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Allocution de S.V. Lavrov, Ministre des affaires étrangères de la Russie, et réponses aux questions des journalistes au cours de la conférence de presse conjointe avec R. Roncagliolo, Ministre des affaires étrangères de la République du Pérou, Moscou, le 29 mai 2012

1067-29-05-2012

Mesdames et messieurs,

Avec mon homologue péruvien, R. Roncagliolo, nous avons eu une discussion très utile.

Nous avons une vielle tradition de coopération productive avec le Pérou. Aujourd'hui nous nous sommes mis d'accord d'apporter plus de dynamisme dans nos rapports bilatéraux. Nous sommes satisfaits de l'état du dialogue politique entre nos deux pays. Nous avons convenu de poursuivre les rapports aux plus hauts niveaux, y compris dans le cadre du prochain sommet de l'APEC, qui se tiendra en septembre de cette année à Vladivostok.

Les deux parties sont d'accord qu'il est important d'approfondir et d'élargir la coopération économique et commerciale. Les échanges commerciaux entre la Russie et le Pérou connaissent une croissance sûre et rapide. Par contre, nous ne pouvons pas en ce moment parler de résultats tangibles dans le domaine des investissements. Nous avons convenu de supprimer cette lacune. Nous avons noté un intérêt commun dans la réalisation de projets prometteurs dans les domaines de l'énergie, communication, technologies spatiales, exploitation des ressources naturelles, aquaculture, recherche dans les domaines de l'agriculture et de la médecine.

Les coprésidents de la Commission intergouvernementale pour la coopération économique, commerciale, scientifique et la pêche (du côté péruvien mon collègue R. Roncagliolo et du côté russe mon collègue A. A. Krainiy, chef de l'Agence fédérale de la pêche) conviendront au cours cette année d'une réunion de la Commission intergouvernementale, durant laquelle ils évalueront d'une façon complète les opportunités de coopération et les démarches nécessaires à leur réalisation la plus aboutie possible.

Nous allons contribuer à l'organisation de contacts plus fréquents entre nos entrepreneurs. En vue de cela les représentants du monde des affaires russe sont prêts à se déplacer au Pérou. Évidemment, une telle visite doit être préparée avec soin et les gouvernements des nos pays sont prêts à offrir l'assistance nécessaire.

En avril de cette année s'est tenue à Lima la première session de la Commission intergouvernementale pour la coopération militaire. Aujourd'hui nous avons discuté des démarches qu'il est nécessaire d'entreprendre pour la mise en œuvre des accords atteints dans ce domaine, ainsi que de notre coopération en temps de crise, en prenant en compte le travail de la Commission jointe russo-péruvienne qui s'occupe de cette problématique.

Nos deux pays sont intéressés par la continuation et l'approfondissement de la coopération dans les domaines de l'éducation et de la culture. Je suis convaincu que l'industrie touristique offre elle aussi des perspectives intéressantes.

Aujourd'hui nous avons approfondi notre cadre juridique en signant l'Accord sur la reconnaissance mutuelle et l'équivalence des diplômes et degrés universitaires. Cet accord a une importance particulière pour les dix mille péruviens porteurs de diplômes soviétiques ou russes. Cet accord aura une incidence réelle sur leur vie professionnelle.

Nous travaillons en ce moment sur environ vingt autres accords intergouvernementaux et interministériels. Ces accords couvrent les divers domaines des rapports entre la Russie et le Pérou. Nous avons convenu d'accélérer l'élaboration de ces documents pour qu'ils soient prêts pour la signature.

Nous avons une appréciation positive de nos rapports sur l'arène internationale, qui ont pour base une approche commune vers l'ordre du jour international, une vision du monde commune et une conviction partagée de la nécessité de renforcer la multipolarité du monde moderne.

C'est du haut de ces positions communes que nous avons convenu de continuer le dialogue intensif dans le cadre de l'ONU, APEC et autres organisations multilatérales. Nous apprécions le soutien que le Pérou apporte aux efforts de la Russie dans la mise en œuvre du programme et des objectifs de la présidence russe de l'APEC durant l'année en cours. Aujourd'hui nous avons discuté du développement de contacts entre la Fédération de Russie et les différents processus d'intégration en Amérique Latine. Nous apprécions le soutien du Pérou durant ces contacts et l'aide apportée dans leur approfondissement.

Nous accordons dans notre ordre du jour bilatéral une importance particulière aux moyens de réponse aux menaces et défis internationaux, notamment au terrorisme international, trafic de stupéfiants et autres formes de crime organisé. La Russie soutient l'initiative du Pérou de tenir en juin de cette année à Lima une réunion internationale sur la lutte contre le trafic de stupéfiants. C'est avec plaisir que nous avons accepté l'invitation de nos amis péruviens d'envoyer une délégation pour participer à cette réunion importante.

Je pense que nous pouvons exprimer notre satisfaction mutuelle avec les discussions qui se sont tenues et avec les accords concrets auxquels nous sommes parvenus. Désormais il faut mettre ces accords en œuvre.

Je remercie mon collègue péruvien et je lui passe la parole.

Question : Ces derniers temps la Russie intensifie ses contacts avec les multiples organisations régionales sur les différents continents. Où en sont les rapports entre la Russie et les organisations d'intégration en Amérique Latine et des Caraïbes ?

S. V. Lavrov : Comme je l'ai déjà indiqué dans mon allocution, nous avons pour but d'intensifier les contacts existants et d'en tisser de nouveaux avec les organisations d'intégration en Amérique Latine, où de puissants processus d'intégration du continent sont entrain de se dérouler. Les multiples groupes sous-régionaux agissent dans le cadre de la création regroupe tous les pays de l'Amérique Latine sans exception. Nous avons acquis une bonne expérience dans nos contacts avec les associations régionales en Amérique Latine, nous œuvrons pour un dialogue soutenu avec le « Groupe de Rio », avec les dix membres « politiques » du MERCOSUR, nous entretenons des contacts réguliers avec le Système d'intégration centraméricain. En ce moment nous sommes en train d'établir des rapports avec l'UNASUR, qui sera présidée par le Pérou dès novembre de cette année. Mon collègue R. Roncagliolo vient tout juste d'en parler. La Russie a reçu une proposition des pays de l'Amérique Latine de tenir prochainement une réunion avec les organes directeurs de la CELAC dans le cadre de l'Assemblée générale de l'ONU.

Nous sommes attentifs à toute nouvelle initiative. Notamment, le Pérou est un des pays de l'Amérique Latine qui propose la création d'une Alliance de l'océan pacifique, qui deviendrait une organisation de pays qui voudraient exploiter au maximum leur position géographique sur l'océan pacifique dans leurs aspirations à une intégration plus profonde. Je pense qu'il nous sera possible de trouver un terrain d'entente pour établir la coopération des régions russes d'extrême orient avec cette organisation naissante.

Il ne faut pas oublier que la Russie participe aux efforts des pays de l'Amérique Latine dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et le terrorisme et envoie régulièrement des délégations assister aux réunions des organisations d'Amérique Latine concernées. Nous comptons continuer cette coopération qui mène à des résultats concrets.

La Russie participe aussi en tant qu'observateur à l'Organisation des États américains (OEA). En juin de cette année se tiendra en Bolivie la 42ème Assemblée générale de l'OAE, à la quelle nous continuerons notre participation en tant qu'observateur. Là aussi nous avons affaire à un mécanisme très intéressant et utile. Mais, et je dois le répéter, la tendance actuelle est au divers processus d'intégration en Amérique Latine. Nous y voyons un développement très positif, y compris du point de vue de la politique internationale, car une Amérique Latine économiquement forte et politiquement influente contribuera à la stabilité du monde multipolaire, ce qu'est notre but à tous.

Les prises de position des pays de l'Amérique Latine sur les événements internationaux sont très proches de la Russie, car ces pays se basent sur des principes qui nous sont chers, tels que la suprématie du droit international, le respect et la stricte application de la Charte de l'ONU, le règlement pacifique de tout différend, l'élaboration d'approches collectives et non individuelles aux questions posées par l'ordre du jour international et régional.

Question : Le 27 mai dans le nord du Mali les mouvements touaregs ont conclu avec les islamistes un accord portant sur l'unification de leurs efforts et de création du Conseil transitoire de "l'État islamique de l'Azawad". Certains expriment déjà l'opinion que cela signifie de fait la dissolution du Mali. Sergei Viktorovitch, avez-vous un commentaire concernant cette situation ?

S. V. Lavrov : Nous considérons cette situation comme une menace réelle de dissolution d'un État membre souverain de l'ONU. La plupart des analystes y voient une des conséquences concrètes de la crise libyenne, qui a rendu difficiles les efforts de maintient de l'unité de la Libye. Désormais ces conséquences négatives se répandent au-delà des frontières libyennes et sont ressenties au Mali.

Comme nous l'avons déjà dit, la Russie, en principe, ne voit rien d'anormal dans le fait que des politiciens islamistes atteignent des positions dirigeantes dans certains pays. Mais il est important que cela se fasse dans le cadre du processus constitutionnel que sont les élections universelles et se baser sur les résultats de l'expression de la volonté populaire. Mais dès qu'il s'agit de prise de pouvoir par la violence, d'atteinte à l'ordre constitutionnel et de dissolution d'un pays, nous n'avons d'autre choix que de qualifier ces actes comme portant atteinte au système actuel du droit international.

L'Union africaine s'est déjà exprimée à ce sujet. Nous partageons la position des États africains. Nous allons fournir un soutien politique aux efforts de restauration de l'intégrité territoriale du Mali et d'établissement d'un processus politique et constitutionnel. J'espère que ce sera une leçon pour nous tous, y compris en relation avec d'autres situations au Proche-Orient et en Afrique du Nord. Nous ne comprenons toujours pas toutes les conséquences de la crise libyenne, qui peuvent se répandre dans d'autres formes et dans d'autres pays. Il est important au vu du contexte de porter une attention particulière aux événements en Syrie, qui ont déjà eu un « écho » au Liban et peuvent avoir d'autres conséquences néfastes dans d'autres pays de la région. Nous devons tous faire preuve d'un maximum de responsabilité, ne pas « mettre de l'huile sur le feu », mais au contraire essayer d'éteindre les flammes et de réunir les parties autour de la table de négociations.

Question : Qu'attend la Russie des prochaines rencontres de Kofi Annan avec le gouvernement et l'opposition syrienne ? Vu la violence croissante dans la République arabe syrienne, pensez-vous que le plan de règlement pacifique de l'envoyé spécial de l'ONU/LEA a une réelle chance de succès ?

S. V. Lavrov : Le travail de Kofi Annan à Damas débuta hier, le 28 mai. Aujourd'hui l'envoyé spécial rencontrera B. Assad, Président de la Syrie. Nous avons déjà convenu d'un entretien téléphonique avec Kofi Annan cet après-midi après sa rencontre avec le président. J'espère avoir l'opinion de l'envoyé spécial sur l'état de la situation. Je peux dire que nous sommes très inquiets par les tentatives de déraillement du plan de Kofi Annan. Les événements tragiques à Houla du 25 mai sont eux aussi utilisés en tant que prétexte. Comme vous le savez tous, le dimanche 27 mai le Conseil de Sécurité a tenu une réunion extraordinaire, convoquée notamment par initiative russe, durant laquelle le Conseil a exprimé sa position sur les événements et a demandé un examen urgent des circonstances de la tragédie. Cette examen fut confié à la Mission d'observation de l'ONU en Syrie. Nos savons que le personnel de l'ONU s'occupe activement de la question et nos comptons très bientôt avoir de nouvelles informations.

Mais nous sommes inquiets du fait que certains pays ne portent aucune attention aux directives du Conseil de sécurité concernant l'examen précité et commencent déjà à utiliser les récents événements comme prétexte pour parler de la nécessité d'une intervention militaire, ainsi que pour des tentatives de pression sur le Conseil de sécurité de l'ONU. Il paraîtrait que le plan de Kofi Annan les gêne, car ce plan n'a pas pour but un changement de régime, mais la création de conditions nécessaires à la mise en œuvre des reformes par le dialogue entre le gouvernement de la République arabe syrienne avec tous les mouvements de l'opposition syrienne.

Nous étions choqués par la déclaration faite hier par Burhan Ghalioun, chef du « Conseil national syrien » (CNS), dans laquelle il a ouvertement appelé tous les mouvements d'opposition en Syrie de continuer « la lutte pour la libération jusqu'à ce que le Conseil de sécurité de l'ONU autorise une intervention militaire extérieure ». Nous qualifions d'incitation ouverte à la guerre civile cette déclaration faite par le chef du CNS, sous l'égide duquel certains pays de la région veulent réunir tous les mouvements d'oppositions syriens. De telles déclarations sont contraires au plan de Kofi Annan, qui prévoit de réunir l'opposition syrienne non pas sur la base de guerre civile, mais sur la base de la volonté de dialogue avec le pouvoir. Nous ne comprenons pas comment les parraineurs du « Conseil national syrien » peuvent soutenir le regroupement de l'opposition syrienne sous l'égide de cette organisation.

La plupart des représentants de l'opposition syrienne sont contre toute intervention militaire extérieure et contre toute tentative d'atteinte à la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République arabe syrienne. Je suis d'avis que les derniers événements offrent une clarification sur les perspectives du dialogue politique et des conditions pour la tenue d'un tel dialogue.

Le problème des réfugiés est un autre prétexte utilisé pour justifier les demandes que le Conseil de sécurité de l'ONU autorise une intervention militaire. Certains tentent de présenter les « corridors humanitaires » et des « zones tampon » comme seules solutions au problème. Nous avons de l'empathie pour les pays qui accueillent les réfugiés syriens. Le plus grand nombre de réfugiés, environ 35 mille, se trouvent en Turquie. Un nombre comparable de réfugiés se trouve en Jordanie et au Liban. En tout nous pouvons parler de 100 à 150 mille personnes déplacées.

Nous soutenons les efforts du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés d'aider ceux qui se trouvent dans les camps de réfugiés. Il est important de garantir un accès suffisant. Mais ceux qui essayent d'utiliser le problème des réfugiés comme prétexte à une intervention militaire gardent le silence à propos du fait que la République arabe syrienne accueille environ un million de réfugiés irakiens et environ 500 mille palestiniens, des chiffres incomparables avec le nombre de réfugiés syriens à l'étranger.

Je suis d'avis que nous tous devons être objectifs et nous concentrer sur les efforts de réunion l'opposition syrienne autour de la volonté d'un dialogue politique. Les acteurs externes doivent s'unir et montrer un intérêt sincère de mise en œuvre du plan de Kofi Annan, ils doivent influencer toutes les parties aux événements en Syrie, que ce soit le gouvernement ou les mouvements d'opposition, et ils doivent élaborer des mécanismes concrets de mise en œuvre de chacun des six points du plan de Kofi Annan.

Nous avons discuté hier de ces mêmes idées avec William Hague, Ministre des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni. J'ai eu l'impression que nous pensons de la même façon. J'espère qu'au final nous pourrons arriver à des actions concrètes, qui assureront l'unité entre les déclarations de soutien du plan de Kofi Annan et le travail concret de mise en œuvre du plan.


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