niveau que les querelles affligeantes suscitées par les États-Unis à n'importe quel sujet. Qui a téléphoné à qui, qui a informé qui, qui l'a raconté à qui, avait-il le droit de le dire ou non. Je pars tout de même du principe que l'Organisation des Nations unies doit s'occuper de choses sérieuses. Dans le cas du Venezuela la chose sérieuse et probablement principale est la protection de la Charte de l'Onu, qui exige de tous les pays de respecter la souveraineté, l'intégrité territoriale d'autres États, ne pas s'ingérer dans leurs affaires, ne pas utiliser la force contre eux et ne pas les menacer par la force, ainsi que le règlement pacifique de tous les litiges.
Question (traduite de l'anglais): Pensez-vous que le dialogue entre l'opposition et le gouvernement vénézuélien soit encore possible?
Sergueï Lavrov: Aujourd'hui, j'ai parlé à la vice-Présidente exécutive du Venezuela Delcy Rodriguez, au Ministre vénézuélien des Affaires étrangères Jorge Arreaza. Ils sont disposés à mener le dialogue avec l'opposition pour chercher une entente nationale. Naturellement, ils mènent un dialogue avec la partie de l'opposition qui y est prête. Les représentants de Juan Guaido changent leur position le matin, le soir, le lendemain. Ils avaient d'abord rejeté toutes les initiatives. Juan Guaido a dit qu'il n'avait pas besoin de propositions que ce soit de la Communauté caribéenne (Caricom) ou du "mécanisme de Montevideo". Puis ils semblent avoir établi un dialogue entre leurs représentants et le gouvernement - ce qu'on appelle le "processus d'Oslo". Actuellement, comme me l'ont confirmé les représentants mentionnés des autorités du pays, le gouvernement vénézuélien est prêt pour le "processus d'Oslo". Les caprices de Juan Guaido et compagnie s'expliquent par le fait qu'il n'est pas une figure autonome. On lui dit ce qu'il faut faire pour créer un nouveau prétexte pour la crise, pour attiser l'atmosphère, pour justifier le recours à la fameuse "doctrine de Monroe" pour utiliser le mécanisme du Traité interaméricain d'assistance réciproque (Pacte de Rio). Dans le cadre des États qui ont déjà utilisé ce mécanisme, on parle sérieusement d'une intervention militaire au Venezuela. Bien sûr, je ne peux pas décider pour un État souverain, nous ne nous ingérons pas dans leurs affaires, mais j'ai l'impression que si cela arrivait, les peuples de toute l'Amérique latine, la majorité de sa population, serait insultée. Ils reviendraient deux cents ans en arrière.
Question (traduite de l'anglais): Il a été rapporté que vous auriez rencontré un représentant de l'opposition vénézuélienne. Est-ce vrai?
Sergueï Lavrov: Concernant la rencontre avec un certain individu qui aurait été nommé par Juan Guaido. On m'a dit qu'il avait déclaré m'avoir parlé. C'est un mensonge. Malheureusement, un mauvais exemple est contagieux. Quand une fake news est propagée à travers le monde, notamment aux États-Unis, pour justifier une action politique: c'est contagieux. Ils apprennent, sur l'exemple des Américains, à propager un mensonge pour tenter de l'utiliser ensuite afin de monter que la Russie aurait abandonné le gouvernement vénézuélien. C'est bas, lâche et indigne d'un homme.
Question (traduite de l'anglais): Aux États-Unis, de nombreux médias parlent du renforcement des relations entre la Russie et Israël. La récente visite du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et sa rencontre avec le Président russe Vladimir Poutine a notamment été couverte. Pouvez-vous parler de ces relations? Comment voyez-vous leur avenir?
Sergueï Lavrov: C'est loin d'être la seule rencontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou avec le Président russe Vladimir Poutine cette année. Ils ont de très bonnes relations de confiance.
Nous considérons les relations avec Israël sur le plan stratégique. Il y a déjà dans ce pays presque 1,5 million de citoyens ressortissants de l'Union soviétique ou de la Fédération de Russie. Vous le savez, il y a le parti Israel Beytenou, qui est principalement soutenu par des électeurs russophones. Le destin de ces gens ne nous est pas indifférent. La sécurité d'Israël ne nous est pas indifférente, notamment compte tenu de la terrible tragédie vécue par les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale: la Shoah. Nous honorons tout ce qui s'est produit à l'époque à l'égard du peuple juif, quand ce peuple a été sauvé, notamment que l'Armée rouge a sauvé un grand nombre de Juifs. C'est un facteur très important pour nous que le gouvernement israélien s'en souvienne et s'incline devant ces libérateurs. Notamment en voyant que certains de nos partenaires moins civilisés détruisent des monuments, profanent des tombes, y compris les monuments aux victimes de l'Holocauste. C'est un détail très important. Quand ceux qui avancent leur propre version de la Seconde Guerre mondiale, leur version sur ceux qui l'ont commencée, qui en est responsable, en comparant le communisme au nazisme et au fascisme - ce sont ces individus qui détruisent les monuments aux victimes de l'Holocauste. Tirons les conclusions sur les objectifs de ces gens, où ils ont été éduqués, et comment il faut les considérer.
D'ailleurs, en Israël, à Netanya, a été inauguré un magnifique Monument aux guerriers soviétiques vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (Monument de la victoire de l'Armée rouge sur l'Allemagne nazie). Comme l'a déclaré le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, en janvier y sera inauguré le Monument aux victimes du siège de Leningrad. Cet événement sera assimilé à l'anniversaire de la libération d'Auschwitz. Le 27 janvier est la Journée dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste. Le Président russe Vladimir Poutine a reçu une invitation pour assister à ces activités, notamment à l'inauguration du musée aux assiégés de Leningrad.
Hormis les liens spirituels et historiques, nous avons une bonne coopération économique, un très bon dialogue de confiance sur les problèmes au Moyen-Orient, notamment sur la Syrie et d'autres parties de cette région. Parce que dans nos approches nous soulignons toujours que les règlements globaux de ces problèmes doivent forcément tenir compte des intérêts pour la sécurité d'Israël. C'est un point central. Mais il est regrettable que nous ne puissions pas sortir actuellement de l'impasse dans laquelle le problème palestinien est poussé. Cela impactera négativement la situation générale, y compris les intérêts d'Israël.
Question (traduite de l'anglais): Ce matin nous avons entendu le Premier ministre du Pakistan Imran Khan demander de l'aide à la communauté internationale, surtout depuis qu'en août dernier le Premier ministre indien Narendra Modi a annulé l'autonomie constitutionnelle de l’État du Cachemire. Il a mis en garde contre une dangereuse escalade entre les deux États possédant l'arme nucléaire. Comment la communauté internationale a-t-elle abordé ce problème pendant l'Assemblée générale? Que répondriez-vous au Premier ministre Imran Khan en tant que Ministre des Affaires étrangères du pays qui préside actuellement le Conseil de sécurité des Nations unies?
Sergueï Lavrov: J'ai rencontré hier le Premier ministre pakistanais Imran Khan. Nous avons parlé du problème du Cachemire. Nous avons réaffirmé la nécessité d'un dialogue direct entre l'Inde et le Pakistan. Des accords ont été signés entre eux dans les années 1970-1980 à Lahore et à Simla. Ces déclarations et accords restent en vigueur. Comme la plupart des autres pays, nous prônons la recherche d'une entente mutuellement acceptable par les parties en s'appuyant sur ces textes.
Question (traduite de l’anglais): Le Bangladesh se trouve dans une situation difficile à cause de l’affluence massive de réfugiés rohingyas. Le pays rencontrait déjà des difficultés économiques et sociales avant leur arrivée. Pourriez-vous jouer le rôle d’intermédiaire afin de favoriser le rapatriement digne des réfugiés compte tenu des relations étroites de la Russie avec Dacca et Naypyidaw?
Sergueï Lavrov: Cette question ne dépend pas d'une médiation russe éventuelle. Personne ne nous l’a demandé. Il existe un consensus général, notamment suite à l’examen de cette question au Conseil de sécurité de l’Onu, sur la nécessité de rapatrier ces personnes. A ces fins, il faut garantir les conditions nécessaires, notamment avec la participation du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Il faut rechercher des solutions de manière directe, par le dialogue et la concertation de toutes les questions techniques, y compris concernant les endroits où ces réfugiés pourraient revenir, les assurances et les garanties de leur sécurité.
Tout comme sur n’importe quel autre dossier, on a besoin d’un travail bilatéral calme et de confiance. Les tentatives d'attirer l’attention publique sur ce sujet - qui revêtent toujours un caractère sensible et pas vraiment positif - ne font qu’attiser les passions et rendre les deux parties moins accommodantes. C’est pourquoi on a besoin du dialogue, seulement du dialogue. Personne - nous ou n’importe quel autre pays - n’a de secret magique.
Question (traduite de l’anglais): La Turquie a mené avec les États-Unis des négociations sur la formation d’une zone de sécurité en Syrie. Quelle est l’attitude russe envers cette initiative?
Sergueï Lavrov: Nous soulevons naturellement ce sujet dans nos négociations avec les Turcs et les Américains pour une raison très importante: tout cela se passe sur le territoire syrien. La Turquie et les États-Unis ont solennellement signé beaucoup de documents et voté des résolutions affirmant clairement que tout le monde devait respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Syrie. De ce point de vue, nous sommes évidemment concernés par l’évolution de cette situation. En 1998, la Syrie et la Turquie ont signé l’accord d’Adana qui reflétait les mécanismes bilatéraux concertés visant à assurer la sécurité dans la région de leur frontière. A mon avis, il n’existe aucun obstacle empêchant les pays voisins, la Turquie et la Syrie dans le cas présent, de s’entendre - sur la même base d’acceptabilité mutuelle - autour des modalités du maintien de la sécurité de la Turquie. Cette volonté et cette aspiration d’Ankara sont absolument justifiées, car les Turcs souffrent en effet de l’infiltration des terroristes depuis le territoire contrôlé actuellement par les États-Unis.
Le troisième aspect du problème est lui aussi intrinsèquement lié à la souveraineté de la Syrie. Ce processus implique dans une grande mesure les Kurdes. Les Américains tentent d’utiliser ces derniers: ils déploient des efforts pour aménager des territoires en vue de l’hébergement des Kurdes, créent des organes du pouvoir local. On ne constate rien de ce genre sur le reste du territoire syrien à l’Ouest de l’Euphrate. En ce qui concerne ces régions, on répond à nos appels à y aménager les localités pour assurer le retour des réfugiés et des personnes déplacées qu’il faut d’abord accélérer le processus politique avant d’y songer. A l’Est de l’Euphrate, personne n’attend le processus politique. On y injecte depuis longtemps des fonds et on fournit tous les services nécessaires aux habitants - la santé, l’éducation, l’approvisionnement en eau et en électricité. Cela dérange les tribus arabes qui vivaient traditionnellement sur la rive orientale de l’Euphrate. Les Arabes n’apprécient pas les efforts que les Américains entreprennent actuellement sur une partie de leur territoire d’habitat traditionnel. Il s’agit d’une situation très explosive.
Nous estimons évidemment que la question kurde doit être résolue en respectant l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Syrie. Cela doit faire l’objet de négociations impliquant nécessairement les dirigeants syriens. Nous n’oublierons pas les nouvelles confirmations des Américains et des Turcs de leur attachement à l’intégrité territoriale du pays, mais l’utiliserons en tant que critère d’évaluation de toutes les actions entreprises à l’Est de l’Euphrate.
Question (traduite de l’anglais): L’envoyé spécial des États-Unis pour la Syrie, James Jeffrey, a déclaré que le Gouvernement syrien visait toujours une victoire militaire. Il a ensuite présenté la formation du Comité constitutionnel comme un événement symbolique à cette étape. Que pourriez-vous lui répondre?
Sergueï Lavrov: Je ne peux pas commenter les propos de James Jeffrey. Nous maintenons des contacts permanents avec nos collègues américains, mais leurs propos - sur la Syrie ou sur n’importe quelle autre question - changent tous les jours en fonction de leur humeur ou de la conjoncture politique.
On a accusé le Gouvernement syrien d'avoir refusé d’accepter la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’Onu. Ensuite, on l’a accusé d'avoir refusé de reconnaître le bilan du Congrès du dialogue national syrien organisé en janvier 2018 à Sotchi par la Russie avec le soutien de la Turquie et de l’Iran. Ce Congrès a été un tournant dans les efforts visant à passer des paroles au travail réel sur le règlement politique. C’est le Congrès de Sotchi qui a défini les paramètres constituant la base du Comité constitutionnel (c’est là qu’on a utilisé pour la première fois le terme «Comité constitutionnel») et les règles de procédure de son fonctionnement. On a dit que le Gouvernement syrien refusait de soutenir ce document, tout comme il avait refusé de soutenir la résolution 2254 du Conseil de sécurité. Tout cela ne correspond pas à la réalité - pour ne pas dire plus - car Damas a soutenu la résolution 2254 du Conseil de sécurité, la déclaration du Congrès et toutes les autres actions définies par l’ordre du jour établi par les pays du «format d’Astana». Ces actions visaient à assurer le lancement d’un processus politique à part entière à Genève avec l’assistance de l’Onu.
Qu’est-ce qui serait actuellement encore refusé par le Gouvernement syrien? James Jeffrey estime que le Gouvernement syrien mise sur une victoire militaire, mais je ne suis au courant d’aucun fait venant appuyer ses propos. Les autorités confirment de bonne foi tous leurs engagements, notamment dans le cadre des séances du Conseil de sécurité de l’Onu consacrées aux questions syriennes. Si l’on présente comme la solution militaire - beaucoup d’Américains tentent actuellement de le faire - les opérations résolues de l’armée syrienne qui mettra résolument fin - avec notre soutien - à ce qu'il reste des terroristes, y compris Hayat Tahrir al-Cham que certains tentent de présenter comme un mouvement modéré, il s’agit d’une altération malhonnête des faits. Personne n’a jamais tiré de parallèle entre la lutte contre le terrorisme et la résolution militaire du conflit. L’opposition armée participe au processus d’Astana et aux accords sur la création du Comité constitutionnel.
Question: Vous avez parlé aujourd'hui de doubles standards et d'une violation intentionnelle du droit international par certains pays occidentaux. En même temps, votre pays soutien Israël, qui enfreint le droit international en construisant des colonies, en occupant les territoires palestiniens, en emprisonnant des gens. Vous avez des relations chaleureuses avec Israël. Mahmoud Abbas voudrait élargir le nombre de médiateurs. Pourquoi ne proposez-vous pas votre aide pour régler le problème palestinien en utilisant vos bonnes relations avec Israël?
Sergueï Lavrov: Comme je l'ai déjà dit, tous les jeux autour du problème palestinien - la promesse du "deal du siècle", la proposition de 50 milliards de dollars pour ne pas faire revenir les réfugiés en Palestine, la tentative de convaincre d'abord les pays arabes de normaliser les relations avec Israël et seulement ensuite de régler le problème palestinien (ce qui est directement contraire à l'Initiative de paix arabe) - pousse actuellement, voire a déjà mené le processus de paix israélo-palestinien, dans une impasse.
Nous sommes convaincus (je l'ai dit à l'Assemblée générale) que ce n'est ni dans l'intérêt d'Israël ni dans l'intérêt de qui que ce soit. Parce que seule la solution à deux États, seule la création de l’État palestinien promise il y a 70 ans, pourra garantir la paix et la stabilité dans cette région, atténuer le problème, notamment réduire fortement les possibilités des extrémistes de recruter des jeunes de la rue arabe. Nous le disons franchement aux Israéliens. Malheureusement, pour l'instant, la ligne américaine de s'en occuper soi-même reste en vigueur.
J'ai rencontré Mahmoud Abbas ici, à l'Assemblée générale des Nations unies. Il n'a pas exprimé de reproches selon lesquels la Russie ferait peu pour trouver une solution à ce problème et faire sortir le processus de l'impasse. En réunissant toutes les circonstances, l'ensemble des difficultés qui déterminent le stade actuel du processus de paix israélo-palestinien, paradoxalement, c'est le rétablissement de l'unité palestinienne qui serait la démarche la plus évidente, primordiale et simple.
Le Fatah et le Hamas ont des partisans extérieurs qui les soutiennent, et ce ne sont pas les mêmes pays. Mais les deux sont des mouvements palestiniens. Unir ses rangs, rétablir l'unité de l'Autorité palestinienne, organiser les élections, normaliser la coopération: tout cela renforcerait considérablement les positions des Palestiniens dans les négociations et, dans l'ensemble, sur la scène internationale. Cela dépend uniquement d'eux et des Arabes. De personne d'autre, en fait.
Leur incapacité à agir ainsi joue en faveur de ceux qui disent qu'on ignore avec qui il faut négocier parce qu'il n'y a pas d'équipe unie, de négociateurs unis. Tout cela n'est pas très correct, bien sûr, mais je vous décris comment ceux qui ne veulent pas la paix interprètent la situation. La Russie a déjà organisé plusieurs fois chez elle des rencontres interpalestiniennes avec la participation du Fatah, du Hamas, du Djihad islamique, entre 12 et 15 délégations sont venues. Moscou cherchait à leur fournir sa plateforme pour qu'elles s'entendent à travers le dialogue sur le rétablissement de l'unité de leurs rangs. Des déclarations ont été signées, mais l'affaire ne va pas plus loin pour l'instant. Cependant, je pense que c'est une partie primordiale du travail sur le dossier palestinien. Nous soutenons activement les efforts des pays qui veulent, avec nous, contribuer à l'unité palestinienne. Je voudrais noter en particulier les efforts de l’Égypte et d'autres pays.
Question (traduite de l'anglais): En prévision de votre rencontre avec le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo, les médias ont relayé vos déclarations selon lesquelles il y aura une réaction, dont le fond reste caché pour le moment, à la non-délivrance de visas aux membres de votre délégation. Est-ce que cela reste d'actualité?
Sergueï Lavrov: Je l'ai déclaré avant-hier pendant la Conférence pour l'entrée en vigueur du Traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires, je l'ai commenté aux journalistes. Hier et aujourd'hui j'ai parlé à ce sujet avec le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo. J'attire une nouvelle fois votre attention sur le fait que je ne doute pas du fait que ni lui ni le Président américain Donald Trump n'étaient au courant, n'ont donné un tel ordre. Mon homologue me l'a confirmé.
Bien sûr, nous ne pouvons pas laisser cette démarche sans réponse et tiendrons forcément compte de cette situation la prochaine fois que des activités internationales se dérouleront à New York ou ailleurs sur le territoire américain. Nous revérifierons plusieurs fois dans quelle mesure les fonctionnaires qui délivrent des visas ont des consignes de leur direction - en l'occurrence, du Département d’État américain. Je ne veux pas parler pour le moment de mesures supplémentaires.
Malheureusement, aujourd'hui, nous avons de nombreux problèmes avec les Américains. Nous n'avons jamais voulu agir selon la loi du talion. Nous ne pouvions pas ne pas réagir à ce qu'a fait à l'époque l'administration de Barack Obama, qui a saisi de manière hostile et illégale notre propriété diplomatique sur le territoire américain - nous avons fait la même chose avec une partie de la propriété américaine. Mais de la part des États-Unis, pratiquer une telle usurpation dans un pays où la Constitution et plusieurs lois qualifient la propriété privée de "sacrée", est indigne d'une grande puissance, de son peuple avec ses riches traditions démocratiques et de respect de la loi. D'ailleurs, le site Yahoo News a également rappelé comment Barack Obama avait saisi notre propriété et a publié un nouveau "scoop": cela aurait été fait parce que nos résidences près de Washington et de New York auraient été des "nids d'espions"… C'est indécent.
Bien sûr, nous voudrions une normalisation, du moins en ce qui concerne les conditions de travail normales pour nos diplomates aux États-Unis et américains en Russie. Tout ne dépend pas de nous, mais nous chercherons des mesures stimulantes.
Question (traduite de l'anglais): Pendant sa conférence traditionnelle, le porte-parole du Président russe Dmitri Peskov a déclaré que la Russie ne souhaiterait pas que les sténogrammes des entretiens téléphoniques de Vladimir Poutine avec le Président américain Donald Trump soient révélés. Est-ce que cela vous préoccupe? Et avez-vous des inquiétudes concernant les processus politiques turbulents qui se déroulent actuellement aux États-Unis?
Sergueï Lavrov: Vous savez, ma mère m'a éduqué dans l'esprit qu'il était incorrect de lire les lettres des autres. Je pars de ce principe. D'autant qu'il s'agit de la correspondance entre deux individus élus par leur peuple à la tête de l’État. Il existe des traditions, la décence, notamment diplomatique, qui sous-entendent un certain niveau de confidentialité et la concertation sur de tels sujets. Je ne commente pas qui et comment a pris la décision de publier les enregistrements de l'entretien téléphonique du Président américain Donald Trump avec le Président ukrainien Vladimir Zelenski. Il y a la pratique diplomatique. Et soumettre toute question au débat public, déclarer haut et fort que si telle ou telle administration ne dévoilait pas une note à ses proches ou partenaires, alors cette administration serait déchirée en lambeaux, est-ce une démocratie? Comment peut-on travailler dans ces conditions? C'est pourquoi nous respecterons la lettre et l'esprit des Conventions de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires, où tout est écrit. Je suggère aux médias qui cherchent avec tant de zèle à savoir s'il est possible de publier encore quelque chose à se tourner vers ces documents importants qui régulent les relations diplomatiques.