Discours et réponses aux questions des médias du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors d’une conférence de presse conjointe à l’issue des négociations avec le ministre arménien des Affaires étrangères Ararat Mirzoïan, Erevan, le 9 juin 2022
Cher Monsieur Mirzoïan,
Mesdames et Messieurs,
Je suis toujours heureux de me trouver dans cette ville accueillante d’Erevan. Avec nos collègues, nous essayons d’échanger des visites chaque année. Nos contacts sont particulièrement intensifs : le 8 avril, Monsieur Mirzoïan s’est rendu à Moscou où nous avons eu une discussion fructueuse, le 12 mai, nous nous sommes rencontrés lors de la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères des pays de la CEI à Douchanbé.
Au cours des négociations d’aujourd’hui, nous nous sommes concentrés sur tous les points de l'agenda bilatéral, régional et international.
Nous avons examiné les progrès accomplis dans la mise en œuvre des objectifs fixés par nos dirigeants, le Président russe et le Premier ministre arménien, y compris lors de la première visite officielle de Nikol Pachinian en Russie les 19-20 avril de cette année. L'un des principaux résultats de cette visite a été l’adoption d’une déclaration commune qui reflète les aspects prioritaires de notre coopération bilatérale. Les dirigeants ont confirmé le caractère privilégié des relations d’alliance entre la Russie et l’Arménie, ce qui est particulièrement important en cette année qui marque le 30ème anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre nos deux pays.
Au cours de la visite du premier ministre Nikol Pachinian au mois d’avril, un ensemble de documents complétant les bases juridiques solides a été signé. Nous sommes convenus de maintenir un rythme de travail élevé dans tous les domaines.
Cette année, nous avons comme projet de tenir la prochaine session de la Commission intergouvernementale sur la coopération économique sous la présidence des Vice-Premier ministres Alexei Overtchuk et Mher Grigorian. Un forum interrégional des jeunes est également prévu.
Nous envisageons d’ériger un monument en l’honneur de l’amitié russo-arménienne "Unies pour des siècles" au cœur d’Erevan. Des journées de la culture arménienne seront lancées en Russie. À leur tour, nos amis arméniens organiseront des Journées de la culture spirituelle russe dans leur pays. Ces activités de sensibilisation offrent une bonne occasion d’enrichir mutuellement nos cultures anciennes.
La Russie reste le partenaire commercial privilégié et investisseur clé dans l’économie arménienne. Malgré le ralentissement causé par la pandémie, nous sommes parvenus à ramener le chiffre d’affaires sur une trajectoire de croissance durable. Nous avons renforcé la coopération dans les domaines tels que l’énergie (y compris les industries nucléaire et minière), les transports, la logistique, les technologies de pointe.
Nous avons l’intention de promouvoir la pratique bien établie de missions et de forums d’affaires.
Nous travaillons de manière intense sur le plan humanitaire, tout en préservant et en renforçant l'espace éducatif, scientifique et linguistique. À la demande de nos amis arméniens, nous les aidons à accroitre le nombre d'écoles russes, à améliorer les compétences des enseignants de la langue russe en Arménie et à augmenter les quotas dans les universités russes pour les citoyens arméniens.
Nous continuons de coordonner étroitement nos efforts sur la scène internationale. Aujourd’hui, nous avons discuté du progrès de la mise en œuvre du Plan de consultations entre les ministères des Affaires étrangères signé le 8 avril à Moscou.
En marge de cette visite, trois vice-ministres des Affaires étrangères ont tenu des consultations avec leurs homologues arméniens sur la coopération dans diverses associations eurasiennes et dans l’espace européen. Nos délégations des ministres des Affaires étrangères ont discuté en détail les questions de la coopération dans le cadre de l’Union économique eurasiatique, de la CEI et de l’OTSC, présidé cette année par Erevan. Nous avons une convergence de vues sur la plupart des questions régionales. Nous sommes convenus de poursuivre la coordination, notamment dans les forums internationaux, en fonction de l’évolution de la situation géopolitique. Une attention particulière a été accordée aux mesures de consolidation de la paix, de la sécurité, de la stabilité dans la région du Sud-Caucase.
Nous sommes d’accord sur la nécessité de respecter strictement les accords des dirigeants de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de la Russie du 9 novembre 2020, ainsi que ceux du 11 janvier et du 26 novembre 2021.
Nous remercions l’Arménie d’avoir reconnu le rôle de la mission russe de maintien de la paix dans la promotion de la paix et de la sécurité dans la région.
Nous avons exprimé notre satisfaction à l’égard des résultats de la réunion du Groupe de travail tripartite sur le déblocage de toutes les liaisons de transport et économiques dans le Caucase du Sud, coprésidé par les vice-premiers ministres des trois pays, qui s’est tenue le 3 juin à Moscou.
Nous avons évoqué le travail de la Commission pour la délimitation des frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mené avec l’aide consultative de la Fédération de Russie. De notre part, nous avons réaffirmé notre volonté de contribuer à la signature d’un traité de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, de relever les défis humanitaires qui persistent dans la région.
Nous saluons le processus de normalisation des relations entre Erevan et Ankara. Cela doit contribuer à l'amélioration de la situation dans l'ensemble de la région.
Nous sommes d’accord qu’il est nécessaire d’assurer le même rythme de travail dans le cadre de la plateforme régionale "3+3" avec la participation des trois pays du Caucase du Sud et des trois pays voisins. Il s’agit d’un canal supplémentaire qui est important pour établir le dialogue et développer la coopération multidimensionnelle entre les pays de la région et leurs voisins.
Les négociations d’aujourd’hui représentaient sans aucun doute une étape importante dans l’évolution de notre partenariat stratégique et de notre alliance.
Nous remercions nos amis arméniens pour leur accueil chaleureux et l’excellente organisation de cette rencontre.
Je suis convaincu que la réunion de demain du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’OTSC sera également réussie et permettra de renforcer ce format important.
J’invite Monsieur Mirzoïan à se rendre en Fédération de Russie pour une nouvelle visite. Nous serons heureux de recevoir sa délégation dans n’importe quelle ville de la Russie.
Question: D’après ce qu’on sait, hier à Ankara, dans votre conversation avec Monsieur Cavusoglu vous avez abordé le sujet des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Dans quel contexte ce sujet a-t-il été soulevé aujourd’hui lors des négociations (comme nous pouvons le constater, il a été soulevé) ? Quel a été le progrès dans le rapprochement des positions de l’Azerbaïdjan et l’Arménie ? Vous avez évoqué la possibilité de signer le traité de paix. Que faut-il faire pour donner un coup d'accélérateur à ce travail, notamment dans le contexte du facteur de Karabakh ?
Sergueï Lavrov: Nous avons abordé ce sujet dans nos déclarations liminaires. Nos dirigeants se sont rencontrés trois fois pour résoudre les questions d’ordre pratique liées à la fin du conflit, à la normalisation des relations entre les pays de la région, notamment les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Nous avons une perception commune de l’avancée du processus. Il serait peut-être désirable que ce processus soit plus rapide. En tout cas, il y a des résultats concrets positifs (même s’ils sont encore intermédiaires). Je suis convaincu que des arrangements définitifs seront conclus. Nous essayons de le rendre possible en contribuant à ses efforts.
Les parties ont leurs propres visions, parfois différentes, sur la façon de travailler au cours de cette prochaine phase. Mais tous nos partenaires et nous-mêmes avons une perception commune que les trois déclarations prises au plus haut niveau représentent une feuille de route claire que nous devons suivre.
Nous sommes contents que les deux commissions (de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan) ont tenu une réunion constitutive sur la délimitation des frontières. La prochaine réunion se tiendra à Moscou. Nous sommes prêts à fournir une aide consultative, comme convenu par les dirigeants des trois pays, notamment en ce qui concerne la fourniture des documents cartographiques (ce qui est important pour le travail concret).
En parallèle, le Groupe de travail tripartite sur le déblocage des liaisons de transport et économiques présidé par les vice-premier ministres a réalisé des progrès significatifs.
Aujourd’hui, nous avons discuté des options pour résoudre des questions en suspens. Je suis convaincu qu’en fin de compte elles seront résolues. Il n’existe pas d’autre voie que la normalisation complète des relations. Ce que nous entendons par un traité de paix est basé sur les propositions présentées à l’époque par l’Azerbaïdjan. De son côté, l’Arménie a présenté sa propre vision. Le processus reposant sur ces deux documents est en cours et nous sommes prêts à participer en tant que médiateurs, conseillers et partie contributrice.
Question: Comme Monsieur Mirzoïan l’a déjà mentionné, le 24 mars les forces armées azerbaïdjanaises ont envahi le village de Parukh dans le Haut-Karabakh et continuent de l’occuper. Ainsi, plus de 400 de personnes ne peuvent toujours pas retourner chez eux. Le 8 avril, lors d’une conférence de presse, vous avez déclaré que vous ne vouliez pas faire de conclusions prématurées et que la mission de maintien de la paix enquêtait sur l’invasion. Y a-t-il des progrès à cet égard ? Que fait-on pour que les forces armées azerbaïdjanaises retournent à leurs positions initiales ?
Sergueï Lavrov: Oui, j’ai proposé de ne pas tirer des conclusions hâtives. Quant à la situation, il s’agit de l’une des priorités pour les forces russes (nos amis arméniens en sont bien conscients).
Le travail a déjà donné des résultats sur le terrain en termes de l’apaisement de la situation.
Nous espérons que le lancement du processus de délimitation des frontières entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan permettra de renforcer la confiance entre les pays et d’éviter que des incidents de ce type ne se reproduisent dans la zone de responsabilité de la mission russe de maintien de la paix.
Question: Comment commenteriez-vous la déclaration du chef de la diplomatie ukrainienne Dimitri Kuleba, selon laquelle Kiev se félicite des discussions tenues à Ankara, mais en ce qui concerne les exportations des céréales, l’Ukraine repose principalement sur les actions des Nations unies. En même temps, il insiste encore sur la nécessité de fournir des armes à Kiev. Selon vous, quelles seront les conséquences des livraisons à l’Ukraine de missiles antinavires américains ?
Sergueï Lavrov: En ce qui concerne la position et les actions de l’Ukraine, notamment concernant le déblocage de ports ukrainiens pour que les navires étrangers qui s’y trouvent puissent sortir vers les ports de destination et pour que les céréales qui y restent puissent être expédiées par des navires supplémentaires, c'est une question très simple et j’en ai déjà parlé lors de la conférence de presse à Ankara. Les militaires russes annoncent chaque jour depuis plus d’un mois des couloirs de sécurité et tous les navires avec les marchandises qui doivent être expédiées depuis les ports en mer Noire peuvent les utiliser, si l’Ukraine démine la bande côtière qu’elle contrôle.
Je trouve positif le fait que nos collègues turcs essaient de convaincre Kiev d’arrêter de tergiverser. J’espère que les Ukrainiens comprendront que la solution à cette question sur cette base claire, raisonnable et objective n’a pas d’alternatives et cessent de demander à l’Occident de les armer jusqu’aux dents, y compris par ces missiles antinavires avec lesquels l’Ukraine envisage de cibler les navires de la flotte russe de la mer Noire, selon les autorités ukrainiennes. Il est grand temps de renoncer à cette rhétorique visant à déchainer les passions dans le champ médiatique pour garder leur audience et de faire le travail concret.
Je souligne une fois de plus que pour ce faire, nos partenaires occidentaux devraient se rendre compte que la complaisance vis-à-vis des sentiments militaristes de Kiev ne mènera à rien de bon.
Question (traduite de l’arménien): Après une longue pause, les vice-premier ministres de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de la Russie se sont retrouvés lors d’une réunion sur le déblocage et la délimitation des frontières le 3 juin. Comment évaluez-vous les résultats de cette réunion, étant donné que l’Azerbaïdjan continue d’employer le terme "couloirs" ? Comment évaluez-vous les résultats ?
Sergueï Lavrov: En ce qui concerne la réunion des trois vice-premier ministres tenue le 3 juin, je la considère surtout comme une avancée positive. Je ne dirais pas que la pause a été trop longue. Ils maintiennent leur rythme de travail et ils sont venues prêts à aborder les questions qui restent à résoudre. Comme vous le savez, l’itinéraire ferroviaire a été convenu. On est actuellement en train de terminer l’harmonisation de l’itinéraire autoroutier et le régime qui va être établi. Le régime sera simplifié mais il reposera sur la reconnaissance de la souveraineté du territoire arménien. Il ne peut y avoir aucune ambiguïté, il s’agit des actions concrètes sur le terrain, de la construction d’infrastructures pour durer. Il vaut mieux peser tous les facteurs avant de trancher net.
Nous avons le sentiment que nos collègues de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan s’appuient sur ce principe.