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Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d'une conférence de presse conjointe à l'issue de son entretien avec Heiko Maas, Ministre fédéral des Affaires étrangères de l'Allemagne, Moscou, 11 août 2020

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Mesdames et messieurs,

Nous venons de mener des pourparlers constructifs, de confiance et détaillés avec le Ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas. Nous avons abordé l'ordre du jour bilatéral et notre coopération sur la problématique internationale, aussi bien à l'Onu qu'en Europe.

La visite de Heiko Maas se déroule à la veille du 50e anniversaire de la signature du Traité de Moscou entre l'URSS et la RFA sur la reconnaissance réciproque et le respect des réalités européennes territoriales et politiques établies après la Seconde Guerre mondiale. L'original de ce Traité a été exposé aujourd'hui dans cette salle. Nous l'avons examiné avec Heiko Maas. Le 12 août 1970, quand il a été signé, l'Union soviétique, avec confiance et à partir de positions pacifiques soulignées, en dépit du climat de méfiance qui régnait et une forte pression idéologique, a sciemment fait un choix stratégique au profit d'un partenariat pacifique et dans le respect mutuel avec l'Occident. Il faut également rendre son dû à la "politique de l'Est", pragmatique, du chancelier Willy Brandt. A cette époque Bonn tenait compte du fait que la garantie d'une stabilité à long terme en Europe était liée en grande partie à la normalisation des relations avec Moscou.

Ce Traité a contribué à l'affirmation sur le continent des principes de coexistence pacifique, a assaini la situation internationale dans l'ensemble. Il a contribué objectivement à l'organisation de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe et à la signature de son acte final à Helsinki, a contribué à l'adhésion simultanée à l'Onu de la RDA et de la RFA.

Pendant les consultations d'aujourd'hui, nous avons réaffirmé notre disposition commune à approfondir la coopération dans le secteur de l'économie, de la science et de l'éducation, de la culture, des échanges sociaux. L'Année croisée des partenariats scientifiques académiques a débouché sur d'importantes réalisations pratiques. Elle a cédé la place à une nouvelle activité croisée: l'Année de l'économie et du développement durable. En plus de cela, le 26 septembre à Moscou, les partenaires allemands lanceront l'Année de l'Allemagne en Russie. Nous espérons qu'il sera possible de le faire sur la place Pouchkine compte tenu de la situation épidémiologique.

Nous saluons le fait que malgré les difficultés liées à la pandémie, les partenaires allemands ont entamé la mise en œuvre pratique du geste humanitaire du gouvernement allemand au profit des survivants au siège de Leningrad. Le premier lot d'équipements médicaux destinés à l'Hôpital des vétérans de guerre se trouve déjà à Saint-Pétersbourg. Cet après-midi, le Ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas participera à plusieurs rencontres à Saint-Pétersbourg, notamment avec des survivants au siège. Nous apprécions l'attention que nos amis allemands accordent à ce problème.

Concernant le bloc économique, nous avons mis l'accent sur l'achèvement du projet de construction du gazoduc Nord Stream 2. Bien évidemment, nous avons tenu compte de la pression sans précédent exercée par les sanctions des États-Unis. Nous apprécions la position fondamentale de Berlin en soutien à cette initiative purement commerciale qui aidera à diversifier les itinéraires d'acheminement de gaz naturel et à renforcer la sécurité énergétique de l'Europe, position qui se base sur les avis des pays européens et non sur l'avis américain.

Nous avons exprimé à la partie allemande notre préoccupation concernant la situation de notre coopération sur la cybersécurité. Nous avons noté qu'un grand nombre de cyberattaques  contre des sites et des organisations en Russie l'an dernier et cette année provenaient du segment allemand de l'internet.

Nous coopérons également avec l'Allemagne sur le dossier ukrainien. Nous sommes d'accord sur l'absence d'alternative à la nécessité de mettre en œuvre au plus vite les Accords de Minsk. Une nouvelle fois, nous avons appelé nos collègues allemands à user de leur influence sur le gouvernement de Kiev afin de l'inciter à remplir au plus vite ses engagements dans le cadre du processus de Minsk. Nous échangeons régulièrement nos avis sur les perspectives de la coopération au "format Normandie" en tant qu'instrument important stimulant l'activité du Groupe de contact où doivent interagir directement Kiev, Donetsk et Lougansk pour mettre en œuvre les Accords de Minsk qu'ils ont signés.

De plus, nous avons étudié les questions relatives à la situation de crise au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Nous sommes d'accord sur la nécessité de mettre en œuvre à part entière la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies sur le processus de paix en Syrie, qui implique la réaffirmation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de ce pays. Nous avons évoqué la préparation pour la reprise (j'espère ce mois-ci si la situation épidémiologique le permettra) de l'activité de la commission rédactionnelle du Comité constitutionnel à Genève. Il est important à nos yeux que nos partenaires européens accordent davantage d'attention aux démarches réelles pour la facilitation concrète et pratique de la situation humanitaire en Syrie, qui affecte la situation des citoyens ordinaires.

Nous partageons également un intérêt commun pour le règlement de la situation en Libye. Nous réaffirmons la position commune de la Russie et de l'Allemagne: un règlement politique de ce conflit est nécessaire, selon les principes exposés dans les documents finaux de la conférence de Berlin sur la Libye et confirmés par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. La nécessité de remplir les accords de Berlin à part entière reste d'actualité. Nous sommes d'accord sur ce point. L'escalade de la violence en Libye risque de déstabiliser sérieusement non seulement ce pays, mais également toute la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Nous partons du principe que l'objectif final de tous nos efforts doit être le rétablissement de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de la structure étatique de la Libye, qui a été brutalement bafouée suite à l'aventure de l'Otan en 2011 en violation de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Parmi d'autres thèmes sur lesquels la Russie et l'Allemagne coopèrent activement, il faut noter évidemment la situation du Plan d'action global commun sur le nucléaire iranien. Plusieurs idées sont avancées par nos collègues européens. La Russie a soumis à son tour plusieurs propositions qui, d'après nous, permettraient de rétablir la coopération entre tous les signataires du Plan d'action sans exception. J'espère que nous évoquerons encore plus en détail ces initiatives.

Nous sommes prêts à coopérer également dans d'autres secteurs de la politique internationale, notamment la coopération à l'OSCE, au Conseil de l'Europe et sur d'autres plateformes.

Je remercie Heiko Maas pour sa venue à Moscou. Nous avons mis au point le calendrier de nos prochains contacts, qui promet d'être très intense jusqu'à la fin de l'année.

Question: Au nom des journalistes russes, nous vous remercions d'avoir pris sous votre contrôle personnel la situation concernant l'interpellation de journalistes au Belarus. Quelques personnes ont été libérées, mais il est toujours impossible d'entrer en contact avec des correspondants de l'agence Rossiya Segodnya et de Meduza. Vous vous êtes entretenu par téléphone avec le Ministre biélorusse des Affaires étrangères Vladimir Makeï: quels sont les résultats? Avez-vous évoqué le thème du Belarus aujourd'hui? Le Ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas n'avait pas exclu que ce sujet puisse être abordé aujourd'hui.

Sergueï Lavrov: Bien sûr, nous nous occupons de la situation de nos journalistes, de nos citoyens. L'Ambassadeur de Russie au Belarus Dmitri Mezentsev, le Ministère des Affaires étrangères en la personne du Département de l'information et de la presse, et moi-même, hier, pendant l'entretien avec Vladimir Makeï, évoquons ce thème. Nous avons insisté sur la libération au plus vite de nos journalistes. Par ailleurs, nous savons que certains des journalistes interpellés n'avaient pas d'accréditation, mais qu'ils l'avaient demandée en temps utile en respectant toutes les règles et les procédures.

Il faut régler la situation actuelle en partant avant tout des notions humaines. Nous avons entendu une nouvelle fois aujourd'hui que le contact avec certains de vos confrères avait été interrompu. Le correspondant de Meduza est important pour nous avant tout en tant que citoyen russe. Meduza n'est pas un média russe, mais en tant que citoyen russe il se trouve évidemment sous notre protection. Lors de nos contacts avec les collègues biélorusses, nous chercherons à régler cette situation au plus vite.

Malheureusement, quand des émeutes éclatent (cela arrive dans plusieurs pays, notamment en UE, comme nous l'avons vu récemment en France avec les "Gilets jaunes"), vos collègues cherchant à couvrir objectivement les événements se retrouvent souvent dans des situations désagréables, subissent des violences, comme c'est arrivé à un correspondant de RT. C'est pourquoi, dans les contacts bilatéraux avec tous nos partenaires dans les pays où travaillent les journalistes russes, nous exigerons une attitude non discriminatoire envers eux. Tout en sachant évidemment que tout le monde doit respecter la législation locale. Dans le cadre des structures internationales, dont l'OSCE, nous prônerons également une approche équitable et égale de tous les journalistes sans tentatives de désigner certains médias comme "propagandistes" et les journalistes de "propagandistes qui ne reflètent pas les objectifs de leur métier". C'est très regrettable.

La conversation doit avoir lieu non pas parce que c'est arrivé ou arrive au Belarus, mais parce que c'est un problème général. Vous savez quelle est l'attitude en UE vis-à-vis des émeutes (celles des "Gilets jaunes" en France, ou encore en Allemagne récemment, en 2017, quand pendant le G20 à Hambourg les antimondialistes avaient manifesté en transgressant les lois allemandes). Nous avons vu comment agissent les forces de l'ordre, notamment les forces spéciales. Nous n'avons pas évoqué le thème biélorusse aujourd’hui, mais je suis certain que nous pourrons échanger notre avis à ce sujet pendant le déjeuner de travail.

Question: Dans le contexte du règlement de la crise ukrainienne intérieure, on souligne toujours le rôle particulier de la Mission spéciale d'observation de l'OSCE (MSO). D'après vous, dans quelle mesure les observateurs parviennent-ils à remplir leur mission? Dans quelle mesure parviennent-ils à refléter objectivement les événements dans l'Est de l'Ukraine?

Sergueï Lavrov: Nous avons abordé ce thème. Nous coopérons étroitement avec l'Allemagne dans le cadre du Format Normandie. En ce qui concerne la MSO de l'OSCE, nous soutenons activement ce mécanisme qui dispose d'un mandat concret pour travailler sur l'ensemble du territoire ukrainien - pas seulement dans le Donbass mais aussi dans d'autres régions - afin de veiller au respect des droits de l'homme, des minorités nationales, aux tentatives de faire renaître les tendances néonazies. Malheureusement, la Mission n'accorde pas suffisamment d'attention à cette partie, et nous l'avons fait remarquer à son chef Yaşar Halit Çevik.

L'aspect de son activité qui attire le plus l'attention de la communauté internationale (je fais allusion à la surveillance de la mise en œuvre des Accords de Minsk dans le Donbass) suscite également des questions de notre part. En particulier, la MSO préfère rapporter les violations du cessez-le-feu et les bombardements de sites civils de manière abstraite - "pendant cette période: tant de bombardements" - sans en préciser l'origine. "Tant de civils ont été touchés, tant de sites d'infrastructure civile détruits." Ce n'est pas la première année que nous insistons pour que la MSO soit plus concrète dans ses rapports et qu'elle indique qui est davantage responsable de ces tirs, qui les commence et qui riposte. Par le biais de notre représentation à l'OSCE, en s'appuyant sur les rapports quotidiens émis par la MSO, nous avons réussi à effectuer un travail laborieux d'analyse des données diffusées dans l'espace public. De cette analyse découle un tableau très concret: plus de 80% des bombardements contre des sites civils sont perpétrés par l'armée ukrainienne. Parmi les victimes civiles des deux côtés de la ligne de contact, plus de 80% se trouvent du côté des insurgés. En d'autres termes, l'immense part de responsabilité pour la violation du cessez-le-feu incombe aux forces armées ukrainiennes. Je pense que pour que tous les membres de l'OSCE et de la communauté internationale puissent avoir une image objective et globale de ce qui se passe concernant la mise en œuvre des Accords de Minsk, la MSO de l'OSCE doit tenir son engagement - qui ne l'est pas depuis des années - de fournir un rapport thématique analytique détaillé sur les auteurs des violations du cessez-le-feu, ceux qui tirent en majorité sur des sites civils, ceux qui sont responsables de la mort de civils. Nous avons montré cette présentation à la présidence albanaise à l'OSCE, au Centre commun de contrôle et de coordination du cessez-le-feu, au Secrétaire général de l'OSCE, à Yaşar Halit Çevik qui dirige cette Mission et qui est responsable personnellement du respect rigoureux de son mandat, de la présentation objective de l'information et de toutes les tentatives de cacher la vérité, afin que nous puissions tous opérer avec des faits et non des spéculations.

Dans son introduction, Heiko Maas a mentionné le sommet de Paris. Nous soutenons entièrement la nécessité de remplir toutes les ententes conclues - pour l'instant, c'est loin d'être le cas. Je suis d'accord avec le fait que toutes les parties - Kiev, Donetsk et Lougansk - doivent y mettre du leur, mais à cet égard nous attirons une fois de plus l'attention de nos collègues allemands et français, en tant que membres du Format Normandie et coauteurs des Accords de Minsk, sur les déclarations de Kiev: le vice-premier ministre Alexeï Reznikov, représentant de Kiev dans une structure du Groupe de contact, déclare que les Accords de Minsk sont "obsolètes", le Président Vladimir Zelenski dit vouloir des explications pour savoir ce que ces accords signifient, demande de les décrypter, alors que le nouveau négociateur en chef au sein du Groupe de contact, Leonid Kravtchouk, déclare publiquement que Piotr Porochenko n'aurait pas dû les signer mais accepte de diriger la procédure pour leur mise en œuvre. Il y a beaucoup de choses étranges.

Je suis d'accord: il faut encourager les démarches concrètes sur le terrain, qui sont positives dans l'ensemble. Mais, premièrement, elles concernent un nombre limité d'accords et, deuxièmement, c'est l'arbre qui cache la forêt. Cette "forêt" est l'approche philosophique et conceptuelle de Kiev des Accords de Minsk, de leur statut. Dans ce sens nous espérons vraiment que l'Allemagne et la France raisonneront leurs collègues de Kiev en leur expliquant l'absence d'alternative au travail en parfaite conformité avec les termes des Accords de Minsk.

Question: Vous avez indiqué que les États-Unis durcissaient leurs menaces de sanctions contre le Nord Stream 2. La semaine dernière, pour la première fois, est apparue une menace directe de sanctions contre une compagnie allemande, et aux États-Unis de plus en plus d'appels à prendre des contremesures se font entendre.

Vous attendez-vous à l'adoption de contremesures allemandes contre les États-Unis? Si oui, de quelles mesures pourrait-il s'agir? Cette question s'adresse aux deux ministres: compte tenu du ralentissement de la construction du Nord Stream 2, pouvez-vous imaginer que la construction du gazoduc soit terminée d'ici la fin de l'année ou avant le début de l'année prochaine?

Sergueï Lavrov (répond après Heiko Maas): Je suis d'accord avec les propos du Ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas. Nous jugeons illégitimes les sanctions extraterritoriales, tout comme les sanctions unilatérales en principe, auxquelles recourent non seulement les États-Unis mais aussi l'UE. Cette dernière promeut ses sanctions unilatérales. En même temps, elle s'abstient de les appliquer de manière extraterritoriale, contrairement aux États-Unis.

Les États-Unis n'y voient aucune ligne rouge, aucune limite et poursuivent un objectif sans aucun cadre diplomatique: ils doivent avoir la possibilité, avoir le droit de faire tout ce que bon leur semble dans la politique mondiale, dans l'économie mondiale et dans tous les secteurs de l'activité humaine. Nous le voyons. Ils se sont retirés de la plupart de traités internationaux, des organisations multilatérales, de différents accords et structures qui pouvaient être perçus comme contenant la liberté d'action de Washington. Selon moi, c'est évident pour tous. Nous partons de ce principe.

Nous maintenons nos contacts avec les États-Unis parce que le pragmatisme exige tout de même de maintenir le contact. Nous voyons parfaitement comment Washington opère sur la scène internationale sans se gêner quant aux méthodes, comme le confirme la situation autour du Nord Stream 2. Il est déclaré publiquement que les États-Unis stopperont à tout prix le Nord Stream 2 parce qu'ils "sont attachés à la garantie de la sécurité énergétique de l'Europe".

Si nos partenaires européens sont prêts à déléguer le règlement des questions relatives à leur sécurité, que ce soit dans le secteur énergétique ou autre, aux États-Unis, s'ils, y compris les pays dont les compagnies participent à la réalisation du projet commercial Nord Stream 2 précisément pour garantir leur sécurité énergétique, sont prêts à accorder à Washington le droit à délibérer et à émettre des décisions à ce sujet, alors c'est leur décision.

Nous voyons que la réaction de l'Allemagne est complètement différente. L'Allemagne a sa propre position, qu'elle promeut. J'entends ce qui se dit à Washington au plus haut niveau: "C'est scandaleux! Les États-Unis garantissent la sécurité de l'Allemagne mais l'Allemagne paie des milliards à la Fédération de Russie." C'est une grave déformation des faits. Le Ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas vient de confirmer que l'union de l'Atlantique Nord était primordiale pour la sécurité de l'Allemagne, c'est une alliance. La Chancelière allemande Angela Merkel a également déclaré récemment que l'Otan était une garantie de la sécurité de l'Allemagne. Nous avons alors demandé contre qui l'Allemagne se défendait en principe, que ce soit dans le cadre de l'Otan ou d'un point de vue autonome. Nous n'avons pas obtenu de réponse, mais dans l'ensemble c'est une partie de la discussion sur les principes sur lesquels doit s'appuyer également le dialogue sur les problèmes de sécurité et le système de sécurité en soi dans l'espace euro-atlantique. Je souligne une nouvelle fois que les compagnies participant au Nord Stream 2, y compris les acteurs russes, allemands et autres, sont disposées à terminer ce projet. Il faut croire que cela sera fait très prochainement.

Question: Vous avez dit que des attaques avaient été perpétrées contre des sites d'infrastructure russe depuis le territoire allemand. Pourriez-vous en parler plus en détail?

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne les affaires informatiques et la cybersécurité, il existe en Russie le Centre national de coordination sur les incidents informatiques. Il travaille depuis assez longtemps. Nous avons plusieurs partenaires, dont l'Allemagne. Le Centre russe a constaté, entre janvier 2019 et fin mai 2020, 75 attaques de hackers contre des sites russes, dont plus de 50 établissements publics, depuis le segment allemand de l'internet. Sur tous ces cas nous avons envoyé des notifications à l'organisme allemand compétent. Sur 75 cas, nous avons reçu seulement 7 réponses formelles qui ne répondaient pas sur le fond des questions posées. Nos questions suggéraient d'entamer un examen professionnel sur chaque cas d'attaque de hackers, notamment contre des sites publics.

Nous avons attiré aujourd'hui l'attention de nos collègues, notamment sur leur préoccupation et l'intérêt qu'ils ont exprimé pour mettre en place un dialogue professionnel afin de régler les problèmes dans le domaine de la cybersécurité. D'autant que l'absence de réponse aux requêtes envoyées via des canaux professionnels ne correspond pas à la volonté affichée par nos amis allemands au niveau politique. Nous avons transmis les statistiques concernant les attaques dont je viens de parler.

Nous avons rappelé que nous menions des consultations interdépartementales bilatérales avec l'Allemagne sur la cybersécurité, la sécurité de l'information dans sa dimension politique, militaro-politique et appliquée. En 2018, le cycle prévu de ces consultations a été annulé à l'initiative de l'Allemagne. Depuis, la partie allemande n'a pas désiré y revenir. Toutefois, nous avons évoqué aujourd'hui l'activité du Groupe de travail de haut niveau pour la politique de sécurité (ce groupe bilatéral existe et réalise un travail très important). A cet égard, nous avons également parlé de la possibilité de rétablir un canal pour aborder les problèmes de cybersécurité. J'espère que nous pourrons passer ainsi des paroles aux actes et entamerons une conversation professionnelle.

En ce qui concerne l'homicide à Tiergarten, nous voulons que la vérité soit établie. Nos autorités compétentes ont envoyé tout ce qu'elles ont pu aux collègues allemands en réponse à leurs requêtes. Le Ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas a déclaré que cette information était insuffisante. Mais nous voudrions également obtenir la confirmation, une preuve des déclarations faites par le Parquet allemand selon lesquelles l’État russe serait "directement impliqué dans cet homicide". Nous n'avons toujours pas entendu de réponse concrète.

Question: Le Premier ministre slovaque Igor Matovic, en commentant l'expulsion de trois diplomates russes, a déclaré que la Slovaquie et la Russie étaient amies mais que la Slovaquie était un État souverain, pas une "république bananière" où l'on pouvait se moquer des règles diplomatiques. Que pouvez-vous dire au sujet de cette histoire d'expulsion de diplomates russes?

Sergueï Lavrov: Je suis d'accord sur le fait que la Slovaquie est un pays ami envers la Russie. Nous n'avons jamais connu de problèmes politiques.

Je pense qu'il ne s'agit pas de la Slovaquie. Vous avez dit que la Slovaquie était un État souverain. Complètement par hasard, j'ai lu aujourd'hui que la porte-parole du Département d’État américain Morgan Ortagus s'était dite favorable à la décision des autorités slovaques d'expulser des diplomates russes. Je crois qu'aucun autre représentant étranger n'a commenté la situation dans ce sens. A vous de conclure qui pourrait être impliqué et intéressé par la décision prise par la Slovaquie souveraine vis-à-vis de trois diplomates russes.

Question (traduite de l'allemand): Êtes-vous d'accord avec votre homologue allemand sur le fait que pour les relations russo-allemandes, il serait bénéfique que des questions litigieuses comme l'homicide de Tiergarten soient discutées ouvertement?

Au sujet d'une autre affaire sur laquelle enquête la justice allemande, dont les traces conduisent également à la Russie, pouvez-vous confirmer que l'ancien chef de la direction de Wirecard Jan Marsalek se trouve en Allemagne?

Sergueï Lavrov: Je ne suis pas au courant concernant Jan Marsalek. Si vous demandez s'il se trouve en Allemagne, alors cette question ne s'adresse certainement pas à moi. Je ne suis pas très informé sur son activité parce qu'il ne fait pas l'objet de discussions sur la politique étrangère.

En ce qui concerne une discussion ouverte sur toutes les questions, que ce soit Tiergarten ou d'autres, nous y avons toujours été disposés. Ce n'est par à notre initiative que les partenaires occidentaux (y compris allemands) ont bloqué plusieurs canaux de communication après 2014. C'est bien connu. L'UE a notamment suspendu tous les dialogues sectoriels. Nous le prenons avec philosophie. Si nos partenaires ne sont pas prêts, nous ne pouvons pas les forcer.

Nous avons parlé aujourd'hui du fait que l'UE avait l'intention de revoir sa politique vis-à-vis de la Russie. Quand cette volonté sera affichée, nous y serons prêts. Nous serons prêts à un dialogue équitable, honnête et ouvert sur toutes les questions d'intérêt mutuel, d'autant qu'elles sont nombreuses. Je voudrais souligner encore une fois que quand on nous dit que le Procureur général allemand a parlé de l'implication de l’État russe dans l'homicide de Tiergarten, nous voudrions tout de même obtenir des confirmations de cette phrase précise. Nous ne voyons aucune preuve.

En ce qui concerne les requêtes, comme l'a dit Heiko Maas, nous avons répondu à plusieurs requêtes d'aide juridique, sur d'autres nous n'avons tout simplement pas d'informations, comme l'ont indiqué nos autorités compétentes. Si nous parlons de cybersécurité, alors en 2018, je voudrais le rappeler (j'espère que le correspondant qui a posé la dernière question a entendu ma réponse à la question précédente) qu'il existait un mécanisme de consultations sur la cybersécurité fermé par les autorités allemandes il y a deux ans. Aujourd'hui a été exprimé l'intérêt de relancer ce dialogue dans tel ou tel format. Nous serons prêts à évoquer cette possibilité. C'est dans notre intérêt, d'autant que nous avons également des choses à entendre de la part de nos collègues allemands en réponse aux 75 requêtes envoyées depuis 18 mois en Allemagne au sujet de cyberattaques provenant du segment allemand de l'internet, notamment contre des établissements publics russes.

Je suis ravi qu'aujourd'hui nous n'avons pas simplement parlé ouvertement des questions de grand intérêt public, mais qu'enfin nous avons commencé à comprendre la nécessité d'avoir des canaux professionnels appropriés où la discussion ne sera pas menée dans le contexte des intérêts politiques intérieurs de tel ou tel pays, non pas sous l'influence de notions électorales, mais simplement parce qu'avec l'Allemagne nous sommes des partenaires, de bons amis, et que nous ne voulons pas que quoi que ce soit ternisse cette coopération. Je suis certain qu'il est en notre pouvoir d'empêcher toutes les tentatives de saper cette coopération. Du moins, la Russie y est prête.

 

 

 

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