Interview exclusive du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov accordée à la chaîne de télévision Rossia 24, Moscou, le 18 juillet 2014
Question: Je ne peux pas m'empêcher de demander vos commentaires sur l'avion de ligne malaisien abattu en Ukraine. Comment cet évènement peut-il affecter la Russie? Kiev a immédiatement commencé à accuser notre pays qui, selon les autorités ukrainiennes, aurait fourni le système de défense aérienne aux insurgés. Comment répondriez-vous à ces accusations?
S.Lavrov: Notre position a été très clairement définie par le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine, qui dès le début a exigé une enquête internationale indépendante. Nous étions les premiers à le faire. Hier, lors d'une conversation téléphonique avec le président américain Barack Obama, c'était Vladimir Poutine en personne qui a informé son homologue américain d'un avion de ligne malaisien abattu. Nous allons insister sur l'enquête objective, ouverte, indépendante et nous serions prêts à y contribuer. Mais nous pensons que l'initiative doit être montrée par les autorités du pays dans lequel cette tragédie a eu lieu.
Quant aux déclarations de Kiev, accusant la Russie de cette tragédie, je dois dire que je n'ai pas entendu de déclarations véridiques de la part des représentants ukrainiens au cours des derniers mois. Ils disent n'importe quoi. Par exemple, le président Piotr Porochenko a déclaré que l'armée ukrainienne ne recevrait jamais l'ordre de faire quoi que ce soit qui pourrait présenter une menace pour la population civile, que les villes ne seraient pas bombardées, car, selon lui, c'est ce qui constitue le sens de «nobles traditions de l'armée ukrainienne ». Vous avez vu de vos propres yeux ce qui se passe avec les villes, les villages, les infrastructures et la population civile dans le sud-est de l'Ukraine. Grâce à vous, le monde entier a pu le voir.
Les exemples sont nombreux. Nous n'entendons qu'un flux de mensonge de Kiev concernant cet incident – les responsables ukrainiens blâment tous, sauf eux-mêmes. Franchement, j'espère que cette catastrophe fera redescendre sur terre ceux qui souhaitent la guerre, se dégagent de toute responsabilité dans le processus politique et des appels de l'Europe à la raison et comptent sur le soutien de Washington. Nous appelons un chat un chat – nous en parlons ouvertement avec nos collègues américains. Nous ne constatons pas la volonté des États-Unis d'envoyer des signaux à Kiev en faveur d'un règlement à travers les négociations.
Ce qui s'est passé avec l'avion devrait faire arrêter, regarder en arrière et réfléchir. Les insurgés ont proposé une trêve pour une période d'enquête internationale. Nous tenons à ce que les experts internationaux arrivent dès que possible sur le site de l'accident et récupèrent les boîtes noires que nous, malgré les déclarations de Kiev, n'avons aucune intention de saisir ni d'enfreindre les normes existantes de la communauté internationale pour de tels cas. C'est l'affaire de l'OACI et des États qui sont directement liés à la tragédie et dont les citoyens se trouvaient à bord, notamment les Pays-Bas, la Malaisie, ainsi que l'Ukraine. Il est important que le président Piotr Porochenko ait annoncé la création immédiate d'une commission internationale. Ceci est nécessaire pour dissiper les doutes quant à la sincérité et la volonté de mener une enquête complète.
Question: En ce qui concerne l'enquête et les déclarations de Piotr Porochenko. Quelques heures après l'accident, il a dit que c'était une attaque terroriste. Je ne vais pas vous demander d'où il a obtenu cette information quelques heures après la catastrophe, sans aucune enquête. Il est clair qu'il s'agit plutôt de la politique que d'un avis d'expert. Pensez-vous que ces déclarations anticipées puissent exercer une pression sur l'équipe d'enquêteurs chargée de cette affaire? Peut-on envisager cette mesure comme un ordre direct de ce qu'il faut trouver et ce qu'il ne faut pas?
S.Lavrov: C'est un ordre politique. C'est pourquoi j'ai dit que je me félicitais de la déclaration de Piotr Porochenko sur la création immédiate d'une commission. Cependant, il est nécessaire de la créer immédiatement, sans tarder.
Il est évident que les tentatives de dire qu'il s'agit d'une attaque terroriste, pour influencer le travail des enquêteurs ukrainiens constitue une pression inacceptable sur les activités de la commission.
Je peux citer beaucoup de déclarations qui démontrent une réticence absolue d'admettre que des autorités ukrainiennes font quelque chose de manière inappropriée ou insuffisante. Comme l'a dit hier Vladimir Poutine lors d'un entretien avec Barack Obama, il est important de ne pas essayer d'insister constamment sur le fait que la Russie doit prendre des mesures, mais d'envisager le sens du problème, qui consiste à la répugnance des autorités ukrainiennes à négocier avec ceux qui n'acceptent pas le coup d'Etat armée du mois de février, et les tentatives de parler avec le sud-est russophone d'une position de force, et ne demandent qu'une seule chose - que leurs droits soient respectés, qu'on se mette à table de négociation pour discuter de la structure de l'Etat ukrainien et des droits qui seront garantis pour tous ses citoyens. Ce n'est pas un caprice, mais l'engagement signé le 21 février par les autorités de Kiev, alors qu'ils étaient dans l'opposition.
Je tiens à rappeler que le premier paragraphe de l'accord signé par les ministres des Affaires étrangères de la Pologne, l'Allemagne et la France, a stipulé la création d'un gouvernement d'unité nationale. C'est l'essentiel. Ce gouvernement se serait mis à la réforme constitutionnelle, sur la base de laquelle les élections auraient pu avoir lieu. Tout était clair, logique et constructif. Mais malheureusement cet accord n'a pas été respecté, avec la complicité des Européens ou au moins avec leur réticence à exiger de l'ancienne opposition, qui a pris le pouvoir, de respecter les engagements signés.
Après ce fut une autre tentative d'établir un dialogue constructif. Le 17 avril les ministres des Affaires étrangères de la Russie, l'Ukraine, des États-Unis et le Haut Représentant de l'Union européenne se sont réunis à Genève. La déclaration signée à l'issue de la réunion a stipulé la cessation de toutes les violences et le début, je le cite, « du processus constitutionnel inclusif, transparent et ouvert impliquant toutes les régions de l'Ukraine ».
Lorsque nous avons présenté le document au Conseil de sécurité de l'ONU et de l'OSCE, en demandant de l'approuver, car il a été signé par les chefs des diplomaties américaine, européenne, russe et ukrainienne, nous n'avons trouvé aucun soutien. On nous a dit - «approuvons plutôt le plan de paix de Piotr Porochenko», qui néglige en fait la déclaration de Genève, la transparence du processus constitutionnel et la participation égale des régions. Le plan appelle à rendre les armes, et ceux qui ne le feront pas, seront éliminés. Et puis si vous vous rendrez, nous allons décider d'accorder l'amnistie ou pas. Ceux qui, à notre avis, ont commis des crimes graves ne seront pas amnistiés. Quant au pouvoir - nous vous informons comment et quand nous allons procéder à la décentralisation.
Les dirigeants ukrainiens ne mènent pas une réforme constitutionnelle. Ils ont élaboré un projet dont le texte a été présenté à la Verkhovna Rada. Il n'a pas été rendu public, les régions n'étaient pas en mesure en prendre connaissance. En parallèle, on a tenté de l'envoyer au Conseil de l'Europe dans le but d'obtenir « le feu vert » de cette structure pour l'utiliser comme prétexte d'inutilité des consultations, car « la communauté européenne éclairée» a tout confirmé et tout était parfait. C'est le sens du problème. Vladimir Poutine le rappelle constamment à Angela Merkel, Barack Obama, François Hollande et d'autres interlocuteurs. La dernière fois c'était à Rio de Janeiro, où le président russe a parlé de ce sujet avec la chancelière allemande.
Nous soulignons qu'on ne doit pas exiger que nous soyons les seuls à faire pression sur les insurgés en les persuadant de se résigner à se faire massacrer ou de se rendre à la merci du vainqueur. J'en ai parlé au secrétaire d'Etat américain John Kerry et je vais continuer à chercher une réponse.
Les élections en Irak se sont abouties à la victoire du parti, dirigé par le Premier ministre Nouri al-Maliki (il a confirmé ses pouvoirs lorsqu'il est devenu Premier ministre). Pourquoi en Irak les Etats-Unis jugent possible d'inviter les autorités en place à partager le pouvoir avec ceux qui n'ont pas accepté les résultats du scrutin? Pourquoi les États-Unis essayent de concilier tous et partout, indépendamment du fait si les élections ont eu lieu ou pas (comme, par exemple, dans la République du Soudan du Sud, à la création de laquelle Washington a fait beaucoup d'effort et aurait été le principal initiateur du processus)? Là, ils ont littéralement forcé le président à se réconcilier avec son principal adversaire.
Ces exemples sont nombreux, notamment en Afrique, au Proche-Orient. Alors qu'en Ukraine, tout dialogue avec l'opposition devait être exclu. Selon la position américaine officielle, imposée au monde entier, on ne peut pas parler avec les séparatistes, il est impossible de soutenir l'initiative russe au Conseil de sécurité de l'ONU en faveur d'une trêve et un dialogue, car il est inacceptable d'assimiler le gouvernement et les séparatistes. C'est un double standard dont la futilité est évidente. Cette question est restée sans réponse. L'attitude partiale de Washington à l'égard de la situation en Ukraine ne signifie que la seule chose : il a décidé d'investir le président ukrainien Piotr Porochenko du droit de recourir à la force contre ceux qui s'opposent à sa politique. C'est une décision criminelle. J'espère bien qu'elle sera révisée. Au niveau du Président et du ministère russe des Affaires étrangères, nous expliquons à nos partenaires que cela signifie que l'Occident a pris l'énorme responsabilité pour le sort de l'Etat ukrainien.
Question: Le Conseil de sécurité des Nations Unies va tenir aujourd'hui une réunion extraordinaire dédiée à l'avion de ligne malaisien abattu. Qu'attendez-vous de cette rencontre? Peut-être la Russie va initier une proposition de résolution?
S.Lavrov: Il arrive parfois que l'événement est prévu depuis longtemps, et après un incident, tout le monde envisage cet événement en ses termes. Il s'agit d'une réunion ordinaire du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui a été convenue la semaine dernière, quand on n'avait aucune idée qu'une telle tragédie se produise.
Question: Mais maintenant, le sujet de discussion va-t-il changer?
S.Lavrov: On va changer de sujet, ou plutôt le compléter par ce problème. Nous soutenons l'élaboration de la déclaration, qui devrait comprendre l'expression des plus sincères condoléances à tous ceux qui ont perdu leurs proches et au Gouvernement malaisien. Je suis convaincu que ceci sera fait. Je suppose que le Conseil de sécurité doit se prononcer en faveur du lancement immédiat d'une enquête indépendante et impartiale, libre et ouverte. Nous appelons aux mêmes initiative et décision dans le cadre de l'OSCE, dont le Conseil permanent devrait également se réunir aujourd'hui.
Question: Est-ce que cette catastrophe va-t-elle avoir un impact sur la réunion du Groupe de contact, qui aurait dû avoir lieu il y a longtemps et fixer une nouvelle date du cessez-le-feu? Cela a été convenu au début de juillet à Berlin. Mais le Groupe de contact n'arrive toujours pas à se réunir. Il paraît que la catastrophe va encore une fois faire reporter sa réunion. Qu'est-ce qui en empêche?
S.Lavrov: Une conférence vidéo a eu lieu la nuit dernière. Pour des raisons évidentes, elle a été consacrée exclusivement à la situation avec l'avion écrasé. Il est nécessaire de résoudre les problèmes complexes relatifs à l'accès pour des experts internationaux, l'identification et le transport des corps dans leur pays d'origine - des questions qui du point du vue logistique sont impossible de résoudre sans l'étroite collaboration des insurgées et les autorités de Kiev.
Question: Le dialogue est-il lancé?
S.Lavrov: La Fédération de Russie s'est déclarée prête à fournir toute assistance logistique nécessaire. Il y a des raisons de s'attendre à la tenue d'une autre conférence vidéo, consacrée aux questions de la trêve. Maintenant, cette trêve est trois ou même quatre fois plus importante compte tenu de l'enquête, qui doit couvrir une superficie assez vaste - comme vous le savez, les débris sont très dispersés. J'espère bien que cette tragédie fera oublier les ambitions politiques et permettra d'unir tous autour de la tâche d'établissement d'un dialogue et de la reprise des relations entre le Sud-Est et Kiev sur les principes stipulés dans la Déclaration de Genève sur la nécessité de commencer un processus constitutionnel sur un pied d'égalité.
Question: Pourquoi la trêve n'est toujours pas proclamée? Le 2 juillet, vous, votre homologue ukrainien M.Klimkin, les ministres des Affaires étrangères de l'Allemagne et de la France avez convenus et signé le document, qui prévoyait de définir la date de la trêve avant le 5 juillet. Pourquoi cela n'a pas été fait?
S.Lavrov: C'est difficile à dire. La trêve était considérée comme convenue. Pour ce faire, dans la pratique, l'accord signé par les quatre ministres des Affaires étrangères n'est pas suffisant. Il est important que les parties au conflit, ceux qui appuient sur les boutons de déclenchement, se mettent d'accord sur la date de début de la trêve et de ses paramètres. Relativement parlant, tous doivent rester en place, dans les 24 heures quelqu'un reculerait d'un kilomètre, quelqu'un d'un demi-kilomètre, etc. Il est important que les gens «sur le terrain» sentent la sécurité du processus et voient que le désarmement ne se passe pas de manière unilatérale. Mais à mon grand regret (encore une fois, je reviens au sujet de la négociabilité de nos collègues ukrainiens), après avoir adopté la Déclaration de Berlin, certains représentants de Kiev ont estimé que, conformément à ce document, les insurgés sont obligés de respecter « le plan de paix du président Piotr Porochenko », qui représente la voie vers une trêve. Ce n'est absolument pas vrai. Le « plan de paix Piotr Porochenko » ne figure pas dans la présente déclaration. Certains prétendent l'établissement de la trêve doit être précédée par l'échanger des otages, ce qui n'est pas vrai non plus.
La déclaration, adoptée le 2 juillet à Berlin, comprend un appel à la libération rapide des otages, mais ce n'est pas une condition de la trêve. Je ne pense pas qu'il devrait y avoir certaines conditions afin de sauver des vies et d'arrêter la fusillade. Dans une conversation téléphonique avec le ministre ukrainien des Affaires étrangères, j'ai demandé comment peut-on comprendre ces interprétations de la déclaration de Berlin. Pavel Klimkin m'a assuré que la déclaration de Berlin ne fait pas un objet d'interprétation. Il faut tous constamment revérifier.
Après l'adoption de la déclaration de Berlin, la chancelière allemande Angela Merkel a lancé un appel au président russe Vladimir Poutine lors d'une réunion à Rio de Janeiro en demandant de prendre des mesures supplémentaire pour encourager un processus constructif en Ukraine sur la «terre». Alors nous avons ajusté notre position. La position, reflétée dans la déclaration de Berlin signée par les quatre chefs des diplomaties russe, allemande, française et ukrainienne, stipule qu'après l'établissement d'un cessez-le-feu il serait possible de placer des observateurs de l'OSCE sur des postes frontaliers sur le territoire russe, dont la partie ukrainienne se trouve sous le contrôle des insurgés. Nous envisageons d'inviter à ces points de contrôle les gardes-frontières ukrainiens, afin qu'ils puissent, ensemble avec les observateurs de l'OSCE, examiner comment les douaniers et les gardes-frontières russes effectuent des contrôles leur travail, et que rien d'illégal ne passe à travers ces points de contrôle.
Après avoir parlé avec A.Merkel à Rio de Janeiro le président russe Vladimir Poutine a décidé, comme un geste de bonne volonté, de ne pas attendre une trêve, et d'inviter immédiatement des observateurs de l'OSCE sur les points de contrôle en question. Nous avons fait une telle proposition dans le siège de l'OSCE à Vienne en s'attendant qu'on la saisisse et prenne immédiatement la décision appropriée – la question sera réglée et les observateurs viendront examiner le fonctionnement de ces postes-frontières, et constateront que rien d'interdit n'y passe pas la frontière. A notre grande surprise, on a commencé à nous poser des questions pourquoi cela s'applique uniquement aux observateurs de l'OSCE et pourquoi il n'y a pas d'Ukrainiens. Nous expliquons que cette proposition entre en vigueur après la proclamation de la trêve, mais nous le faisons à l'avance. Certains de nos partenaires « ont grogné » très insatisfaits, en proposant d'étendre l'invitation sur le long de toute la frontière. Nous voulons que tous soient polis. Nos partenaires occidentaux ont oublié les bonnes manières qui distinguent généralement les citoyens européens, et tentent de promouvoir à l'esbroufe un approche exclusivement unilatérale, et font tout pour que l'évolution de la situation suit leur scénario. La Russie a fait beaucoup de gestes de bonne volonté, qu'ils font semblant de ne pas remarquer.
Cependant, pendant tout ce temps on n'a jamais publiquement dit au président ukrainien Piotr Porochenko, qu'il doit respecter les engagements que l'Ukraine a pris, notamment lancer le dialogue constitutionnel qui ne serait pas une parodie ou l'imitation, mais un véritable processus de négociation visant à renforcer l'Etat ukrainien sur les principes acceptables pour toutes les régions et les citoyens.
Question: Il n'y a pas longtemps, les villes russes ont été victimes du conflit dans l'est de l'Ukraine, après être touchées par des tirs d'artillerie ukrainienne. Quelle serait la réponse de la Fédération de Russie, vu que de telles attaques peuvent se reproduire?
S.Lavrov: Tout d'abord, nous avons averti que, si cela continue, nous allons prendre des mesures nécessaires. Je suis convaincu que si on prouve que cela a été fait délibérément, alors nous devrions éliminer cette menace. Actuellement, selon nos estimations, il s'agit d'un résultat du travail non-professionnel des militaires dans ces installations, ou d'un accident, qui peut arriver lors de la guerre. Nous avons sérieusement mis en garde nos collègues ukrainiens.
Dans le plan pratique nous cherchons à ce que les observateurs de l'OSCE, que nous invitons de se rendre aux points de contrôle russes, non seulement observent le travail des gardes-frontières et douaniers russes, mais qu'ils évaluent et rapportent à Vienne de la situation autour des postes-frontières, y compris du point de vue des menaces à la sécurité causées par les combats menés sur le territoire ukrainien. Ceci contribuera également à discipliner ceux qui gardent leurs doigts sur la gâchette de l'autre côté de la frontière.
Question: Est-ce que les décisions sur ces commissions de l'OSCE sont déjà prises?
S.Lavrov: L'OSCE a envoyé trois représentants aux postes frontières Donetsk et Goukovo dans la région de Rostov, qui doivent donner l'évaluation rapide de la situation sur le terrain, combien d'observateurs faut-il déployer afin qu'ils puissent s'y trouver 24 heures sur 24 (par exemple, trois personnes par équipe). Nous espérons que l'OSCE va prendre la décision en question d'ici la fin de la semaine, et les observateurs arrivent. Nous serons très heureux de les accueillir. Evidemment, la Russie prend la responsabilité de leur sécurité sur notre territoire, sauf dans le cas d'attaques du côté ukrainien. Cela sera reflété dans le mandat des observateurs et dans nos engagements.
Question: Nous comprenons tous ce qui a déclenché le lancement de l'opération militaire terrestre de l'armée israélienne dans la bande de Gaza, qui fait souffrir la population civile. Quelle est la position de la Russie?
S.Lavrov: Hier ce sujet a été abordé par le président russe Vladimir Poutine et son homologue américain Barack Obama. C'était Vladimir Poutine qui a entamé cette discussion. Quelques heures avant le départ pour l'Amérique latine le président russe a parlé au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Lors de ces contacts, nous avons réaffirmé la compréhension de la préoccupation d'Israël en c qui concerne les problèmes de sécurité suite aux attaques chaotiques avec l'utilisation des roquettes de fabrication artisanale. Les roquettes touchent les zones résidentielles, quelques roquettes sont tombées à un kilomètre de notre ambassade à Tel-Aviv. Réalisant à quel point c'est grave pour les Israéliens, nous comprenons en même temps qu'il est important d'empêcher le développement d'une spirale de violence selon le principe œil pour œil, dent pour dent.
La partie russe a activement soutenu l'initiative de l'Egypte, énoncée il y a quelques jours, également soutenue par Israël. Nous pensons qu'il n'est pas trop tard pour que le Hamas et d'autres groupes radicaux hors son influence (ils sont présents dans la bande de Gaza) répondent à cette initiative. Le lancement de l'opération terrestre suscite des inquiétudes liées à la manière dont le Hamas pourrait répondre et la suite des évènements.
Je souligne encore une fois que nous comptons sur le rôle principal de l'Egypte. Nous nous félicitons du retour du Caire sur la scène politique dans la région, ce qui manquait à ce pays alors qu'il était déchiré par des contradictions internes. En ce qui concerne la normalisation de la situation autour de la bande de Gaza et la possibilité d'une médiation égyptienne entre ce territoire et Israël, et la participation même de l'Egypte à la réunification des camps palestiniens sur la base de l'Initiative de paix arabe, pas sur la base de l'opposition à Israël, mais sur la base d'un dialogue avec ce pays, nous trouvons cette intention très utile et nous la soutiendront activement.
Il y avait une époque où les États-Unis ont fait reculer pour une année la dite «quartet» des médiateurs internationaux, en disant qu'ils étaient en mesure de concilier les Israéliens et les Palestiniens à travers le lancement des négociations sur le statut final. Ils n'ont pas parvenu à atteindre cet objectif, car c'est difficile à faire tout seul, même si nous soutenions la mission de Secrétaire d'Etat américain John Kerry.
Maintenant plusieurs sont ceux qui parlent de la nécessité de reprendre le format multilatéral du "Quartet" (la Russie, les Etats-Unis, l'ONU, l'UE). Je pense qu'il est temps de revenir à notre idée de longue date que ce format devrait comprendre des représentants de la Ligue arabe. Il ne s'agit pas de prendre des décisions entre quatre médiateurs, comme on faisait avant, et puis inviter les Arabes pour leur annoncer les accords convenus, mais il faut dès le début travailler ensemble avec les Arabes, en particulier avec l'Egypte dans la recherche des solutions. Les Arabes devraient faire partie dans le processus d'élaboration des initiatives. À mon avis, maintenant on reconnue largement la nécessité d'une telle mesure.
Question: Sergueï Viktorovitch, le président russe Vladimir Poutine vient de terminer sa visite dans un certain nombre de pays d'Amérique latine. Beaucoup dans cette visite était pour la première fois - en particulier, c'était le premier voyage du Président russe au Nicaragua et en Argentine. Après l'effondrement de l'URSS Amérique latine s'est retrouvée, en fait, à la périphérie de la politique étrangère russe. A en juger par la visite et la quantité des accords signés, peut-on parler des changements significatifs?
S.Lavrov: Je pense que les changements seront radicaux, mais pas spontanés. C'est un processus qui a été entamé ces 10-12 dernières années, lorsque nous avons commencé à réévaluer ce qui s'est passé après l'effondrement de l'Union soviétique. A l'époque nous n'avons pas eu ni les moyens ni le temps de rester en contact avec nos amis dans le monde entier - nous étions occupés à résoudre nos problèmes internes, qui ont été nombreux.
Depuis les 10 dernières années, nous retournons activement en Amérique latine, en Afrique, en Asie - les régions avec lesquelles nous sommes de vieux amis et qui se souviennent de la solidarité avec notre pays au cours de la lutte pour l'indépendance de ces Etats. Je pense que le capital qui peut mesurée par les relations humaines, est très demandé des deux côtés.
Je tiens à noter un point intéressant. De nombreux médias occidentaux (dans certains pays voisins, en particulier en Ukraine) ont interprété la visite du président Poutine à l'Amérique latine comme une tentative de prouver que la Russie n'était pas complètement isolée. On faisait des allégations que nous aurons frénétiquement cherché où aller. Je pense que tout le monde comprend que le sommet du BRICS n'a pas été improvisé, c'est un événement annuel prévu il y a longtemps (il y a un an lors du précédent sommet) qui a été méticuleusement préparé.
Nous avons des mécanismes étendus qui assurent le travail de cette structure - environ deux dizaines de formats, y compris les ministres sectoriels et des représentants d'autres organismes, la coopération au niveau de la politique étrangère.
Comme l'a dit le président russe Vladimir Poutine lors de la conférence de presse finale, le principal enjeu de ce sommet des BRICS était la création d'une banque de développement avec un capital s'élevant à 100 milliards de dollars (le capital initial est moins élevé, mais les pays s'étaient engagés à atteindre le montant de 100 milliards de dollars). Le même montant était alloué pour la mise en place d'un pool de réserves monétaires.
Le président a estimé ces accords comme la réalisation des projets convenus. Le fait que cela a eu lieu, confirme l'intérêt de tous les pays BRICS à une plus grande indépendance, la création d'outils qui permettront dépendre des processus objectifs, de leurs propres besoins et des intérêts dans le cadre de la coopération mutuelle, mais pas de règles établies à une époque où ces pays ne disposaient pas d'un influence économique et financier suffisant.
Question: Sergueï Viktorovitch, nous reviendrons au sujet des BRICS, mais je tiens à parler de l'Amérique latine, qui en Amérique du Nord, notamment aux États-Unis, est appelé leur «arrière-cour». C'est un terme controversé et même offensive. Néanmoins, il est évident qu'il existe une très forte influence des Etats-Unis. Avez-vous rencontré l'opposition des États-Unis face à un tel développement des relations entre la Russie et l'Amérique latine? Par exemple, quand j'étais au Nicaragua, L.Ortega (fils du président Daniel Ortega) m'a dit que les États-Unis étaient extrêmement mécontents de la volonté de la Russie de placer au Nicaragua sa base de ravitaillement militaire. Peut-être vous pouvez citer d'autres exemples?
S.Lavrov: Le Sommet des BRICS était accompagnés par les visites du président russe Vladimir Poutine à Cuba, au Nicaragua et en Argentine, ainsi que les activités de sensibilisation, où les Brésiliens ont invité non seulement les chefs d'Etat de cette association, mais également tous les pays d'Amérique du Sud qui sont membres de l'UNASUR (Union des nations sud-américaines). Lors des entretiens et des événements protocolaires j'ai eu l'occasion de parler avec tous mes collègues - les ministres des Affaires étrangères de ces pays, qui accompagnaient leurs présidents. La plupart d'entre eux m'ont confié que les Américains leur avaient envoyé des signaux à la veille des réunions, demandant des raisons d'y participer. Ils l'ont pris avec philosophie et la dignité de l'Amérique latine et ont répondu que c'était à eux de décider avec qui développer leurs relations.
La Russie est un partenaire très prometteur qui offre des projets mutuellement bénéfiques. Les pays d'Amérique latine ont également beaucoup de propositions envers notre pays. Alors pourquoi s'empêcher de suivre ses propres intérêts?
Question: Alors, ce n'est pas un «arrière-cour».
S.Lavrov: La distance entre New York et Brasilia presque la même qu'entre New York et Moscou. Un vol de Moscou à Brasilia dure une fois et demi plus longtemps. Même du point de vue de l'arithmétique et la géographie, tout est relatif. Cette région n'est pas un arrière-cour, mais le monde, l'ensemble du continent qui a sa culture, façonnée par des Espagnols et des Portugais, mais aussi la culture, qui dans la plupart des pays garde les traditions établies avant l'arrivée des Européens.
Question: Il y a également beaucoup de Russes en Argentine.
S.Lavrov: Non seulement en Argentine. En Uruguay, il y a une petite ville peuplée principalement par nos compatriotes. C'est un seul point en Amérique latine. Quand j'étais au Paraguay, en Uruguay, en Argentine, j'ai rencontré ces gens. C'est la diaspora assez prospère, nos compatriotes ont un statut socio-économique normal et la vie stable. Mais ils conservent la culture russe en éduquant leurs enfants. Nous les aidons à mettre en place un enseignement plus efficace de la langue russe, fournissons la littérature.
L'Amérique latine est tout un continent, et cela aurait pu être à la mode aux États-Unis de l'appeler un «arrière-cour» à l'époque où il n'y avait pas de telles possibilités de communication. Mais il est à noter que leur attitude n'a rien à voir avec la définition des «résidents de l'arrière-cour ».
Lors de la rencontre à haut niveau à laquelle ont participé tous les pays d'Amérique du Sud - les membres de l'UNASUR – on a activement discuté de la situation dans les secteurs d'économie et de finance au niveau mondial. La présidente argentine Mme K.Kirchner a promu l'idée d'établir des règles universellement acceptables de conduite sur les marchés financiers, y compris en ce qui concerne un défaut de paiement. Vous savez que ce pays a été confronté à une situation très particulière lorsque, après avoir négocié la restructuration de ses dettes avec tous, sauf un certain nombre de créanciers, il était attaqué par une minorité, qui s'était adressée à la Cour suprême des États-Unis, qui, à son tour, a statué que l'Argentine devait payer ses créanciers plein tarif, c'est-à-dire beaucoup plus que les sous pour lesquels ils ont acheté des titres argentins. Je ne vais pas entrer dans les détails.
Question: Et le jugement a été rendu récemment.
S.Lavrov: Oui, à la veille du sommet des BRICS. Le sujet figurait lors de l'événement de sensibilisation avec les pays BRICS et l'UNASUR. L'Argentine, soutenue par d'autres pays, a lancé un appel pour rétablir l'ordre dans ce domaine, ainsi que prévenir pour que les décisions relatives à la restructuration de la dette des pays souverains ne deviennent pas l'otage de système judiciaire national d'un pays, mais que ces questions soient résolus sur la base des règles universellement reconnu.
Question: Ou au moins dans le cadre des organisations internationales.
S.Lavrov: Ce sujet sensible sera au abordé lors du sommet du G20, qui devrait avoir lieu en Australie en novembre prochain. Tous les membres de l'UNASUR et les membres des BRICS ont appuyé cette initiative visant à harmoniser les approches généralement acceptables.
Lors de la réunion avec les présidents des pays BRICS, les participants de l'UNASUR se sont félicités de la Déclaration adoptée à Fortaleza, qui en outre des questions économiques et financières, contient une abondante documentation consacrée aux affaires internationales. En fait, il n'y a aucun conflit, qui n'aurait pas été mentionné dans le présent document. Ce n'est pas seulement une liste - le texte est formulé dans le cadre de la recherche de solutions et règlements en Afrique, au Proche-Orient, en Afrique du Nord, en Afghanistan et d'autres régions.
Les présidents des BRICS ont chargé les ministres des Affaires étrangères et les structures associées d'établir la coordination et l'échange d'estimations réguliers, ainsi que le développement des initiatives conjointes dans le cadre de la coopération à l'ONU et d'autres institutions internationales. C'est aussi un pas en avant. Nous avons également convenu que les ambassadeurs des pays BRICS à l'étranger se réuniront régulièrement et procèderont à l'échange de vues sur la situation dans les pays où ils sont accrédités. Cela signifierait également un sérieux pas en avant dans notre coopération dans le cadre de la politique étrangère.
Question: Est-ce que cela veut dire que les BRICS, qui ont été initialement créés pas comme une structure formelle, mais comme un club informel des Etats, sont devenus l'union économique et financière, et sont maintenant en train de devenir une association politique?
S.Lavrov: C'est vrai dans une certaine mesure. Il est à noter que la « maturité » des BRICS se manifeste dans tous les domaines. On peut le constater clairement dans les secteurs financier et économique lors des activités du G20.
Il n'est pas un secret que, après la décision de nos partenaires de suspendre l'activité du G8, ils ont rétabli le G7, qui à l'époque gouvernaient le monde dans les secteurs financiers et économique, mais avec la création du G20, ils ont perdu leur rôle essentiel qui est allé au Groupe des Vingt et dans le cadre duquel nos partenaires occidentaux doivent désormais s'entendre avec nous, les membres des BRICS et d'autres pays appartenant à cette association et représentants ainsi de principaux centres de la croissance économique et financier du monde. Les pays du G7 dans le format de G20 tentent toujours de «tirer la couverture vers eux», en particulier dans le cadre de la préparation du sommet à Brisbane, en Australie. Toutefois, le membre des BRICS ont beaucoup d'alliés dans le G20. Par exemple, les pays comme l'Argentine, le Mexique, l'Indonésie soutiennent les participants des BRICS en ce qui concerne la réforme du marché international et du système financier. Il est à noter que l'un des principaux points dans l'ordre du jour du prochain sommet en novembre prochain en Australie sera une exigence de mettre en œuvre les accords sur la réforme du système de quota dans le Fonds monétaire international (ils ont été atteints en automne de 2010, et sont « oubliés » par nos partenaires occidentaux). Dans cette situation, les BRICS avec les alliés que j'ai déjà mentionnés (il y a également d'autres pays qui les soutiennent), chercherons la négociabilité de nos partenaires.
Question: Si je comprends bien le G20 divisée en deux camps, les deux noyaux – le G7 et les BRICS?
S.Lavrov: Dès son création le G20 représentait d'une part les économies traditionnelles de l'Occident, ayant des positions décisives dans le système financier international, le FMI et la Banque mondiale. D'autre part ce format réunissait des économies émergentes, des pays qui ont accumulé du pouvoir financier, qui est accompagné d'une influence politique. C'est une situation naturelle, lorsqu'il faut rechercher un compromis. La réforme, qui a été adoptée il y a quatre ans visait le renforcement du rôle des nouveaux marchés émergents dans la gestion du FMI et de la Banque mondiale. Ceux qui gardent le pouvoir tentent de résister, même s'ils n'ont pas de raisons économiques ni d'arguments pour le faire. Je le répète, les décisions ont été prises, et il faut les respecter.