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Interview du ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie Sergueï Lavrov à la chaîne de télévision Al-Jazeera, Moscou, le 2 mars 2022

403-02-03-2022

Question: Nombreux sont ceux qui ne croyaient pas réellement que la Russie lancerait après tout une opération militaire spéciale en Ukraine. La partie russe a formulé à plusieurs reprises ses raisons, y compris la menace de nature militaire et stratégique émanant de Kiev. Quelles menaces l'Ukraine a-t-elle posé ou pourrait-elle poser qui ont obligé la Russie à lancer l’opération militaire ?

Sergueï Lavrov: Cette histoire remonte bien plus loin dans le temps. Elle est même antérieure à 2014 lorsqu'un coup d'État sanglant a été perpétré en Ukraine avec le soutien de l'Occident. Sa genèse se situe au début des années 1990, alors que l'URSS a cessé d'exister. Des collègues occidentaux ont alors promis aux dirigeants soviétiques (ensuite russes), Boris Eltsine et Edouard Chevardnadze qu'il n'y aurait pas de tournant géopolitique, que l'OTAN ne profiterait pas de la nouvelle situation et n’avancerait pas ses infrastructures vers l'est. Et que de plus, l’alliance n'accepterait pas de nouveaux membres. Les archives de Grande-Bretagne ont publié les comptes rendus des pourparlers menés à ce sujet. Encore une fois, tout a été exposé au grand jour.

Le président russe Vladimir Poutine s'est prononcé à plusieurs reprises sur ce thème dans ses discours publics. Au lieu de tenir sa promesse de garantir la stabilité en Europe, l'OTAN a entrepris cinq étapes d'expansion vers l'est. De plus, toutes ces vagues s’étaient accompagnées du déploiement des forces armées des membres de l'alliance dans ces territoires. Ils avaient affirmé que ce se faisait « sur une base temporaire » mais le temporaire s'est rapidement transformé en permanent – ils créaient sans cesse des infrastructures militaires. Aujourd'hui, l’OTAN essaie également d'impliquer les États membres neutres de l'UE ou des États comme la Suisse pour assurer ses besoins. Le projet de mobilité militaire oblige l'Autriche, la Suède et la Finlande à fournir des capacités de transport afin que l'OTAN puisse déplacer ses forces armées. Le « natocentrisme » devient global. L'Union européenne, malgré tous ses slogans sur la nécessité d'une « autonomie stratégique pour l'Europe », n'est nullement inspirée par ce sujet et s'accorde parfaitement à être un « appendice » obéissant de l'Alliance de l'Atlantique nord.

Cette période s'est accompagnée d'une franche provocation des États post-soviétiques (principalement l'Ukraine) : ils étaient poussés à se décider avec qui ils étaient, la Russie ou l'Occident. Ces questions étaient posées ouvertement, à partir du premier « Maïdan » en 2003. C’était également le cas à l'étape suivante, lorsque l'Ukraine sous Viktor Ianoukovitch a décidé de patienter un peu avant de signer un accord d'association avec l'Union européenne car ce dernier contredisait l'accord de longue date sur la zone de libre-échange avec la CEI. Viktor Ianoukovitch s'est rendu compte qu'il était nécessaire d'harmoniser le régime commercial [de l’Ukraine] avec la Russie et les autres pays de la CEI, d’une part, et avec l'Europe de l’autre. C'est la seule raison pour laquelle Bruxelles a organisé le « Maïdan » et les manifestations qui se sont transformées en affrontements sanglants en février 2014.

À ce moment-là, la « paix » avait déjà été négociée. Un accord de règlement avait été signé avec Viktor Ianoukovitch. Il devait démissionner de tous ses postes et tenir des élections anticipées (qu'il n'aurait pas gagnées). La Pologne, la France et l'Allemagne, qui avaient garanti cet accord, sont restées silencieuses, en « la bouclant » comme qui dirait, après que l'opposition ait perpétré un coup d'État et bafoué leurs garanties. Ces pays ont même commencé à saluer les forces arrivées au pouvoir et qui étaient, en principe, des putschistes. Pour commencer, ces putschistes ont annoncé qu'ils annulaient le statut spécial de la langue russe en Ukraine, qu’ils ne voulaient pas voir de Russes en Crimée, et ils y ont envoyé des bandes armées. Les Criméens ont refusé d'obéir à ceux qui avaient perpétré le coup d'État.

C'est alors que tout s'est passé. C’est à ce moment-là que tout a commencé. Les gens arrivés au pouvoir ont ouvertement encouragé les sentiments néonazis dans la société, la création d'organisations défilant dans des processions aux flambeaux avec des portraits de criminels nazis avec des slogans ouvertement néonazis et russophobes. L'Occident a tout accepté docilement. Nombreux ont été ceux qui ont même soutenu et encouragé cela par tous les moyens. Ensuite, l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN a été mise à l’ordre du jour. Vladimir Zelensky est arrivé au pouvoir sous le slogan de la paix et de la nécessité de sauver des vies humaines, d'empêcher la mort d'Ukrainiens et de Russes. En fin de compte, il est devenu aussi russophobe que le gouvernement de Petr Porochenko. Vladimir Zelensky a qualifié les habitants du Donbass de « créatures ». Sous son prédécesseur, le Premier ministre Arseni Iatseniouk les traitait de « sous-hommes ».

Vladimir Zelensky n'a rien entrepris contre la guerre sanglante en cours contre son propre peuple. Il avait en effet menti en promettant de rétablir l'ordre en signant de nombreux accords avec des représentants du Donbass. Il a violé ces accords sans sourciller. Pendant ces huit ans, nous essayons d'en appeler à la conscience de l'Occident et de raisonner ce régime qui avait pris toutes les allures d'un gouvernement ultra-radical et néo-nazi. L'Occident n’a rien pu faire. Je pense qu'il ne voulait surtout rien faire, puisque dès cette époque l'Ukraine (et même avant 2014) a été utilisée comme un outil pour contenir la Russie. La situation actuelle vient du fait que l'Occident avait refusé de reconnaître la Fédération de Russie en tant que partenaire égal dans l'organisation de l'architecture de la sécurité européenne.

Cela est confirmé par la réaction des principaux pays de l'OTAN, avant tout les États-Unis, aux initiatives que le président Vladimir Poutine a présentées en décembre 2021 sur la nécessité de respecter honnêtement ce qui avait été convenu. Nul ne devrait, même en choisissant ses éventuelles alliances militaires, faire quoi que ce soit qui porterait atteinte à la sécurité d'un autre pays. Cet engagement au plus haut niveau avait été approuvé et signé par les présidents et chefs de gouvernement des pays de l'OSCE dans le cadre du Conseil Russie-OTAN. L'Occident refuse catégoriquement de l'accomplir. Vladimir Zelensky a déclaré que si la Russie ne cesse d'exiger que l'Ukraine remplisse ses obligations, il réfléchira à ce que l'Ukraine récupère ses armes nucléaires. C'était déjà un peu trop.

Question: Était-ce la chose la plus importante ?

Sergueï Lavrov: Non. Tous les éléments se sont accumulés. Il y a des gouttes qui font déborder le vase de la patience. Je suggérerais de considérer tout ce que j'ai énuméré comme des arguments de tous les jours, des phénomènes qui nous ont convaincus jour après jour que l'Occident avait mis le cap sur l'utilisation de l'Ukraine pour contenir la Russie, pour créer une « anti-Russie », une « ceinture hostile ». Pendant deux ou trois ans, l'Ukraine reçoit des armes en grande quantité, et récemment, ces fournitures ont été particulièrement intenses. Les Américains, les Britanniques y ont construit des bases militaires et navales, par exemple sur la côte de la mer d'Azov. Par l'intermédiaire du Pentagone, des laboratoires biologiques militaires ont été créés afin de poursuivre des expériences sur des bactéries. Ce programme américain est top secret. Il existe également dans d'autres pays de l'ex-Union soviétique tout le long du périmètre de la Fédération de Russie. La saturation de l'Ukraine avec une composante militaire qui nous est hostile a été très active. Permettez-moi de vous rappeler que le président russe Vladimir Poutine en a parlé plus d'une fois. En 2014, probablement, rien ne se serait passé, il n'y aurait pas eu de troubles dans l'est de l'Ukraine, il n'y aurait pas eu de référendum en Crimée si l'accord garanti par les Allemands, les Français et les Polonais avait été mis en œuvre. Mais ils ont montré leur incapacité à obliger Kiev à respecter les signatures des soi-disant grandes puissances européennes. Il y a maintenant une discussion sur la mesure dans laquelle l'Union européenne peut jouer un rôle indépendant dans les efforts visant à garantir la sécurité européenne. Je pense que l'Union européenne a joué son « rôle » principal en 2014 lorsqu'elle n'avait pas réussi à faire respecter ses garanties. Le putsch a eu lieu, les putschistes ont expédié des bandes de militants armés en Crimée après que la Crimée avait organisé un référendum, rejeté les putschistes et qu’elle s'était réunie avec la Fédération de Russie. Il s'agit là de la plus grande contribution de l'Union européenne à la sécurité européenne. Si cela ne s'était pas produit en Crimée et qu’elle serait restée ukrainienne, il y aurait maintenant des bases militaires de l'OTAN là-bas, ce qui est absolument inacceptable pour la Russie.

Question: L'Ukraine a-t-elle le potentiel de créer des armes nucléaires, une menace pour la Russie ?

Sergueï Lavrov: Elle détient un potentiel technique et technologique. Le président Vladimir Poutine en a parlé, nos experts ont également commenté cette situation. Je peux déclarer en pesant mes mots que nous ne le permettrons pas. Le but de l'opération annoncée par le président russe Vladimir Poutine et qui se poursuit, est de protéger les habitants, principalement dans le Donbass, qui ont été bombardées et tuées pendant huit ans avec une absence totale d'intérêt et de compassion de la part des sociétés occidentales et les médias. En général, ils ont essayé d'éviter de présenter à leurs téléspectateurs et auditeurs ce qui se passait « sur le terrain » et ont cherché à remplacer des reportages objectifs par des accusations non fondées de la Russie selon lesquelles cette dernière ne respecterait pas les accords de Minsk.

Dans le cadre de cette opération militaire spéciale, une tâche claire a été fixée, en tenant compte de l'expérience des dernières décennies après l'effondrement de l'Union soviétique, pour assurer la démilitarisation de l'Ukraine. Des types spécifiques d'armes de frappe doivent être identifiés, qui ne seront jamais déployés en Ukraine et ne seront pas créés. Avec une dénazification simultanée. Il est intolérable pour nous de voir des participants aux processions aux flambeaux qui défilent sous des bannières fascistes et néonazies dans l'Europe moderne et ils scandent (comme lors du « Maïdan » de 2013-2014): « Au poteau les Moscovites », « Tuez les Russes, tuez les Moscovites ».

J'écoute avec étonnement les commentaires des hommes politiques européens, surtout allemands. Ma collègue Annalena Baerbock a déclaré que, compte tenu de la responsabilité historique dont l'Allemagne est consciente, son pays a certainement l'obligation de fournir des armes à l'Ukraine. Comment devrais-je comprendre cela ? Que la culpabilité historique et la conscience de la culpabilité historique obligent l'Allemagne à soutenir des néonazis ? Cela crée des associations étranges. La chef de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré qu'aujourd'hui, l'UE et l'Ukraine sont déjà plus proches que jamais. Cette allusion que signifie-t-elle ? Probablement, c'est un signal que tant que quelqu’un est russophobe, fasciste et néo-nazi, il peut tout se permettre.

Vous souvenez-vous d'une réaction tant soit peu similaire à ce que la Russie fait actuellement en Ukraine en restaurant la justice ? Quand des centaines de milliers d'Irakiens, de Libyens, de Syriens perdaient leur vie dans d'autres pays, sur lesquels les Etats-Unis et leurs alliés « éclairés » du camp démocrate avaient braqué leur regard, à des milliers de kilomètres de leurs propres frontières. Les États-Unis avaient justifié leur invasion de l'Irak par une petite éprouvette et par l'affirmation qu'elle menaçait les intérêts de sécurité des États-Unis. Où est l'Irak et où sont les États-Unis ? Où est la Libye par rapport aux États-Unis ? Eh bien, ils s'estiment en droit de le faire. Aucune structure internationale n'a élevé sa voix pour déclarer qu'il s'agissait là d'une violation du droit international, d'un déclenchement d'hostilités absolument injustifié.

Observez l’hystérie qui vient de se déclencher, bien concertée, à cause des menaces à la sécurité russe directement devant notre frontière. Les États-Unis ont placé le monde occidental tout entier sous leur férule, ainsi que toutes les organisations internationales où l'Occident a une voix décisive, et les Américains tentent de transformer le sport international et la culture en otages de leurs efforts, pour ne pas permettre que justice soit faite dans les affaires internationales et une conversation sérieuse soit entamée sur l'architecture de la sécurité en Europe qui garantirait l'égalité de tous les États situés dans la région.

Question: Aviez-vous prévu cette solidarité des pays occidentaux avant que la Russie n'annonce le début de l'opération ?

Sergueï Lavrov: Nous étions prêts à tout. Je n'avais aucun doute que l'UE et, bien sûr, l'OTAN suivraient docilement les États-Unis. Surtout lorsque le sort de Nord Stream 2 avait été décidé. Même si le projet est relancé (ce n'est probablement pas à nous de décider), de toutes les manières, il est déjà clair désormais que Nord Stream 2 a joué son rôle dans l'histoire car il a clairement montré la place que l'Europe, dont l'Allemagne, occupe réellement sur l’échiquier mondial : une place définitivement subordonnée et dépendante.

Je ne pensais pas que ces sanctions, provoquées par une colère impuissante, couvriraient le mouvement sportif, les échanges culturels et concerneraient les contacts entre les personnes. Vous vous souvenez bien que les années précédentes, en annonçant des sanctions contre des pays arabes et latino-américains, l'Occident n'avait cessé de répéter, du moins au Conseil de sécurité [de l’ONU], que les sanctions ne visaient pas les gens ordinaires mais visaient à rendre les dirigeants des États en question conscients de la pression de la communauté mondiale pour qu’ils changent leur comportement. Aujourd’hui, personne n'en parle. Les contacts entre les personnes sont l'objet d'une interdiction directe à l'initiative des pays occidentaux qui ont toujours plaidé pour qu'il n'y ait pas d'obstacles à la communication entre les sociétés civiles. Ces pays ont piétiné tous leurs principes imposés par eux sur la scène internationale, y compris lorsqu'ils ont commencé à saisir les actifs de la Banque centrale de Russie et de nos entreprises privées. C'est un vol pur et simple. Ils ont abandonné toutes leurs règles introduites dans la vie internationale depuis plus de 70 ans. Ils viennent littéralement de torpiller ces règles et de retourner au gangstérisme, au capitalisme sauvage de l’époque de la « ruée vers l'or ».

Question: Dans quelle mesure la Russie est-elle capable de résister à cette pression politique et économique à court terme ?

Sergueï Lavrov: Nous sommes capables de résister à toutes les pressions. Si quelqu'un a des doutes à ce sujet, je leur recommande de se familiariser avec l'histoire russe, l'histoire de l'Empire russe, l'histoire de l'Union soviétique et l'histoire des épisodes de notre vie lorsque des armées ennemies envahissaient notre pays.

Question: Vous êtes-vous préparés à ce cas de figure à l'avance ?

Sergueï Lavrov: Nous pouvions voir à quel point l'Occident était furieux, à quel point il était agressif dans la promotion des thèses sur l'inadmissibilité de l'influence croissante de la Russie, à quel point il avait été cohérent dans la défense du gouvernement fasciste et néonazi en Ukraine en essayant de l'utiliser contre la Russie. Bien sûr, nous nous étions préparés à l’idée que nous devions compter principalement sur nos propres forces. Mais nous avons des amis, des alliés. Nous avons beaucoup de partenaires de par le monde qui, contrairement à l'Europe et à certains autres pays, n'ont pas perdu leur indépendance et la capacité de se laisser guider par leurs intérêts nationaux. Eux aussi subissent une énorme pression. Je sais avec certitude que les Américains « parcourent » par le biais de leurs ambassadeurs le monde entier pour forcer tous les pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie à entreprendre au moins quelque chose contre la Fédération de Russie. C'est mesquin pour la grande puissance qu'est l'Amérique. C’est lâche et indigne. Mais nous y sommes habitués. Cela s'est produit plus d'une fois dans notre histoire, lorsque des partenaires ont agi sans scrupules, en utilisant des méthodes malpropres. Mais nous serons forts. J’en suis sûr à 100 5.

Question: Quelles sont les chances d'un règlement politique du conflit ? Quelles concessions la Russie pourrait-elle faire ? La Russie a exprimé à plusieurs reprises qu'elle souhaitait que l'Ukraine reconnaisse la Crimée comme faisant partie de la Russie. Quoi d'autre ?

Sergueï Lavrov: Il s’agit d’être réaliste. La Crimée est un sujet qui n’est pas discutable. Le président russe Vladimir Poutine a clairement exprimé notre programme avec lequel la délégation russe s’est rendue aux pourparlers avec les Ukrainiens en Biélorussie. La Crimée en tant que partie de la Russie. Reconnaissance des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk à l'intérieur des frontières des régions de Donetsk et de Lougansk. Une démilitarisation avec des paramètres définis. Ils doivent encore être convenus. Il ne devrait y avoir aucune arme susceptible de menacer la sécurité de la Fédération de Russie. Dénazification. Tout comme l'Allemagne fasciste qui avait été soumise à cette procédure. Encore une fois, je vous exhorte à regarder les vidéos qui sont dans le domaine public sur la liberté dont jouissent les néonazis en Ukraine lorsqu'ils défilent sous les portraits de criminels de guerre. Le président Vladimir Zelensky leur attribue ses gardes afin de leur fournir une haie d'honneur. Il y a un travail immense à faire.

Nous faisons tout pour éviter de graves pertes civiles. Nos forces armées, ainsi que les milices des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, utilisent des armes de haute précision et détruisent exclusivement les infrastructures militaires du gouvernement ukrainien dans le cadre de la démilitarisation.

Ces menaces sont devenues trop tangibles. Bien sûr, nous assistons aujourd’hui à une guerre de l'information que je qualifierais de terrorisme de l'information. Des millions de faux sont disséminés. Nous les exposons tout le temps. Il y a une section spéciale sur le site Internet du ministère des Affaires étrangères [russe] où la vérité est montrée uniquement basée sur des faits.

Vous représentez un média respecté et puissant. Vous devez me comprendre. En parlant du conflit dans le Donbass, pendant toutes ces 8 années, des journalistes russes de divers médias ont travaillé 24h/24 et 7j/7 dans le Donbass aux côtés des milices pour montrer la vérité. Ils ont montré comment des bombes arrivaient, comment des zones résidentielles étaient bombardées par des lance-roquettes multiples, comment des écoles et des jardins d'enfants étaient détruits et des civils étaient tués. Tout cela a pu être visionné en direct. Nous n'arrêtions pas de répéter à nos collègues occidentaux à ce stade encore plus calme de cette crise effroyable : pourquoi n'encouragez-vous pas vos médias à travailler du côté ukrainien afin que vous puissiez voir quels dommages y sont causés aux résidents civils et aux infrastructures civiles ? Deux ou trois fois, la BBC est allée là-bas et aussi quelqu'un d'autre. Ils ont fait des reportages assez objectifs. Il était clair que ce qui se passait du côté de la ligne de contact contrôlé par le gouvernement [ukrainien] ne pouvait être comparé à l'horreur que la partie ukrainienne semait dans les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk. N'oublions pas qu'en plus des forces armées de l'Ukraine, qui, si je comprends bien, avaient plus ou moins conservé un minimum de discipline, il y avait aussi des bataillons purement nazis, des « engagés volontaires », qui, au moment de leur création, même en Occident, aux USA et en Grande-Bretagne étaient considérés comme infréquentables. Il était interdit de leur fournir une assistance. Maintenant, ils sont le « fer de lance » de toute cette vague. Ils tentent de poursuivre leurs outrages et mettent en scène des « spectacles », y compris dans des villes.

Question: Nos envoyés spéciaux sont à Donetsk depuis un mois maintenant.

Sergueï Lavrov: Tout le monde y est allé ces derniers temps, je le sais.

Question: L'attaché de presse du président russe, Dmitri Peskov a confirmé à deux reprises que Moscou considère Vladimir Zelensky comme le président légitime de l'Ukraine. Si tel est le cas, pourquoi les troupes sont-elles alors envoyées à Kiev ? Dans quel but ?

Sergueï Lavrov: [Pour] démilitariser.

Question: Pas pour changer le gouvernement ?

Sergueï Lavrov: [Pour] démilitariser. Les Ukrainiens doivent décider eux-mêmes après la fin de ce conflit déclenché par eux et auquel nous essayons maintenant de mettre fin, comment ils doivent continuer à vivre. Cela fait maintenant l'objet de discussions dans les cercles de science politique. Je ne participe pas à ces débats. Nous partons sans équivoque du fait que cela devrait être l'opinion de tous les peuples qui vivent en Ukraine.

Vladimir Zelensky est le président, certes. Malheureusement, c’est un président qui a menti à son peuple qui l'avait élu pour avoir promis de mettre fin à la guerre. Il a continué jusqu'à récemment et continue toujours à faire la même chose : promouvoir des approches clairement antirusses et russophobes, en faisant des déclarations extrêmement contradictoires. Tantôt c’est « laissez-moi d'urgence adhérer à l'OTAN », tantôt « si vous ne m'acceptez pas, alors donnez-moi des garanties », « je suis prêt à accepter des garanties de sécurité ». Il aurait fallu en parler avant. Les garanties de sécurité sont exactement ce que nous recherchons et ce que nous offrons. Le président russe Vladimir Poutine a déclaré à plusieurs reprises en janvier et début février 2022 que nous n'accepterions pas une sécurité européenne qui serait basée sur la domination de l'OTAN, en particulier à côtés de nos frontières. Trouvons une autre voie, a-t-il dit, et nous l'avons répété à plusieurs reprises. Une voie qui assurerait de manière fiable la sécurité de l'Ukraine, des pays européens et de la Fédération de Russie. Nous devons aller dans ce sens. Je considère comme une démarche positive le fait que le président Vladimir Zelensky ait déclaré qu'il était prêt, ou plutôt qu’il souhaitait recevoir des garanties de sécurité. Nos négociateurs sont prêts pour un deuxième tour de discussions sur ces garanties avec les représentants ukrainiens. Mais seulement les représentants ukrainiens là encore, comme lors de la première rencontre, n'ont pas encore confirmé la tenue du second tour. Ils feront traîner les choses en longueur. Je pense que les Américains ne le permettent pas non plus. Aujourd’hui, personne ne croit plus à l'indépendance de Kiev.

Question: Y a-t-il des éléments positifs pour aller de l’avant après le premier tour ?

Sergueï Lavrov: Les participants russes à ces pourparlers ont déjà fourni des commentaires, Dmitri Peskov a également donné des commentaires. Nous n'entrons pas dans les détails maintenant car ce n'est que la phase initiale, mais le fait que les parties aient convenu de se rencontrer une deuxième fois indique qu'elles sont prêtes à chercher des solutions. J'ai exposé notre position. La partie ukrainienne le connaît bien.

Question: Ce que vous venez d'exprimer, vos exigences, ne constituent-elles pas un acte de capitulation de l'Ukraine ?

Sergueï Lavrov: Je ne pense pas qu'on puisse le qualifier de cette manière. Mais l'essentiel n'est pas le terme qui sera utilisé. Nous proposons un accord. Il garantira les droits légaux de tous les peuples qui vivent en Ukraine, ce qui inclut toutes les minorités ethniques sans exception, [et prévoit] leur égalité. Cette disposition devrait se refléter dans la législation ukrainienne où il existe désormais une loi sur trois peuples autochtones, comme s'il n'y avait jamais eu de Russes sur le sol ukrainien. Ce sont ces éléments qui constituent aujourd’hui la base législative pour la poursuite de la politique russophobe et pas seulement russophobe mais dirigée contre toutes les autres minorités ethniques : les Hongrois, les Roumains, les Polonais, les Bulgares. Nous partons de l’idée que c'est le peuple ukrainien qui en décidera. Si le gouvernement accepte les conditions qui sont actuellement en discussion, nous arriverons à un accord.

Question: Le Royaume-Uni déclare qu'il est nécessaire de priver la Russie de sa place en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Existe-t-il un mécanisme pour mettre cette initiative en œuvre ?

Sergueï Lavrov: Il n'y a aucun mécanisme. Mais ne cherchez pas à expliquer quoi que ce soit aux représentants britanniques. Leur insuffisance totale est depuis longtemps bien connue.

Question: Les sanctions qui viennent d'être imposées à la Russie – l'espace aérien de l'Europe a été fermé, ne pensez-vous pas que cela a poussé la Russie derrière le « rideau de fer » ?

Sergueï Lavrov: Winston Churchill a autrefois « abaissé » le rideau de fer. Le Royaume-Uni se sent clairement mal à l'aise du fait que tous commencent à l'oublier depuis qu'il a effectué le Brexit (ce qui avait fait beaucoup de bruit dans les actualités). Aujourd’hui, il cherche une occasion pour « redevenir actif » sur l’échiquier mondial, pour jouer le jeu des États-Unis et contribuer à maintenir l'Europe sous le contrôle des États-Unis. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de promouvoir des idées qui s'opposeraient au « rideau de fer ». Tout le monde comprend que la construction d'un « rideau de fer » est le lot de ceux qui restent attachés à des concepts périmés : ceux du colonialisme et du néo-colonialisme. Bien sûr, surtout pour les Britanniques, ces concepts sont nostalgiques. Mais si l'Occident en a décidé ainsi, alors je vous assure que nous trouverons des moyens pour continuer à vivre, à nous développer, et nous ne nous soucierons même pas trop de ce que nos partenaires occidentaux ont fait, démontrant une fois de plus leur manque de fiabilité absolu et leur incapacité totale de négocier.

Question: La Russie n’a-t-elle pas été entrainée dans cette guerre en Ukraine ? L'Occident n’a-t-il pas poussé la Russie à s'enliser dans ce « marécage » ?

Sergueï Lavrov: Je n'exclus pas que certains aient voulu que la Russie sombre dans ce conflit artificiel créé par l'Occident. Aujourd’hui, les politologues occidentaux écrivent que cela permettrait aux Américains d’avoir la liberté de manœuvre et d’agir pour contenir la Chine. Une mentalité cynique et absolument néocoloniale qui est caractéristique de nos partenaires occidentaux. Je n'exclus pas qu'il eût pu en être ainsi. [Mais] notre résolution à empêcher de nouvelles effusions de sang en Ukraine, à empêcher que l'Ukraine ne soit utilisée comme tête de pont pour attaquer la Fédération de Russie, n'est pas déterminée par ce que l'Occident a prévu ou non : en prenant nos décisions, nous avons procédé des faits présents « sur le terrain ». Ils étaient extrêmement alarmants. L'Occident avait tout fait pour rendre ces faits tangibles de plus en plus menaçants pour la Russie.

Question: Avons-nous atteint la limite ? Sommes-nous au bord de la troisième guerre mondiale ?

Sergueï Lavrov: Vous devriez poser cette question au président [américain] Joseph Biden. Il a déclaré que s’il n'avait pas décidé de telles sanctions, la seule alternative aurait été la troisième guerre mondiale. Quand on pense dans de telles catégories… Joseph Biden est après tout un homme politique extrêmement expérimenté, quelle que soit notre attitude envers ce que font les États-Unis sur l’échiquier mondial. En juin 2021 à Genève, lui et le président Vladimir Poutine ont clairement confirmé la déclaration faite par les dirigeants de l'Union soviétique et des États-Unis dans les années 1980 selon laquelle il ne peut y avoir de vainqueur dans une guerre nucléaire et qu'elle ne devrait jamais être déclenchée. En janvier 2022, les dirigeants de tous les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU ont signé la même déclaration multilatérale désormais collective.

Si un homme répond à la question de savoir s'il aurait pu y avoir autre chose que cette vague de sanctions en disant que seule la troisième guerre mondiale aurait pu être une alternative, alors il ne peut pas ignorer que la troisième guerre mondiale sera inévitablement nucléaire. Peut-être que les vieux instincts sont-ils encore présents dans l'esprit de nos partenaires occidentaux s'ils admettent cette possibilité, malgré la position publiquement confirmée des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.


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